Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2003, par fhobl
273 autres récits :
- Les récits de 2023 (3)
- Les récits de 2022 (4)
- Les récits de 2021 (7)
- Les récits de 2019 (12)
- Les récits de 2018 (6)
- Les récits de 2017 (13)
- Les récits de 2016 (8)
- Les récits de 2015 (10)
- Les récits de 2014 (15)
- Les récits de 2013 (19)
- Les récits de 2012 (7)
- Les récits de 2011 (15)
- Les récits de 2010 (6)
- Les récits de 2009 (21)
- Les récits de 2008 (27)
- Les récits de 2007 (36)
- Les récits de 2006 (37)
- Les récits de 2005 (15)
- Les récits de 2004 (5)
- Les récits de 2003 (7)
Le récit
24 h 54 de bonheur
Pourrai-je le faire ? 150 bornes autour du Mt Blanc, c'est presque le double de ma distance record. Côté dénivelé - 7500 m de montées cumulées - idem, et en plus, ce que ne dit pas le prospectus, c'est qu'il faut les redescendre ! Bref, c'est pour l'inauguration d'un monument de la course à pied que plus de 700 coureurs battent le pavé de la place Balmat peu avant 4 heures ce samedi 29 août 2003. Un monument pour l'heure recouvert d'un voile nuageux tenace qui n'augure rien de bon... Qu'importe, il ne pleut plus, estimons nous heureux, pour nous, coureurs, qui avons tant fantasmé et sué sous la canicule de cet été fou pour être prêts le jour J. Mais aussi heureux et soulagés pour les organisateurs et les centaines de bénévoles, rouages d'une formidable chaîne humaine impeccablement préparée et soudée pour nous permettre de franchir les chausse-trappes d'un parcours décrit comme difficile de bout en bout par ceux qui ont pu le reconnaître. Thibaud Cahez, récent septième de la Nove Coli est de ceux là, et ses propos de la veille sur la partie suisse du parcours, apparemment plus facile sur le papier, ne sont pas pour me rassurer...
Pourrai-je la faire ? 4 heures moins 10 secondes au chronomètre géant qui nous nargue sous le portique de départ. Dans combien de temps le reverrai-je, si je le revois ? Le compte à rebours est scandé par 700 voix déterminées. L'heure n'est plus aux interrogations ("mais qu'est-ce que je f... là ?"), le départ est donné à 4 heures sonnantes, avec une précision digne des voisins suisses : c'est un bon signe !
Chamonix-Courmayeur : piano-piano.
Fidèle à mes habitudes, je pars lentement, ce qui signifie, ici, derrière. Ma devise sur cette course : humilité et économie. Objectif : finir sans me détruire. J'ai appris la veille au soir que mon nom avait été cité par quelque media en mal de favoris et d'outsiders. Quelle vanité ! Comment faire comprendre, en cette période de championnat du monde d'athlétisme au stade de France, que nous ne sommes pas venu glaner une médaille en courant plus vite que le voisin ; que les sentiers du Mt Blanc sont loin d'être des couloirs de tartan et que la part d'incertitude qui habite chaque ultratrailer conscient de ce qui l'attend est aux antipodes de la suffisance affichée par certaines grosses cuisses américaines sur 100 m.
