L'auteur : achoisy
La course : Ultra Trail du Mont-Blanc
Date : 27/8/2021
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 1040 vues
Distance : 171km
Objectif : Terminer
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1/ Le départ
Vendredi 27 août 2021, 16h00 ; place du Triangle de l’Amitié à Chamonix. Dans une heure le départ de l’UTMB 2021 sera donné. Nous sommes 2 347 coureurs de 92 nationalités différentes à prendre le départ. Parmi eux, la crème de la crème des trailers mondiaux dont les légendaires François d’Haene et Xavier Thévenard, tous deux triples vainqueurs de l’épreuve. Seuls manquent à l’appel les deux espagnols Kilian Jornet qu’on ne présente plus et Pau Cappel, le vainqueur de la dernière édition.
39 jours après avoir terminé l’UT4M, je me lance sur un deuxième ultra cet été … ce n’était pas prévu au programme mais quand j’ai reçu un mail des organisateurs me disant que je pouvais finalement m’inscrire pour l’édition de cette année en raison de l’impossibilité pour certains coureurs étrangers de se rendre en Europe à cause des contraintes sanitaires, je n’ai pas hésité une seconde. L’UTMB ne se refuse pas. Ça fait des années que cette course me fait rêver et que j’essaie d’y participer. L’occasion était trop, elle ne se serait pas représentée et je l’ai saisie immédiatement. Tant pis pour la récupération et pour la limite de pas plus d’un ultra par an que je me suis fixée.
Même si je suis hyper motivé, j’ai quand même deux interrogations en tête au moment de prendre le départ :
- Même si je me suis bien reposé après l’UT4M, est-ce que j’aurai complètement récupéré mes capacités physiques ?
- J’ai très mal dormi la nuit précédente et je traine un rhume depuis deux jours ; est-ce je vais tenir le choc dans l’état dans lequel je suis ?
J’essaie de chasser mes doutes en profitant de l’ambiance qui règne sur la ligne de départ : grosse sono, écran géant, présentation des favoris en français, en anglais et en espagnol, clapping, caméras de télévision, … pendant ce temps un funambule traverse la place sur un câble tendu au-dessus de nos têtes … un vrai show à l’américaine mais aussi du recueillement et de la solidarité pendant l’hommage rendu au coureur tchèque qui est décédé la veille pendant la CCC.
La sono crache le traditionnel Conquest of Paradise de Vangelis : c’est parti pour 172 kilomètres et 10000 de dénivelé autour du massif du Mont Blanc à travers la France, l’Italie et la Suisse.
J’ai une chance incroyable d’être ici. Même si je sais que je ne serai sans doute pas à 100%, je veux tout donner, et atteindre à tout prix mon objectif : être de retour à Chamonix en moins de 46 heures et 30 minutes.
Dès l’arche de départ franchie, l’ambiance est indescriptible : une foule compacte massée le long des barrières sur plusieurs centaines de mètres, des cloches à vaches, des enfants qui tapent la main des coureurs, des encouragements dans toutes les langues, des spectateurs qui hurlent nos prénoms (indiqués sur nos dossards) … On est dans une ambiance de corrida, de montée de l’Alpe D’Huez ou du Tourmalet sur le Tour de France. Je n’avais jamais connu ça, j’ai la chair de poule, les larmes aux yeux, c’est vraiment impressionnant. Pendant quelques minutes, je ressens ce que vivent les sportifs professionnels et c’est vraiment jouissif.
La vallée de Chamonix vibre pour les coureurs de l’UTMB et ça vibre fort et loin : le public est encore très nombreux à la sortie de Chamonix et sur le sentier des bords de l’Arve qui mène jusqu’aux Houches.
Je fais un bout de chemin avec Michael, le Président de l’association Sang pour Sang Sport et on est d’accord pour dire que la fête est purement incroyable.
Lors de la traversée des Houches, c’est la même ambiance de corrida.
A la sortie des Houches, on attaque la première difficulté du parcours, la montée du col de Voza (800 mètres de dénivelé positif). Les spectateurs sont encore nombreux sur les premières pentes du col mais j’essaie de ne pas me laisser griser. Je monte à mon rythme et je m’arrête pour prendre quelques photos.
