Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2008, par Olivier91

L'auteur : Olivier91

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 29/8/2008

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 2301 vues

Distance : 163km

Objectif : Pas d'objectif

14 commentaires

Partager :

273 autres récits :

UTMB 2008: 3 courses en une!

Pour cette quatrième participation à l’UTMB, je ne sais pas du tout à quoi m’attendre au niveau de la performance. Notre tentative de record sur la traversée des Pyrénées s’est soldée par un arrêt après 428 km de course et 25000m de dénivelé. Quel aura été l’impact de cet effort 5 semaines après, à Chamonix ? Que penser du reste de douleur qui se signale au niveau de la cheville, séquelle de ma tendinite du releveur ? Cela va-t-il tenir ?

 

Le lundi précédent, je réalise une sortie test ayant plusieurs objets : voir où j’en suis, me refaire les cuisses en descente et faire une reconnaissance du col de la Cicle pour la Montagn’hard que j’organise l’an prochain.  Je suis heureux de faire mes 1400m de D+ à une vitesse ascensionnelle comprise entre 900 et 1200m/h. Les jambes tournent et c’est une première satisfaction.

Arrivé au col de la Cicle, je regarde l’heure : j’ai promis aux enfants de les emmener faire du cheval et je n’ai plus qu’une heure pour rejoindre la voiture et 9 km et 1300 m de dénivelé négatif parfois technique. C’est l’occasion de me faire les cuisses. 42 mn plus tard, je pose mes bâtons contre ma voiture. Je m’en suis payé une bien bonne … mais je finis avec 2 grosses ampoules et les cuisses explosées. Marrant, mais pas très sérieux moins de 5 jours avant l’UTMB.

 

Effectivement les courbatures sont au rendez-vous jusqu’au vendredi, d’autant que je passe une grosse partie du jeudi à piétiner dans le salon de l’UTMB. Je plains les UFOs qui auront tenu le stand 1 journée et demi, debout dans la chaleur. Pas idéal pour se préparer. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour présenter la Montagn’hard. Les commentaires des coureurs sont globalement encourageants. Je passerai tout le week-end à observer l’UTMB avec des yeux d’organisateur pour repérer ce que j’ai envie de copier et ce dont je ne souhaite pas m’inspirer. Dans cette dernière catégorie, je place l’attente pour la remise des dossards. C’est étonnant, car les années précédentes, cela n’avait pas été un gros problème. Mais là, c’est limite. Jusqu’à 2h30 d’attente en pleine chaleur ! Il y a là quelque chose à revoir.

 

Ces heures précédant le départ sont toujours l’occasion de croiser de nombreux potes de course à pied. C’est vraiment devenu le rendez-vous annuel. De nombreuses voix se lèvent pour regretter le gigantisme de l’UTMB. J’avoue personnellement que les conséquences sur le déroulement de la course, en particulier dans le premier tiers, ne me plaisent pas plus que çà. Par contre, on ne peut nier qu’un tel événement, une fois par an, fait vraiment figure de quasi incontournable, de fête de l’ultrafond et de lieu de rencontre où les pots aux terrasses de Chamonix se succèdent aux tartiflettes et autres plats roboratifs partagés dans une ambiance joyeuse.

 

Cette année, Alice et moi hébergeons Guillaume et Michel l’électron, le célèbre « coach » de Julien, vainqueur de la CCC et du TGV l’an dernier. Tous deux sont à la recherche de leur première veste finisher. Je sens que leur confiance de façade cache une certaine appréhension, compréhensible tout de même, la part d’inconnu étant très importante dans ce genre de course. Pour ma part, les heures passant, et l’ambiance autour de la course se mettant en place, je sens bien aussi la pression monter. Elle n’est pas liée aux mêmes questions que mes deux compères, ayant fini les 2 dernières éditions, elle est liée à la recherche de la performance. J’ai décidé de tenter le tout pour le tout avec un départ rapide. Mes vitesses de bases sont plutôt meilleures que l’an dernier, je me prends à croire que si tout se passe bien, les trente heures sont accessibles, malgré l’allongement de l’épreuve.

 

Je regarde et reregarde les temps de passage que je me suis prévus. Je suis convaincu que cela peut passer, mais je suis convaincu aussi que je n’ai aucune marge : il faut un déroulement parfait de ma course. J’ai en tête pour cela les commentaires de stef vis-à-vis de sa très belle réussite au GGR 2007. Il évoque la course parfaite, la course de rêve. Et bien c’est cela que je vise pour réaliser moins de 30h. Mais cela ne se décrète pas et je suis un peu intimidé par mon propre objectif.

 

Je pense de temps à autre à Steph qui s’est engagé sur la Petite Trotte à Léon. Je lui adresse quelques SMS d’encouragements. Après notre escapade pyrénéenne, le copain est gonflé de tenter ce très gros morceau. Chapeau pour la belle année ! Faudra quand même penser à se reposer. J’essaie de partager un peu de ces heures d’attente avec Manu pour recréer ici cette complicité, cette proximité qui fut la nôtre pendant la Transpyrénéenne, mais il est accaparé par cette fonction ingrate (et nécessaire) de pilier du stand UFO. Je sens que l’impatience le ronge, lui le solitaire plongé dans le brouhaha et la chaleur.

 

Phil papillonne de connaissance en connaissance. Runstephane fait le commercial de luxe pour les nouveaux tshirts UFO, ce qu’il fait sans se départir de son humour légendaire. Je tourne dans le salon pour multiplier les contacts autour de la Montagn’hard, en particulier autour de la presse spécialisée qui jouera un grand rôle dans la popularisation de la course.

