L'auteur : Anne-Laure_70
La course : Ultra Trail du Mont-Blanc
Date : 1/9/2017
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
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Distance : 168km
Objectif : Pas d'objectif
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273 autres récits :
Ultra-trail du Mont Blanc, du 1er au 3 septembre 2017
Que dire de cet euh… évènement ? L’UTMB, parait-il, serait LA course qu’il faut avoir faite une fois dans sa vie sous peine de passer pour la dernière des pommes ? Alors j’y suis allée et… comment décrire cela ? Quels mots, quel ton et quelle forme utiliser ?
Depuis le temps que je participe à des ultra-trails uniquement pour le plaisir, tout le monde me parle de l’UTMB comme le nec-plus-ultra de la discipline, 170 km et 10'000 m d+. Pour y participer, il faut tout d’abord récolter des points sur d’autres courses. Je me suis aperçue fortuitement l’an passé que j’avais déjà 8 points en 2 courses dans mon escarcelle virtuelle sans même le vouloir. Alors je me suis dit : pourquoi pas moi ? Alors vite une petite course à 1 point pour avoir le compte (ici : https://christophequibouge.wordpress.com/2016/10/01/trail-des-patrouilleurs/ )
Je me suis donc inscrite un peu par hasard pour le tirage au sort et j’ai été sélectionnée du premier coup ! En même temps, en tant que féminine et étrangère, plus précisément Suissesse, je pense que mes chances « au tirage au sort équitable par une blanche main innocente » sont plus grandes que pour un candidat masculin français
Après diverses péripéties dans mon entrainement, (http://www.kikourou.net/recits/recit-19715-swiss_irontrail_t_201-2017-par-anne-laure_70.html ) j’ai donc décidé de tout miser sur cet UTMB pour cette saison 2017. Mon objectif : terminer si possible, mais surtout de faire au mieux et on verra bien, surtout que la météo annoncée est très défavorable. Cela ne va pas être simple au vu des barrières horaires hyper serrées (pour moi), en tous cas au début de course et avec ce monde qui sera présent. Mais j’ai reconnu tout le parcours et je sais que les BH du début sont à ma portée si je gaze et que rien de fâcheux ne me retarde.
Chamonix
Nous arrivons à Chamonix le jeudi après-midi déjà pour limiter le stress et la fatigue, et trouver où parquer le bus pour y dormir.
Les formalités se passent plus vite que ce que j’avais imaginé. C’est ma première course qui effectue autant de contrôles et de formalités avant le départ. Ceci dit, c’est aussi ma première course en France. J’ai eu par exemple de la peine à croire que mon ravitailleur aurait vraiment besoin d’un ticket avec code à barre pour avoir le droit de venir m’assister. C’est visiblement la rançon du gigantisme. Mais tout ceci est finalement vraiment bien organisé, on voit l’expérience de l’organisateur et il y a peu de monde devant moi dans la file.
C’est mon tour : on me sort une liste du matériel obligatoire qui sera contrôlé. Je dois présenter couverture de survie, gants, téléphone, collant long et veste. La dame qui contrôle regarde que mon collant n’a pas de trou (?) et trouve jolis les gants ainsi que les surgants Mammut Goretex que je prends toujours avec moi. Bien vu cette combinaison, me dit-elle.
-Oui, mais au vu de la météo prévue, ce sera même de vrais gants de ski-alpinisme en plus dans le sac dès les Contamines.
La bénévole est charmante et est étonnée que ce soit la première fois que je vienne ici.
-Oui, il faut dire que ce n’est pas si simple d’être là.
-C’est pourquoi on n’a pas le droit d’abandonner alors.
-En effet 😊…
Grâce à ma feuille dûment timbrée et signée, j’obtiens mon enveloppe avec mon dossard, ma puce pour le sac et les autorisations pour mon ravitailleur.
Suite au prochain poste avec un aimable bénévole italien qui me fixe la puce au sac, me met mon bracelet rouge UTMB au poignet, ce que je n’aurais assurément pas réussi à faire moi-même 😊. Puis dernier poste où je reçois des sacs poubelle et un T-Shirt. Merci à tous ces bénévoles prévenants et qui ont fait que la prise du dossard s’est passée rapidement et sans prise de tête.
Nous allons ensuite chercher ma balise GPS au stand Dotvision et profitons de passer jeter un œil au salon du Trail. Juste pour voir en gros ce qu’il y a car nous n’avons pas forcément l’envie d’acheter quoi que ce soit à ce moment-là.
Nous avons pu parquer à un tout petit kilomètre du centre de Chamonix. Nous dormons sur place et passons le vendredi tranquillement.
