Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2004, par amibugs
L'auteur : amibugs
La course : Ultra Trail du Mont Blanc
Date : 27/8/2004
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 4379 vues
Distance : 43km
Objectif : Pas d'objectif
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UTMB 2004
Pourquoi avoir attendu près de 3 semaines avant de rédiger mon compte-rendu de l’UTMB 2004 ?
Sans doute qu’inconsciemment, je pense que la page sera définitivement tournée après le point final de mon compte-rendu ; cette course, cette aventure sera définitivement terminée. Et je n’en ai certainement pas envie.
Après réflexion, je dois m’obliger à partager, raconter, expliquer ce qu’à été mon UTMB 2004. Et puis dans 20 ans, que de souvenirs ressurgiront à la lecture de ces lignes…
Septembre et octobre 2003 : je lis et relis tous les comptes-rendus, tous les reportages, tous les articles de presse relatifs à la première édition de l’UTMB. Tous les ingrédients sont rassemblés pour en faire une course mythique, une course que l’on se doit de tenter. Difficultés physiques, parcours majestueux, ambiance, distance, organisation : tout est réuni dans une seule épreuve, dans cette épreuve.
L’UTMB devient rapidement mon objectif 2004.
Avril 2004 : pour la première fois, je suis inscrit à une course plus de 4 mois avant son départ ! Aucun plan d’entraînement particulier ; j’alterne sorties longues, sorties courtes, VTT, repos, rien de bien organisé, tout au feeling. Des périodes de forme moyenne et mauvaise succédent à des périodes de pleine forme sans que j’en connaisse réellement les raisons.
Août 2004 : je reçois le roadbook et mon n° de dossard : ce sera le 639.
Le 24 août, je rejoins la Haute-Savoie à Samoëns à 45 km de Chamonix.
Le 25 août est consacré à une journée d’acclimatation à l’altitude concoctée par ma sœur et qui se traduit par une randonnée comportant 1400 m de dénivelé positif et négatif et culmine à 2405 m sur le mont Bozin.
Le 26 août, je récupère mon dossard à la patinoire de Chamonix ; le contrôle des sacs est sérieux et rien ne doit manquer à la liste obligatoire. Tout est ok pour moi et quelques minutes suffisent pour boucler toutes les démarches d’avant course. J’en profite pour rendre visite au stand UFO, échanger quelques mots sympas avec Phil et m’imprégner des magnifiques paysages qui m’entourent.
27 août : aucun stress particulier. La journée s’annonce belle avec une fin en apothéose. Mon sac avoisine les 6 kg, réserve d’eau comprise. Je suis conscient que c’est trop mais ne trouve rien à retirer ; les informations données sur la composition d’un sac sur le forum UFO quelques jours après la course me permettront de faire beaucoup mieux dans ce domaine l’année prochaine !
20h05 : le départ est donné en musique et sous l’acclamation d’une foule nombreuse qui s’étire jusqu’à la sortie de Chamonix. Le pied ! Tous les petits maux que l’on se trouve avant le départ disparaissent tout d’un coup pour laisser place à une extase totale ; rien ne semble pouvoir m’arrêter ; le rythme est lent et régulier ; je profite du moment ; les vannes fusent de tous les côtés ; les têtes sont hautes ; à coup sur, tout le monde va aller au bout !
21h00 : je croise l’équipe UFO à l’entrée des Houches qui filme les coureurs et qui me reconnaît grâce à mon maillot UFO. L’accueil est chaleureux et les encouragements n’en finissent plus. Je suis sur un petit nuage. Merci à eux.
21h05 : premier ravitaillement aux Houches sous une haie de spectateurs. On se croirait au tour de France. Je retrouve ma sœur et mes proches qui s’égosillent à leur tour. Je prends mon temps ; retire mon sac, déplie mes bâtons en vue de la première difficulté et enfile mes gants, mon bandeau et ma frontale : la nuit est tombée. Je bois deux verres de coca et repars. Je profite d’un faux plat descendant traversant les Houches pour avaler une barre énergétique(et trouve même une poubelle pour y jeter le papier…) Tout va bien.