Au sommet du col, le concert de cloches à vaches est impressionnant et je bascule dans la descente après deux heures de course.
La descente sur Saint Gervais est bien raide et dans les derniers lacets je sens déjà que mes quadriceps ne sont pas au meilleur de leur forme. C’est une première (mauvaise) indication sur mon état de fraicheur. Il va falloir gérer les descentes à l’économie.
Au ravitaillement de Saint Gervais, c’est à nouveau la folie. Le public est chaud bouillant ; cloches à vaches, enfants qui nous tapent dans les mains, spectateurs qui me crient des ALLEZ ARNAAAUUUD à 50 centimètres du visage. Rebelotte aux Contamines … j’adore, je chauffe le public, je fais des détours pour aller taper dans les mains des enfants, je deviens accro et je commence à me prendre pour une rock-star.
Ces 35 premiers kilomètres ont été un pur bonheur. Les plus beaux et les plus émouvants de ma « carrière » de coureur. Je n’avais jamais vécu ça et je ne le revivrai sans doute jamais. De l’émotion pure.
Après Notre Dame de la Gorge, les choses sérieuses commencent avec l’ascension du col du Bonhomme à 2500 mètres d’altitude. La nuit s’est installée, la pente devient raide et on aborde la montagne, la vraie. Je monte à un bon rythme et cette première grosse ascension (1300 mètres de D+) se passe bien. Je reprends pas mal de coureurs qui s’étaient un peu enflammés sur les premiers kilomètres du parcours.
Je bascule dans la descente raide et technique vers Les Chapieux aux alentours de minuit. J’y vais vraiment tranquillement en utilisant mes bâtons.
Après un ravitaillement rapide aux Chapieux, j’attaque la longue montée du col de la Seigne qui mène en Italie à 2500 mètres d’altitude. La nuit est claire et le ruban des frontales qui s’étend le long des lacets du col est majestueux. Je profite du spectacle qui s’étend à perte de vue, derrière et devant moi, tout en essayant de bien me couvrir. Au sommet du col, le thermomètre est descendu à 3°C et un vent violent s’est levé. En température ressentie, on est probablement à -5°C.
2/ Viva l’Italia
L’arrivée en Italie est marquée par un crochet par le Col des Pyramides Calcaires : une courte montée suivie d’une descente très technique dans un pierrier dans laquelle je galère. Ces amas rocheux sont surréalistes et donnent l’impression d’être dans un décor de fin du monde. Le vent me glace le sang et je suis trop crispé pour bien anticiper la pose de mes pieds et de mes bâtons sur les pierres. Il faut dire aussi qu’en général, je ne suis pas un vrai montagnard et que je ne suis pas toujours à l’aise dans ces parties très techniques. Avoir grandi à 200 mètres d’altitude au milieu des champs de maïs, ça ne m’aide pas trop pour descendre comme un chamois … Je suis vraiment soulagé de voir arriver le bas de la descente qui est moins technique et surtout d’atteindre le ravitaillement du Lac Combal.
Je ne m’attarde pas trop au ravitaillement, même si on est redescendu sous les 2000 mètres d’altitude, la température reste polaire.
Après le ravitaillement du Lac Combal, c’est rebelotte, une nouvelle montée très raide pour atteindre l’arrête du Mont Favre à environ 2400 mètres d’altitude. Arrivé au somment, le jour s’est levé et le spectacle est à couper le souffle avec une vue à 180 degrés sur les sommets enneigés. Le soleil commence à nous réchauffer timidement et j’en profite pour manger un morceau, discuter avec un autre coureur et prendre le temps de contempler la beauté du spectacle.
J’ai bien fait de faire une petite pause car la descente sur Courmayeur est interminable (1200 mètres de dénivelé négatif) et se termine en apothéose par une portion le long des pistes de ski puis sur un sentier raide et poussiéreux. J’arrive au ravitaillement après une glissade qui se termine sur les fesses, dans la poussière, et avec des quadriceps tétanisés.
Les pâtes et la charcuterie italiennes sont excellentes mais je ne traine pas au ravitaillement. Je prends quand même le temps de changer de chaussures et de me faire un automassage à l’Arnica pour essayer de soulager mes jambes qui sont déjà bien dures après 80 kilomètres de course.