 

Je passe régulièrement voir Alice qui cette année fait la totale au niveau bénévolat : tout le jeudi et le vendredi matin à la remise des dossards et le vendredi soir au ravitaillement de St Gervais. La partie remise des dossards lui plait. Elle constate que Dawa est bien fidèle à sa fantastique réputation : il est le seul coureur à lui serrer la main lors de son passage pour le contrôle d’identité ! Par contre, elle trouve son rôle à St Gervais plus ingrat, elle doit faire la police à l’accès à la zone d’assistance personnelle des coureurs, les accompagnateurs des coureurs ayant parfois un comportement dépassant ce qui est admissible (c’est malheureusement le cas d’un kikoureur célèbre qui malmène Alice (qui cherche à faire respecter les consignes de l’organisation) montrant-là des dispositions différentes de l’esprit qui règne habituellement sur ce site fort sympathique).

 

Son fort engagement lui permet malgré tout d’être là au départ et de me suivre tout au long de la course avec les enfants. Merci à elle en tout cas, sa présence à mes côtés est très importante pour moi.

 

Le départ ! Nous y voilà ! Sur le chemin aller, Guillaume, habituellement très volubile, se fait taiseux. Çà tombe bien, je suis moi-même un peu recroquevillé sur ma concentration pour la course. On sent que la tension est montée d’un cran. Même pour une 4ème participation, cette course m’intimide.

Nous déposons nos sacs pour Courmayeur et Champex. Nous croisons encore une foultitude de connaissances, dont Marie dont l’assistance nous aura été précieuse sur la Transpyrénéenne. Bien contents de la croiser, elle et son sourire radieux.

 

Nous prenons place très tôt dans le sas de départ, où nous rencontrons Gilbert qui aurait dû être sur la PTL … Que fait-il ici ? Malheureusement un imprévu à empêché Jean-Paul de poursuivre leur aventure et Gilbert et François qui ne la concevaient qu’à 3 inséparables ont abandonné dans le même temps. Dommage, cette course était taillée pour ces trois montagnards-là.

Nous avons une position stratégique de choix dans le sas : nous ne sommes pas loin des premiers et nous sommes le long de la barrière, ce qui me permettra de rester près d’Alice et des enfants jusqu’au départ. Cela me permet de faire provision d’énergie positive. Les enfants qui ralotaient un peu au départ voyant se profiler une nuit difficile comme les années précédentes, se laissent finalement prendre au jeu et montrent de l’enthousiasme à accompagner leur père dans cette petite aventure. Leurs sourires et leurs encouragements m’aideront tout au long du grand tour.

 

La musique de Vangélis bat son plein, dernières embrassades un dernier regard vers Alice qui me dit un « Tu vas au bout, hein ? » qui aura son importance quelques heures plus tard. Guillaume est près de moi, Manu et Runstephane aussi, nous nous élançons dans une forêt de bâtons dont il faut se méfier des bouts acérés.

 

J’essaie dès le début de repérer mes sensations : aller vite mais en restant toujours bien en deçà de mes limites. Cela se concrétise par une première étape jusqu’aux Houches sans m’arrêter de courir, une première, là où une petite montée me faisait toujours ralentir. Les conversations vont bon train dans ce peloton regroupé. Je suis dans les parages de Stéphane, Christian et son pote Irving. J’arrive aux Houches en 47’ soit 5 minutes d’avance. Je suis parti un peu vite … et que dire de Guillaume que je double juste après le ravitaillement. Je lui avais dit de partir tranquille, il ne m’a pas écouté, porté par sa fougue coutumière. Mais il n’a pas eu l’entraînement adéquat ces dernières semaines, il devrait se méfier…

 

Je monte le col de Voza à bon rythme, voyant régulièrement ma vitesse ascensionnelle dépasser les 900m/h … et pourtant je me sens englué dans le peloton. Il me semble que c’est parti très très vite cette année. Cela se confirmera avec les temps de passage et les classements. Bien qu’allant plus vite que l’an dernier, je me situe plus de 100 places en retrait ! Il va y avoir de la casse, c’est sûr !

 

J’essaie malgré tout de me concentrer sur ma course, sur mon rythme. Je me souviens de m’être explosé les jambes pour plusieurs heures l’an dernier dans la descente sur St Gervais, je décide donc de la faire très en dedans. J’y suis encouragé par mes pieds qui glissent dangereusement dans mes chaussures, me donnant l’impression de déjà s’échauffer plus que de raison. Malgré ma retenue, je double beaucoup de monde dans cette descente dont la fin a été améliorée par rapport à l’an dernier. J’arrive à St Gervais avec 8’ d’avance sur les temps de passage les plus ambitieux. Décidément, c’est parti très vite ! Je trouve Alice et les enfants à la sortie du ravitaillement : Florent m’accueille en criant avec enthousiasme que je suis dans mes temps, même mieux. Alice ne peut quitter son poste et seuls les enfants me suivent pendant quelques centaines de mètres dans les rues de St Gervais qui encore une fois sont le site d’une fête fantastique et d’un enthousiasme débordant ! Mais j’en profite finalement peu, étant concentré sur ma course.

 

On attaque une partie qui ne me convient pas, faite de relances incessantes, moi qui aime plutôt les longues montées ou les descentes en tout genre. Comme l’an dernier, je perds de nombreuses places, mais l’an dernier j’étais gêné par une vive douleur à l’aine, alors que cette année, tout va bien côté blessure, mais je n’ai pas vraiment le rythme en particulier, je n’arrive pas à me botter les fesses pour courir. J’ai les pieds déjà un peu douloureux et cela me donne une bonne excuse pour ne pas pousser plus fort. Je reprends un peu du poil de la bête en approchant les Contamines, mais je m’interroge sur mes sensations. La nouvelle arrivée aux Contamines nous permet de retrouver ce long couloir de spectateurs qui nous accueillait les années suivantes sauf l’année dernière. C’est très sympa, nous voilà redevenus champions cycliste en haut de l’Alpe d’Huez.

