L'auteur : toufik51
La course : Ultra Trail du Mont-Blanc
Date : 30/8/2019
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 1829 vues
Distance : 171km
Matos : sac Salomon 12L / chaussures Scarpa Proton, Brooks Cascadia 13 et Raidlight R.light 4.3 ("pneus" pluie) / veste Cimalp ultralight / micro polaire Cimalp / gants de plongée décat / ma fidèle montre Suunto Ambit 2 + la réserve nourriture Endur'activ
Objectif : Terminer
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N'étant pas un contributeur sur le site kikourou, je me sers tout de même régulièrement de toutes les infos, surtout sur le forum. Et spécialement en préparant cet UTMB, avec quelques récits, en particulier celui de Clamjo qui a été une bible pour moi : les objectifs, et son ressenti de la course, m'ont beaucoup fait m'identifier à lui... Et tout naturellement, je vais essayer d'apporter ma pierre à l'édifice, et permettre à de futurs participants d'avoir mon ressenti personnel.
Et comme le dit Clamjo : "Installez-vous confortablement, c'est long un ultra !"
En deux mots, il y a cinq ans, je n'avais jamais couru de ma vie. Et puis... des treks annuels avec les copains Benoit, Cyril et le Chti, sur des parcours d'ultra... puis de la rando course, et j'ai débuté sur le marathon de l'Hortus du Festatrail 2014, avec trois sorties d'entrainement avant quand même :)
Et la machine était lancée : des sorties courtes plaisir, des trails courts, et puis le kiff des ultras. Pourquoi les ultras ? Je le dis souvent "pour toucher ses limites, voire les dépasser, pour moi qui en suis toujours loin". Le truc, c'est que je ne suis clairement pas un coureur, je n'aime pas courir plus que ça, j'aime surtout la nature, être seul, grimper, descendre, courir sur des monotraces sans voir à plus de dix mètres devant. Et mon fonctionnement : que des sorties plaisir, jamais un truc que je n'ai pas envie de faire, avec en gros entre 0 et 2 sorties par semaine (moins de 10 km généralement). Quand je dis que je ne suis pas un coureur :)
Et niveau ultra, ça donne deux trilogies 44-73-120 km sur le Festatrail, un trail du Ventoux, un UT4M 100, un Tryavna Ultra en Bulgarie (141 km), 9 boucles (100 km) au Taranis Arga Trail, les 3 dias Ibiza Ultra (10+90+10). Et finisher sur toutes les courses que j'ai courues, toujours assez loin des barrières horaires… jusqu'à cet UTMB !
Ensuite, la question que l'on peut se poser : pourquoi l'UTMB ? En fait, c'est tout con, mais en commençant le trail, c'est un peu la course de rêve. Le truc que quoiqu'il arrive, on ne sera jamais capable de faire. Et puis chaque fois qu'on fait un ultra, c'est les points UTMB, et tu te dis que ptet ça serait possible un jour, lointain. Et donc quand j'ai eu les points, j'ai tenté ma chance, en 2018, recalé. Et puis...
Et puis le petit plus maison, l'UTMB tombe en 2019... le jour de mes 40 ans ! Si c'est pas un signe ça ?! Avec les copains qui m'ont offert la pré-inscription + le livre "Réussir son UTMB", tout était réuni et... et j'ai été tiré au sortLe plus dur commence...
Changement de planification : moins de courses, plus d'entraînements, du moins plus régulièrement. Pour la première fois, un programme sur l'année. Avec un objectif d'au moins deux sorties par semaine. Et ce dont je suis le plus fier, et dont mes proches se sont gentiment moqués : un fichier Excel de prévision de temps de passage, qui a subi plein d'améliorations tout au long de l'année, et même encore après l'UTMB. Un fichier vraiment ultra pointu, qui calcule les temps de passage, les marges sur les barrières horaires, avec une possibilité de correction en plus. Pour les personnes intéressées, je peux le partager, me demander en MP.
Le planning de courses :
- le trail de Coutach 15 km chez le copain Jean-François à Quissac
- le duo des Cabanes 15 km avec Stéph' (et Liroille :D) chez les copains Gégé, mon maître spirituel UTMB, finisher 2018, et Anne-So
- le trail des Avens 10 + 14 km chez le copain Pierre Toussaint, couru à bloc pour se tester, avec une belle perf qui m'a rassuré
- et pour finir ce bloc, le 120 km du Festatrail (où je suis dans l'organisation avec tous les copains) en mai, 7 km de plus qu'en 2016 et 30min de moins, et couru sans puiser, très content de la perf là aussi
Que des courses de copains en quelque sorte !
Après le Festa, pause kiné d'un mois pour soigner des tendinites régulières au genou, et direction le dernier bloc d'entraînement : montée en charge en juillet avec un WE choc au cirque de Gavarnie (cadeau des copains, avec la pré-inscription UTMB et la bible) avec la super équipe de Denis du Dahu Ariégeois : 22 km 1700D+ et 25 km 1960D+ avec passage à 3100m. Il reste 4 semaines d'entraînement dédié à l'acclimatation en altitude.
Début août, la tuile : sur une sortie footing tranquille, blessure sérieuse au mollet. Passé la peur des premiers jours que tout tombe à l'eau, je suis les conseils pour reprendre doucement en gérant la douleur. Deux semaines de reprise, et direction les Arcs 1800 pour les vacances en famille avec Célia et les enfants, pour deux semaines d'acclimatation et de "petites" sorties trail quotidiennes. Le mollet tient, et la forme est là. Ça ne suffit pas à se sentir complètement prêt, mais ça rassure un peu.
Fin d'entrainement une semaine avant, juste un décrassage avec le fiston le lundi matin, puis direction Chamonix, pour le studio qu'on a loué, parfait avec terrasse avec vue sur le Mont Blanc : ça fait plaisir. Semaine calme, quelques passages au salon, surtout pour voir Alain Roche d'Endur'activ, mon "guide" nutrition (mais pas que...) et récupérer les derniers aliments pour la course. Ma sœur et ma nièce ont loué un logement aussi pour la semaine, la pression monte tout doucement, heureusement j'ai la grande fête de mes 40 ans à organiser pour la semaine d'après, ça permet de penser à autre chose.
Le mardi et le mercredi, le fiston fait la YCC, et me rend super fier avec sa belle performance. C'est une très belle course, en deux étapes avec la 2e très typée trail alpin à Courmayeur. Je crois bien qu'Axel est le plus jeune de tous les participants de tout l'UTMB, 13 ans et 8 mois...
J'organise mon assistance : ça sera du 5* pour ma première, avec 8 personnes qui me suivront pendant ces 2 jours, Célia, Axel et Chloé, ma sœur Corinne et sa plus jeune fille Anaïs, et les 3 potes Liroille et Nico (qui arrivent le vendredi après-midi) et Pedrito qui fera un périple inoubliable en train pour me rejoindre à Saint Gervais. Je prépare le suivi, les bonnes infos, les instructions (certains diront rigides, voire militaires) pour les ravitos, j'ai même fait imprimer-plastifier tout ça aux potes ! :)
J'organise aussi les deux groupes WhatsApp avec tous les copains, 100 personnes quand même : un où seuls mes assistants publient, et un autre avec les réactions de tout le monde. Sur celui-là, ça sera vite la grosse ambianceÇa permet le suivi et tous les encouragements, j'adore pendant les ultras, c'est le côté sympa de l'aventure. Un des fils rouges sera de m'envoyer des photos de "bières de soutien" :)
SMS de l'organisation : météo clémente, pas de kit grand froid ou canicule. Tentative de sieste, où il me sera bien sûr impossible de fermer l'œil. Je prépare mes affaires, tout est là, mais il faut tout faire rentrer dans le sac.
Mes choix logistiques : sac Salomon 12L / chaussures Scarpa Proton, Brooks Cascadia 13 et Raidlight R.light 4.3 ("pneus" pluie) / veste Cimalp ultralight / micro polaire Cimalp / gants de plongée décat / ma fidèle montre Suunto Ambit 2 + la réserve nourriture Endur'activ.
Je prépare aussi le sac de mon assistance, et là, j'y vais gaiement, rempli à ras bord. Et un sac de délestage avec les Raidlight (pas de pluie prévue pour la première moitié de course) et des rechanges, surtout au cas où il y ait un souci avec l'assistance, on ne sait jamais.
Je me strappe les genoux, et je mets les images issues de mon tableau Excel, avec les temps de passage, sur mon téléphone : c'est à ce jour encore mon écran de veille ! Ca me permet d'avoir sans déverrouiller l'information précise (distance, dénivelé, temps estimé entre chaque point de passage). J'ai fait imprimer des versions plastifiées aussi, j'en glisse une dans une poche de mon sac.
