Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2004, par coureursolitaires

L'auteur : coureursolitaires

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 27/8/2004

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 6150 vues

Distance : 155km

Objectif : Pas d'objectif

1 commentaire

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Tour du Mont-Blanc 2004... une course de rêve...

Il y a des jours où votre karma est en phase avec Jupiter, vos lignes énergétiques en symbiose avec les anneaux de Saturne et les pulsions psychiques positives de la concierge de votre bouchère synchronisées avec les vibrations interférentielles de MO147, le célèbre astéroïde de la 3° galaxie au fond du couloir à gauche en sortant de l'ascenseur.
Bref, il y a des jours comme ça où c'est vraiment la forme. La Vraie Forme, la Grande Forme…

C'est dans cet état un peu halluciné que je me présente sur la ligne de départ de ce second UTMB ce vendredi 27 août 2004… je tiens une forme historique, difficilement explicable après l'année décevante, sur le plan sportif, que je viens de vivre. C'est à peine si la semelle de mes vieilles Pegasus de route touche le sol et il me semble irradier autour de moi une énergie autant inhabituelle que surnaturelle (j'en rajoute un peu là ! ça doit être mon côté écrivain qui ressort de sommier ! ).

A 20 h et quelques brouettes, le départ est donné au milieu d'une foule dense et tapageuse, contrastant avec les 3 pelés et 4 tondus qui nous accompagnaient au même endroit lors de la première édition. 1500 coureurs qui s'élancent ainsi dans les rues de Chamonix sur la BO de "Christophe Colomb" et ovationnés par quelques milliers de spectateurs, ça a de la gueule ! Ca a tellement de gueule qu'on a un peu l'impression d'être dans une sorte de répétition du Grand Raid !!
D'ailleurs, je vous le prédis les z'amis, l'UTMB sera dans un avenir très proche le GRR métropolitain…

Rapidement, la nuit nous enveloppe. Je me délecte de ces merveilleux paysages dans lesquels les crêtes enneigées se découpent sur un ciel de velours étoilé. Il fait bon, chaud presque. Nous sommes à mille lieues de l'UTMB 2003, avec son froid, sa grisaille, son vent glacial, ses conditions hivernales…
A l'attaque du Col du Bonhomme, il n'y a même pas un souffle d'air pour rafraîchir l'atmosphère. L'eau ruisselle de partout, témoignant des pluies intenses de ces derniers jours. Je tente d'éviter les torrents mais c'est peine perdue : j'ai les pieds trempés et seule cette partie de mon corps est fraîche. C'est finalement presque agréable !
Col du Bonhomme. Je me retourne. Le spectacle est grandiose. La pleine Lune joue à cache-cache avec les sommets et une interminable file indienne de frontales est à l'assaut du col. Ce sont des images fantastiques, un peu irréelles, inoubliables qui se gravent à jamais dans mon esprit.
Je suis en forme. En très grande forme. Après quelques glissades dans la descente boueuse sur les Chapieux, je rattrape Bruno Croset. C'est généralement signe d'échec pour moi que d'être, si proche du départ (à peine 42 km), aux côtés de cet homme de référence. Cela signifie que je suis sans doute parti trop vite !
Mais au cours de cette nuit, je suis le siège d'un phénomène étrange : une énergie jusque-là inconnue s'est emparée de moi. Je ne touche pas le sol : je vole. Je m'efforce de ralentir, de freiner, de m'économiser pour la suite du parcours mais malgré les mille précautions que je prends, le rythme que je conserve est très soutenu.
Dans la montée sur la Ville des Glaciers, je cours, sans effort, aux côtés du tout récent vainqueur du Grand Duc de Chartreuse… GLUPS ! Je ralentis encore, cherchant à m'isoler afin de gravir le Col de la Seigne à mon propre rythme, sans être entraîné par bien plus fort que moi.
Il fait toujours chaud. La Lune a basculé vers l'Ouest et lorsque je franchis ce 4° col, elle est éclairée par le soleil qui, dans quelques heures, pointera derrière les vaisseaux de pierre qui m'entourent. C'est une superbe lune rousse qui me sourit lorsque je bascule sur le versant italien de la course.
Arête Mont-Favre. Il fait toujours nuit. Je rattrape Corinne, du même nom que l'arête. elle est au plus mal, semble en proie à des troubles gastriques. On cause un moment et elle m'avoue qu'elle ne pense pas encore allez bien loin. Décidément, l'UTMB ne sourit guère à Melle Favre !
Plus loin, c'est le V2 Daniel Boebion que je double. Il ne semble lui non plus pas au mieux et il aura cette phrase : "les années se suivent et ne se ressemblent pas…" Il abandonnera peu après…
Au ravitaillement du col Chécroui, alors que le jour approche dans un rougeoiement époustouflant, je rejoints Michel Cercueil. De nombreuses douleurs l'empêchent de s'exprimer et il semble en difficulté. Je lui souhaite bonne chance et poursuis ma descente sur Courmayeur, où j'arrive à 6h30 dans une ambiance particulièrement ensommeillée !
Mon ami Mickaël me prend en charge comme une mère poule. Il me permet de réaliser un arrêt express (une trentaine de minutes) avant de repartir à l'assaut du Mont de Saxe.
Quel plaisir d'être ici et d'éviter cette terrible route imposée par les italiens en 2003 !
J'ai toujours en moi cet indestructible sentiment de puissance. Je m'efforce de lever le pied, de gérer cette énergie bouillonnante. Je suis une vraie pile atomique et j'ai l'impression que mon cerveau ne parvient pas à maîtriser la fission nucléaire qui m'anime ! A un instant, je souris même en me disant " My name is Greg ! "
Les heures défilent, le soleil monte. Dans l'escalade du Grand Col Ferret, Michel Cercueil me rejoint. Il a retrouvé sa grande forme et la suite le prouvera : nous courons ensemble dans la descente jusqu'à la Fouly, où il me lâchera. Michel se volatilise comme un lapin blanc dans les mains de David Copperfield et disparaît à jamais de ma vue. Je ne le retrouverai que le lendemain matin, heureux et fier de sa brillante sixième place ! Bravo à toi Michel !

Ascension sur Champex. Je suis toujours en forme. J'ai appris au ravito précédent que désormais, j'étais dans les 15 premiers. Cette nouvelle me fait bien évidemment plaisir mais je n'en fait pas une montagne : mon objectif est de boucler le tour avec un chrono meilleur qu'en 2003. Je me contrefous royalement du classement !
Faire mieux qu'en 2003, je sais que c'est possible : il suffit que je parvienne à canaliser mon énergie, à ne pas griller mes cartouches.
Finalement ce sera chose facile : à l'entrée de Champex-lac, une douleur violente fait son apparition. J'ai le tendon du releveur droit en feu. Je décide donc de faire avec ce souci : je marche tranquillement jusqu'à la base vie de Champex.
Massage par deux ravissantes demoiselles aussi blonde l'une que l'autre. On insiste sur les tendons, qui me chatouillent vraiment. Je ne suis pas inquiet pour la suite parce que je sais que j'irai au bout mais j'espère simplement ne pas trop souffrir.
Après trente minutes de repos, me voici à nouveau en piste. Les jambes sont étonnamment fraîches après ce merveilleux massage. J'ai toujours une pêche d'enfer mais je dois en convenir : le tendon droit est douloureux et j'ai de plus en plus de difficultés à courir. Me voici même rapidement contraint de marcher.
En avant marche !
Je profite du soleil encore chaud pour découvrir ces paysages que je ne connaissaient pas : la montée de Bovine, le chalet des Tseppes, la plaine du Rhône… en 2003, j'avais parcouru cette portion de nuit, sous un déluge de grêlons, sous une pluie battante, dans un vent cyclonique !
Aujourd'hui, il fait beau. Chaud même. La montagne est belle. Comment peut-on imaginer, en voyant un vol d'hirondelle, que l'automne est bientôt arrivé ? (j'ai fait un copier-coller là !!!!!)
Dernier ravitaillement. Je marche toujours. On m'annonce que la dernière partie du parcours est difficile. La nuit me rattrape progressivement alors que je m'engage sur le versant Nord de la vallée de Chamonix. Le sentier des gardes est très proche. On monte, on descend, on monte et descend encore dans un entrelacs de blocs granitiques. Quelques fois, le sentier se perd entre deux arbres, au détour d'une pierre surplombante… Où est l'organisateur que je l'étripe !
Ma cheville droite n'existe plus. Bizarrement, mes jambes sont souples, encore pleines d'énergie. Si cette douleur lancinante, irritante ne me taraudait pas le tibia, je pourrai courir sans problème. Mais j'ai mal. C'est une douleur terrible qui accompagne chacun de mes pas.
Au fond de la vallée brillent les lumières de la ville. Chamonix est proche. Trop proche pour déposer le dossard ce qui, d'ailleurs, serait idiot : dans tous les cas, je serais bien obligé de rejoindre la ville en marchant !
C'est donc ce que je fais, je marche et serre les dents. Quelques fois, mon pied droit bute sur une pierre instable, m'arrachant un cri de douleur. Je comprends que je ne suis pas " Greg ", mais bien un pauvre humain de condition pitoyable.
Enfin une vraie descente. Je relance progressivement la machine et me mets à trottiner en posant le pied droit sur la pointe. Les douleurs sont soulagées quelque peu mais c'est surtout l'approche de la ligne d'arrivée qui fait s'évaporer la souffrance.
J'entre dans la ville. Il est bientôt 23 h ce samedi 28 août. Motivé par des centaines de spectateurs déambulant dans les rues ou prenant le frais à la terrasse des cafés, j'allonge le pas, je cours. Toutes mes douleurs sont loin derrière, elles ne me rattraperont qu'une fois franchi la ligne d'arrivée.
23h00 pile à ma montre. Je boucle le tour. 27 h d'effort, quasi-solitaire, comme je l'aime. une petite trentaine de minutes de moins qu'en 2003.
Je suis heureux. Heureux d'être là, d'en avoir terminé pour la seconde année consécutive.
Merci Catherine, merci Michel, merci à tous les bénévoles.
Vous êtes des gens merveilleux…. Vous êtes des héros…

Sept jours après, j'ai encore une douleur lancinante dans cette cheville droite mais les efforts consentis sont sans commune mesure avec les merveilleuses images qui bercent mes nuits depuis ce dernier week-end d'août…

Eric

1 commentaire

Commentaire de serge posté le 25-08-2012 à 21:04:31

"ça doit être mon côté écrivain qui ressort de sommier !"
ça veux dire quoi ?

30' la pause express, les temps ont bien changés ;-)

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