 

Je passe très vite le ravitaillement, ayant sur moi ce dont j’ai besoin et je m’élance dans la nuit sur le long plat qui nous sépare de Notre Dame de la Gorge. Là encore, il m’est difficile de courir. J’alterne course et marche, j’ai du mal finalement à me mettre dans la course. J’échange quelques mots avec Alexandra Rousset dont je m’étonne de la présence à ce niveau du peloton.

 

La montée de la voie romaine me permet de reprendre un peu l’ascendant sur mes compagnons de route du moment, mais je suis obligé de m’asseoir une fois ou deux ce qui permet à Laurent et Stéphane de me rattraper. Je profite de leur train pour me relancer et finalement je les sème assez rapidement. Bizarrement, je n’arrive pas à entrer dans la version compétition de la course. Je suis content d’être là, mais je n’arrive pas à pousser vraiment. J’ai mal aux pieds, mais cela ne devrait pas suffire à me scotcher sur la piste. Je me réconforte en regardant mes temps de passage. Je perds un peu, mais pas beaucoup par rapport à mon objectif maxi. Je me dis qu’en courant sur le faux-plat précédant La Balme cela devrait le faire, mais je n’arrive pas à me faire violence. Cet état étrange se concrétise par une espèce d’indifférence vis-à-vis de ce qui se passe autour de moi. Cela ne me ressemble pas. A la Balme, j’ai moins de 15 minutes de retard sur mon plan à 30h. Mais je prends appui sur ce retard (qui en fait est très réconfortant) pour me dire peu à peu que je n’y arriverai pas. En fait, je m’en aperçois a posteriori en me remémorant ces instants, je décroche sans aucune raison !

 

La montée au col du Bonhomme me convient mieux et je reprends presque sans le vouloir quelques minutes sur mon retard. Peu avant le col, une fusée me dépose littéralement : Laurent qui a repris du poil de la bête monte à une allure que je n’essaie même pas de suivre. Je suis à un bon 800m/h, il est à n’en pas douter à plus de 1000 ! Et quand je réponds à sa question sur où on en est qu’il n’a qu’un quart d’heure sur mon plan à 30h, il remet une couche. Y’a pas de doute, il est au niveau au-dessus !

 

Je suis presque surpris d’arriver au col, j’attendais la traversée finale du névé final … il n’est pas au rendez-vous cette année. Il y a un peu d’air qui me refroidit, mais bizarrement, j’avais plus froid au passage de la Balme. Il y a beaucoup de monde autour de moi. D’ailleurs, cette affluence me gêne. Contrairement à mon habitude, j’hésite à doubler et je reste englué dans les petits groupes qui se succèdent. Décidément, je n’arrive pas à me considérer en compétition. Est-ce le syndrome Transpyrénéenne ?

 

Passé le contrôle de la Croix du Bonhomme, je passe 5 minutes à me oindre de nouveau les pieds de Nok car j’ai très peur pour mes pieds. Je me fais doubler par plusieurs douzaines de personnes que j’angoisse de devoir retrouver dans la descente traditionnellement glissante. Cette descente, je l’entame en dedans, la faute à ces pieds récalcitrants. Je piaffe cependant derrière des petits groupes qui ne se laissent pas passer par un coureur visiblement plus rapide qu’eux. La descente finit par réveiller enfin quelques-uns de mes instincts de compétiteur et je profite de l’élargissement du sentier dans sa deuxième moitié pour doubler plusieurs dizaines de coureurs. A ma grande surprise, je constate aux Chapieux que cette fin rapide m’a permis de battre mon record sur cette descente en 40’.

 

Pour rattraper un peu de mon retard, je décide de passer en coup de vent aux Chapieux. Je croise Zeb qui repart avec moi. Céline nous accueille à la sortie du ravito : Manu n’est pas encore arrivé. J’en suis surpris, vu ma vitesse du jour et ses qualités, je l’imaginais largement devant.

 

Nous avançons en marche (semi-)rapide avec Zeb. Nous devisons un peu, mais je commence à être un peu à l’ouest. Je m’aperçois au bout d’un certain temps que je suis seul. Je ne sais même pas si Zeb est devant ou derrière. Je ne vois pas les frontales devant ni derrière. Pourtant, c’est un des moments magiques de la course, cette longue procession qui va des Chapieux jusqu’au sommet du col de la Seigne. Mais je ne vois rien. Je n’y suis pas. La montée au col fait illusion pendant quelques temps. Je double un tout petit peu de monde à 700 m/h, mais ce n’est qu’un feu de paille. Une fatigue monstrueuse m’envahit. Je ne suis plus du tout lucide. Je somnole en marchant, je titube, je tape dans tous les cailloux (et il y en a !). Je retrouve ces sensations très désagréables qui m’avaient contraint à m’allonger un peu lors de l’Ultrail du Verdon. Je me décide pour le même traitement qui avait fort bien marché fin juin. Je cherche le coin adéquat pour ce repos, mais la pente est forte sur les côtés et l’herbe humide est haute. Après un quart d’heure à tituber en cherchant, je trouve mon petit coin de paradis : une pelouse rase, moelleuse et horizontale. Je m’enroule dans ma couverture de survie qui me protège de l’humidité, mais pas vraiment du froid car elle commence à être usée. Toujours est-il que je m’endors en quelques secondes pour une bonne demi-heure.

 

Au réveil, je bondis et me retrouve sur le sentier, blotti dans ma couverture, en quelques minutes. J’ai perdu 3 bons quarts d’heure, je dois être à plus d’une heure et demie de mon objectif. C’est mal barré ! Mais, confiant dans le gain dû au repos, je pars d’un bon pas et virevolte au milieu des autres coureurs. Je me retourne pour voir la longue enfilade de frontales. Je me sens soudain fort. Et je me jette à corps perdu dans la bataille … et çà dure 4 bonnes minutes. Et là, plus rien ! Plus rien dans les jambes. Elles tremblent, elles ne me portent plus ! Je suis contraint à m’asseoir. En 15 minutes, je m’assoirais au moins 10 fois. Je mange, je bois, je m’encourage, mais rien n’y fait. Je suis scotché.