Il fait beau et plutôt chaud, temps idéal. Départ à 16h30 du studio pour marcher 15 min, ma marge avec les BH étant faible, je préfère ne pas arriver au dernier moment et démarrer trop loin. On croise du monde. La pression commence à monter maintenant, il fait vraiment chaud, je me demande si je n'ai pas oublié un truc... Les assistants font tout leur possible pour que je n'ai rien à faire. On arrive dans le sas de départ, je ne suis pas trop loin, objectif atteint. Le soleil tape fort. Je m'assois par terre. Et puis... c'est la montagne, après le soleil, l'orage. Mes assistants se mettent à l'abri, je mets ma veste, et là, serrés comme des sardines, les minutes sont longues à voir l'eau nous tremper doucement : à ce moment-là, petite baisse de moral. L'organisation nous rassure, ça ne va pas durer. Ouf. Le départ est tout près maintenant...
Voilà le plan de course prévu, pour une arrivée estimée en 45h57. Outre la gestion de mon premier 100 miles (mon plus long ultra jusqu'alors, c'est 141km et 33h), je suis focus sur les 2 barrières les plus difficiles selon mes prévisions : Les Contamines (8 minutes de marge) et La Balme (13 minutes de marge). A mon sens, si je passe La Balme, le reste devrait aller. Enfin selon les prévisions :)
Ça y est, la pluie a cessé, mes assistants sont allés se poster un plus loin dans Chamonix, les coureurs se serrent encore un peu, ça se rapproche. La pression monte. Je lis les derniers messages d'encouragement, le groupe WA est à fond. Je lis aussi les messages perso, je réponds à quelques-uns, mais je veux garder de la batterie. J'avais lu que l'émotion était forte au moment où Vangelis démarrait.
J'ai beaucoup pensé à ce moment, étant un peu émotif, je me demandais comment je le vivrai. Et... bien étonnamment, pas plus que ça. Un grand moment, mais pas submergé. Tant mieux, je reste focus sur mes BH à venir. Ma stratégie de course, sur un ultra, c'est de ne penser qu'au prochain point de passage : donc Les Houches à partir de maintenant !
Pas de décompte officiel, mais dès que la musique s'arrête : c'est parti ! Même s'il y a beaucoup de monde, je passe rapidement sous l'arche. Premier objectif atteint, ça aurait été con de bouffer une bonne partie de la marge sur les BH ici
Et là, la traversée de Chamonix, c'est... complètement dingue. Les 2-3 premiers kilos, c'est une foule de malade, des gens sur 4 ou 5 rangées, tout le monde crie, encourage, le bruit est impressionnant. Et c'est à ce moment-là que l'émotion monte d'un coup, sans m'y attendre. Je traverse la ville les larmes aux yeux, voire plus. C'est vraiment compliqué pour moi quelques instants, et puis je cherche mes suiveurs. Je tombe sur Célia, Chloé et Nico rapidement, au premier kilo. Je m'arrête, un bisou à tous, ils sont tous stressés pour pas que je traine :)
Je repars. Toujours autant de monde, c'est le moment où on réalise l'engouement qu'il peut y avoir autour de la course... Je cherche maintenant Liroille et Axel, mais les kilos passent, et j'ai peur de les avoir ratés... Et puis, juste au moment de quitter la route, genre au km 3-4, ils sont à l'entrée du bois ! Un double check, une remise en place de mon drapeau sur le sac, et ça y est, je n'ai plus qu'à penser à ma course, c'est vraiment parti ! On rejoint Les Houches par un bois, avec l'orage qui vient de passer, beaucoup d'humidité dans l'air et au sol. Quelques petites montées, je marche sans traîner. La vitesse est correcte. On sort du bois, on arrive aux Houches. Je tombe sur deux copains du Festatrail, qui suivent un pote à eux. Ça fait plaisir de voir des visages connus au milieu de la foule, et des encouragements. Je suis bien, le mollet ne tire pas pour le moment, et je suis dans les temps, la partie échauffement se termine.
Arrivée dans la montée centrale des Houches, au niveau du ravito
Les Houches, 1995e 8,3 km 99D+ 126D- (+0,4 km par rapport à la prévision)0h56 (+4 min par rapport à la prévision)Arrêt 1 min (-7 min par rapport à la prévision)
4 min de retard, mais 7 min de gagné sur le ravito ! Donc 4min sur mon planning. Je prends juste un verre d'eau pétillante, j'enlève une couche, j'ai chaud, des spectateurs me filent un coup de main. De nouveau beaucoup de monde ! Et puis, le prénom sur le dossard, c'est cool pour les encouragements. Et c'est reparti, je sors les bâtons, ça va monter là : le Deleveret et ses quelques 800D+. Le peloton est encore bien dense, au début ça monte dans des hameaux sur la route. Ça monte quand même fort, je croise un ado du coin qui m'accompagne quelques centaines de mètres, puis des chemins de montagne. Le mollet recommence à tirer, ça me fait un peu peur. Mais ça reste tolérable, on verra la suite. La luminosité après l'orage et avec le soleil couchant, c'est vraiment énorme sur le Mont Blanc, je crois que je n'avais jamais vu de telles couleurs de ma vie…
Le peloton toujours aussi dense, ça grimpe fort avec quelques kilomètres à 15% et un à 20% ! Mais j'ai un bon rythme, je pousse fort sur les bâtons pour oublier le mollet, et j'arrive au sommet, pas bien indiqué (ou alors j'ai pas vu), je suis un poil en avance : 4min de gagné encore (donc -8min) alors qu'on est à 15,9km au lieu de 14,6. La nuit commence à tomber, je fais une pause technique (ça va rassurer Célia, qui a toujours peur pour mes reins) et je mets la frontale. La descente est longue et quand même assez pentue (genre 1000D-), ça tire les genoux, j'essaie de pas traîner. La fin est vraiment pentue, je ralentis et je me fais doubler, mais je dois préserver les genoux... Arrivée à Saint Gervais.
Saint Gervais, 2242e (+247 par rapport au précédent classement) 22,4 km 903D+ 1104D- (+1,4 km)3h22 (-1 min)Arrêt 14 min (-1 min)
Là, le ravito, c'est l'usine. Je prends de la soupe, plusieurs fois, de l'eau pétillante super fraîche (je kiffe) et quelques trucs à manger, et je vais m'assoir en dehors des tentes. J'ai perdu mon avance dans la descente, mais j'arrive avec 1 min d'avance sur le planning, parfait. Il fait bon. Je prends un peu de temps pour me poser, une photo, quelques messages pour donner des news sur le WA, et puis je repars. Objectif mes suiveurs : ma sœur à la sortie de Saint Gervais et les autres aux Contamines. Ça monte doucement à la sortie de la ville, je vais à un bon rythme. J'attends le coin où j'ai donné RDV à ma sœur, ma nièce et Pierre qui est arrivé en train peu avant. Il fait nuit noire, et j'arrive au point de RDV. Content de voir enfin des têtes connues. Une petite pause de trois minutes, ils envoient des photos et quelques news sur le live, ça inquiètera certaines personnes la tête que je fais là... Pourtant, ça va, je suis juste concentré, dans ma course, et un peu inquiet rapport aux genoux et au mollet, mais ça va pas trop mal. La photo devait être trompeuse. Ensuite, route vers les Contamines, je me souviens peu de ce tronçon, je commence à moins être en peloton, toujours de l'humidité, on est en sous-bois et on alterne des petites montées avec des faux plats. Je suis toujours dans les temps pour ma BH des Contamines prévue avec seulement 8 min de marge. On arrive aux Contamines, on entend le bruit, et pourtant toujours en sous-bois. On termine par une petite rampe pour pouvoir atteindre le ravito, ça casse les jambes... Les autres suiveurs sont là et m'encouragent : Célia, Chloé et Nico. Il est 23h21, j'arrive avec une minute d'avance : j'adore qu'un plan se déroule sans accroc !
Les Contamines-Montjoie, 2185e (-57 places)33 km 1452D+ 1323D- (+1,8 km)5h21 (-1 min)Arrêt 30 min (=)
Premier ravito avec assistance, ma préparation militaire va pouvoir être testée avec Liroille et mon fils Axel (les ados peuvent accompagner la personne de l'assistance perso). Tout de suite, ils prennent mon téléphone pour le charger, Axel gère les recharges en eau, et surtout, je me pose. J'ai prévu 30 minutes là pour bien recharger les batteries. J'ai droit à un massage du genou par Axel, et Liroille gère le timing. Je mange un peu, je bois un peu. Allez, il est temps de repartir, ça va bien. Tous les deux m'encouragent, et dehors les trois autres m'attendent. 30 minutes, comme prévu. Je repars avec 9 minutes d'avance au lieu de 8 prévues : parfait ! Je dis au revoir, et leur dis au lendemain à Courmayeur, je vais rester seul pour 10-12 heures maintenant. Je leur redis de faire attention aux bouchons au tunnel du Mont Blanc, que l'organisation invite à prendre 2 à 3 heures de marge. Ils vont devoir se lever super tôt, pour y être vers 8h et assurer une arrivée à 11h, un peu avant mon arrivée estimée.
