L'auteur : Eric Kikour Roux
La course : Ultra Trail du Mont Blanc
Date : 28/8/2009
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 2814 vues
Distance : 166km
Objectif : Pas d'objectif
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C'est en suivant le live de l'UTMB 2008 sur Kikourou que l'idée a germé de participer à mon tour au périple ; puis l'automne l'a petit à petit fait pousser et c'est avec fébrilité qu'en décembre je m'inscrivais, en trouvant déjà très long ce mois d'attente avant le tirage au sort et en me consolant d'être au minimum « prioritaire » pour l'édition 2010. L'annonce faite d'admettre tous les candidats me donna le coup d'adrénaline que j'attendais, malgré les maladies hivernales qui traversaient tour à tour le foyer familial, pour commencer la longue préparation à cette course, longue un peu comme le récit dont vous entamez maintenant la lecture ....
Ma préparation, je la voulais la plus complète possible et axée sur un point faible, le dénivelé. Je la programmais donc en cinq sorties par semaine, avec un minimum de cumuls tant en distances qu'en dénivelés, et la ponctuais de courses intermédiaires tests comme les Citadelles en avril et le Tour du Canigou fin juin. A quatre semaines du but, lors de la dernière sortie très longue, au Mont Aigoual avec trois autres Taill'Aventures, Bernard et Michel me trouveront affuté et même si le Tour du Canigou m'a rassuré, cette sortie à double tranchant me donnera un peu plus le moral quant à mon endurance, mais finira de m'inquiéter quand Philippe énoncera tout haut ce que je pensais tout bas pendant ses derniers kilomètres : arrivé là dans les Alpes, il restera encore 120 kms et 7000 m de D+ ! Au moment de faire du jus, soit pendant les deux dernières semaines, avec le sentiment de ne pas devoir trop en perdre, je resterais en permanence sur la vague impression d'être toujours fatigué et de ne pouvoir récupérer, malgré la très nette diminution du volume d'entraînement.
Jeudi 28 août, nous voila donc à Chamonix pour venir récupérer le dossard, en passant par la flânerie en ville, le salon du trail, la course des enfants et la séance dédicace du team Lafuma où je retrouve Antoine Guillon et sa famille. Mettre le pied dans la salle de récupération du dossard me renseignera tout de suite sur le professionnalisme de l'organisation : tout est bien huilé, l'attente est moindre malgré le nombre de dossiers à gérer ... chapeau bas ! Le soir, nous rentrons à St-Gervais où nous louons un appartement depuis samedi dernier, j'ai les pieds en compote et les jambes lourdes d'avoir piétiné toute la journée : je me pose des questions sur ma condition! Je passe la soirée et la matinée du lendemain à guetter du balcon les éventuels coureurs de la résidence, porteurs d'un bracelet rouge ou vert ...
Km 0 : Le jour J, nous quittons l'appartement vers 16 heures pour arriver à Chamonix dans le parking du Brévent plus qu'encombré ; je me rends avec Rémi (le fiston) sur le lieu du départ, l'attente se fera dans le haut de l'entonnoir, beaucoup de coureurs étant déjà en place. Assis, je suis bousculé et piétiné par bon nombre de passants sans égard. Vers 18 heures, tout le monde se lève, les discours s'enchaînent, puis viennent la « minute de bruit », un premier mouvement de foule pour n'avancer que de deux mètres, les recommandations, les levés de bras, le décompte et ... C'EST PARTI !
On piétine, on court sur trois pas, on repiétine, les spectateurs sont partout et forment de nombreux goulots ... enfin on peut dérouler un peu sur un terrain plus meuble, à peine caillouteux. Je passe bientôt devant trois personnes dont au moins un Kikou (Rapace74, dont mon fils me dira plus tard qu'il l'a aperçu en ville avec le Tee-shirt qui va bien). Trop heureux de pouvoir lâcher quelques chevaux, je les snobe (pardon) et suis bientôt rejoint par Stéphanos dont je (re)fais connaissance « en direct ». Par un sentier facile, nous atteignons bientôt Les Houches dont une voie d'accès routière nous a été réservée.