 

Je laisse passer avec regret de nombreux coureurs. Je fais peu à peu le deuil de toutes mes ambitions. J’ai envie d’un bon lit. Ce n’est pas ma course, ce n’est pas mon année. L’idée d’abandon s’immisce en moi. Je lutte, d’abord sans conviction, mais titillé tout de même par l’idée que je ne dois pas abandonner. Cela m’est arrivé une fois, au Verdon, mais je rampais difficilement sur le plat en pleine chaleur à ce moment-là. Je n’en suis pas là. Et tout à coup, la petite phrase d’Alice commence à jouer sa petite musique (« Tu vas au bout, hein ? »). Cette phrase retentit en moi. Elle me remet en tête les visages pleins d’espoir de toute ma petite famille. Elle me rappelle qu’ils doivent m’attendre en dormant dans la voiture à Courmayeur. Elle me rappelle qu’en aucun cas je ne veux les décevoir. Pris dans ces réflexions, je me suis mis presque machinalement à remarcher. Le gros coup de barre est passé et j’arrive enfin à suivre sans souffrance le rythme des coureurs alentours. Ce regain de confort m’inspire mon nouvel objectif : finir, mais confortablement, profiter, et si possible croiser des potes et les aider le cas échéant à finir. Cette décision de choisir le confort élimine une grosse partie de la pression qui me minait.

 

Enfin se profile le col. Je commence à entrer dans l’ambiance de la course alors que je viens de renoncer à toute ambition. Je descends sur le lac Combal sans forcer, mais en reprenant quelques coureurs. Je suis surpris de voir qu’à ce niveau, peu courent en descente. Je découvre le nouvel accès au ravitaillement. Il me convient mieux que les précédents car il shunte 500 bons mètres de plat qui ne sont jamais à mon avantage.

 

Malgré mon regain de forme, je sens que les jambes ne sont pas vraiment là. Cela se confirme le long du lac où je ne suis pas fichu de courir un seul mètre. La montée au Mont Favre est meilleure, ma vitesse de base est correcte, reste que je dois m’arrêter de temps à autres. J’en profite pour faire connaissance de quelques kikoureurs (Tounik, si je me souviens bien ?) et pour retrouver Christian et Irving qui ont l’air de bien aller. Je croise plusieurs coureurs qui me félicitent pour mes récits, en particulier de la Transpyrénéenne. Cela fait plaisir de voir qu’on n’écrit pas dans le vide !

Au contrôle je prends 7 à 8 minutes pour prendre soin de mes pieds ce qui permet à Virginie de me rejoindre pour une petite discussion bien sympathique. J’attaque la descente tranquillou, les pieds me brûlent, je choisis de courir en souplesse, je double pas mal de monde dont Virginie, Christian et Irving, mais je suis bien plus lent que d’habitude. Cette lenteur me permet de rencontrer pour la première fois la fameuse danseuse du ventre du col Chécrouit. Finalement, cela présente quelques avantages d’être un peu plus en arrière !

 

Il commence à faire très chaud, mes pieds sont douloureux et la poussière est omniprésente. La gorge devient vite sèche avec cette fine poudre que l’on inhale par grandes bouffées. La plante de mon pied droit semble particulièrement touchée. Je marche sur des œufs. J’ai hâte de soigner ces pieds et surtout de voir les visages aimés. Ils sont là à m’attendre juste avant le centre sportif de Dolonne. Ils sont joyeux, mon retard leur a permis de se reposer un peu. Je fais un passage express à l’intérieur et retrouve tout mon petit monde dehors. Les kikoureuses sont là, elles viennent d’encourager leurs favoris qui sont repartis avant mon arrivée.

 

Ma petite famille est partagée entre la joie de me revoir et la déception liée à mon retard. Leur présence me fait chaud au cœur. Je leur explique mon nouvel objectif. Après un bon plat de pâtes et un soin approfondi à mes petons, je reprends la route, escorté dans la zone réglementaire par mes 5 supporters.

 

La chaleur devient accablante, c’est une habitude depuis 3 ans à cet endroit. Je n’aime pas cette longue transition vers le pied de Bertone. C’est un long faux-plat en ville, sur bitume. On traverse un Courmayeur sans passion où quelques passants nous regardent d’un air distrait. Nous devons nous immiscer dans la circulation, sur des secteurs sans trottoirs, traversant des ronds-points à peine balisés, sans sécurité. Bref, malgré la chaleur qui y règne, l’accueil est ici glacial.

 

La montée à Bertone est belle, mais difficile pour moi. Je serre les dents et me donne des objectifs intermédiaires qui sont récompensés par une bonne minute de repos, assis sur la première pierre plate suivant l’atteinte de mon objectif. Je n’aime décidément pas l’effort en pleine chaleur. Ayant opté pour le confort, je n’hésite pas à m’octroyer ces repos. Y compris lorsque, arrivé à Bertone, je trouve une pelouse accueillante et à l’ombre où je fais une petite sieste de 15 minutes.

 

Quand je repars je croise Virginie, Christian et Irving qui arrivent. Ils avancent bien. Je suis content pour eux. Pour ce qui me concerne, pas de réelle embellie. Je ne cours pas un seul mètre de cette section que j’avais courue quasiment intégralement l’an dernier. Les pieds me brûlent, je n’ai pas envie de me faire mal. D’ailleurs, j’ai décidé de ne pas me faire mal.