SMS de l’organisateur : météo annoncée très mauvaise, pluie, neige et vent, température ressentie sur les hauts de moins 9°, s’équiper en conséquence. Secteurs Pyramides Calcaires et Tête aux Vents supprimés. Heure de départ repoussée de 30 minutes, ainsi que les premières barrières horaires. C’est ce à quoi nous nous attendions en fait, car ces deux passages dans la neige ne m’inspiraient que modérément.
16h00, derniers préparatifs, puis nous nous dirigeons vers la dépose du sac d’allègement et le départ. Nous sommes étonnés de voir autant de concurrents aussi légèrement habillés au vu des 13° actuels, du vent et de la météo annoncée.
Super Ravitailleur me laisse, il se met en route car il ne veut pas être bouchonné pour se rendre aux Contamines.
Départ
Et les choses désagréables commencent. Les coureurs sont répartis n’importe où n’importe comment au milieu des spectateurs, ou inversément. Il n’y a pas de sas ou de bloc réservé uniquement aux coureurs. Qui debout, qui assis, qui à se faire contrôler. Un concurrent anglais assis à côté de moi en a été quitte de refaire complètement son sac car il a dû sortir TOUT le matériel obligatoire. Mais si ça chante à certains de partir en slip et avec un sac vide, pourquoi ne pas les laisser faire ?
Cinq minutes avant le départ, il y a encore des spectateurs qui tentent de se faufiler parmi la masse de coureurs. Je m’attendais aussi à beaucoup plus d’émotions suite aux récits que j’avais lus. En fait il y effectivement les Chariots de Feu en fond sonore, quelques trailers qui lèvent les mains, mais pas de compte à rebours ni de coup de feu : un simple « GO » ... et rien, du surplace.
Il y a vraiment beaucoup de monde, il me faut 2’30 pour passer l’arche de départ, cool déjà ça de perdu sur la barrière horaire. Je n’étais pourtant pas si mal placée là où j’étais. Mais il faut aussi compter avec le cortège qui suit. Au pas, à saluer la foule pendant 10 minutes. Bon, on y va là ? C’est donc 12’30 déjà de perdu sur la première barrière horaire, un gros stress pour moi à courir pour essayer de limiter le retard sur mon roadbook très serré du début de course. En effet, j’avais calculé 12 minutes d’avance sur la BH de St Gervais et une seule petite minute sur celle des Contamines.
Route goudronnée jusqu’aux places à pic-nic où nous prenons la route forestière. Au moins, c’est large et tout le monde peut courir à son rythme sans bouchonnage excessif.
Arrivée aux Houches en 1 heure, ou plutôt 47 minutes 30 secondes si je décompte le bouchon du départ. Ça va, je limite les dégâts, mais au prix d’un gros effort. J’ai tout couru sauf les deux petites montées plus raides. Une minute au ravito pour remplir les flasques et on repart à plat sur 1 km avant d’attaquer la montée du col Voza.
Sur une route la plupart du temps, ça bouchonne un peu dans les sentiers qui coupent les virages. Il y encore beaucoup de spectateurs qui nous encouragent ainsi que le photographe. C’est sympa 😊.
Avant le Delevret, la nuit commence à tomber et la lampe s’impose. Un groupe de concurrents asiatiques avancent bruyamment sur le long plat qui nous amène au sommet de la descente sur St-Gervais. J’hésite d’abord à les doubler mais reste finalement derrière car ils descendent à bonne vitesse, et comme nous sommes dans le brouillard, cela me donne un peu plus de visibilité.
Un rapide thé à un ravito sauvage (? pourtant ils sont bien équipés sous leur tente) au milieu de la descente, puis voilà St-Gervais. Mon chrono est un peu décevant. Je m’étais un peu perdue lors de la reco de cette descente, et ce soir j’ai mis le même temps. Bien qu’il soit déjà 22h11 (BH : 22h30) et que je sois quasi antépénultienne ou préantépénultienne (non, ce ne sont pas des insultes du capitaine Haddock 😊), il y encore beaucoup de spectateurs et les encouragements sont les bienvenus. Rapide remplissage des flasques, un bout de barre Oversim’s et c’est reparti pour les Contamines où mon ravitailleur m’attend 😊.
Lors de la reconnaissance de cette partie, j’avais zappé toute une portion dans la forêt. Ça commence par un petit raidard et ça continue par un sentier assez sympa. De nuit, c’est vraiment très différent, je n’ai pas retrouvé toute la portion à côté de la pisciculture et finalement j’arrive aux Contamines en ayant l’impression d’avoir découvert ce tronçon.