Je sais que j’ai fait une bonne première nuit malgré un état de fraicheur qui laisse à désirer et j’attaque la montée vers Bertone avec un moral en béton. J’essaye quand même de ne pas m’enflammer et de monter les 800 mètres qui mènent au refuge à mon rythme.
Après le refuge de Bertone, on attaque une magnifique portion d’une douzaine de kilomètres sur une ligne de crête à 2000 mètres d’altitude qui surplombe la vallée. Le sentier en terre est roulant et je m’éclate en essayant de bien relancer après chaque petite montée et de profiter de la vue en face et en contrebas.
Après le ravitaillement d’Arnouvaz, les choses sérieuses reprennent avec la montée vers le Grand Col Ferret (800 mètres de D+) qui marque la frontière Italo-Suisse. La montée se fait en longs lacets parfois assez raides et qui semblent interminables. J’ai l’impression que le sommet du col recule au fur et à mesure que je monte. Pendant la première moitié de l’ascension, je suis un duo de coureurs portugais qui montent à un rythme régulier mais lent. Je me lasse un peu et je mets un petit coup d’accélérateur dans la deuxième partie de l’ascension et arrive enfin au sommet à la tombée de la nuit.
3/ Bienvenue en Suisse
Au passage au sommet du col, la bénévole qui scanne nos dossards me souhaite la bienvenue en Suisse et je lui réponds du tac au tac « je suis content d’y être ! ». Content d’y être parce que je viens de passer la barre des 100 kilomètres et d’avaler près des deux-tiers du dénivelé du parcours mais aussi parce qu’une longue descente roulante m’attend.
J’ai tendance à oublier un peu vite qu’il me reste à gravir la montée sur Champex-Lac et surtout trois ascensions à plus de 2000 mètres d’altitude dont la redoutable montée vers La Tête aux vents comme bouquet final.
La descente sur La Fouly – un peu monotone sur des routes et des pistes forestières – puis la remontée sur Champex se font sans problème.
Je profite du ravitaillement à Champex pour avaler une bonne assiette de riz avant de me lancer sur la première ascension du triptyque des difficultés finales ; la montée vers la Giète.
La nuit s’est installée et le mercure descend à vue d’œil. Tout se passe bien dans la première partie de l’ascension qui se fait dans la forêt. Sur la deuxième partie qui est à découvert, je ressens les effets du froid, du vent et de la fatigue. Je commence à avoir des frissons, mon nez se met à couler puis à saigner. J’arrête les saignements comme je peux en gardant ma tête le plus en arrière possible et je remets un deuxième T-shirt à manches longues sous mon coupe-vent. J’arrive à la Giète frigorifié et à bout de force. Je tente de me réchauffer en prenant une assiette de pâtes et un bol de soupe mais ça ne s’arrange pas dans la descente vers Trient. Je suis transi et je me sens fébrile, à bout de forces. J’ai sans doute perdu pas mal de poids. Je sens mon short qui descend petit à petit le long de mes hanches dans la descente.
J’essaye de reprendre des forces et des calories à Trient. Tout y passe et dans le désordre le plus complet : riz, bananes, pain d’épices, pâtes, chocolat, saucisson, compote, fromage, biscuits, … Une bénévole me redonne quand même le moral en me disant que je suis dans les 500 premiers. C’est bien au-delà de mes espérances, surtout dans mon état actuel.
Il me reste deux ascensions et un peu moins de 30 kilomètres à parcourir. On est dans ce que les basketteurs appellent le « money time » mais je n’ai plus de jus, je suis lessivé. Je me donne deux objectifs en quittant Trient : rester dans les 500 premiers et rallier Vallorcine dans un état correct en ne puisant pas trop dans mes réserves.
Je monte à mon rythme, assez lent mais régulier. Mes paupières ont tendance à se fermer toutes seules. Les frissons ne passent pas, même en plein effort et avec quatre couches de vêtements, un bonnet et des gants. Je continue aussi de saigner du nez à intervalles réguliers. J’ai mal à la gorge et j’ai quasiment perdu la voix, j’évite désormais de parler aux autres coureurs pour économiser ma voix. Le physique ne suit plus, c’est le mental qui prend le relais.
Au ravitaillement des Tseppes, un bénévole me pose une compresse et mon nez s’arrête enfin de saigner. La descente vers Vallorcine qui nous ramène en France est un calvaire, je subis la pente, les pierres, les racines.
4/ Le final et l’arrivée à Chamonix
J’arrive enfin à Vallorcine avec un immense soulagement ; il reste presque 20 kilomètres et 1000 mètres de dénivelé positif mais je sais que c’est quasiment gagné. Je prends le temps de bien m’alimenter au ravitaillement et je me lance dans la montée finale vers La Tête aux Vents via le col des Montets.
Le ravitaillement et la ligne d’arrivée qui se rapprochent me font un bien fou. Je repars avec un moral refait à neuf et j’attaque l’ascension du col des Montets sur un rythme correct étant donné mon état d’épuisement. La beauté des lieux me fascine et m’aide à oublier la fatigue Je gravis les 1000 mètres de dénivelé de ce gigantesque « escalier » de roches, et après plus de deux heures d’effort, j’atteins La Tête aux Vents à 2100 mètres d’altitude vers 4h45. Parmi les monticules rocheux, l’ambiance au sommet est lunaire et mystique.
Je bascule dans la descente vers la Flégère qui est très technique en ne prenant aucun risque. Comme dans les autres descentes précédentes, je me fais doubler par beaucoup de concurrents mais tant pis. L’objectif est d’arriver en un seul morceau à Chamonix, pas de finir dans la tente des secouristes.
Ça commence à sentir l’écurie et je me réchauffe enfin. J’avale un dernier café au ravitaillement de la Flégère et poursuis mes 8 derniers kilomètres de descente en direction de Chamonix. Je galère sur le sentier qui traverse la forêt d’épicéas qui surplombe Chamonix : mes quadriceps sont au supplice, je lutte contre la pente, les pierres et les racines. Je me fais à nouveau doubler par une dizaine de coureurs. Tout en restant concentré, j’essaie quand même de profiter du spectacle du soleil levant sur le massif du Mont Blanc.
Le replat tant espéré arrive enfin. Je me remets à courir sur les deux kilomètres de faux-plat descendant qui précèdent l’arrivée dans Chamonix. Je franchis l’Arve et aborde les derniers hectomètres dans le centre-ville. Je réalise que c’est gagné, que je l’ai fait. J’ai les larmes aux yeux. A 500 mètres de la ligne d’arrivée, Anna et Adèle me rejoignent puis, Emile, Samuel et Laura. On court les derniers mètres ensemble et on franchit la ligne d’arrivée tous les six sous les applaudissements des quelques spectateurs présents. L’émotion est incroyable, indescriptible. Elle est aussi forte parce que ça été très difficile, parce que je suis passé par tous les états psychologiques, parce que j’ai réalisé un de mes rêves en venant à bout de cette course mythique.
Je termine à une flatteuse 482ème place en 38h23. Très loin de l’incroyable François d’Haene qui est devenu la veille le premier quadruple vainqueur de l’UTMB en bouclant le parcours en 20h45.
Je reprends mon souffle et mes esprits avant d’aller récupérer ma veste des finisher. On s’embrasse, Laura et les enfants me disent qu’ils sont fiers de moi, et ça, ça vaut toutes les victoires du monde.
PS : Merci à ma famille, à mes amis, à mes collègues, à mes copains de club pour leurs messages d’encouragements. Un immense merci aussi aux bénévoles pour leur bonne humeur et leur bienveillance. Merci aussi à tous les spectateurs massés le long des routes et des sentiers pour leur soutien, en particulier aux habitants de la vallée de Chamonix qui rendent cette course unique grâce à leur ferveur. Merci au club de Pontétrail qui m’a permis de progresser et de structurer mes entrainements. Enfin et surtout, un immense merci à Laura et aux enfants pour leur soutien sans faille et pour leur patience pendant les longues sorties d’entrainement. Merci de m’avoir permis de réaliser mon rêve. Seul, rien n’est possible.
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1 commentaire
Commentaire de sampayo posté le 20-09-2021 à 11:03:17
rien que de te lire je ressens les émotions !
tout simplement bravo pour être allé au bout de la course, au bout de ton rêve !!
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