 

Je trouve Zeb assis dans l’herbe, il a l’air sorti de la course. Il me dit attendre ses potes de Reims avant de se décider à continuer ou non, mais je ne le sens pas très convaincu. Il me dit que Runstephane est juste devant. Il doit avoir sacrément ralenti et je pense le rattraper sans même me dépenser plus que cela. C’est Christian et Irving qui me dépassent dans un premier temps et je retrouve tout monde au bord d’un torrent, en train de se rafraîchir. Nous laissons Stéphane prendre soin de Julia, éplorée, qui visiblement a un gros coup de moins bien. Il nous rejoint et nous arrivons ensemble à Bonatti. Nous nous installons à l’ombre avec Stéphane et prenons un peu de bon temps. Christian part devant, je ne le reverrai pas.

 

Stephane a de plus en plus de mal à se convaincre qu’il ira au bout. Je l’attends et l’encourage, mais le mal de l’abandon le ronge. Phil monte à sa rencontre pour l’aider. Nous échangeons quelques mots puis je pars vers Arnuva où j’espère trouver un podologue. A Arnuva, l’ambiance est à l’abandon. Souffrant de la chaleur, de nombreux coureurs s’arrêtent là. Je suis surpris de rencontrer Valery qui s’est arrêté plusieurs heures auparavant, il n’avançait plus. Khanardo et P’tit jean arrivent bientôt. Je me fais masser, Stephane pique un petit roupillon. C’est un peu la démobilisation.

 

Un autre Stéphane, Surfboy nous rejoint bientôt. Bref, c’est un repère d’UFOs et de kikoureurs ! J’essaie de convaincre Stephane de se rallier à ma stratégie : rejoindre Champex assez vite pour avoir le temps de dormir 2 heures et finir ainsi avec la pêche. Peine perdue. Nous repartons ensemble, mais il prend déjà de nombreuses précautions oratoires pour préparer son abandon.

 

Pour moi, c’est le début d’une renaissance. La montée au col Ferret se passe assez bien. Surtout, je diminue franchement le nombre de pauses. Je croise Irving qui redescend, malade. Arrivé en haut, j’attends Stéphane qui a décroché dans les derniers hectomètres. Nous entreprenons la descente à bonne vitesse. Je suis seulement limité par mes pieds qui brûlent. Je double pas mal de coureurs, je reprends goût à la course. Ayant à satisfaire un besoin naturel, je pars devant jusqu’à la Peule. Je prends bien 10 minutes à Stéphane sur cette partie. Je l’attends donc assis dans l’herbe et quand il arrive il me déclare qu’il a trouvé son remplaçant pour faire binôme avec moi : Tom, alias Rémy, qui souhaite aussi dormir un peu à Champex. Je sens qu’il serait vain de trop insister pour remettre Stéphane dans le droit chemin. Quelques mots de circonstances et je laisse derrière moi cet agréable compagnon et j’entreprends de faire connaissance de Rémy.  Le contact passe tout de suite. C’est un gars simple et ouvert. Nous faisons rapidement cause commune et c’est bien agréable de ne pas être seul (ce que je recherche pourtant quand je suis en version compétition).

 

Nos relais s’enchaînent naturellement. La discussion est entrecoupée de quelques moments de silence. L’équilibre est parfait. Je croise la Girafonne (Annaëlle), signe que notre bon Sam est encore sur les chemins. J’en suis fort aise, son désarroi suite à son abandon lors du GRR m’ayant touché. Nous avançons d’un bon pas sur ce nouveau passage pour rejoindre La Fouly, bien plus intéressant que celui sur la route, mais assez exigeant avec ses relances puis sa descente raide pour aller franchir le torrent. Nous rattrapons peu avant le village une masse compacte de coureurs (une grosse vingtaine) que nous doublons. J’échange quelques mots avec Brigitte qui est bientôt rejointe par un jeune supporter qui lui tend les bras.

 

Moi, je dois aller jusqu’au ravito pour retrouver les bras de ma petite famille qui a dû trouver le temps long à m’attendre à La Fouly. Cela fait un bien fou de les revoir. Ils sont souriants et enjoués, même s’ils sont un peu affamés, ayant payé et mangé au ravito une raclette composée de 2 petites pommes de terre format noix, une bouchée de fromage fondu et un cornichon ! Limite scandaleux ! Mais ils n’ont pas osé râler, la mauvaise réputation des Français à l’étranger en sera pour son compte.

 

Je retrouve les quelques coureurs avec lesquels nous nous croisons depuis quelques temps, Surfboy, Khanardo et P’tit Jean. Nos contacts deviennent complices, cela est très sympa. Alice aimerait continuer à me rejoindre à chaque ravito, mais les enfants aimeraient dormir correctement et Guillaume et Michel, tous deux pris par les barrières horaires, sont à la porte de chez nous. J’indique à Alice que j’ai décidé de dormir à Champex et qu’ainsi elle aura le temps de ramener tout le monde à St Nicolas pour une nuit normale. Elle regrette de moins partager la course avec moi que les autres années, mais s’en remet à l’avis des autres. Les bisous sont chaleureux au moment où je pars rejoindre mes complices pour une section qui ne me réussit pas forcément.

Il fait doux malgré la disparition du soleil derrière les montagnes. Nous commençons doucement, mais peu à peu s’installe un jeu implicite entre nos trois duos et notre rythme s’emballe. Les corps répondent bien, il est très agréable de courir. Nous laissons Khanardo et P’tit Jean derrière nous et nous retrouvons bientôt à 4 à bonne allure. A l’occasion d’une légère descente, Stéphane Surfboy mène notre troupe et piétine derrière 5 ou 6 coureurs. Je lui demande s’il se sent de doubler. Cette demande agit comme un catalyseur ! Non seulement il double les 6 d’un coup, mais ensuite il prend un relais de mammouth. Et nous voilà tous 4, la nuit tombée à courir à 11/12 km/h sur certaines parties planes, en particulier la fameuse moraine rectiligne qui précède Praz de Fort. On double à qui mieux mieux. On ne s’arrête pas sur 6 à 7 km effectués à un rythme tout à fait réjouissant. A Praz de Fort, Stephane et son copain sont rejoints par une de leur connaissance et ils décrochent un peu. Nous continuons sur un rythme correct avec Rémy, y compris dans la montée à Champex qui passe comme par enchantement. Nous espérions mettre 3 heures pour cette section, nous mettons moins de 2h30 ! Et facile en plus ! J’en finis par me demander si c’est un bon plan de s’arrêter dormir comme prévu. Nous sommes tellement en forme à ce moment ! Je suis entré tardivement dans la course, mais là j’y suis enfin bien. Il n’y aura pas de performance, mais il commence à y avoir un sacré plaisir. Merci à mes compagnons de course qui y sont pour beaucoup.