Les Contamines, 00h08
Mon ravitailleur est là en pleine forme 😊 et vu ma marge très réduite, il a réglé son chrono pour qu’il sonne à 3 minutes de la BH de 00h30 (donc ça sonne à 00h27, faut suivre !). L’infrastructure n’est pas pratique et très sale. Je me prends un café et nous nous trouvons une petite place sur un banc pour que je puisse me changer le haut, enfiler un collant long et changer les chaussettes/chaussures, manger un bout de sandwich et repartir avec mon sac dûment apprêté. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû m’abstenir de me changer.
A la sortie du ravito, le speaker m’encourage et m’informe que je suis bientôt chez moi (ndlr la Suisse) ! Oui, oui, à quelques encablures quand même…
Traversée des Contamines en trottinant et nordic walking soutenu jusqu’à Notre Dame de la Gorge dans les temps prévus. Jusque-là, je suis toujours avec 5 ou 6 autres participants, un peu derrière, un peu devant, on se rattrape, se dépasse, rejoint d’autres mais sans jamais se marcher dessus. C’est finalement moins pire que ce que je pensais. Et ce jusqu’à la Balme.
La Balme 2h05
Et là ça commence à être l’Enfer. Les tentes sont blindées de monde. Cela devient compliqué d’accéder à quelque chose pour remplir les flasques et encore plus pour attraper du solide. En plus, il y fait une chaleur insoutenable. Je décide donc de manger une barre sur un des bancs dehors (de l’alpage, pas de l’organisation) et repars très vite.
Depuis ici, le sentier devient étroit et accidenté et c’est à la queue-leu-leu que nous poursuivons. Ça n’avance pas assez vite à mon goût mais comme il y a plus de 6 personnes devant moi, je reste derrière. Je monterai donc jusqu’au col du Bonhomme sans jamais être à mon rythme, car soit je reste derrière un groupe soit je double au forcing lorsqu’il y en a moins de trois devant et pour ensuite boucher les trous. Le tout en force sur les bâtons pour ne pas glisser car tout est bien boueux. Le rendement est de 70% : 1 m en avant, 30 cm de glissade en arrière. Je perds du temps sur mon roadbook.
La traversée entre le col et le refuge se passe pas trop mal sachant que c’est plus technique, qu’il fait nuit et que c’est assez glissant.
Refuge de la Croix du Bonhomme 4h12
J’ai perdu 30 minutes sur mon roadbook, ça va être serré pour la BH suivante. Après un changement des piles de la lampe avec une bénévole super sympa, c’est reparti pour la descente dans le brouillard. Il n’y a pas trop de monde et je peux prendre à mon rythme, c’est mieux. Au milieu de la descente, des gens ont installé un camp avec un grand feu et encouragent avec enthousiasme : merci !
Les Chapieux 5h17
Arrivée aux Chapieux, 28 minutes d’avance sur la BH, rebelote : tente débordante de monde et surchauffée. Vite un remplissage des flasques sans m’attarder, avec l’idée de manger pendant la montée jusqu’à la Ville des Glaciers (qui comme son nom ne l’indique pas est un petit hameau très joli (de jour…)) (Il me faut bien faire attention à refermer toutes mes parenthèses…).
Sauf que re-mauvaise surprise : on ne passe pas par la Ville des Glaciers. Après un km sur la route, on la quitte et on emprunte le sentier vers la droite !?! Mais oui, le balisage est très clair, grrr !!!
Je n’avais jamais lu dans les récits qu’on prenait ce sentier, et pas vu ça sur les cartes officielles de l’organisateur non plus. A entendre les commentaires d’autres participants, je ne suis pas la seule à m’en étonner.
Ça commence par redescendre au fond vers la rivière, que nous traversons, puis remontons, redescendons, remontons sec pour redescendre aussi sec jusqu’à la bifurcation Ville des Glaciers / col de la Seigne. En plus, comme c’est un sentier monotrace, pas moyen de doubler et d’aller à son rythme. On y perd un temps fou par rapport à une montée directement par la route goudronnée. J’en suis assez contrariée, ma marge sur les BH suivantes ne va certainement pas s’améliorer de cette façon. Et sur ce sentier, je ne peux pas me nourrir de la façon que j’avais prévu.
Enfin, j’arrive sur le chemin hyper roulant qui mène au col de la Seigne, avec d’autres participants mais de nouveau on ne se marche pas dessus, c’est agréable. Il y en a qui redescendent pour abandonner. C’est vrai qu’on ne voit pas du tout où on va dans le brouillard et cette montée peut paraitre interminable. C’est assez boueux mais ça glisse moins qu’au col du Bonhomme car la pente est moins raide.
Col de la Seigne 8h09
Enfin le sommet, une tente, des bénévoles. 1h12 de retard par rapport à mon tableau de marche ! Et il ne faut pas espérer regagner du temps avec l’évitement du détour par les Pyramides Calcaires, car la BH suivante a été avancée d’une heure.