Ici, point de starting-blocks, pas de risque de faux-départ, et pourtant, beaucoup de choses se jouent dès les premiers hectomètres. Trouver le bon rythme parmi le peloton délivré, parti je trouve bien vite sur les traces des cracks qui ont annoncé Courmayeur comme objectif, choisir la bonne option vestimentaire (j'ai vite trop chaud et tombe rapidement la carline), boire sans tarder et régulièrement malgré les 120 % d'humidité... Les premiers kilomètres sont pour moi les plus délicats à négocier, avec la curieuse impression d'aller à la fois trop vite et trop lentement. Enfin la montée au col de la Voza, 1ère difficulté, simple "apéritif" selon mon voisin de course. Les premiers lacets régulent enfin le rythme. Je dépasse Jean-Claude Marmier, figure emblématique du secours en montagne, qui a su trouver les mots justes et forts la veille au briefing pour redonner envie à ceux dont la pluie liquéfiait les ardeurs, et qui joint ici le geste à la parole. Sacré Bonhomme ! C'est justement avec l'ascension du col du même nom que les choses sérieuses commencent, après une première fausse route collective dans la descente vers les Contamines (je remercie sincèrement le coureur qui nous a remis magistralement sur le bon chemin en piquant à travers bois). Avec l'altitude, le temps se gâte, de violents grains s'abattent sur le serpent humain qui poursuit, imperturbable, son bonhomme de chemin. Insidieusement, le froid commence son travail de sape, qui va laisser tant de concurrents sur le carreau, à commencer par Thibaud Cahez dès Courmayeur, ou encore Maurice Mondon à Champex, victimes de troubles digestifs rédhibitoires : ce sera le mal de la course.
La grande faucheuse
Drôle de course tout de même ! On se croirait presque à la Star Academy, à se retrouver de moins en moins nombreux à chaque étape. On arrive dans les 50ème à Courmayeur, on se repose 3/4 d'heure avec un bon massage et un plat de pâtes en prime, et on repart...trentième ! Non sans être ébahi par les temps de passage de Dawa Sherpa et Vincent Delebarre, que m'annonce sur la table de massage le 3ème des classés sur cette étape, Bruno Durand, vainqueur du Mercantour 2003, en préparation 2 mois avant sa grande course en Himalaya.
A Champex, même phénomène "d'évaporation" des concurrents : arrivé 18ème, reparti 10ème sans coup férir 3/4 d'heures plus tard, comme neuf après un nouveau massage et les indispensables pâtes qui tiennent au ventre. Entre temps, nos amis baliseurs italiens n'ayant pas respecté le road-book qui prévoyait de passer sur un chemin le long de la Doire avant Planpincieux, je perds bêtement une vingtaine de minutes en m'obstinant à chercher des balises sur ce pourtant beau chemin avant de me résoudre à faire demi-tour pour retrouver le bitume abhorré : 13 km de goudron montant que je coure bon train pour passer ma hargne. Je retrouve au passage mon copain Didier Sessegolo, qui s'est illustré au Mercantour l'année dernière, véritable force de la nature que rien n'arrête habituellement, mais qui devra lui aussi mettre fin à son rêve à Champex.
Champex-Chamonix : nuit et brouillard.
Champex, j'y arrive à la nuit tombante, après avoir dépassé Irina Malejonock dans la descente vers la Fouly. Elle a très mal au genoux et encore plus mal à l'âme à la perspective de devoir renoncer. Je suis sincèrement touché par ce qui lui arrive, d'autant plus que cette championne exceptionnelle m'avait, comme tous ceux qui l'on vu passer, impressionné par son aisance et son efficacité. Elle était partie pour réaliser quelque chose de grand. Elle remporte tout de même une très belle victoire féminine à Champex, mais nous savons tous que seule une revanche l'an prochain pourra la consoler. Tous ces abandons dans la douleur ne font que renforcer ma détermination à continuer. J'ai la chance d'être encore indemne de tout bobo et je sais résister aux sirènes de l'abri de Champex, cocon douillet creusé dans la montagne comme seuls les Suisses savent en faire. J'en repars chaudement vêtu et gonflé à bloc, dans la nuit, la froidure et sous la pluie qui commence à tomber. Une nouvelle course commence, où la lutte contre les éléments, le brouillard et le vent s'en mêlant, accapare nos pensées en occultant ainsi la fatigue. Je rejoins le thononais Régis Coumenges qui se sentait un peu seul