 

Nous sommes allés tellement vite que je surprends Alice qui s’est endormie avec les enfants dans la voiture en m’attendant. Nous partageons les derniers instants de la journée avec elle et Marion, les 3 autres étant restés dormir, ils sont fatigués les pauvres. J’aime ces moments de convivialité. Je me sens tellement proche de ma famille à ce moment !

 

Nous convenons avec Remy de notre heure de réveil et lui dit que je passe d’abord par les kinés, j’ai dit que je voulais finir confortablement !

 

Je laisse partir Alice et les enfants avec l’assurance qu’ils seront encore radieux pour franchir la ligne d’arrivée demain avec moi.

 

Les deux jeunes kinés sont super sympas et font un boulot remarquable. Je m’endors presque sur la table, j’ai les jambes bien plus souples que d’habitude. Par contre, j’ai demandé des soins, parce que j’ai des douleurs étonnantes que je considère comme superficielles. En fait mes muscles sont très sensibles au toucher et me font mal lors de chocs au sol du fait de vibration. Aucune douleur liée à la contraction. C’est étrange ! Ces douleurs plus les pieds en feu continuent de limiter ma vitesse en particulier en descente, mais ma forme générale compense en partie.

 

Quand je vais me coucher, je ne trouve pas Rémy, mais plusieurs coureurs sont enfouis sous les couvertures. Je me dis que nous nous retrouverons au réveil puisque nous avons convenu de l’heure. Malheureusement, ce ne sera pas le cas, Rémy est introuvable à mon réveil . Je cherche partout. J’apprendrais plus tard qu’il y a avait une deuxième tente dortoir ce que ni lui ni moi ne savions. Tant pis ! J’ai perdu un bon camarade de jeu.

 

Je m’enfonce néanmoins dans l’obscurité avec moins d’une heure et demi d’avance sur la barrière horaire. Rapidement je croise un grand échalas, suivi d’une jeune femme avenante coiffée d’une casquette UFO. Je mets quelques secondes à réaliser puis je tente un timide « Sam ?». Le grand escogriffe se retourne : c’est bien lui. Ben voilà, il est tout trouvé mon nouveau compagnon ! Il a dormi dans sa voiture et rebrousse chemin sur quelques mètres pour aller aux toilettes et faire le plein d’eau. Je l’attends et nous attaquons ensemble le long plat précédant Bovine. Nous devisons de chose et d’autre. L’animal est très sociable et éminemment sympathique. Je suis obligé de m’arrêter deux fois pour essayer de trouver une solution à l’échauffement qui devient insupportable sous mon pied droit. Une petite ampoule profonde, sous une épaisse couche de corne, en plein dans un pli me fait souffrir le martyr. Et pas moyen de la crever ! Peine perdue, nous repartons et redoublons les quelques coureurs qui avaient profité de nos arrêts.

Nous voici enfin au pied de la fameuse montée. Sans se parler, je sens que Sam prévoit de se caler dans ma foulée. Je connais bien la montée et cela doit le rassurer de se fier à mon expérience. Nous prenons un bon rythme à 800m/h régulier et nous doublons de nombreux coureurs. Le rythme est bon et je suis confortable. Pas besoin de m’arrêter, c’est le jour et la nuit avec la veille. Sam se signale dans mon sillage par les bips répétés de sa Suunto qu’il n’arrive pas à arrêter. Il décroche un peu sur la fin de la montée, mais n’est pas loin. Comme mes pieds me font souffrir sur le plat, le marche jusqu’au ravito où Sam me rejoint, enjoué. Le spectacle des lumières de Martigny dans la vallée est toujours aussi beau. Il fait frisquet à attendre, j’accélère un peu notre passage auprès de la soupe et reprenons à un bon rythme. La descente nous permet de reprendre encore de nombreux coureurs, même si je cours bien moins vite que l’an dernier, échauffements obligent. Sam décroche un peu à nouveau. Je l’attendrai au ravito de Trient, où je retrouve Brigitte qui s’impatiente car son fils qu’elle accompagne prend un peu trop de temps aux soins. Elle s’inquiète des barrières horaires car elle se trouve lente.

Sam et moi traînons un peu avant de reprendre la route pour l’avant-dernière difficulté du parcours. Le jour point et le moral est au beau fixe. La montée est confortable à 800m/h. Sam suit, toujours accompagné de son bipbip. Si mes pieds me laissaient tranquille, ce serait le paradis.

Pour la première fois, je vois Catogne de jour. Je ne regrette pas le panorama, c’est très beau. Je profite du paysage et du fait que je me sens très frais, ce qui comparé à l’état moyen des coureurs qui sont avec moi me donne un avantage considérable. Bref, je double et je me sens bien. Si bien que je ne vois plus de raison de ne pas continuer sur cette lancée. Sam me semble sur les bons rails, mais il décroche régulièrement. Je peux accélérer et mes pieds demandent à faire relâche. Je suis partagé entre le plaisir de finir à ma vitesse, enfin, et celui de poursuivre un bout de chemin avec Sam, alternative bien sympathique. Je décide de partir devant, ce que j’indique à Anaëlle que je croise dans la descente, Sam m’y ayant invité à plusieurs reprises.