Nous descendons donc directement sur le lac Combal, pas très rapidement pour moi sur les singles glissants et sur la route carrossable ensuite. J’ai de la peine à trottiner et l’estomac ne va pas très bien, car depuis le départ, je n’ai ingurgité que du liquide et très peu de solide, le stress n’arrangeant rien. Je pense faire une pause au lac Combal mais il me faut d’abord y arriver avant la BH.
Lac Combal 9h03
Pour la pause, ben non, ce sera plus loin, c’est de nouveau blindé de monde, les bancs dehors sont tous occupés. Heureusement que le soleil s’est levé et qu’il ne pleut pas. Pour les toilettes, bonjour la vision d’horreur. Celui qui en sort à l’instant s’excuse en précisant que ce n’est pas de son fait… (ou ?)
Ma marge en arrivant est de 27 minutes. En fait j’ai 8 minutes de retard par rapport à mon roadbook, mais sans passer par les Pyramides Calcaires, aie aie aie : pas terrible la Anne-Laure aujourd’hui. Et en plus tout ça sans manger ni pause depuis le départ.
Je trouve enfin un bon rythme pour la montée de l’Arête du Mont-Favre et la traversée jusqu’au col Chécrouit. Ce sera la seule portion agréable de mon périple. D’autant plus que pour une fois, je reste dans les temps prévus, au soleil (un peu) et sur des chemins secs (comme à la reco, quoi). La portion italienne de l’UTMB est objectivement de loin la plus belle partie du parcours, avec Tête aux Vents. Dommage que le Beaufortin se passe de nuit.
Pas d’arrêt au col Chécrouit (zut, j’aurais dû lire certains récits avant la course et y manger une pizza). En même temps, il n’y a pas vraiment de quoi se faire envie avec ce qu’il y a à dispo sur les tables. J’ai l’impression que les bénévoles cuisinent à mesure. Mais moi, je n’ai pas le temps d’attendre, je suis toujours stressée par les BH. Je décide donc de descendre directement à Courmayeur et d’avoir enfin le temps de faire une vraie pause (60’ prévue).
Courmayeur 12h08
A nouveau j’ai mal pensé…. Sympa l’arrivée à Courmayeur où des bénévoles s’affairent à nous donner nos sacs d’allègement. Moins sympa le fait de devoir remonter avec le susmentionné sac depuis le bas jusqu’en haut où je viens juste de passer… et d’arriver dans une immense halle, partagée en deux pour les coureurs avec et sans assistance. Mon ravitailleur n’est pas là. Au vu de nombreux témoignages pas tellement élogieux concernant ce ravitaillement de Courmayeur, nous avions décidé qu’il n’y viendrait pas et qu’il se concentrerait sur la suite dès Champex.
AVERTISSEMENT AUX AMES SENSIBLES, S’ABSTENIR DE LIRE LES 5 PARAGRAPHES SUIVANTS.
En fait, je n’ai pas très bien compris la différence entre les deux zones car dans ma zone censée être réservée uniquement aux coureurs sans assistance, une dame est en train de s’occuper de son mari. Il y a même un chien ! Les tables sont immondes et à l’entrée, il y en a même une couverte de vomi, et apparemment depuis un bon moment. Le nettoyage en continu n’est pas une priorité, mais existe-t-il en fait ? La saleté est répugnante, la couche de détritus est surréaliste, je n’ai jamais vu ça sur aucune autre course depuis 15 ans. Est-ce ainsi que certains concurrents se comportent à la maison ? Avec Madame qui ramasse derrière ? Sauf qu’ici, l’organisation ne nettoie pas à mesure.
Je me trouve enfin un bout de banc où je peux poser mon sac et sortir mes affaires pour me changer. Au vu de la configuration de cet immense espace, je demande où sont les toilettes pour m’y changer. De l’autre côté naturellement, du côté de la sortie, c’est logique… En plus, il n’y a que trois toilettes qui sont utilisées autant par les coureuses que par les spectatrices. Et LA cerise sur le gâteau, c’est un mec qui ravitaille en papier, donc c’est séance striptease et rince-toi l’œil gratos.
Il me faudra donc bien 20 minutes pour me changer, remplir mon sac, refaire mon sac d’allègement, changer de chaussettes/chaussures.
Je passe au ravito, la bénévole qui nous sert n’a pas du tout l’air d’avoir choisi d’être là. Cela l’embête énormément que nous lui demandions de l’eau plate. Il y en a plus, elle part en chercher… attente… oui, nous n’avons que ça à faire… et quand elle revient avec des bouteilles, c’est de l’eau gazeuse. Et on est censé mettre ça dans les flasques ? Il n’y a pas d’Energy Drink. Il me reste un fond dans mes flasques, on fera avec jusqu’à Bertone. Au vu des reliquats dans les assiettes sur les tables, je n’ai pas envie des pastas. De toute façon, manger au milieu d’une poubelle géante ne m’inspire pas du tout. Mais que suis-je venu faire sur cette « course » ?
Le poste de ravitaillement de Courmayeur est le plus nul que je n’ai jamais vu, et sans me vanter, j’en ai vu beaucoup : NUL ! On voudrait dissuader les gens de revenir qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Cela m’a tellement perturbée que je n’ai même pas pensé à prendre des photos.
Je repars finalement sans manger, le moral en berne. Je téléphone à mon ravitailleur pour lui raconter comment CA NE VA PAS. Je lui parle d’arrêter à Arnouvaz, car à quoi bon, je n’ai aucun plaisir, que du stress et que je vais finir par buter sur une barrière horaire. Il m’encourage, me dit que Bertone c’est pas loin, et que j’arrive bientôt vers lui. Oui, à quelques encablures tout de même.
Route goudronnée à travers Courmayeur. Super Ravitailleur me rappelle pour me dire de forcer un peu l’allure, car selon la projection de Livetrail, je ne passerai pas la BH d’Arnouvaz sur ce rythme. Il me dit aussi qu’au classement, je suis remontée de 500 places depuis le pointage de St Gervais. Donc par rapport à d’autres, selon lui je ne progresse pas si mal. Il me dit aussi qu’il monte à la Fouly pour m’encourager. En effet, nous n’avions pas prévu qu’il vienne à la Fouly car l’assistance privée y est interdite. Super Ravitailleur se trouve en fait à Champex.
Courmayeur, centre-ville, un speaker sympa m’encourage et me dit aussi que je suis bientôt chez moi 😊. J’ai un petit regain de moral, merci.
Juste avant de traverser la rivière vers le fond du vallon et d’attaquer la vraie montée, une longue file de trailers à l’arrêt. Contrôle des sacs ? Non, le tapis de chronométrage n’est pas opérationnel des deux côtés et chacun doit passer l’un après l’autre pour être sûr d’être enregistré. Ben pourquoi pas, j’ai déjà tellement de marge sur la BH. Et à entendre les commentaires « on est déjà super à la bourre », je ne suis pas la seule à stresser. Mais tout le monde fait quand même la queue.
Trois féminines doublent depuis l’arrière. Ben oui, pourquoi respecter les autres après tout ? Je m’abstiens de faire un commentaire, à quoi bon ? Ces dames tentent de doubler celui qui est devant moi, mais lui n’est pas commode et le fait savoir. Du coup, elles restent derrière lui. C’est bizarre, elles n’ont pas l’air d’avoir une nuit complète de course derrière elles comme tout le monde, elles donnent l’impression d’être partie de Courmayeur.
La montée est interminable et c’est le seul endroit où il fera vraiment du soleil. Du coup, à 13 heure, c’est quasi l’insolation. Je m’arrête pour enlever une couche. Une dame asiatique qui se trouve pas loin vient me voir et me demande si ça va. Je trouve ça prévenant et sympa. Il y aurait donc quand même du positif sur cette course ?
Il y a tout-à-coup beaucoup de monde sur le chemin. Qui speede à cause des BH.
Refuge Bertone 14h32
Bertone est également bondé de monde. J’ai encore perdu 20 minutes, pfff… En plus, on nous annonce que la BH d’Arnouvaz n’est plus à 18h15 mais à 17h50, ah oui supeeeeer ☹. Là, j’en ai vraiment marre et n’ai plus qu’une envie : poser les plaques. Donc ravito express à remplir les flasques d’Energy Drink.
Traversée jusqu’au refuge Bonatti dans les délais prévus et avec quelques participants épars. Il souffle fort de face, je m’arrête pour enfiler la veste.
Refuge Bonatti 16h29
Depuis Bertone, mon monde se résume à regarder à deux mètres devant moi, à surveiller mon chrono et à avancer le plus vite possible. Je n’ai pas levé les yeux sur le paysage une seule fois. Heureusement qu’il y a les reconnaissances pour ça.
Arrivée à Bonatti où on nous confirme que la BH d’Arnouvaz est fixée à 17h50. Donc ravito express et j’appelle Super Ravitailleur pour lui dire que cela ne le fera pas. C’est dans un heure et c’est le temps que j’avais mis à la reco. Avec la queue-leu-leu qu’il y a l’air d’avoir et la boue, ça va être compliqué. Il me dit que de toute façon, je n’ai pas le choix, il faut absolument que je passe cette BH et on verra pour la suite en Suisse avec lui pour m’assister. Je repars le mors aux dents.
Oui, c’est vrai, si je dois buter sur une BH finalement, je serai mieux à la Fouly avec lui plutôt qu’à Arnouvaz, avec au moins une centaine de participants que l’organisateur devra prendre en charge pour les rapatrier en bus pour Chamonix dans je ne sais pas quelles conditions. Donc gaz dans la boue. Descente tout autant boueuse avec quelques glissades mais bien maitrisées. Top 😊 : comme quoi les jambes répondent très bien sur tout ce tronçon.
Arnouvaz 17h40
Tente surchauffée et surpeuplée, j’entre, je joue des coudes, remplis ma flasque d’Energy Drink, avale en vitesse un gel, un bout de pain, du fromage et du saucisson et cherche juste la sortie.
Une bénévole costaude bloque le passage et me dit qu’on ne ressort pas sans enfiler le pantalon de pluie. Ha, parce qu’elle pense que je suis assez inconsciente pour franchir un col à 2500 m d’altitude avec neige et vent de face sans m’équiper sérieusement ? Ok, je lui dis que j’enfilerai mon pantalon après avoir passé la sortie et la BH qui est dans 3 minutes. Elle me dit que non, faut enfiler le pantalon ici à l’intérieur, et que la BH est à 18h15. Je lui réponds que ça fait depuis Bertone qu’on nous dit que la BH est à 17h50. Ben non, finalement, c’est 18h15.
Je trouve un bout de banc pour passer mon pantalon de pluie qui sera autant boueux à l’intérieur qu’à l’extérieur. Je ressors et appelle mon ravitailleur pour l’informer que j’ai passé Arnouvaz et que j’arrive 😊.
Il y a du vent et la température est basse, mais ce n’est pas désagréable, surtout emmitouflée comme pas deux. Papotage avec le photographe, chapeau à lui, il est là depuis 6 heure du matin 😊 !
Après quelques mètres de montée, 2e photographe. Un petit jeune qui lui a l’air d’en avoir marre … Il me demande quelle heure il est : 18h03, et à quelle heure est la BH : 18h15, bientôt la délivrance pour lui !
Arrivée dans les temps prévus au Refuge Elena où je m’arrête pour manger un bout de barre, pour enfiler les gants de ski et les surgants Goretex et aider un autre participant à prendre à manger dans son sac.
Nous sommes 3-4 à partir à l’assaut du Grand Col Ferret après avoir été contrôlé par un membre de l’organisation juste après le refuge (comment nous allons, ne pas oublier de manger, monter tranquillement).
Le vent devient effectivement plus fort à mesure que nous montons. Il neige. Un participant me dit qu’en 2016 c’était la canicule et que cette année j’aurais pu prévoir les radiateurs 😊.
Grand Col Ferret 20h05
Une tempête de neige balaie la montagne à l’horizontale. La tente au sommet est en train de s’envoler, les gens présents là-haut ont fort à faire pour la retenir. Je me dis que ce sera peut-être mieux de l’autre côté, mais c’est encore pire. Le vent remonte depuis le fond de la vallée et me fouette un grésil agressif dans le visage. La nuit arrive, la lampe s’impose. Du coup, sur ces sentiers boueux, la neige dans les yeux et la nuit, on n’y voit pas à 2 mètres. Je ne m’inquiète pas du tout du chrono et du retard, je n’ai qu’un seul objectif : retrouver Super Ravitailleur à la Fouly.
Une concurrente arrive de l’arrière. Je lui demande si elle veut filer devant. Non, elle préfère rester avec moi. C’est Martine, une Française qui a déjà bouclé la CCC, la TDS et qui espère le Graal pour cette année.
Plusieurs fois je dois m’arrêter car ça souffle trop fort de face et que les petits flocons de neige m’agressent les yeux. Et que je m’éblouis indirectement avec ma propre lampe. Pourtant, je ne suis pas inquiète concernant ma sécurité : je suis bien équipée, je n’ai pas froid, je sais exactement où je me trouve, et je mets à profit l’expérience que certaines courses de ski-alpinisme m’ont apportée. Ceci dit, mon masque de ski me serait bien utile en ce moment.
Cette portion super roulante par beau temps et chemins secs devient un vrai chemin de croix. Et bien entendu, les minutes continuent de filer à une allure inversément proportionnelle. Cinq ou six concurrents nous doublent.
La Peule 21h00
Nous finissons quand même par arriver à la Peule, un alpage où nous papotons avec deux Valaisans. L’un d’eux me demande de quel canton je viens : Fribourg. Ah oui, il vient de visiter la plus grande fromagerie du canton de Fribourg, à Romont (!?!) Mais non mon ami, c’est certainement celle d’Ursy, à côté de chez moi…
Bref, foin de ces considérations géographico-fromagères, Martine et moi repartons en direction de la Fouly.
La suite : non, pas simplement par la route d’alpage comme la majorité le pense, mais par un sentier pas rapide du tout. Il y a deux becquets à remonter, dont un assez interminable qui nous font monter à Pramplo pour mieux redescendre ensuite sur Ferret et la Fouly sur un chemin assez technique qui sera certainement bien boueux.
Avec ce vent de face à décorner les bœufs, ces chemins glissants et la nuit, nous n’avançons évidemment pas à la vitesse de la reco (1h06). La BH de la Fouly est à 22h30. Donc, il me faut encore speeder pour espérer arriver 10 minutes avant la BH, pour y faire un stop éclair et repartir illico : non, cette fois, y’en a vraiment marre. Il est clair pour moi que je m’arrêterai à la Fouly, BH ou pas.
Un autre participant tout en jaune nous rejoint. Je lui demande s’il veut passer mais il répond : no, i follow. Il n’est pas très à l’aise sur toutes les parties glissantes et je regarde régulièrement s’il est toujours derrière. Car par ici, c’est franchement assez casse-gueule, mieux vaut ne pas tomber dans la pente sur notre droite.
Finalement ce sera interminable jusqu’à Pramplo et la BH devient de plus en plus inaccessible. Un concurrent asiatique rejoint notre petit groupe. C’est donc à quatre que nous poursuivons.
La lampe frontale de Martine décide à ce moment-là de rendre l’âme. Cette fois, nous abandonnons l’idée d’espérer passer la BH, c’est cuit et c’est clair pour tout le monde.
Appel à mon ravitailleur pour lui signaler que la BH est out. Que j’en ai marre de tout ce monde aux ravitos, de ce stress sur les BH, de la boue et du brouillard depuis le départ et de cette météo épouvantable depuis le refuge Elena. Super Ravitailleur ne tente pas d’argumenter, car il a compris depuis un moment que je n’arriverai pas à temps.
Nous repartons en mode récup dans le sentier très accidenté jusqu’à Ferret puis le long de la rivière avant de rejoindre la route qui nous mène à la Fouly.
Finalement, c’est sur ce tronçon col Ferret-la Fouly que j’ai enfin trouvé ce que je cherche sur un ultra : un vrai moment en montagne à mon rythme et le partage avec d’autres participants et spectateurs/bénévoles.
La Fouly 22h40
10 minutes de retard sur la BH. Arrivée au ravito, Super Ravitailleur est là, ainsi que les assistants de Martine venus depuis Champex pour l’accueillir.
Voilà, c’est fini. 111 km et 6750 m d+ en 28h10. Et je n’ai pas abandonné, hein, j’ai été stoppée par la barrière horaire, nuance… 😊
Une bénévole nous découpe notre dossard et notre puce du sac. Elle nous dit qu’il y a des couvertures dans la tente qui est déjà en train d’être démontée. Un car attend pour ramener tous ceux qui en termineront là. En ce qui me concerne, j’ai de la chance d’avoir mon Super Ravitailleur (et le bus 😊). Cela me permet de me laver tout de suite à l’eau chaude et d’enfiler du sec.
Minuit, nous prenons la route. Siège chauffant, les jambes en hauteur. Je constate avec effroi rétroactif que toute la portion suivante a été modifiée et que c’est presque 10 km sur route goudronnée : quelle horreur, je l’ai échappé belle. Quoique à la réflexion, cela m’aurait permis de gagner du temps sur la BH de Champex.
Orsières : un roupillon jusqu’au lendemain matin.
Dimanche matin, arrivée à Chamonix comme prévu, mais en voiture 😊, pour récupérer mon sac de Courmayeur et ramener la balise GPS Dotvision. Celle-ci n’a pas servi à grand-chose à Super Ravitailleur, vu les nombreux plantages, par exemple à la Fouly le système indiquait encore Bonatti : pas fiable, à éviter donc, surtout vu le tarif.
Le long de la route entre la Forclaz et le col des Montets, quelques zombies terminent leur course. Bravo à eux !
Au moment d’écrire ces lignes, comme toujours je me dis : et si, et si ça ou si ça. Mais finalement pas de regret.
L’UTMB n’est pas une course pour moi : à cause des BH serrées, je n’ai pas eu le temps de manger et j’ai subi le stress tout le temps. L’UTMB est en fait une vraie course « de vitesse » pour compétiteur qui cherche à claquer un chrono, et pas un ultra-trail comme je le conçois.
L’UTMB est victime de son succès. Selon moi, il y a beaucoup trop de participants et les infrastructures aux postes de ravitaillement sont sous-dimensionnées : pas de place pour manger ou s’assoir et tout est très sale. Et aussi je n’ai jamais vu autant de déchets sur un parcours de course, bon courage et merci à ceux qui vont aller tout ramasser. Ce qui m’amène à remercier tous les bénévoles, très nombreux, serviables et attentionnés.
C’était ma première course en France, et j’ai été frappée par la prise en charge des participants par l’organisation : par exemple c’est lui qui dit à quel moment et quel endroit il faut enfiler son pantalon de pluie. Sans parler du certificat médical à fournir. Et où est partie la responsabilité individuelle ?
En Suisse, les règlements de courses prévoient en général que le coureur se doit d’être conscient que le rôle de l’organisation n'est pas d'aider un coureur à gérer ses problèmes et que, pour une course en montagne, la sécurité dépend de la capacité du coureur à s’adapter aux problèmes rencontrés ou prévisibles.
Je suis venue, j’ai vu et je ne reviendrai plus, mais j’ai vécu une bonne expérience quand même. Surtout lors des reconnaissances, les parcours Notre Dame – Grand Col Ferret et Tête aux Vents sont absolument à faire de jour.
Et il y a aussi énormément de spectateurs tout au long du parcours et ça c’est vraiment SUPER. Merci à eux !
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8 commentaires
Commentaire de boblastar posté le 01-10-2017 à 14:53:10
Les gens dans les descente vers les Chapieux avec un grand feu c'était mon pote et moi :-)
Effectivement on a encouragé tout le monde de 23h à 6h du mat' (sauf un petit dodo entre 3h et 4h).
Commentaire de Anne-Laure_70 posté le 08-10-2017 à 09:40:24
Merci, c’était SUPER !
Commentaire de novass396 posté le 01-10-2017 à 17:42:12
hé bien chapeau !
étonnant comme la partie sur la responsabilité individuelle ne m'a pas surpris ; c'est devenu comme ça partout :surtout pas de scandale,surtout pas de procès!Quant a la partie sur la propreté, malheureusement ça ne me révolte même plus tant c'est devenu commun ...
En tout cas félicitations pour la course et merci pour le récit !
Commentaire de Anne-Laure_70 posté le 08-10-2017 à 09:43:06
pour ma part, les déchets continuent à m’énerver. Merci pour le commentaire :-)
Commentaire de GlopGlop posté le 03-10-2017 à 08:25:37
Très beau retour de cette aventure. J'adore cette écriture qui permet de s'immerger comme si c'était soi et de découvrir l'envers du décors! J'ai suivi ces 2 jours sur la WebTV et j'ai sous les Yeux la copie d'écran quand F D'Haene est arrivé. A ce moment là, déjà 369 abandons et le gros des troupes etait à mi-course! à savoir 583 entre Courmayeur et Bertonne (>80kms), 611 entre Bertone et Bonatti, 595 entre Bonatti et Col Ferret et 160 avant la Fouly. J'imagine donc bien maintenant où vous étiez et loin de minorer votre tentative, cela met en avant l'exploit de vous tous. A votre décharge, j'ai assisté aux arrivées des leaders aux différents points de ravitaillement et pour eux, c'était tapis rouge les zones étaient encore vides et propres. Vous avez evidement perdu énormement de temps dans les attentes et bouchons divers et c'est en cela que j'admire néanmoins vos prouesses.
Commentaire de Anne-Laure_70 posté le 08-10-2017 à 09:44:15
Je suis flattée que tu me compare aux extraterrestres de la tête de course. Eux et moi vivons dans une autre galaxie :-)
Commentaire de Bruno Kestemont posté le 07-10-2017 à 18:55:01
Super récit, quel suspense ! Je trouve ce récit très instructif pour moi, il me rassure sur le fait d'être parti un peu plus vite (pour finir par être éliminé avant !). C'est marrant de constater que l'un passe par d'autres paysages que l'autre en fonction de l'heure de passage. Un moment, je me suis demandé si c'était la même année. Moi j'ai vu tellement de beaux paysages aux bons moments climatiques ! (le côté italien est vraiment sublime en effet). Content de pouvoir affirmer que je n'y suis pour rien des ces déchets. Si vous avez des conseils de courses longues à barrière horaire un peu moins serrée, je suis preneur ...
Commentaire de Anne-Laure_70 posté le 08-10-2017 à 09:47:27
Merci pour ton commentaire :-)
BH plus larges? Swiss Irontrail : 4 participations sur différents formats et mes 3 récits à lire sur Kikourou…
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