Le public est toujours très nombreux et chaleureux. J'aborde la montée du col des Charmes avec tous les indicateurs au vert : le stress me quitte peu à peu et le terrain de jeu semble sans grande difficulté, une montée en larges pistes vers la station de ski. Je retrouve Stéphanos avec qui je m'accorde à préférer pouvoir courir « libre » des autres, en respirant enfin.
En redescendant, je m'aperçois pourtant bientôt que mes bonnes sensations de l'entraînement ne sont pas là : à refaire attention aux autres, je suis sur les freins, les cuisses tirent tout de suite le signal d'alarme, j'ai l'impression d'être un pachyderme qui martèle tant et plus. Tant pis, je me résigne à rester dans une file de coureurs, puis finis par faire une première halte « pipi » en espérant pouvoir repartir libre et seul. Mais nous sommes encore bien trop proches du départ, je ne réussis qu'à laisser une trentaine de coureurs et me retrouve bientôt dans la même situation, sans avoir non plus sorti la frontale alors que nous traversons des bois à la tombée de la nuit. Philippe R (Taill'Aventure) me rejoint alors que je l'avais laissé au milieu d'une conversation dans la première montée et au moment où je sors la petite frontale pour découvrir avant la vile que les piles ne sont pas en grande forme.
Km 21 - 342ème en 2h33'19 : Dans les ruelles de St-Gervais, je l'éteins en me promettant de mettre la grande en route au plus vite. La traversée de la ville est surréaliste ; de nature réservé, j'apprécie malgré tout ce passage au milieu des haies de spectateurs et frappe dans des dizaines de mains. Je me ravitaille puis repars en compagnie de Rémi, vite stoppé par la « sécurité ». La haie d'honneur a repris, j'y retrouve toute la famille, belle-mère incluse ; nous traversons la rue sur un portique inutile à mon goût, puis direction la Patinoire, nous entamons le sentier vers Les Contamines, repéré deux jours plus tôt dans sa première partie : j'ai conscience à ce moment que la plus longue ascension a commencé, je me sens prêt. Peu avant Les Contamines, ma sœur Lucie, Noëlle, Rémi et Ninon m'attendent à un pont : je passe sans m'arrêter en pensant les trouver au ravitaillement proche, mais je le traverserai seul au milieu du public toujours plus que présent (km 30,9 - 341ème en 4h01'33). Je tente naïvement de sortir du ravitaillement avec une bouteille d'eau à la main, mais là aussi, la sécurité veille au grain et une bénévole me force à la boire sur place et à lui laisser la consigne ... La station se quitte par un sentier bordé de pelouse qui finit par rejoindre une très large piste et cette portion se parcourt sans difficulté. A Notre-Dame de la Gorge, je retrouve mes accompagnants qui trottinent avec moi jusqu'à la sortie. Je leur souhaite alors une bonne nuit, car nous, coureurs, sommes au pied du mur, enfin seuls et au contact de la nature. Un premier sentier technique commence et nous amène au point de contrôle de La Balme dans le brouillard et le froid (km 38,9 - 313ème en 5h29'30); j'enchaîne coca, eau gazeuse puis eau plate et repars dans cette montée de plus en plus technique et pentue. Je rejoins une petite file de grimpeurs, mais le dernier gaillard m'agace très vite : il passe son temps à se racler la gorge très bruyamment et à cracher tous les deux pas ! Je décide donc de temporiser avant de reprendre à mon rythme. Arrivé au Col du Bonhomme (km 44,4 - 309èmeen 6h58'38), j'ai repris quelques concurrents qui maintenant suivent ma trace à travers le brouillard, sécurisés que nous sommes par quelques bénévoles disséminés le long de ce chemin de cailloux, pierres et rochers. S'ensuit la descente pentue, très sinueuse et quelque peu technique dans un paysage qui me semble lunaire dans le noir, sans arbre, avec Les Chapieux en point de mire en contrebas. Parvenu à ce ravitaillement, je m'aperçois que j'ai oublié de faire un repas comme prévu à la Balme ... aussi, après le coca et l'eau gazeuse, je me pose et déguste un petit sandwich trempé dans un bol de soupe aux haricots, puis un thé attendu pour durer dans la nuit. Je vois repartir Stéphanos qui m'annonce ne pas être au mieux et je discute avec Hyppolite30, reporter à France3 avec qui j'ai eu l'occasion de partager d'autres courses et que je retrouve ici après l'avoir suivi dans la montée des Charmes.