La montée vers le col du Voza est longue et régulière. Je marche d’un bon pas et n’éprouve pas de difficultés particulières. La file de coureurs commence à s’étirer mais il est encore très difficile de profiter de moments de solitude. Dès le départ, j’ai décidé de ne jamais me retourner, de ne jamais regarder derrière moi comme pour exorciser une possible défaillance ; je m’autorise des regards à droite, à gauche, mais jamais derrière. Les épingles conduisant au sommet me permettent donc de voir le long cheminement des lampes frontales situées devant et derrière moi sans que j’ai besoin de me retourner ! Je bois par instant quelques gorgées mais l’eau est froide, très froide : je n’apprécie pas et décide d’attendre le prochain ravitaillement avant de réellement me réhydrater.
22h15 : j’arrive au ravitaillement du Col de Voza. L’accueil est toujours aussi chaleureux ; les cloches savoyardes se font entendre et les regards sont toujours autant admiratifs. Une vague de coureurs submerge les stands ; impossible de se frayer un chemin pour attraper un morceau à manger ; bousculade, pied écrasé, ronchonnage : je suis surpris et déçu. Il doit rester 140 km à parcourir et certains pensent sans doute gagner quelques minutes comme sur un 10 km ! J’attrape une bouteille d’eau, un morceau de Tome de Savoie et du pain complet et me dépêche de me mettre à l’écart. Je ne prends pas plaisir à manger ; j’observe le ravitaillement et tous les bénévoles à la merci de certains coureurs agressifs, les déchets jonchent le sol alors que des sacs poubelles entourent les lieux ; je ne partage pas cet état d’esprit.
Je m’oblige à avaler le tiers de ma bouteille d’eau, finis mon fromage mais pas le pain. J’enfile ma Gore-Tex car le temps s’est rafraîchi et le col du Bonhomme approche. Direction Les Contamines à environ 12 km. Pas de difficulté majeure sur cette étape. Le groupe avec lequel je progresse rattrape quelques coureurs dont un qui se fait entendre en régurgitant tous les 10 mètres tout ce qu’il a du avaler au ravitaillement précédent ! J’en ai mal à la gorge pour lui ! Alors que lui semble plutôt plaisanter de sa situation. Je cours sur toutes les portions plates et descendantes et marche rapidement lors des montées. Je tente de boire mais l’eau est de plus en plus froide et abandonne cette idée. Je n’éprouve pas le besoin de manger et rejoins les Contamines sans avoir rien mangé ni bu.
00h15 : les bénévoles sont débordés et ne parviennent plus à répondre à la demande des participants. Une main me tend un verre d’eau chaude et un sachet de thé ; après quelques minutes l’eau n’a toujours pas le goût de thé et je me contente de boire cette eau chaude plus écœurante que bienfaisante. J’avale sans faim quelques cacahuètes prévues dans mon ravitaillement personnel et bois quelques gorgées d’eau avant de repartir choisissant d’éviter tous groupes de coureurs. La nuit est déjà bien avancée et les spectateurs se font plus rares. Ce sont les moments que je préfère où je me retrouve seul avec moi-même ; cette solitude dans l’effort ; un concentré de vie, de remise en cause, de réflexion, d’introspection.
Mais rapidement, la file indienne se reforme et le silence de la nuit est troublé par le bruit saccadé des pas des coureurs. Chacun semble enfoui au fond de lui-même, pas une parole. Quelques kilomètres après les Contamines, je ressens une douleur au ventre ; elle n’est pas insupportable mais lancinante ; cela me préoccupe et m’empêche de me concentrer sur ma course. Mon esprit est totalement axé sur cette douleur maintenant continue. Je ne cours plus, je marche. J’essais de me convaincre que cela est passager mais rien n’y fait ; le moral prend la direction des chaussettes et je guette avec impatience l’arrivée du prochain ravitaillement : La Balme.