dans ce fog, et nous faisons cause commune pour nous sortir des bourbiers de Bovine, de Trient et de Catogne, non sans apprécier l'incomparable gentillesse et la chaleur humaine des bénévoles suisses à chaque ravitaillement. En repartir est à chaque fois un choc : le froid cinglant passé le seuil du chalet chauffé, nuit et brouillard après la lumière... Aux Tseppes, quelle n'est pas notre surprise de voir Vincent Delebarre en train de roupiller. Nous qui le croyions en vue de la ligne d'arrivée... La pensée nous vient de le réveiller pour qu'il reparte avec nous, mais nos hôtes nous conseillent de le laisser récupérer car il a vraiment beaucoup donné en essayant de suivre le rythme fou de Dawa Sherpa et il n'est pas sûr qu'il soit en état de repartir. Soit, nous continuons à deux, pianissimo jusqu'à Vallorcine (ce n'est pas le moment de se faire une cheville) où nous arrivons avec soulagement, car cette bourgade marque la fin des grosses difficultés. Un salut aux couche-tard (ou lève-tôt ?) du bar venus attendre le passage des coureurs, et nous attaquons le col des Montets. Je me sens des ailes, Régis un peu moins, d'autant plus que lui s'est quand même fait une cheville. Voyant que le rythme diminue considérablement et que je ronge mon frein, il m'ordonne presque de continuer au plus vite et de finir sans lui, ce que je me résous à faire non sans scrupules peu avant le passage au col. Je fonds alors sur Chamonix, du moins j'essaye car le parcours est encore bien sinueux et "vallonné". Le balisage parfois bien lâche sur le balcon nord, me fait hésiter et perdre plusieurs minutes en aller-retour pour vérification. Pourvu que Régis, dont la lampe faiblissait, ne se perde pas, ce serait trop bête si près du but et je m'en voudrais !
Il est 4 h , Werner Schweizer
L'Arve est plombée par un fog glacial. Peu importe, je coure comme un cabri, léger, libéré, heureux. Même pas mal ! Nulle part. Je suis bien. Les jambes en redemandent à chaque foulée. Serais-je en train de connaître l'euphorie de l'ultra, ce moment rare et envié, rayon vert du coureur de grand fond ? 4 heures ont sonné à mon passage à Argentière, marquant le glas des 24 heures de course. Au diable le chrono, je savoure les dernières longueurs, comme l'alpiniste à la sortie de la face nord des Drus qui reste obstinément masquée par les nuées. Chamonix, désert sous la pluie, un gymcana dans les ruelles du centre-ville, une dernière chicane pour déboucher brutalement sur l'arrivée tant désirée. Je franchis le portique sans doute avec le même sourire que tous ceux que nous acclamerons dans la matinée, réunis au-delà du chronomètre pour être allés au bout du même rêve. Pour l'heure, à 4h 54 sous les averses, près de 5 heures après l'arrivée sans doute triomphale du fabuleux Dawa Sherpa, la place est déserte, le comité d'accueil des plus réduits mais tellement chaleureux et attentionné, et surtout, merveilleuse surprise, je retrouve dans cette ambiance intimiste Andrej Gondas et Daniel Boebion qui ont franchi la ligne deux minutes avant, se partageant la victoire en V2. Mieux encore, j'apprends que Werner Schweizer, V3 de 64 printemps, nous a une fois de plus tous damé le pion en arrivant une demi-heure plus tôt. Il m'avait dépassé en petites foulées dans la raide montée au col de la Seigne... voilà un Suisse qui remet décidément les pendules à l'heure ! Humilité.
Deux petites minutes me séparent certes de la place enviée de 1er Français, qu'importe : Daniel, second au Mercantour, méritait amplement de la savourer seul et puis, ces deux minutes sont pour moi le prix de 24 h 54 de bonheur et je ne les échangerais pour rien au monde. Economie. La boucle est bouclée. Longue vie (ensoleillée) à l'ultratrail du Mt Blanc, pour que chacun puisse aller un jour au bout de son rêve.
Chambéry, le 2 septembre 2003.
***********
fabien hobléa
Accueil - Haut de page - Aide
- Contact
- Mentions légales
- Version mobile
- 0.07 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !
1 commentaire
Commentaire de Mustang posté le 01-08-2010 à 00:48:00
si longtemps après je lis ton récit! quelle émotion!! Cette incrédulité à finir si bien après une telle aventure, bravo!!
( je parcourrai ce même chemin 3 ans après toi mais dans bien plus péniblement)
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.