Petite surprise en partant, je passe devant le speaker qui est... celui du Trail des Avens ! Il me reconnaît aussi, j'ai droit à une petite interview rapide, on est pour lui "les furieux" mais je lui confirme que je suis bien plus sérieux ici, ça dure 30 secondes mais c'est très sympa.
Direction La Balme, dans ma tête, j'attaque la dernière barrière compliquée, après ça devrait aller mieux. Très rapidement il est minuit : voilà, j'ai 40 ans, c'est quand même assez exceptionnel d'être là, à cet instant de ma vie. Avec autant de personnes qui me suivent. Ça monte tranquille jusqu'à Notre Dame de la Gorge, toujours en sous-bois, pour arriver au fameux feu de camp. Il y a beaucoup d'ambiance il paraît, mais quand j'arrive, c'est déjà fini. Niveau météo, c'est toujours cool, plutôt bon, et un ciel bien étoilé. Maintenant, ça commence à grimper sévère : il reste 4 km et 500D+ pour atteindre La Balme. Je ne traîne pas, sans pour autant me mettre dans le rouge. Je maintiens un bon rythme, personne ne parle dans les gens que j'ai tendance à doubler. Beaucoup de coureurs asiatiques, pas un mot, je vais arriver à 8h de course, et j'ai discuté avec personne, un truc de dingue ! Pour l'instant, ça ne m'embête pas plus que ça... Voilà le ravito qui approche, je suis dans les temps.
La Balme, 2369e (+184)41,7 km 2013D+ 1344D- (+2,4 km)7h27 (+5 min)Arrêt 22 min (-3 min)
Des tentes dressées au milieu de la terre, il y a beaucoup de monde, je galère pour trouver une place. Finalement, je m'installe, j'ai un peu froid. Je me concentre sur ce qu'il me reste à faire, je n'arrive plus trop à manger, je bois de l'eau pétillante fraîche, ça fait du bien. Je me masse un peu les genoux, je lis mes messages un peu, j'essaie d'en envoyer, mais pas de réseau. Les SMS partiront quand ils pourront, pour les WhatsApp, on verra quand on aura du réseau. Je reste un poil moins que prévu, j'ai pas apprécié ce ravito plus que ça, et je repars à BH - 11 minutes (13 prévues) : fichier Excel parfait jusqu'à maintenant ! Repartir est un peu compliqué, il fait nuit, pas beaucoup d'ambiance, j'ai un peu froid, et puis le contrecoup certainement d'avoir passé les BH si tendues.
Et direction le Col du Bonhomme, ça grimpe encore plus fort. Je me souviens alors de tout le monde qui dit que c'est roulant l'UTMB, qu'il n'y a pas de pente si forte que ça. Mais là, ça grimpe vraiment par moment. Je suis satisfait, j'arrive à doubler quelques coureurs dans les plus fortes pentes, ça rassure. Par contre, toujours pas un mot d'un autre concurrent, ça commence à me peser un peu, je ne suis pas habitué à tant de solitude : c'est là tout le paradoxe de cette course, je n'ai jamais vu autant de coureurs autour de moi après tant d'heures de course, et personne ne dit un mot à un autre. Donc ça continue à monter, et je passe enfin le col, un petit replat puis une rampe qui casse les jambes pour arriver au refuge de la Croix du Bonhomme. Je perds du temps sur ce petit tronçon, mais c'est vraiment difficile là. Je fais 1,7 km en 37 minutes.
Refuge de la Croix du Bonhomme, 2285e (-84)47,1 km 2790D+ 1360D- (+2,2 km)9h39 (+19 min)Pas d'arrêt
Maintenant, on attaque la descente vers Les Chapieux, 5 km pour pratiquement 1000D-, la descente est roulante mais pentue. Il est 4h du mat', le moment où la fatigue arrive, la descente est douloureuse pour les genoux, j'essaie de ne pas traîner et d'utiliser encore plus les bâtons, mais ça ne suffit pas, ça tire fort. J'arrive enfin aux Chapieux après quelques derniers lacets, j'ai continué à perdre un peu de temps. Contrôle du sac en arrivant au ravito, c'est bien géré, pas de perte de temps.
Les Chapieux, 2234e (-51)52,1 km 2796D+ 2241D- (+2 km)10h27 (+12 min)Arrêt 23 min (-7 min)
Au ravito, je ne m'y sens pas bien, rien pour s'assoir, petit, un peu de monde mais surtout l'heure pas évidente, tout le monde est fatigué. L'ambiance n'est pas grandiose, et c'est pas la super forme pour moi. J'ai toujours du mal à manger, j'essaie quand même un peu. Je repars avec 25 minutes d'avance sur la BH (au lieu de 30 prévues), ça va, je suis dans les temps. Départ direction l'Italie et le col de la Seigne, qui sur le papier parait plus "facile" que le col du Bonhomme. Une partie goudronnée pour commencer, je partage un petit moment avec deux Français, ça fait du bien de parler un peu, mais ça ne dure pas, je ne tiens pas leur rythme, ils me lâchent l'un après l'autre. J'attaque alors cette longue montée seul. Le Col de la Seigne a une particularité, la première moitié est en ligne droite, on monte le long d'une vallée, puis quelques lacets et ça continue dans la vallée. De nuit, on voit au loin les frontales de tous les coureurs qui nous précèdent. C'est mentalement pas évident...
La montée n'est pas simple, je lutte. La première partie n'est pas très pentue, on regarde en permanence au loin au final et j'ai l'heureuse surprise de voir, juste au-dessus de l'horizon, une étoile filante. Petit bonheur intérieur, comme un enfant je fais un vœu. Ensuite une légère redescente sur un kilomètre au niveau de la ville des glaciers (que je n'ai pas vue), et puis on enchaîne sur la partie plus pentue, le jour commence à se lever, le vent aussi, il fait beau mais un peu froid, j'ai pas de jus, je ne suis pas bien. Je m'accroche, vent de face et le froid me prend un peu, je me couvre un peu plus. Ma montre m'indiquera avoir perdu 6 degrés en 3 km/1h. Je me fais doubler assez régulièrement, c'est rare pour moi en ultra, et ça n'arrange pas mon moral. J'ai de moins en moins de jus. Je fais une pause, ça aussi, ça ne m'arrive jamais. Je reprends, je refais une pause. Je vois le sommet, mais il reste du chemin, je puise et je suis un peu perdu rapport à mes temps de passage, je manque de lucidité pour finir cette montée. A cet instant, je me dis que je vais essayer de finir cet UTMB, je n'y crois pas beaucoup il me semble, mais surtout, je me dis que plus jamais de ma vie je ne veux courir. Plus jamais. Même pas un footing de 5km, rien, j'arrive et je balance toutes mes pompes à la poubelle ! J'essaie de m'accrocher à la beauté magique du lever de soleil ici, avec le temps parfait, mais c'est pas suffisant pour le moral. J'atteins enfin le sommet à 2516 mètres, et l'Italie, je refais une pause avec les bénévoles, je n'arrive plus trop à boire, je leur prends un peu d'eau pétillante... Je constaterai a posteriori que sur la montée de 11,1 km (1 km de plus que les prévisions), j'ai perdu 29 minutes sur mes prévisions. Une vraie défaillance qui remet en cause toute la suite de l'UTMB, je n'avais pas une marge monumentale sur les BH, et surtout, il faut que je récupère de l'énergie ! Mais sur le moment, je manque de lucidité pour bien analyser tout ça, je sens juste la galère et le retard, mais rien de bien clair.
Col de la Seigne, 2163e (-71)63,3 km 3820D+ 2270D- (+2,9 km)13h34 (+34 min)Arrêt 4 min (+4 min)
Comment j'ai pu faire pour gagner 71 places depuis les Chapieux ? Je ne me l'explique toujours pas aujourd'hui… Je m'alimente un peu, au soleil, et j'attaque la mini descente, ça va à peu près, je trottine, je fais même une pointe à 9-10 km/h, pour reprendre le Col des Pyramides Calcaires, et le sommet de cet UTMB. C'est de nouveau difficile, encore une pause dans la montée, c'est technique, beaucoup de rochers, on progresse difficilement. Mais c'est vraiment beau, je résiste pour atteindre le sommet et faire une pause pour récupérer pour la descente. Sommet atteint, 2565 m. Je m'arrête 10 min pour reprendre des forces, j'arrive à prendre quelques photos pour envoyer des nouvelles au groupe WhatsApp, et à mes suiveurs. Je leur dis que c'est mal barré. A ce moment-là, je repars avec 1h04 de retard sur les prévisions. Terrible double montée Seigne-Pyramides Calcaires.
J'attaque les 4 km de descente vers le lac Combal. Heureusement je devais y avoir 1h13 d'avance sur la BH. La pause m'a fait du bien, je repars correctement, la descente est dans une vallée, roulante, j'ai un bon rythme. Ça tape un peu dans les genoux, mais maintenant, j'ai la pression de la BH, alors je ne traîne pas. La fin de la descente est plus pentue, mais on voit le ravito de loin, au bord du lac. J'y arrive, et j'ai repris 2 min dans la descente. C'est rien, mais ça fait du bien au moral !
Lac Combal, 2147e (-16)70,4 km 4077D+ 3021D- (+3,1 km)15h24 (+1h02)Arrêt 17 min (-8 min)
Impossible de boire et de manger à ce ravito, c'est pas la forme physiquement. J'essaie quand même un peu, mais ça ne passe pas, grosse nausée à la fin, je crois que c'est la bonne... et puis non, fausse alerte. Je repars. Merde, j'ai oublié mes bâtons grrrrr. Quel con. 400 m gratos, ça fait chier. Je repars pour de bon, je me rassure comme je peux en me disant qu'il y a une portion de plat, puis une "demie-montée" vers l'Arête du Mont Favre. Le plat passe correctement, j'attaque la montée. Il commence à faire bon, le soleil brille, le paysage est superbe. Mais de nouveau, ça grimpe fort, 2,6km pour 450D+ estimés. Et là, de nouveau, panne d'essence. Je souffre beaucoup, physiquement surtout, mais aussi moralement, je n'ai jamais été confronté à ça. Ça grimpe fort, entre 10 et 25%, je suis de nouveau obligé de m'arrêter dans la montée, deux ou trois fois, j'en profite pour boire de l'eau du torrent qu'on longe, ça fait du bien. J'arrive tant bien que mal au sommet, une nouvelle fois les bénévoles sont très sympa, ils me ravitaillent en eau pétillante fraiche. Je crois bien que pas grand monde ne leur parle à eux non plus :)
J'attaque la descente vers le Col Checrouit dans un premier temps, et vers Courmayeur. Je suis très en retard, la descente est assez roulante dans un premier temps, mais c'est long, je n'en vois pas le bout... A ma montre, j'ai bien plus de km que prévu, étant limite sur les BH, c'est d'autant plus dur à accepter. A ce moment-là, ça m'énerve même beaucoup. La descente est vraiment longue à mon goût, et enfin, au bout de 42 minutes, j'arrive à Checrouit. Pas envie de m'arrêter, je passe juste me faire biper le dossard, et je tombe sur Pierre qui m'attend ! Il était inquiet, comme tous les suiveurs, parce que le bip du Lac Combal n'a pas marché, donc ils n'avaient que mon passage du col de la Seigne, et mes messages sur ma méforme et mon moral au plus bas. Autant dire qu'ils me croyaient à l'arrêt depuis des heures sans nouvelles…
Col Checrouit, 2059e (-88)79,8 km 4525D+ 3497D- (+4,1 km !)17h33 (+1h03)Arrêt 0 min (-8 min)
J'ai une heure de retard, et je préfère finir les 4 km restant pour arriver à Courmayeur, et passer du temps avec mon assistance. Je ne suis pas de bonne humeur, Pierre le voit bien. Le genou gauche me fait vraiment mal maintenant en descente, je suis en retard, et il y a 4km de plus que prévu à ce moment-là ! Ça représente à peu de choses près mon heure de retard... Donc j'attaque la descente, Pierre vient de faire le tronçon en montée, il me dit que la pente est forte, comme prévu. Je ne veux pas traîner, alors je passe outre la douleur, et je maintiens le rythme. C'est une descente très pentue, en sous-bois avec pas mal de racines, sur de la terre sèche, ça glisse beaucoup. Je finis avec le genou en piteux état, mais j'arrive en bas de la descente ! Les copains suiveurs m'attendent pour m'accompagner jusqu'au ravito, on croise les copains du Festa qui sont à la terrasse d'un bar. J'arrive enfin, Corinne, Anaïs, Chloé et Nico attendent dehors, ça fait plaisir de les voir, et Célia et Axel sont dedans. Je récupère le sac de délestage. Dans ma tête, à ce moment-là et depuis quelques heures, c'est fini. Je ne vais pas abandonner, je ne l'ai jamais fait, et je n'ai pas envie de songer à ça. Mais je suis persuadé de ne pas repartir de Courmayeur, que ça ne passera pas les BH suivantes, vu le retard que j'ai pris. Cette façon de penser n'est pas logique à froid, mais sur le moment, c'est comme cela que je vois les choses.
Courmayeur, arrivé 1983e (-76) et reparti 2073e (+90)83,9 km 4540D+ 4220D- (+3,9 km)18h19 (+55 min)Arrêt 53 min (-23 min)
En arrivant, je raconte mon état d'esprit à Célia et Axel. Et là, c'est la surprise, Célia qui a toujours peur pour moi en ultra, va passer son ravito à me booster le moral, et tout gérer pour moi, avec Axel. En me disant que je dois passer cette barrière, et que je verrai bien les suivantes. Elle va m'y convaincre, elle a raison... Je m'allonge sur un banc, je me fais masser, je me repose un peu pendant ce temps. Je ne dors pas, mais ça me fait du bien. Je mange un peu de pâtes, je bois, je me change. Je change de chaussures aussi. La barrière horaire à la sortie approche, j'étais censé repartir avec 36 minutes d'avance, je vais le faire pratiquement au dernier moment. Les rappels au micro indiquant l'imminence de la BH s'enchaînent, je suis prêt, je repars. Départ à BH - 3 minutes !
A l'extérieur, je reste quelques instants avec mes suiveurs, et c'est parti. Liroille m'accompagne un peu en sortie de ravito. Je reçois un coup de fil de Gégé, finisher 2018, qui est sur le Taranis en même temps, on échange cinq ou dix minutes sur la course, sur Bertone qui s'annonce, que ça va monter, mais régulier. Dans Courmayeur, on attaque doucement sur le goudron, puis petit à petit la pente s'accentue, et on attaque la vraie montée, et ça ne va pas rigoler : 3 km à plus de 20%. Il fait bien chaud dans la montée, il est presque 14h. Je monte à mon rythme, j'ai retrouvé du jus, mais ça ne suffit pas, je dois encore faire deux pauses dans la montée. Je ne suis pas le seul, quelques concurrents asiatiques dorment sur le bord du chemin.
Arrivée à Bertone, en plein soleil, il fait bien chaud : le moral remonte !
Bertone, 1981e (-92)89,5 km 5305D+ 4263D- (+4,7 km)21h11 (+44 min)Arrêt 21 min (+13 min)
Ravito sympa, en plein air. Les coureurs sont assis, voire couchés, un peu partout. Ambiance cool, il y a moins de monde, et ça donne un peu l'impression du grupetto dans une course cycliste, avec une solidarité retrouvée entre les coureurs. Je me pose un peu, et j'en profite pour faire mon premier petit somme : je n'ai pas vraiment dormi, mais j'ai somnolé 4 minutes, couché dans l'herbe et la tête sur une dalle béton Au final, je m'arrête beaucoup plus que prévu, mais j'en avais besoin, la montée a été éprouvante tout de même, 800D+ en 4.5 km environ, et je me dis que retrouver du jus peut être bénéfique pour les prochains tronçons.
C'est reparti ensuite, direction Bonnati. Là, on attaque un tronçon que j'avais bien en tête : 7,5 km de "plat", disons plutôt vallonnés. Ce n'est pas encore la forme du siècle, mais ça va un peu mieux, je gère les genoux, et au moins je ne pense plus au mollet... Là, on enchaîne le long de la montagne, sur du monotrace, à chaque ruisseau qu'on croise, je m'arrête pour boire une ou deux gorgées bien fraîches, et on en croise un grand nombre sur ce tronçon ! J'essaie de deviner où va être le prochain ravito, mais sans succès, on découvre Bonnati au dernier moment, un petit refuge au milieu de rien.
Bonatti, 1949e (-32)97,1 km 5580D+ 4500D- (+5 km)23h06 (+1h06)Arrêt 4 min (-4 min)
Le tronçon précédent, je l'ai fait "tranquille", avec plusieurs pauses ruisseau, et sans trop forcer. Sauf qu'en arrivant au ravito, je me rends compte que je suis très juste sur la prochaine BH à Arnouvaz, et je prends un gros coup de flip. Ça devrait passer... si la distance annoncée est réelle ! Je bois juste un coup d'eau fraiche à la fontaine, et je repars. J'ai 1h05 pour sortir d'Arnouvaz, à 5,2 km théoriquement. J'estime vu les écarts rencontrés depuis le début que ça pourrait faire jusqu'à 7 km, avec du vallonné et pour finir une grosse descente. Et là, la peur me fait retrouver la forme : je retrouve un vrai rythme, et de l'énergie. En gros, je vais courir partout, même dans les montées. Je double pas mal de gens, le moral est au beau fixe. J'essaie de maintenir l'objectif de 7km/h sur le tronçon, j'ai le regard rivé sur la montre. C'est marrant de constater à quel point le mental influe sur le physique... J'attaque la descente, on voit Arnouvaz en bas, et je tiens le rythme. Par contre, la descente est très très raide. J'essaie de ne pas trop taper, en maintenant une vitesse correcte. Et... et vers la fin de la descente, le genou tire de nouveau très fort, c'est la mauvaise nouvelle du tronçon. J'arrive à Arnouvaz, 46 min pour 5,2 km, objectif tenu.
Arnouvaz, 1878e (-71)102 km 5704D+ 4836D- (+4,7 km)23h56 (+51 min)Arrêt 16 min (-9 min)
De nouveau, tous mes suiveurs sont là, ça fait plaisir. Je passe en courant, je ne m'arrête pas avec eux, j'ai dans l'idée vu l'imminence de la BH (20 min) de passer vite fait au ravito, d'en sortir et de me poser avec eux pour profiter un peu plus sereinement. Ils ont pris une navette pour pouvoir atteindre Arnouvaz. A noter qu'en 46 min de course, j'ai gagné 71 places : effectivement, j'ai doublé du monde ! Le temps s'est couvert, je me couche dans l'herbe, l'ambiance est sympa. Je suis un peu fatigué, le tronçon a été fait à vive allure, j'ai besoin de récupérer. Très rapidement, un bénévole/responsable de course vient discuter avec moi, pour me mettre la pression pour repartir. Je lui signale que déjà je suis en dehors du ravito, et qu'il reste quand même 10 min avant la BH, je deale avec lui de repartir juste avant la BH. Je profite un peu de mes huit accompagnateurs, l'ambiance est sympa. Le temps se couvre de plus en plus, le tonnerre gronde. Le responsable de course revient à la charge alors qu'il reste 5 min, il me dit qu'il ne faut pas traîner si je veux atteindre la prochaine BH à temps. Sous la pression je repars, en lui indiquant que vu le temps, ça sent pas bon. "Pas de souci, ça va tomber, mais pas là où vous allez, pas d'inquiétude". Ah OK, je suis dubitatif, mais je vais le croire. Départ à BH - 3 minutes !
Départ vers la Suisse et le Grand Col Ferret : d'après le responsable de course, la montée se décompose en trois portions successives, séparées à chaque fois un petit faux plat. On distingue très bien les deux faux plats, j'attaque la première rampe, 800 mètres d'une forte pente, ça pique dès le départ. Petit faux plat comme prévu, puis deuxième rampe, un virage en épingle. Et là, on sent quelques gouttes, puis des grosses gouttes, du tonnerre et là, c'est parti : le déluge, avec la grêle ! Bon, sans protection, il faut vite se couvrir au maximum : pantalon imperméable, la veste, la capuche. Ça protège pas bien de la grêle quand même, ça tape fort sur le casque, mais je repars, doucement. Rapidement une concurrente que j'ai croisée plusieurs fois toute la journée est arrêtée en tenue estivale, je l'engueule un coup, pas question de rester comme ça : tu te changes rapidement et je te file un coup de main. Je repars, un torrent de boue coule sur le chemin, tel un saumon, je remonte le courant... J'ai les pieds trempés, je croise des gens qui redescendent pour abandonner. Je me dis que je pourrais être trempé autant que je peux, hors de question d'abandonner pour ça ! Je continue à monter, une autre concurrente libanaise en short-tshirt. Là aussi je lui mets la pression pour qu'elle s'habille. La pluie et la grêle ont cessé, mais le vent est glacial, surtout qu'on est trempés. Je repars, et la troisième rampe, la plus longue débute. Un peu plus de 2 km à 20-25%, je monte doucement, mais ça va. Le soleil est revenu, avec le vent, ça permet de sécher assez rapidement, malgré la fraîcheur.
Arrivée au sommet, après un passage sur la crête, le paysage est superbe avec le soleil couchant. Bienvenue en Suisse !
Grand Col Ferret, 1774e (-104)106,9 km 6421D+ 4860D- (+5,1 km)26h01 (+51 min)Pas d'arrêt
Finalement, j'ai récupéré du jus, je suis monté d'une traite, et pas besoin de faire une pause au sommet, c'est au moins ça. J'ai gagné 100 places depuis Arnouvaz, entre l'arrêt court au ravito, et les abandons dus à la météo, ça s'explique. Maintenant, j'attaque la descente. C'est réputé pour être assez roulant et un endroit (les 20 km à venir) pour rattraper un peu de temps. Le terrain, c'est un ou plusieurs chemins en terre parallèles le long de la pente, avec de l'herbe autour, très peu de virages, on tire la plupart du temps tout droit vers le fond de la vallée.
Malgré la pente pas très forte, entre le terrain boueux et glissant, et mes genoux qui me font vraiment mal, je ne peux pas atteindre la vitesse souhaitée. J'alterne entre marche rapide et course très lente, c'est vraiment frustrant. Il y a des portions assez pentues, mais pour le reste, ça serait normalement "courable", je râle un peu d'aller aussi doucement. La nuit tombe, je sors la frontale, il y a très peu de monde autour de moi. Je me fais un peu doubler, mais c'est très isolé que je fais la descente. Les genoux tirent fort, j'attends la Peule avec impatience. Avant que la nuit ne tombe complètement, on y arrive !
Là, on arrive à un mini espace de repos, sous une tente. Je m'assois trois minutes, pour boire un coup et reposer les genoux. Et puis c'est reparti pour la dernière partie de la descente, là où normalement on peut courir pour de bon...
Le décor change, on est toujours sur du monotrace, mais plus de virages et surtout une végétation plus présente. Le problème, c'est qu'apparemment l'orage a été encore plus violent en Suisse qu'en Italie, et le monotrace qu'on suit maintenant est par endroit totalement boueux et très casse-gueule. Quelques glissades, plusieurs moments pratiquement à l'arrêt, les genoux qui trinquent encore plus : cet endroit soi-disant reposant est un enfer pour moi. Je subis vraiment beaucoup. Le tronçon est long jusqu'à la Fouly, interminable même. Enfin le ravito est là, j'en peux plus, j'ai les genoux en feu malgré la fin en marchant. Nico mon pote m'attend là.
La Fouly, 1751e (-23)117,1 km 6481D+ 5787D- (+5,5 km)28h02 (+49 min)Arrêt 25 min (=)
Je rentre dans le ravito : c'est invivable, il fait tellement chaud ! Au moins 30 degrés, c'est insupportable. Je prends une bricole à manger, et surtout de l'eau pétillante toujours aussi fraîche, et je ressors, la température est bien plus agréable dehors. Je m'allonge directement dans la rue, à l'abri du vent. Nico s'occupe de moi, je ne suis pas super bien en point quand même là. Après un peu de repos, je dois repartir, la BH est déjà là. 25 min d'arrêt comme prévu au final... La prochaine BH s'annonce (d'après mon tableau) 17 min hors délaiC'est une pression permanente ces histoires de BH, je ne suis pas habitué à gérer ça. L'avantage, c'est que ça sera une base de vie, donc 1h15 prévue d'arrêt là-bas, je pourrai "jouer" sur le temps de pause pour passer la BH. Départ à BH - 3 minutes !
Là, on part direction Champex-Lac, avec la fin de la descente et une "petite" remontée. La descente est moins boueuse qu'avant, on est sur du chemin large, par contre, ce n'est plus possible de courir pour moi, trop mal aux genoux. La fin de cet UTMB s'annonce longue... Je ne traîne quand même pas, et au final, je me fais peu doubler, ça me rassure sur le rythme que je suis. Par contre, de marcher vite en descente, ce n'est pas le plus simple, et j'atteins le mini ravito de Praz de Fort avec soulagement. Quelques chaises de camping, une tente, une table, et quelques bénévoles attentionnés : cette simplicité tranche avec le reste de l'UTMB. Mais dans la nuit, pour se réconforter, ça fait un bien fou. Sans m'en rendre compte, je m'arrête dix minutes. Au moment de repartir, dans ma tête pour la fin de cette longue descente puis la petite remontée vers Champex, le bénévole me montre dans la nuit au loin et très haut, des lumières : "c'est là Champex, le prochain ravito". Ah ouais, merde, j'imaginais pas ça, je me rends compte que je vais en chier alors que j'espérais que ça soit "facile". Erreur d'appréciation, totalement ma faute, parce que 450D+ en 3 km, c'est pas facile, même sur le papier ! :)
Je repars pour la toute fin de la descente, ce n'est pas évident, c'est une partie sur route là, je marche vite, je pense déjà à la montée. Et juste avant de l'attaquer, j'avais donné RDV à mes suiveurs les plus furieux : Liroille, Pierre et Nico. Parce qu'il faut être réaliste, partir pour une nuit dans le Viano, après la première nuit courte, au fin fond de la Suisse, c'est une expédition pour eux aussi ! Donc j'arrive au point de RDV, ils sont dans un bar juste avant d'attaquer la montée vers Champex-Lac. Une petite photo avec Nico et la patronne, et c'est reparti, on quitte la route, pour prendre le chemin en sous-bois direction Champex. Ça monte régulièrement entre 10 et 15%, en sous-bois, sur 3 km en gros. Le début n'est pas simple, mine de rien ça fait un moment qu'on n'avait pas fait de D+. Etonnamment, je finis mieux la montée, le rythme est bon, et pas besoin de pause, c'est bon signe. Je sais aussi que c'est une base de vie qui approche, je vais pouvoir prendre mon temps et récupérer. Arrivée à Champex, les copains sont là, ça fait du bien.
Champex-Lac, 1608e (-143)130,7 km 7000D+ 6411D- (+4,8 km)31h45 (+1h04)Arrêt 43 min (-32 min)
Au final, j'ai perdu dix minutes dans la descente, et j'en ai gagné six dans la montée. La BH est dans 45 minutes. Liroille gère ce ravito, mais rapidement les copains nous rejoignent, on est loin de la folie furieuse des ravitos de la première nuit, il y a bien moins de monde maintenant, les bénévoles sont plus cool. J'ai rien mangé depuis un moment, c'est inquiétant. J'ai passé une commande de lait d'amande, ils ont assuré et ramené du lait d'amande et de noisette, j'ai le choix. Avec, je me prépare une crème dessert avec la poudre chocolat d'Alain Roche, et étonnamment, ça passe ! Coup double : ça me nourrit et c'est bien optimisé niveau énergétique, ça fait du bien au moral. Les copains massent encore le mollet et autour du genou. Je prends un moment pour dormir aussi, ça faisait un moment : 4-5 minutes trouvées pour ça, c'est Liroille le maître du temps, j'ai le masque de nuit et c'est vraiment magique, je m'allonge sur le banc, je mets le masque et... 3 à 4 secondes plus tard, je dorsBon, le réveil n'est pas évident, surtout pour se remettre dedans. Allez, les bénévoles remuent et égrènent les minutes avant la BH, je tire au maximum pour repartir en forme. J'ai l'impression de gérer (et de pas avoir le choix, il faut l'avouer) mais les copains sont bien plus stressés. Ils me tannent pour repartir, je cite "t'es vraiment une tête de con". Allez, go, un coup d'œil au parcours, 5 km vallonnés plutôt en descente, et puis il restera les trois enchainements grosse montée-descente pour rallier Chamonix. Départ à BH - 2 minutes !
On part donc vers Plan de l'Au, je n'arrive pas à courir, j'essaie sur des phases courtes, mais c'est trop dur, le genou gauche ne se plie plus, j'ai trop mal. Mais bon je marche vite avec les bâtons, ça va. Je sympathise avec un autre coureur, Jérémy sur cette partie plate : ça fait plaisir de parler un peu à un autre participant ! Il a la même vision que moi sur le manque d'interaction entre coureurs, et franchement, ça soulage de partager un peu avec un autre coureur. On s'approche de Plan de l'eau, je suis dans un groupe élargi, je dirais une vingtaine de personnes. Une rumeur parcourt le groupe : une barrière horaire serait à 3h30 au lieu de 3h45, on presse alors le pas, finalement fausse alerte, on ne sait pas d'où c'est sorti, mais il n'y a rien à ce point de passage.
On attaque la montée vers la Giète. C'est dur, ça grimpe fort, on discute un peu moins avec Jérémy. Je prends la tête du grupetto qui s'étire au fur et à mesure de la montée. Après un replat au milieu, ça repart de plus fort, on est sur des km à 25% là... Le grupetto s'est tellement étiré qu'il ne reste plus que Jérémy et moi. On arrive à ce qui semble être le sommet. Un ravito est normalement là, à la Giète, mais on attaque la descente et on ne voit rien... Tant pis. Je descends prudemment. Et au bout d'un moment, dans la descente, un refuge : la Giète !
La Giète, 1512e (-94)142,4 km 7788D+ 6780D- (+5,1 km)35h41 (+33 min)Pas d'arrêt (=)
Je passe rapidement dans le mini ravito, un refuge en pierre qu'on traverse, ambiance sympa, mais je ne m'arrête pas. A ce moment-là, je gère le timing d'arrivée au prochain ravito de Trient, pour que la famille puisse nous y rejoindre. J'estime l'arrivée un peu avant 7h du mat', ça les fait partir d'ici peu de temps. Moi j'attaque le reste de la descente. C'est interminable, presque 7 km de descente en tout, au départ pas trop pentue, et puis le dernier km à 23% fait très très mal. On arrive à Trient, j'ai bien mal de partout, mais je sais que je vais avoir la marge nécessaire pour faire une grosse pause. Tout le monde est là, je suis accueilli par les copains un peu en amont du ravito, puis par la famille en arrivant au ravito. Ça fait plaisir !
Trient, 1495e (-17)147,6 km 7812D+ 7359D- (+5,5 km)36h52 (+34 min)Arrêt 1h01 (+31 min)
Célia m'attend dans le ravito avec Axel, mais très rapidement tout le monde peut rentrer. De nouveau, ambiance décontractée, les officiels sont plus coulants. Je sais que je vais m'arrêter largement, j'ai 1h08 avant la BH. Je me fais masser, je mange un peu toujours ma crème lait d'amande + poudre choco, je discute, je fais le point sur la course. Pour la première fois depuis une éternité, presque depuis le début, je ne me sens pas sous la pression horaire ! J'en profite pour dormir, je demande un réveil 15 min plus tard. Comme d'hab, je mets le masque de nuit, et 1, 2, 3... je dors. Magique15 min plus tard, Célia et Liroille me réveillent. Tout le monde me parle de repartir, mais il faut que j'émerge d'abord, je suis réveillé mais pas en forme. Le temps de faire le sac, de prendre les affaires, c'est parti. Un œil sur la prochaine BH à Vallorcine et... et je me rends compte que j'ai gravement merdé ! Je me suis trop arrêté, je suis encore sous pression pour la prochaine BH, je me dis que ça ne s'arrêtera jamais ! Les suiveurs prennent ma mauvaise humeur pour eux, parce que je trouve que j'ai trop dormi. Mais non, c'est pour moi, c'est moi qui ai merdé sur le temps de sommeil. Je suis grognon, je décolle à BH - 7 minutes.
Direction la montée des Tseppes, puis la descente vers Vallorcine. Je suis remonté, faut pas que je traine. On quitte rapidement le goudron de la ville pour une montée bien raide, dans un chemin de terre en sous-bois. J'avance à un bon rythme, je suis toujours très énervé par ma mauvaise gestion du ravito. Le soleil brille fort, c'est super agréable. Contrairement à la grosse grosse pente ! Mais le point d'eau des Tseppes arrive bien plus vite que prévu, avec le bruit des cloches des vaches. C'est très dépaysant !
Les Tseppes, 1503e (+8)151,2 km 8439D+ 7377D- (+4 km)38h53 (-2 min)Pas d'arrêt
Pour la première fois, le ravito arrive bien plus vite que prévu : 3,7 km au lieu de 5,1. Dingue comme ces 1400m me font plaisir. Et surtout, je viens de faire 3,7 km et 620D+ en 1 h pile, avec les deux derniers kilos à 23% et 26% de pente. Un temps canon vu la fatigue et les 150 bornes dans les pattes, j'ai rattrapé 1h07 sur ce tronçon ! Du coup, je passe en avance de 2 min sur mon temps estimé, parfait. J'ai perdu des places au classement, mais le classement à Trient était avant la pause d'une heure, autant dire que beaucoup de coureurs m'ont doublé au ravito... J'en ai rattrapé pas mal dans la montée finalement. Je charge en eau et je repars. Finalement, le ravito était un peu avant le sommet, donc il reste un peu à monter, et il faut relativiser le temps de passage, et le kilométrage. Je continue à un bon rythme, mais c'est un peu long à mon goût. J'arrive au vrai sommet, et c'est parti pour la descente.
Là, ça devient physiquement plus compliqué, ce n'est pas très pentu au début, même "courable" largement, mais c'est impossible pour moi. Je souffre bien dans la descente. Mon genou gauche ne se plie plus beaucoup, du coup je tape sur pas mal de pierres. On descend dans un premier temps sur un monotrace très agréable, un peu frustrant pour moi sans courir. Moment sympa, on slalome au milieu d'un troupeau de moutons pas farouches. Et puis on bascule sur un chemin carrossable. La pente devient plus forte par moment, mais je n'arrive pas à courir, mais je descends en marchant vite. Cette technique de marche rapide sur des longues périodes commence à me faire sentir une belle douleur en bas du tibia gauche. J'ai connu ce genre de douleurs dans le passé, et en réduisant la vitesse ça va un peu mieux. Cette descente est vraiment interminable... On passe un peu en forêt, on est encore bien au-dessus de la vallée, et Vallorcine s'approche, ça sent la pente un peu plus raide. Banco ! On finit sur deux kilomètres en sous-bois à 20% et 16%, c'est très douloureux pour moi. Je m'appuie énormément sur les bâtons maintenant, mais ça tient. Si le tronçon précédent a fait 1,4 km de moins que prévu, celui-ci en fera 1,9 de plus au final. Interminable. On sort enfin du sous-bois, on est dans Vallorcine ! Ouf. Ravito en vue, les copains viennent me récupérer, tout le monde est là. Un petit coucou, et je me pose dans le ravito. C'était apparemment la dernière BH limite :)
Vallorcine, 1489e (-14)158,9 km 8580D+ 8137D- (prévu +5,9 km)40h29 (+15 min)Arrêt 22 min (-8 min)
Ça sent bon les BH finalement ! Et ça sent bon le finisher même, le moral est au beau fixe. Ce coup-ci, seuls Célia et les enfants sont dans le ravito, je ne vais pas y rester trop longtemps. Je mange encore ma crème chocolat maison, je recharge en eau plate et pétillante. Quelques photos avec ma team famille, et avec mon bracelet porte-bonheur, pour penser à tous ceux que j'aime avec leurs initiales dessus. Tout est bon, les BH semblent OK maintenant, il faudrait un cataclysme pour que je ne passe pas cette dernière bosse ! Je repars sans traîner, une interview TV avec un journaliste de France 3 qui m'interroge sur la gestion des BH, mes suiveurs s'inquiètent de me voir glandouiller comme ça ! Je suis encore une fois bien plus zen qu'eux. Départ BH - 24 minutes. Large !
C'est reparti ! Les copains Liroille et Pierre m'accompagnent jusqu'au col des Montets, un petit faux plat montant sur 3,7km. Là, le Viano sera arrivé avec tous les autres suiveurs pour les récupérer, et tracer jusqu'à l'arrivée. L'ambiance est détendue, j'ai repris complètement confiance. Ce tronçon est bizarre : on passe près d'habitations, de campings, on est en plein jour, il y a pas mal de promeneurs, d'habitants, cela n'a rien à voir avec tout ce que j'ai connu depuis deux jours ! Ca fait un peu rando en croisant plein de gens. Au final, ça passe assez vite, on arrive au Col des Montets. Tout le monde est là, ils étaient au bar, en terrasse, en train de boire quand on arrive ! Soi-disant on serait allés trop viteOn prend quelques photos, la dernière montée fait peur quand même...
Allez, feu, ils m'encouragent et font un max de bruit : c'est parti, j'ai le moral au taquet !
J'attaque la montée de la Tête aux Vents avec une française, on partage notre ressenti de la course, on est sur la même longueur d'ondes : course difficile, super ambiance extérieure, moins bonne entre les concurrents, et cette pression sans fin des BH. Ça fait du bien de discuter. Rapidement on croise un coureur avec le t-shirt UTMB, on discute deux minutes avec lui, il a abandonné la veille, on parle ressenti là aussi : il aura fallu attendre 42 h pour enfin échanger tranquillement. Allez, cette fois-ci, c'est parti pour la dernière difficulté. Et quelle difficulté ! On a la "chance" de pouvoir grimper la Tête aux Vents, elle est souvent escamotée rapport à la météo. Pas pour cette édition 2019, il fait beau, un peu d'air mais le soleil brille malgré quelques nuages. La montée est particulière, elle est constituée de marches en pierre assez hautes. Je grimpe doucement, mais rapidement, une douleur énorme sur l'intérieur du genou gauche, comme un coup de cutter. Je m'arrête net. Ça passe en quelques secondes. Je continue, ça revient rapidement. L'horreur. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, ce n'est pas possible, pas maintenant. Ça passe toujours aussi vite, mais ça fait vraiment super mal. Je continue difficilement, et je constate qu'en fait, c'est quand j'attaque jambe gauche une marche, au moment où je monte et où je déplie la jambe, c'est ça qui "pince" aussi fort. Décision est prise, je vais attaquer toutes les marches de la jambe droite. Plus facile à dire qu'à faire, ce n'est pas simple et pas naturel de piétiner devant chaque marche, forcer sur les bâtons pour monter. Mais ça tient, malgré quelques répliques sur le genou, ça fait mal, un truc de dingue. Et en plus de tout ça, ça continue de grimper sévère ! Un kilo à 30% suivi d'un autre à 22%, ça pique. On arrive sur le plateau, et sur un long monotrace. Pour mon genou, c'est l'horreur, impossible de courir ou de marcher vite, je me traîne. J'ai du coup la BH de la Flégère en inquiétude maintenant : ça ne finira donc jamais !! Je me rends tant bien que mal jusqu'à un regroupement de secouristes au sommet de cette dernière montée.
La Tête aux vents, 1467e (-22)166,7 km 9450D+ 8149D- (+6 km)43h34 (+22 min)4 min d'arrêt (+4 min)
J'attends un peu pour essayer de me faire strapper, mais c'est un échec "oui on n'a pas le droit nous" "on le sent pas trop"... Allez, c'est bon, je repars, merci pour les quelques minutes perdues, j'avais un peu trop d'avance c'est vrai :)
On continue sur le long monotrace, frustrant au possible : alternance de belles pentes en descente et de faux plats descendants, pas très techniques, ça donne envie de trottiner, mais je souffre le martyr à chaque mouvement de terrain. Le temps passe, et cette Flégère qui n'arrive pas. Je commence à flipper pour de bon, et j'arrive tant bien que mal à trottiner un peu… Mais ça y est, enfin, je la vois ! Mais... une rampe bien pentue pour y accéder en montant, genre 200m à 20%, ça pique. J'ai vingt minutes pour y arriver, ça va le faire ! Et enfin, j'arrive au ravito.
La Flégère, 1494e (+27)170,3 km 9531D+ 8473D- (+6,7 km)44h28 (+25 min)Pas d'arrêt (-15 min)
J'ai dix-sept minutes d'avance sur la BH, mais j'ai perdu 27 places depuis la Tête aux vents, et 2x15min sur le plan de marche depuis le col des Montets. Je n'ai pas envie de m'arrêter : la terrible descente de la Flégère nous attend, et mon genou m'inquiète, je ne sais pas dans quel état je vais pouvoir terminer. Quelques checks avec des bénévoles, je repars sans même ravitailler. Il reste 8 km théoriques et 900D- sur les cinq premiers kilomètres, tout ça en moins de 2h. C'est parti !
On attaque par la descente d'une piste de ski, dru dans le pentu. C'est dur, je force sur les bâtons, mais ça tient. Après ça, on attaque le cœur de la descente en sous-bois, sur de la terre très sèche, ça glisse un peu. J'ai la motivation, j'alterne de nouveau trottiner et marcher. Je souffre, mais c'est la fin là, l'excitation prend le dessus. Je double du monde, et j'en profite pour mettre un coup de pression aux personnes que je croise : on n'aura pas beaucoup de marge sur les fameux 46h30, il faut y aller ! La descente est longue, on passe à un moment au milieu de la terrasse d'un bar, en slalomant au milieu des tables et des clients. Tout le monde applaudit, ça fait vraiment plaisir. On est toujours en sous-bois, en forte descente, on commence à croiser des promeneurs qui montent à la rencontre des coureurs, les gens ont des mots gentils. Les estimations sur la distance restante sont fluctuantes selon les personnes, décidément cet UTMB n'aura jamais eu le kilométrage prévu ! Je ne le sais pas encore, mais à ce moment précis, tous les suiveurs, présents ou sur le groupe, sont sur le live, pour me voir arriver. Beaucoup de soutiens, certains ont même envoyé leur photo en train d'attendreJ'ai même une photo du Wall Street Bar à Paris avec toutes les télés sur le live
Ça y est, on sort du sous-bois, on est à Chamonix. Le sourire est présent maintenant, c'est bon pour la BH ! On doit traverser la grande route, avec la grande arche métallique à monter pour ça. Et là, je me "régale" : j'avais oublié cette douleur sur le genou, c'est l'enfer. Je me fais doubler par trois coureurs juste pour monter et descendre cette arche... Maintenant il commence à y avoir des spectateurs, on arrive le long de l'Arve, près des exposants UTMB, la foule est présente. Les gens m'encouragent, c'est vraiment un moment énorme, ça checke, ça crie mon nom, ça chante, c'est irréel. Je connais maintenant la route, je suis dans les 500 derniers mètres, et à ce moment-là, je vois Liroille et Pierre qui m'attendent pour finir avec moi. C'est le seul moment de démonstration de joie pour moi... Les derniers hectos sont vraiment irréels, une foule encore très dense, c'est finalement pas mal d'arriver en milieu d'après-midi le dimanche, juste après l'orage apparemment. Je laisse passer un coureur rapide, personne devant, personne derrière, je vais pouvoir savourer l'ambiance que pour moi. Les copains me laissent à 100m de la ligne, Célia est là mais je ne suis pas super lucide, je ne vois que les enfants qui foncent vers moi pour finir tous les trois.
Comme un signe, les speakers à ce moment-là sont Seb et Ludo, le speaker actuel et l'historique du Festatrail, ils me chantent mon anniv au micro, ça y est, c'est fait, je passe la ligne ! Woh. Encore une fois, je suis émotif mais là, pas plus que ça, juste de la fierté, et la joie d'être avec tous mes proches. Je tombe dans les bras des speakers, puis de tous mes suiveurs dans l'ordre. Et au final, la dernière à arriver est Célia. Et là, toute l'émotion et la tension accumulée depuis 46h, et même depuis des jours, des semaines et des mois, tout ressort d'un coup. Elle avoue avoir eu tellement peur pour moi... et oui, la même qui m'a sauvée la course à Courmayeur, et qui n'a jamais accroché à toutes mes conneries, c'est elle qui aura fait basculer cette course dans le bon sens à Courmayeur.
Va s'en suivre le champagne sur la ligne, des photos souvenirs, la récupération de la veste, la bière du finisher, puis dire au revoir à la moitié des suiveurs qui rentrent à Montpellier : Célia et les enfants, et Nico. Ils ont retardé le départ juste pour me voir, mais la rentrée scolaire le lendemain matin ne laisse pas de place pour un délai supplémentaire.
Voilà, voilà la fin de cet énorme récit. Pour moi, c'est l'aventure d'une vie, le jour de mes 40 ans. On ne sait jamais ce que réserve le futur, mais cela restera gravé toute ma vie en moi. Tout était réuni pour que ce soit parfait, et ça l'a été.
Il m'a fallu des mois pour digérer tout ça, et pouvoir le raconter.
Pour conclure, tout cela montre qu'il n'est nul besoin d'être un athlète hors norme pour réussir ce challenge : si on a l'envie, la motivation et le mental, si même un non-coureur comme moi peut le faire, tout le monde peut le faire s'il en a l'envie.
Et je profite pour remercier mes huit accompagnants : Chloé, Axel, Anaïs, Pedrito, Nico, Célia, Liroille et Corinne. Merci. Infiniment. Je suis conscient, pour l'avoir organisée en amont, de l'aventure que cela a été pour eux aussi. Entre les attentes interminables, la cuisine faite pour rien, me voir dans cet état sans rien laisser paraitre, les kilomètres parcourus de-ci de-là avec moi, la nuit dans le Viano, les nuits très courtes, pour tout ça : merci.
10879 : le nombre de mots de ce résumé. C'est long, mais c'est qu'un mot par D+ finalement !
9534 : le D+ de ma montre barométrique. Moins que prévu, mais les conditions météo influent sur la fiabilité du chiffre.
3323,9 : résultat d'un concours lancé avant l'UTMB, le nombre de kilomètres que j'ai parcourus en 5 ans, depuis que j'ai commencé à courir en 2014 jusqu'au départ de l'UTMB. Tout compris, les ultras, les entraînements, cette année 2019 intensive... ça fait pas beaucoup au final, mais ça a suffi !
177,27 : la distance donnée par ma montre GPS, décomptés les faux km sur les ravitos
171 : les kilomètres annoncés. Très énervant par moment, certains tronçons ne collent pas du tout aux prévisions. Quand on sait le peu de marge qu'on a par rapport aux BH…
103 : le nombre d'abonnés au groupe WhatsApp de suivi. Eux aussi ont été énormes, il m'a fallu 2h pour lire tous les messages de soutien le lendemain de la course !
74.5 : le poids avant la course
71,6 : le poids après la course, plus atteint depuis... mes 15 ans :)
45h57' : le temps prévu par le fichier Excel. Pas mal hein :)
45h50'56" : le temps officiel
40 : mon anniversaire, avec les 24h passées sur l'UTMB
26-30 : le temps de sommeil sur tout l'UTMB, on n'est pas d'accord Liroille et moi. Une sieste de 14 min + trois micro-siestes de 4 min
10 : le nombre d'ascensions du parcours
8 : le nombre de descentes
8 : le nombre de mes suiveurs
3 : le nombre de mes accompagnants sur le parcours : Liroille, Nico et Pierre, qui ne m'ont pas lâché !
1 : un fichier Excel, et un temps consacré impossible à estimer
1 : une veste finisher
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5 commentaires
Commentaire de Gilles45 posté le 09-03-2020 à 08:27:47
Merci pour ce récit Toufik51.
Tu as mis du temps à le mettre en ligne mais ça valait vraiment la peine d'attendre. Il est à l'image de ta course, rationnel, bien préparé, précis. J'étais moi-même sur la course cette année et c'est vraiment sympa de voir les similitudes ou les différences d'analyse sur différents points du parcours (tout dépend en général de ton été de forme sur le moment).En tout cas, une fois encore, ce récit souligne l'importance du groupe, de la force collective qui donne un plus pour aller au bout.
Enfin, merci pour un truc et astuce qui va bien me servir: Les temps de passage en fond d'écran du tel. Excellent !
A bientôt, bravo pour ta ténacité et pour ta perf.
Gilles
Commentaire de toufik51 posté le 09-03-2020 à 08:55:24
Merci Gilles,
Oui, j'avoue que je n'avais pas encore lu de récits 2019, et je viens de lire le premier, et je partage le côté marrant de voir les similitudes et les différences de ressenti. Et oui, très clairement, j'ai la plupart du temps la chance d'être bien accompagné sur mes ultras, et ça compte vraiment (que ce soit en présentiel, ou en numérique ;) ).
Pour le fond d'écran, j'ai fait une copie de mon écran de veille à ce jour : https://i.ibb.co/fQNmkks/Screenshot-2020-03-09-08-30-24-384-lockscreen.png (c'est la 2e moitié du coup). Ca fait un souvenir qui reste un peu :)
Merci encore pour ton message
Rémi
Commentaire de Bert' posté le 19-03-2020 à 16:09:53
Bravo Toufik !
Un UTMB c'est toujours quelque chose de rare dans une vie.
Tes passages aux ras de BH a dû en épuiser plus d'un (lecteurs compris), mais montrent que c'est toujours possible.
En tout cas, tu démontres bien, qu'une bonne gestion de course, c'est un important facteur de succès aussi.
Je me suis pas mal retrouvé dans ton récit qui m'a bien rappelé ma propre expérience ;-)
Commentaire de keaky posté le 01-04-2020 à 22:07:58
Tel un saumon, tu as u retrouver ta maison !!! Et chapeau bas, la course avec un genou en vrac et une pression de barrière comma ça, tu as un gros mental !!! Félicitations !!!
C'est marrant, ya des trucs que je me rappelle plus du tout ^^' (le ravito des Tseppes, le bar traversée dans la descente de la Flégère,...). Fatigue quand tu nous tient..
7 mois jour pour jour pour digérer et pondre mon récit également. Je prends connaissance de tous les autres dès à présent. Le tient en fait parti ;) Et quel CR, quel suspense dans ton récit :) Merci et encore bravo !!! ;)
Commentaire de Clamjo posté le 18-08-2020 à 10:22:16
Bravo Toufik, belle performance !
merci de citer mon propre CR où je partage également en détail mon expérience riche en émotions.
Malgré ton expérience en course à pied assez limitée, ta préparation qui semble avoir été assez minimaliste, et les pépins physiques tu as réussi ! Comme quoi avec de la détermination c'est possible, bcp de choses sont possibles - "Force & Honneur" n'est-ce pas ? ;-)
Ce qui m'impressionne le plus c'est ta propension à flirter avec les barrières horaires avec zénitude .... même si c'est jouer avec le feu! Moi si je n'ai pas une heure de marge sur les BH, je stresse car je me dis que je ne pourrais pas absorber de défaillance. Ton équipe d'assistance semblait être motivée et affutée comme jamais, bravo à eux. Je pense que l'expérience a été riche en émotions pour eux aussi.
Quant à la montée de Champex, tu aurais du te douter de sa perfidie après avoir lu mon CR.
La gestion des pbs au genou est aussi exemplaire....
J'ai fêté aussi mon anniversaire sur la course, terminer est un très beau cadeau.
2 ans après, ça reste un souvenir extraordinaire, j'y repense souvent avec ses montagnes russes émotionnelles.
Donc encore un grand grand bravo !
Jacques (alias Clamjo).
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