01h55 : Enfin, j’y suis ! Toujours autant de monde et de bousculade. Je récupère un pain du randonneur (amandes + raisins secs), un verre de thé et m’écarte pour aller m’asseoir quelques minutes avant de repartir. Mon ventre me fait toujours souffrir et j’ai toutes les difficultés à manger et boire le peu de ravitaillement que j’ai récupéré ; je me force et m’interdis de repartir tant que je n’ai pas tout avalé ! 10 minutes plus tard, je suis debout. Hormis ce mal de ventre, tout va bien ; aucune douleur musculaire, pas de crampe, pas d’ampoule, je suis prêt à affronter le col du Bonhomme. Je lève la tête et aperçois le long serpent de lumière zigzaguant et s’étendant sur plusieurs centaines de mètres. C’est beau, mais ça va être dur ! Pas de répit, l’ascension démarre dès le ravitaillement passé ; le terrain est mou et caillouteux et personne ne se hasarde à courir. Les dépassements sont difficiles et de longues files se forment. Certains passages sont comparables à d’immenses marches d’escalier glissantes et coupantes. Il est quelquefois difficile de suivre le chemin balisé tellement de pas partent dans tous les sens. Plus le dénivelé augmente, plus le nombre de coureurs à l’arrêt devient important. Mon mal de ventre s’ajoute à la difficulté de cette ascension mais j’ai encore de l’énergie et je continue de grimper. L’avantage d’une telle montée et que peu de mètres à parcourir suffisent pour constater une forte progression en dénivelé ! J’ai l’impression de monter vite !
Je pense atteindre le sommet car je ne vois plus de frontales devant moi. Peine perdue, ce n’est qu’un renfoncement avant une nouvelle partie encore plus raide que la précédente ; cet épisode se répétera à plusieurs reprises avant que réellement, le sommet soit atteint. Reste plus qu’une alternance de montées et descentes à travers des rochers glissants entrecoupées de passage à gué au travers de ruisseaux gonflés par les pluies de ces derniers jours. La difficulté n’est pas moindre mais quelques passages de terrain relativement plat permettent de reprendre son souffle. C’est dur mais c’est bon ! Je profite des rares moments de répit pour admirer le paysage qui m’entoure, les monts enneigés par la lune lumineuse, les millions d’étoiles spectatrices de la nuit, le ruissellement de l’eau indifférent à tous ces énergumènes qui se succèdent et soufrent en silence… Mon mal de ventre ne m’abandonne pas et semble vouloir rester accrocher à moi de peur de s’égarer dans ces magnifiques montagnes.
Le refuge du col de la Croix du Bonhomme m’ouvre ses bras. Je demande aux personnes chargées du pointage la possibilité d’aller aux toilettes ; ils m’indiquent une cabane en bois derrière le refuge à côté des deux ânes ! Malgré la nuit et après quelques tâtonnements, je trouve cette « cabane au fond du jardin ». Jamais je n’ai autant apprécié des toilettes aussi rustiques soient-elles ! Aujourd’hui, je m’imagine le tableau pittoresque que je devais représenter entre mes quatre planches, la lampe frontale, la Gore-Tex, le collant sur les mollets à environ 04h00 du matin, à 2400 mètres d’altitude et avec le sourire jusqu’aux oreilles ! Je quitte cependant cet endroit pathétique près de 10 minutes après mon arrivée et oublie de retourner signaler mon passage aux contrôleurs ; je n’aurais donc pas de temps intermédiaire au refuge du col de la Croix du Bonhomme. Mon mal de ventre est légèrement soulagé mais toujours présent ; viennent à cela s’ajouter des écœurements et nausées que je ne connaissais pas encore en course à pieds ! Je suis conscient que je suis entrain de me déshydrater. Je n’ai rien bu, ni avalé depuis La Balme alors que j’étais déjà en déficit hydrique. Je me force à boire et à manger : impossible, rien ne passe. Autant attendre le ravitaillement suivant situé après une longue descente de 900 mètres de dénivelé ! En descendant en marchant, cela devrait plus ressembler à une promenade qu’à une course de trail. Fatale erreur ! Cette longue descente de 5 km représente la pire difficulté de ma courte vie de coureur d’Ultra. Le terrain n’est qu’une longue patinoire boueuse sur laquelle chaque pas demande attention, chaque variation de terrain représente une difficulté et durant laquelle j’en viens à regretter la montée de ce même col. De longues ornières instables, des passages interminables et abrupts d’herbe détrempée, des ravines remplies d’une épaisse couche de boue me contraignent à utiliser le peu d’énergie qu’il me reste. La fatigue et la déshydratation aidant, je ne trouve plus mes appuis et chute à quatre reprises sans gravité. De nombreux coureurs subissent le même sort que moi et se retrouvent assis dans la boue. La solidarité est bien présente et toutes chutes est suivies de la classique interrogation : « Ca va ? » Et ma réponse tout aussi classique mais pas du tout convaincante : « Mouai ! »
Mon collant n’est plus noir mais couleur terre et mes pieds sont détrempés ; le moral est sous les chaussettes ; je ne prends plus de plaisir, d’autant plus que mon ventre me tracasse toujours et je reste dans l’impossibilité d’avaler quoi que ce soit.