 

Mon esprit de compétiteur se réveille alors et mon challenge du moment est de rattraper un maximum de personnes à partir de maintenant. Après un petit arrêt surprise dans la fin de la descente où je discute avec Paulo et Isa qui finissent la PTL, je passe vite Vallorcine où je recroise Khanardo et P’tit Jean qui sont assis en compagnie du Blueb’. La montée au col des Montets se passe en souplesse. J’appelle Alice pour lui signaler mon heure approximative d’arrivée. Et j’attaque la rude montée de la Tête aux Vents. La pente permet des vitesses ascensionnelles remarquables puisque j’atteins les 1000m/h. Il fait beau mais pas trop chaud. A mi-distance, je me trouve englué dans un groupe qui me ralentit, mais deux randonneuses d’environ 50 ans font la discussion. C’est bien sympa et je décide de rester dans ce groupe. Celui-ci se disloque au fur et à mesure de la montée, mais mes deux quinquas font fort et suivent tranquillement en discutant. Le replat de la réserve des Aiguilles Rouges est un paysage remarquable, typique de la montagne que j’aime. Nous sommes accueillis par des bouquetins qui broutent à 2 m de nous. La vue sur le Mont-Blanc se dégage, les nuages nombreux ayant tendance à s’écarter. Cette fin est un joyau. Je frémis de bonheur. Le début de la descente vers la Flégère est amusant. J’accélère franchement, doublant allègrement les coureurs, j’entends derrière moi arriver mes deux randonneuses tranquilles, qui rigolent en disant : « Mais c’est qui voulait s’échapper celui-là ! ». Limite humilié ! Mais c’était particulièrement sympa. Elles s’arrêtent chez Roger ou chez Paco (enfin je ne sais plus bien) qui leur propose un petit pastis. Une mère bouquetin et ses petits gambadent  mes côtés et font montre de toute leur dextérité sur les blocs longeant le sentier .

 

Moi je continue et arrive plus de dix minutes plus tôt que le meilleur temps annoncé par un bénévole à la Tête aux vents. Ah, si j’avais eu cette forme hier !!

 

Patrice attend Brigitte au ravito de la Flégère. Je ne m’y attarde pas, fidèle à ma résolution. Après une légère remontée j’attaque la dernière descente. Je n’aime pas le début sur une piste caillouteuse. Enfin nous rejoignons une monotrace et là je lâche les chevaux,  uniquement ralenti par l’état de mes pieds. Par contre, mes jambes répondent parfaitement. Je doublerai 44 coureurs dans cette partie bien agréable quand on la fait pas trop entamé. En approchant de Chamonix, la densité de spectateurs croît, les encouragements aussi. Je savais que Marion, ma grande, m’avait envoyé un SMS que je n’avais pas encore lu. Je prends la peine de le lire avant de la revoir pour lui montrer mon intérêt. Et là le message que je lis me touche profondément. En cette fin d’UTMB, nous sommes presque tous chargés d’émotion. Mais là, avec ce message, c’est le trop plein. Au même moment, de simples spectateurs m’accueillent tel un héros. Je fais semblant d’y croire … et surtout je succombe avec délice à ce violent accès de sentiments. Ma vue s’embue, les visages d’Alice et des enfants défilent devant mes yeux, radieux, les mots de ma fille se bousculent dans ma tête. Je comprends à ce moment pourquoi j’ai fini cette course malgré l’absence de performance.

A ce moment-là je vis intensément et je vis intensément avec ceux que j’aime. C’est ce que m’apporte l’ultra bien au-delà de ce que m’apporte le quotidien. Je souris béatement en pensant au franchissement à venir de la ligne d’arrivée avec les miens. Des larmes chaudes coulent sur mes joues poussiéreuses. Je passe le dernier coup de fil de calage avec Alice ... et là coup de théâtre ! Alice est tombée en panne à quelques encablures de Chamonix, rupture de câble d’accélérateur. Quelle guigne ! Michel qui la suivait a pu prendre les enfants qui se dirigent vers le Triangle de l’amitié. J’espère qu’Alice arrivera à nous rejoindre. Pour une fois que je finis avec des spectateurs (les 2 années précédentes c’était 5h30 et 3h30 !), j’aimerais tout partager avec Alice. A l’entrée dans Chamonix, Guillaume est là, il me rassure pour les enfants qui m’attendent juste avant la ligne.

Je lui demande de s’assurer qu’une caméra permettra à Alice de voir l’arrivée qu’elle aura manquée. La foule est délirante ! C’est réellement émouvant. Cela donne une saveur incomparable à ce que l’on vient de réaliser. A force de courir des courses hors normes, on finit par les banaliser. Le regard de ces spectateurs admiratifs nous rappelle qu’il s’agit tout de même de course un peu au-dessus du lot.

Les applaudissements fusent de toutes parts, j’ai une foulée longue, efficace et souple, je profite à plein. Les enfants sont soudain là, près de moi et nous courons ensemble, le sourire éclatant au visage. J’ai un pincement au cœur en constatant qu’Alice n’a pas réussi à arriver à temps, mais l’enthousiasme des enfants est communicatif. Surtout que je vois Alice juste après la ligne d’arrivée. Elle est là pour m’accueillir et elle a pu entendre l’ambiance de l’arrivée, c’est mieux que rien. Il nous restera tout de même se petit regret de ne pas avoir franchi l’arrivée main dans la main,  mais l’émotion reste très forte. 771ème en 42h10. J’ai gagné 300 places depuis Champex. Je finis sans blessure, une première, je n’ai pas les jambes dures. Je suis en très bon état et c’est aussi sympathique de pouvoir profiter à plein de la fête qui s’ensuit.