Km 49,8 - 342ème en 7h46'42 : C'est en petite forme que je quitte le ravitaillement pour entamer la montée suivante, sur un long ruban d'asphalte ; rapidement doublé par une traileuse aux longues jambes, je décide de profiter du bitume sans risque pour forcer l'allure. Bien m'en prend, la forme est de retour et c'est à un bon rythme que j'enchaîne la piste puis le sentier suivants, pourtant de plus en plus pentus et techniques. Tout au long de l'ascension, je double pas mal de monde, mais à la faveur d'un ruisseau à traverser, je m'égare dans l'herbe mouillée et revois bientôt quelques coureurs me redoubler en contrebas. Km 60,1 - 384ème en 10h11'16 : Passé le Col de la Seigne, j'entame la descente prudemment car toujours à la recherche du moindre réfléchissant dans ce sentier pentu et sinueux, mais finit la descente à vive allure quand il devient droit, manquant même de louper un pont au dessus d'un torrent tout en bas. Km 64,6 - 364ème en 10h48'48 : Au ravitaillement du Lac Combal, je reprends une soupe puis un thé et me remets en route au moment où Philippe qui vient d'arriver, change les piles de sa frontale. La piste quasiment plate semble partager une étendue d'eau que l'obscurité nous cache encore ; je parcours en marchant à vive allure cette portion pourtant sans réelle difficulté, simplement dans le but stratégique d'en garder sous la semelle. Le tracé s'engage ensuite sur un monotrace en montée et le levé du jour vient bientôt nous remotiver par le spectacle hallucinant qu'il nous procure sur le massif qui nous domine à gauche. Km 68,6 - 392ème en 12h03'12 : A l'Arête du Mont Favre, nous perdrons peu à peu cette vue en virant et lui tournant le dos ; nous déambulons dans un paysage très peu boisé, sur un sentier assez ludique alternant plats, montées et descentes, puis de plus en plus de descentes jusqu'au Col de Chécrouit où un ravitaillement en liquide nous attend.
Là, les bénévoles semblent plus harassés que nous, les nerfs à fleur de peau, alors qu'en plus, deux d'entre eux font hurler une sono sans intérêt (km73 - 367ème en 12h39'35). Je reprends mon périple au plus vite pour abréger cette pause peu agréable. La descente sur Courmayeur commence, je m'y imagine au début sur un vélo, bien que la largeur du sentier, le dévers et le vide ne rassurent pas le piètre vététiste que je suis, mais alors que nous passons sous un télésiège, je suis vite certain que mon vélo ne passe plus : le sentier se fait de plus en plus pentu, dérapant, il présente maintenant plein d'épingles et de marches ! C'est dans ce contexte que je double Benoit11, plus prudent à cet endroit. On débouche bientôt sur une route puis traversons une partie de la ville avant d'atteindre le centre sportif de Courmayeur, véritable ruche au milieu de la course.
J'y retrouve les miens qui m'ont amené de quoi me préparer à la suite : pommade sur les pieds, changement de chaussettes et de tee-shirt, autre pommade autour du genou droit et sous les coudes. Je monte dans la grande salle chercher Philippe pour l'amener à sa famille qui le cherche mais qu'un garde-barrière efficace empêche de sortir de la zone autorisée d'assistance, puis Anne-Marie et ma troupe me quittent, non sans me dire qu'ils me trouvent certes marqué, mais cependant moins que Philippe qui semble s'écrouler sur une table alors que sa femme Corinne et ses enfants semblent désemparés autour de lui !
Km 77,5 - 349ème en 13h17'08 : Là encore, une soupe, un mini-sandwich au saucisson noir, un coca, une eau gazeuse et me voilà reparti pour l'ascension suivante : la ville, puis un morceau de piste que nous quittons pour un sentier qui semble au début simplement nous raccourcir ladite piste tant il devient pentu. L'arrivée au refuge Bertone m'apparaîtra alors comme une délivrance (km 82,4 - 376ème en 15h23'27); je m'y désaltère abondamment puis repars tranquillement dans la pente qui finit par s'adoucir.
Le sentier suit bientôt le flanc des montagnes, alternant descentes et montées ludiques, traversées de ruisseaux et de talwegs, portions plus ou moins plates et monotones. Dans ce contexte de relance et de régularité difficiles, alors que le doute est quelque peu installé, il est 11h40 et j'entends le portable me signaler un message. Je profite du peu de technicité du sentier pour le lire et découvre tout surpris avec le plus grand plaisir que ce sont huit messages qui me sont parvenus depuis hier ; à la lecture de ces encouragements des familles de judokas (c'est le portable de ma fille), mon cœur chahuté se serre, je laisse sortir une larme : en pensant à tous ces déçus que je risque de faire, aux sacrifices des proches et des moins proches, je réalise mon statut : je ne peux pas abandonner, pas maintenant ! Et le moral revient... Km 89,9 - 357ème en 16h45'54 : Après le refuge Bonatti (soupe et coca) où j'ai retrouvé Hyppolite30 en train de distiller des conseils de prudence quant à l'abord de la montée vers le Grand Col Ferret, le tracé dessine une descente franche mais très sinueuse jusqu'à Arnuva, un ravitaillement sous tente et parasols ou je m'enfile maintenant conformément à une habitude soupe, coca et mini-sandwich (km 94,2 - 363ème en 17h46'30). Je le quitte au moment où Philippe y arrive et lui promets qu'il me retrouvera dans la montée suivante ... celle vers le Grand Col Ferret, juge de paix de la course, celle qui semble décider pour beaucoup de celui qui finit et de celui qui s'arrête là !
Et ce qui était prévisible se produit : alors que la pente devient raide, les forces me quittent, je n'ai plus de jus. Ce n'est évidemment pas ma première hypoglycémie sur la course, mais celle-là est terrible, je m'arrête une fois, deux fois, cinq fois, recueille le conseil d'un anonyme qui me pousse à ne pas m'arrêter mais plutôt à diminuer la longueur de mes pas, puis ingurgite une barre en admirant le panorama qui nous tourne le dos, vois passer Philippe, un peu plus tard Morpheus74, et me hisse avec le plus grand mal au Grand Col Ferret (km 96,6 - 381ème en 19h28'46), où le vent froid bien présent m'empêche de rester bien longtemps. En petite forme, j'aborde la descente peu technique en marchant et finit quand même par relancer le trot peu avant La Peule, revenant alors sur Philippe. Le sentier devenant bientôt plus technique et pentu, je cours peu et freine beaucoup sur les cuisses, mais les sensations sont un peu revenues même si le goudron sur lequel nous débouchons me semble interminable (alors qu'en réalité, il ne doit pas faire plus d'un ou deux kilomètres).
Km 108,1 - 383èm en 21h12'12 : Au ravitaillement de La Fouly, Corinne est en train de préparer un sandwich pour Philippe qui me suit de prés puisque nous avons débouché sur la route ensemble. Ma petite famille quant à elle, en train de changer d'appartement, n'est pas là. Un bénévole me fait le plein du camel-back, aussi bien dans la poche à eau qu'en dehors, et ajoute « c'est pas grave » sans se soucier de mon propre avis ! Je bois un coca et de l'eau gazeuse, mange un fromage et saisit un morceau de pain. La fatigue est bien là ! Assis avec le pain dans une main et le gobelet dans l'autre, je regarde un petit bonhomme en train de faire le plein de ravitaillement sur la table, face à moi ... et mes paupières se ferment ; je les rouvre brusquement, conscient de m'être endormi une fraction de seconde, le petit bonhomme est en train de me fixer bizarrement, je luis souris comme pour le rassurer, bondis du banc et sors de ce dangereux endroit avec le sentiment étrange de m'être « bien » reposé. Le parcours emprunte ensuite une piste puis un sentier relativement plats et enclins aux reprises ou au trot régulier à « allure ultra » ; épousant longtemps la forme des montagnes, il braque subitement à angle droit pour descendre tout droit jusqu'à Pratz de Fort où nous rejoignons une route, puis une autre, encore une ... quelques ravitaillement sont improvisés chez l'habitant et je passe devant Corinne qui m'annonce le retour de Philippe en grande forme après une petite sieste à La Fouly. Une piste, Issert puis une route à traverser et la montée débute : une piste pentue puis un sentier nous amènent au camp de base suivant, les sous-bois de résineux sont de plus en plus fréquents et l'état du sentier n'est pas mauvais.
Km 122,8 - 369ème en 24h05'47 : A Champex-Lac, ma petite famille m'encourage à tue-tête, je réponds au speaker sous le chapiteau tout en trempant pain et fromage dans le potage au vermicelle, puis me prépare à affronter la nuit dont j'envisage le retour avant de pouvoir retrouver mes proches : chaussettes propres, tee-shirt à manches longues et coupe-vent. Devant mes doutes à pouvoir finir, ceux-ci me poussent et me poussent encore en m'accompagnant autour du lac ; un coureur m'interdit même de rendre le dossard ! Devant tant de sollicitude, le courage revient une fois encore ... Après avoir quitté la route, je relance donc sur la piste avec le retour de petites sensations, puis stoppe à nouveau : quasiment 20 heures, j'ai promis un coup de fil pour la réunion de reprise du judo, mais nous sommes en Suisse, le n° est injoignable ... tant pis ! Je repars et c'est bientôt une terrible ascension qui commence par un sentier des plus techniques avec la nuit qui pointe : pierriers en tout genre, passages de ruisseaux, montées très pentues et interminables. C'est avec soulagement que je suivrai le semblant de piste qui amène au point de contrôle de Bovine (km 132 - 388ème en 27h26'30). La descente me semblera elle aussi interminable, surtout à la fin, après qu'ayant rencontré mes proches, ils m'annoncent le ravitaillement dans encore bien 20 minutes alors que je pensais y être.
(Benoit_11 à Trient)
C'est Ptitjean qui m'accueille au ravitaillement de Trient et me présente bientôt à Souris : quand je lui annonce « Enchanté ! Ouah, tu vas me mettre un vent ! », elle répond que je suis sur le point de quitter le ravito alors qu'elle y arrive à peine ; en fait, je quitte effectivement cette partie du ravito et suis pointé comme tel, mais c'est pour encore rester avec ma famille une vingtaine de minutes à l'endroit réservé, dans l'ambiance de fête qui règne ici, au son de la sono et des années 80 : J'y annonce aux miens ne pas être au mieux, ne pas contrôler forcément tous mes pas ... mes regards sont fuyants, je dois leur sembler hagard : eux-mêmes m'avoueront avoir douté à ce moment-là.
Km 138,2 - 413ème en 29h10'49 : J'entame la montée suivante avec très peu de courage et une fatigue énorme ne tarde pas à me stopper net : je m'assieds par terre, pose la tête sur les bras et tente de dormir comme cela, certain que ma position d'inconfort m'empêcherait de « trop » dormir. En fait, chaque coureur qui passe me demande si tout va bien ... « oui ! oui ! j'essaie juste de somnoler un peu ! » répondrai-je à chaque fois, jusqu'à ce qu'un traileur en sens inverse (si ! si ! c'est possible !) ne s'arrête et finisse par répondre à ma place. Je m'accorde alors quelques instants, sans dormir, juste les yeux fermés, puis remercie mon bienfaiteur et me remets à grimper doucement, tout doucement, en multipliant les petites pauses debout, juste appuyé sur les bâtons, les yeux fermés quelques secondes avec l'impression qu'ils se révulsent.
(Catogne de jour et de loin)
Km 143 - 434ème en 31h39'57 : Arrivé au point de contrôle de Catogne, je renouvelle mon expérience : assis inconfortablement sur le banc, je ferme les yeux quelques instants en écoutant Georges Brassens que mes quatre contrôleurs distillent, puis repars dans la descente en marchant. Les pistes et sentiers me laissent le désagréable sentiment de pouvoir faire beaucoup mieux ... en d'autres circonstances, mais désormais, j'évolue avec la certitude de pouvoir aller au bout : j'ai mis une stratégie au point, l'inquiétude du cumul des trois dernières bosses s'est estompée, il n'en reste qu'une ! J'atteins Vallorcine avant même que ma sœur Lucie, Noëlle, Ninon et Rémi n'y arrivent, insiste auprès du pointage pour être certain que le SMS ne leur parvienne, et organise un dernier ravitaillement-repas avec soupe, mini-sandwich, thé et une barre en poche. A l'arrivée de mes proches, je leur demande de bien vouloir me servir de réveille-matin pendant dix minutes : attablé, je pose la tête sur les bras et tente de dormir ; frigorifié, je reçois cependant les gouttes de condensation d'une cornière du chapiteau et ne réussis à somnoler qu'environ cinq minutes. Je me relève au moment même où ma sœur a décidé de me secouer et quitte la tente en tremblant.
Km 147,7 - 444ème en 33h09'30 : Mes accompagnateurs me laissent peu après la haie des feux de joie et je me retrouve seul dans le noir et le froid, à déambuler sur le chemin vers le Col des Montets, sans pouvoir me réchauffer, car malgré la marche que je veux plus rapide dans ce but, le tracé longe un torrent jusqu'au col. Là, en levant la tête, je peux d'ores et déjà voir les frontales qui serpentent doucement sur le flanc de la montagne. Je traverse la route et le sentier démarre d'un terre-plein, tout de suite très pentu, très technique, très sinueux, plein de gros blocs et de rochers ou de marches plus ou moins aménagées. Pour éviter l'escalade, il faut calculer la trajectoire et l'appui de chaque pied, au risque sinon de retomber en arrière tant les cuisses ne permettent plus non plus de très grande amplitude dans la levée des jambes. Tranquillement mais surement, et avec encore une ou deux pauses, je me hisse en haut au sortir de la seconde nuit. Alors que la pente s'adoucit, je suis doublé par deux secouristes qui se parlent d'un blessé à préparer avant l'arrivée d'un hélicoptère. Je rejoints bientôt l'endroit du drame et suis apostrophé par Eric C, un copain traileur-pompier-prof_de_sports qui participe aux secours, bénévole sur la course sans en avoir rien dit. Il me demande des nouvelles et m'annonce une dernière montée avant le point de contrôle et un dernier petit raidillon de 300 mètres avant La Flégère en tant qu'ultimes difficultés. Je le quitte en le félicitant de son inscription aux templiers ... un an que je tente de le persuader au vu de ses performances et qualités !
(La tête aux Vents et La Flégère d'en face)
Km 155,2 - 462ème en 36h28'24 : C'est pressé d'en finir que J'atteins la Tête aux Vents , surpris même de vouloir « courir » de nouveau après un temps : ce sera moins de 39 heures. Me revoilà à trottiner dans les petites descentes vers la station de La Flégère que j'atteins bientôt (km 158,7 - 460ème en 37h10'40). Un thé que je refroidis à l'eau, et hop, la descente finale : un panneau de randonnée indique deux heures pour Chamonix ; je calcule 2 heures en rando = 120 minutes à diviser par 3 pour un temps de trail = 40 minutes ; j'ajoute 10 et encore 10 pour la fatigue : la ligne dans une heure ! J'arrête de trottiner aussitôt et appelle le fiston pour que toute la famille ait le temps de venir de St-Gervais. Lui me dit avoir reçu le SMS de l'organisation et tout faire pour bouger le reste de la troupe. Je repars donc dans la descente, sentier facile mais qui me semblera interminable alors que la ville semble si proche. Nous croisons des joggers, des promeneurs, les proches d'autres coureurs et enfin débouchons sur des gravillons puis dans les rues de Chamonix. Quelqu'un m'annonce un dernier kilomètre, dont un détour « pour le plaisir », un autre me conseille d'enlever la polaire pour laisser apparaître le dossard. Je stoppe donc pour ce faire, une dernière fois, et repars dans les rues, bientôt rejoint puis accompagné par les miens et par Stéphanos qui me mitraille de photos à chaque fois qu'il le peut. Je suis euphorique, les miens ne m'attendaient plus si tôt ... dernière ligne droite, Amélie, 28 mois, la petite dernière, fonce droit vers moi à contresens, j'ai la force de la prendre à bras et je franchis la ligne en trottinant !
Derrière la ligne avec les miens, quelques mots avec Mme Poletti, Stéphanos qui me raconte son abandon, me félicite et me mitraille encore, Anne-Marie qui me filme, ma belle-mère qui me rejoint pour des photos ... et l'euphorie qui ne retombe pas, plus de fatigue, non, je suis sur mon nuage ... Km 165,8 avec D+ 9404m - 466ème en 38h43'11. Après 8 mois d'une préparation de presque 2500 kilomètres et 100 000 mètres de dénivelé, me voila devenu l'extra-terrestre de la famille et des copains !
Et maintenant ? Le soufflé un peu retombé, j'ai le sentiment de la tache accomplie, du travail fait, pas forcément bien, mais fait quand même, et une petite impression de vide : ce soir, je n'irai pas courir, ni demain d'ailleurs ... Un autre objectif ? LesTempliers, certes, mais comme ça me semble simple (à tort) ! Revenir sur l'UTMB ? Je ne pense pas, ou alors pas dans l'immédiat et peut-être pour faire mieux, mais je l'ai fait et il reste tant d'autres défis, à commencer par le GRP ! L'ambiance sur l'UTMB ? un public extraordinaire partout où il peut être, à la mesure de la tâche à accomplir, mais que l'ambiance entre nous, traileurs, est triste ... chacun enfermé dans sa bulle, peu enclin à déconner ne serait-ce qu'un peu ! L'organisation ? une usine bien rodée qui nous offre un cadre rassurant certes mais parfois un peu trop rigide quand même. La course? Dans un cadre tellement somptueux, avec le regret que la nuit puisse nous cacher tant du spectacle, une course fidèle à l'image qui m'y a amené ... un mythe à faire pour qui veut se targuer d'être un ultra, sur un parcours divin, pas forcément roulant comme on pourrait encore l'entendre ici ou là !
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25 commentaires
Commentaire de joy posté le 07-09-2009 à 18:42:00
B R A V O à toi on n'aurais même peut être pu finir ensemble, lol...
Au plaisir!!!
Commentaire de ema posté le 07-09-2009 à 20:38:00
BRAVO........ géant, tres beau CR. ou on apres que envie d'y aller........ j'ai dit presque..
encore bravo, et bonne recup
Commentaire de vinzz posté le 07-09-2009 à 21:48:00
Félicitations ! Ca parait simple comme cela mais quelle belle course, je crois que le plus beau de ta course c'est le moment où tu remets ton dossard ! félicitations !
Commentaire de philkikou posté le 07-09-2009 à 23:24:00
Un rêve devenu réalité...et le paradis n'est jamais loin de l'enfer..
GEANT !!!
Commentaire de Xavhië posté le 07-09-2009 à 23:30:00
Bravo à toi!!!! Maintenant, il ne reste plus qu'à redescendre sur terre, c'est difficile de ne pas garder la tête là-haut quelques temps...
Peut-être à un de ces jours à Nant?
Commentaire de millénium posté le 08-09-2009 à 09:03:00
BRAVO l'ami !
Quel récit , j'en ai mal aux jambes !!! Et surtout quel courage. RESPECT
Commentaire de Fibre posté le 08-09-2009 à 09:14:00
Salut Eric,
On a suivi ta course en live toute la journée de samedi avec Flo (et là nuit aussi). Et puis, comme tu n'étais (encore lol)pas arrivé à 4h du matin, nous avons pris les baskets pour faire une sortie de nuit.
A notre retour à 6h nous avons rallumé l'ordi pour voir que tu étais toujours en course et dans les dernières difficultés.
Là, nous t'avons lachement abandonné pour quelques heures et à notre réveil nous avons été ravi pour toi, et ce que tu venais de réaliser.
On espère te voir à Nant et partager un bout de sentier.
Encore BRAVO et bonne récup.
Fabrice et Florence
Commentaire de lauca posté le 08-09-2009 à 09:23:00
Un grand bravo pour cette expérience et ce super compte rendu qui ne donne qu'une envie, y participer. Peut être à un de ces jours dans le Caroux, autre site magnifique que j'affectionne particulièrement. Encore bravo.
Commentaire de Francis31 posté le 08-09-2009 à 09:29:00
Bravo Eric pour être allé au bout de cette longue et grande aventure..Au dela du dela..Bravo
Commentaire de CROCS-MAN posté le 08-09-2009 à 10:10:00
BRAVO Eric, un super récit que voilà. MERCI
Commentaire de frankek posté le 08-09-2009 à 11:46:00
ha ! un beau réçit et un très beau UTMB de reussi
bravo ! je t'ai vu sur la ligne d'arrivée avec tes proches...j'espère discuter avec toi la prochaine fois. encore bravo et récupère bien
Commentaire de fanfan59 posté le 08-09-2009 à 12:36:00
S U B L I M E !!!! Que du BONHEUR ! Bonne récup !
Commentaire de mic31 posté le 08-09-2009 à 13:06:00
Salut Eric,
Bravo pour cette longue épreuve (le mot semble être le bon) et merci pour ce récit et pour ton analyse finale sur l UTMB.
Bonne récup, à bientôt
Commentaire de hagendaz posté le 08-09-2009 à 16:43:00
Merci pour ce récit
Commentaire de tophenbave posté le 10-09-2009 à 20:40:00
bravo et merci pour ce c.r.j'etais en tant que benevole à cham et tu m'as donnè l'envie d'etre concurrent l'an prochain.mais il est vrai que de bien belles autres epreuves existent aussi ailleurs.mais l'utmb est devenu une reference.bravo encore.
Commentaire de JLW posté le 10-09-2009 à 22:50:00
Félicitations Eric, un récit plein d'émotion et de pétri de réalisme. On a à la fois envie d'y participer mais aussi d'y réfléchir avant de s'engager dans une telle aventure. Merci pour ton partage.
Commentaire de agnès78 posté le 11-09-2009 à 09:28:00
sympa de voir cette belle complicité familiale!
bonne récup'
agnès
Commentaire de Bouh posté le 11-09-2009 à 15:51:00
Bravo Eric !
Belle Course ! Et bonne gestion ! Bravo à tes accompagnateurs qui sont aussi pour beaucoup dans ta réussite !
@ bientôt sur les sentiers :)
Commentaire de philtraverses posté le 12-09-2009 à 07:48:00
Salut
Bravo pour ta course et ton récit si bien détaillé. J'imagine le bonheur et l'euphorie que tu as du ressentir en franchissant la ligne pour retrouver ta petite famille après sans doute tant de souffrance (s) Heureux qui comme ulysse ..
Bravo encore
Commentaire de Benjamin30 posté le 12-09-2009 à 21:26:00
Bravo pour Ta course, Ton récit, Remet toi bien :)
Commentaire de Souris posté le 13-09-2009 à 16:44:00
Bravo Eric pour ta course... et merci pour ton récit!!
Tiens, j'avais oublié qu'il y avait effectivement de la musique au contrôle de Catogne. Avec la fatigue et cette 2nde nuit blanche, c'était un peu surréel!
Commentaire de Stéphanos posté le 13-09-2009 à 17:05:00
salut Eric
c'est avec beaucoup de retard que je savoure ton récit!!!Cela ma fait beaucoup de bien de te voir et partager ton arrivée, et qui me motive pour y revenir pour boucler ce tour qui n'est pas du tout roulant comme on l'entend ici ou là! tu as fait une trés belle course.BRAVO
PS:voici le lien pour les photos que j'ai prises:
http://picasaweb.google.fr/stephsev.leroux/Utmb2009?authkey=Gv1sRgCPDpxovnqY3IaQ#
Commentaire de ptijean posté le 17-09-2009 à 20:38:00
Bravo pour ta course que j'ai eu la chance de croiser à Trient et à une prochaine peut etre.
Ptijean
Commentaire de caroux posté le 19-09-2009 à 23:46:00
Bravo Eric pour cette belle course et ce récit poignant !!!
Ça fout quand même un peu la trouille ;-)
Commentaire de Yvan11 posté le 22-09-2009 à 13:35:00
Sacrée aventure que cet UTMB que les exploits d'un certain Kilian banaliserait presque..MAis un récit comme le tien,de quelqu'un que l'on connait personnellement,qu'on a vu courir, qui nous a laissé sur place pendant le Caroux ( ;-) ) , nous montre que cette course là,comme une belle femme désirée de beaucoup, ne se donne pas au premier venu...Ton récit est tellement poignant que j'en deviens lyrique moi aussi !!! :-)
Bravo pour ta course et ton récit, et à bientot sur des courses plus abordables.
Yvan
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