Des lumières éclairent le fond de la vallée, les Chapieux sont en vue. Je vois certains participants qui me précèdent recommencer à courir ; la fin du calvaire est proche. Au même moment, une cinquième chute vient me rappeler à la dure réalité du terrain. Alors que mes deux pieds partent en avant, mon coude gauche vient heurter violemment le sol et des milliers de petites étoiles viennent compléter celles éclairant déjà le ciel. Puis un large bandeau noir m’entoure les yeux : je suis déconnecté ! Le temps de finir ma chute et je suis de retour sur l’UTMB ! Je me relève et avance jusqu’au premier rocher afin de m’asseoir un peu et reprendre mes esprits. Mon UTMB 2004 s’arrêtera aux Chapieux, ma décision est prise. Le reste de la descente s’effectue sur un chemin large et parfaitement praticable.
06h00 : je passe le point de contrôle et me dirige directement au ravitaillement : j’ai envi de boire du coca. Dommage ! Il n’y en a plus. J’essai une bière mais ça ne passe pas. L’eau me donne des nausées rien que d’y penser. Je réussis à ingurgiter un gâteau de riz et reste quelques minutes à observer le défilement des coureurs dont les traits sont marqués par ces 5 derniers kilomètres. Mon dossard me recouvre toujours la poitrine mais je ne parviens pas à retrouver ma motivation. Je pense aux paroles que j’ai toujours tenues à mes proches à savoir que je suis prêt à abandonner sans état d’âme si un problème médical devait survenir. Dans le cas présent, je suis convaincu d’être déshydraté ; mes jambes et mon cœur me disent de continuer mais la raison m’ordonne d’arrêter. A quoi bon poursuivre si je dois être victime d’un malaise quelques kilomètres plus loin et faire intervenir les secours ?
Je plie mes bâtons, retire ma lampe frontale, mon bandeau, mes gants, range le tout dans mon sac. Les yeux baissés, j’évite soigneusement le regard des autres coureurs. J’ai pris la bonne décision mais je n’en suis pas fier.
J’apporte mon dossard à l’aimable dame chargée de les récupérer : « J’arrête ! » Sa réponse résonne encore dans ma tête : « Gardez le encore un peu et réfléchissez, allez vous ravitailler » Je discute un peu avec elle, joue avec son labrador et elle finit par accepter de prendre mon 639. Fin de l’UTMB 2004, vive l’UTMB 2005 !
Sincères remerciements à tous les bénévoles et organisateurs de cet événement. La perfection n’existe pas, mais ne changez rien ; ou plutôt si, prévoyez un peu plus de Coca au ravitaillement ; ce n’est pas très bon pour la santé mais c’est tellement bon pour le moral ! Demandez aussi au chauffeur qui ramène les coureurs des Chapieux à Chamonix d’aller moins vite… Quoique l’année prochaine, je compte aller beaucoup plus loin…
Amical coucou à tous les UFOs rencontrés (ainsi que non UFOs !) de prés ou de loin et coucou particulier à tous les animateurs du stand UFO toujours disponibles et souriants.
Enfin, merci à tous les intervenants du forum Ultrafondus pour leurs encouragements. J’espère sincèrement qu’ils seront de la partie l’année prochaine.
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