 

Les potes sont nombreux sur la ligne d’arrivée. Je voudrais parler à tous, mais pas assez de temps. Nous profitons autant que possible de l’ambiance chaleureuse de Chamonix. Après la douche, un bon tartare frites sur une terrasse jouxtant le parcours d’arrivée nous permet de nous reconstituer tout en profitant de l’arrivée des derniers. J’ai loupé celle de Sam, j’étais sous la douche. Un petit regret, car après avoir partagé plusieurs heures en sa délicieuse compagnie, j’aurais aimé le fêter dignement à son arrivée.

Enfin arrive une des icônes de l’ultratrail, Jean-Marie (Akunamata). Il a morflé le pauvre. Cela se voit et il est accueilli par une acclamation plus forte encore que les autres finishers. Le public se met à applaudir en rythme. Blessé au genou, il a descendu plus du tiers de la dernière descente en marche arrière. Cet UTMB est une première pour lui, et sa réussite m’émeut. Sa venue sur la Transpyrénéenne nous a rapprochés et je suis presque fier de son arrivée.

 

La fête se termine doucement et je m’emplis la tête de souvenirs et d’émotions. L’année prochaine, j’aimerais pouvoir rendre la monnaie de ses nombreuses pièces à Alice et l’aider à franchir les derniers mètres de la CCC qu’elle envisage de courir. A mon tour de me mettre à sa disposition, elle le mérite bien.

 Merci encore aux Poletti et à tous les bénévoles pour la réussite de notre fête nationale à nous les traileurs.

14 commentaires

Commentaire de L'Castor Junior posté le 09-09-2008 à 00:38:00

CR parfaitement écrit, comme toujours, mais forcément plus chargé en émotions que d'autres auparavant.
Merci à toi Olivier de nous les faire partager aussi intimement.
Et bravo d'avoir terminé dans ces conditions, pas forcément très faciles.
Je suis déçu de ne t'avoir quasiment pas vu cette année. A charge de revanche !

Commentaire de Tercan posté le 09-09-2008 à 08:24:00

700ème en faisant la course 'en dedans', ça laise reveur quand meme :)
Bravo d'avoir eu la motivation et le caractère d'aller au bout alors que ton objectif était perdu !!!

Commentaire de Jerome_I posté le 09-09-2008 à 09:01:00

Bravo pour ton CR, la fin est très émouvante, on est avec toi, on est au milieu de ton cervau au milieu de tous ces sentiments... Bravo pour ta course.

Jérome

Commentaire de laurent05 posté le 09-09-2008 à 09:14:00

bravo pour ta course merci pour ton récit
quand la compétition laisse place au plaisir
ce n'est pas mal non plus
bonne récup
au plaisir
laurent

Commentaire de frankek posté le 09-09-2008 à 09:30:00

bravo pour ta course ! j'aime bien cette notion " plaisir " ça a du bon parfois ! ton réçit est sympa ! récupère bien...

Commentaire de Bicshow posté le 09-09-2008 à 10:23:00

Waouh bravo on a l'impression d'y etre, beau CR, belle course encore bravo !!

Commentaire de MiniFranck posté le 09-09-2008 à 11:47:00

Merci pour ce joli CR plein d'émotions. Tu as bien fait t'accrocher. Félicitations

Commentaire de rapace74 posté le 09-09-2008 à 12:19:00

merci pour ce cr olivier !!!

désolé de t'avoir doublé pendant que tu faisais de jolis reves de la belle montagn'hard !!!

a bientôt dans et sur une réunion!!

manu

Commentaire de taz28 posté le 09-09-2008 à 19:35:00

Ce sera bien la première fois que l'on te voit, (vous voit) aussi peu et aussi rapidement !!!
Mais j'ai été heureuse de voir ton départ et de constater que tu as fait une bien belle course malgré les étapes antécédentes....

Tu n'as plus qu'à récupérer et rêver...

Bisous à toi et Alice !!

Taz

Commentaire de JLW posté le 09-09-2008 à 21:28:00

Ton récit ressemble un peu (toute proportion gardée ... ) à ce que j'ai vécu sur le CCC. Une première partie un peu difficile et une fin presque euphorique (mon cr ne va pas tarder ...).

Je t'ai vu à la Fouly et tu m'as dit que tu avais un gros coup de mou depuis St Gervais ... Enfin pas tout à fait à en croire ton cr.

Merci pour ton beau témoignage d'une course hors norme qui en fait rêver plus d'un.

Commentaire de manu26 posté le 09-09-2008 à 23:02:00

Salut Olivier,
ce qui m'impressionne le plus, c'est la force (les raisons ?)que tu as trouvé pour continuer une course qui n'était plus celle que tu t'étais batie au fil des semaines.
Et pendant ce temps-là (certes un peu avant), Marco renonçait à Vallorcine...
Bravo à toi.

Commentaire de Khanardô posté le 10-09-2008 à 13:26:00

Sans forcer tu me mets 1/2 heure et tu appelles cela finir sans permormance !
Bon, ça va, je te pardonne car ton récit est excellent !
Mais que je ne t'y reprenne plus !
;-)))
Et bravo pour ton mental, beaucoup pourraient finir s'ils en disposaient d'à peine la moitié !
Alain

Commentaire de ptijean posté le 11-09-2008 à 18:22:00

Courageux d'avoir fini en etant si loint de tes objectifs, et heureux de t'avoir croiser .A bientôt

Jean-françois

Commentaire de Hippolyte30 posté le 24-09-2008 à 22:55:00

J'ai un gros regret par rapport à ta course : ne pas avoir pris le temps d'observer les danseuses du ventre au Col Checrouit ?! A part ça, bravo pour le tempérament dans le Col de Seigne. ce n'est pas à la portée de tout le monde. A te lire, on sent aussi toute l'importance d'être accompagné sur un Ultra et je plains les coureurs qui viennent seuls sur ce genre de course. Bisous à toute ta "famille formidable".

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Votre annonce ici !

Accueil - Haut de page - Aide - Contact - Mentions légales - Version mobile - 0.04 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !