Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2006, par Mogwaï

L'auteur : Mogwaï

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 25/8/2006

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 4172 vues

Distance : 158.1km

Objectif : Pas d'objectif

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UTMB 2006 : retour d'expérience et du Mogwaï

La préparation

Août 2005, je renonce à repartir de Courmayeur. Bien que ce soit un échec sportif, c'est une réussite dans la démarche sociale que nous avions initié, Poulet et moi au profit de Pauline et Simon, 2 enfants atteints de leucodystrophie. En effet, en novembre 2005, nous remettrons un chèque de 21000€ à leurs parents.

Cependant, devoir expliquer 200 fois à ceux qui ne connaissent plus le mot "courir" depuis des années pourquoi j'ai du arrêter, alors que je ne le savais peut-être pas moi-même, a été difficile à supporter. Alors, le Mogwaï s'est renfermé, est devenu discret et taiseux. Après avoir eu difficile à accepter l'arrêt, il a essayé de le comprendre : préparation pas assez orientée vers le dénivellé, le sac beaucoup trop lourd, des frottements douloureux à un endroit… mal placé,…

La décision est rapidement prise, je recommence dès 2006 mais ne l'annonce pas, voire très discrètement sur la ML, sans doute de peur de devoir expliquer un 2ème arrêt. L'inscription est faite dès l'ouverture de la période, en novembre 2005…

Le début de la préparation coïncide avec les premières longues sorties nocturnes avec les Zanimaux : raid des cols verts, raid 28 d'où je retire certains enseignements sur ma gestion de course la nuit. En résumé, une participation active à l'évènement est profitable plutôt que de subir la course. Le Raid normand, initialement prévu, sera supprimé pour cause d'inscription tardive. Pour moi, cela s'avèrera positif car le raid 28, bien que non terminé, avait laissé quelques traces physiques.

La suite de la préparation se déroule sans histoire jusqu'à avril/mai où l'envie de courir… disparaît complètement. Le 19 avril, une sortie de nuit sur le parcours des trails des caracoles (60Km) avec le hareng saur est avortée dès 25Km. Ce mois verra un total de 150Km d'entraînement seulement. Pire le mois de mai où je n'augmente pas la distance, en ce compris le trail des Caracoles parcouru en tant que coureur-balai… Le 2 juin, la ronde des nutons est avortée après 52Km de nuit! Je décide de ne pas trop m'en faire, voulant éviter toute PDT. Seulement, je suis début juin et nulle part dans la préparation spécifique de l'utmb.

Le 5 juin marque un tournant dans la préparation, je tape du point sur la table (je ne sais plus laquelle) et c'est parti pour toute une série de changements par rapport à 2005 :
• plus de longue sortie d'endurance de 60/70KM, inutilement traumatisante;
• un entraînement plus qualitatif, orienté vers les montées et les descentes, avec quelques bons moments comme la sortie sous la cascade de Coo avec les Célestes;
• de la musculation spécifique à la maison : abdominaux, ischios et quadriceps (la technique de la bonne vieille chaise);
• tout entraînement d'endurance sans autre but particulier est fait sur l'elliptique pour éviter les chocs. J'y passerai environ une vingtaine d'heures;
• abstinence sur toutes les bonnes trappistes et verres de vin habituels, à de rares exceptions près. Pour éviter toute tentation, je quitterai directement les lieux de rencontre sans passer par la case "ravitaillement d'après-course". Sans autre effort particulier quant à l'alimentation, cette décision m'allégera de 5 kilos au moment du départ;
• les vacances seront prises non pas à la mer mais dans la région de Morzine-Avoriaz. Au menu de la semaine, 5 fois 4 à 6 heures de rando avec entre 1500 et 2000 D+ chaque fois. Merci à la Mogwaïette qui n'a pas beaucoup vu son mari à ces moments-là…
• la semaine d'après et donc juste 5 semaines avant le trail, participation aux Drayes du Vercors où je rejoins le hareng saur fatigué d'une semaine de rando en famille. 8 heures 30 d'efforts pour 44Km et 2200D+, le tout sous 35C°, ce n'est pas encore la grande forme mais l'envie est là.
• l'achat de nouvelles chaussures (North Face 103) est toujours une bonne décision pour le moral.
• enfin et sans doute une des meilleures décisions prises quant à la préparation, je m'offre les 2 jours qui précèdent la course 2 fois 13 heures de sommeil et 3 siestes de 2 heures pour anticiper les nuits venir…

Arrivés sur place le jeudi, nous nous donnons rendez-vous avec les coureurs célestes vers 1500Hr. Bien que portant fièrement mon béret du Zoo, je ne rencontre pas d'autre zanimal qui sont sans doute plus attendus le lendemain. Le vendredi matin, je souhaite bonne chance au hareng saur qui part pour la CCC. Même si je suis persuadé qu'il en terminera, il est stressé comme de juste. Il a en effet du gérer une fin de Drayes du Vercors très difficile mais qui faisait suite à une semaine intensive de rando.

Le vendredi après-midi, je m'offre une dernière petite sieste avant les pâtes, bien meilleures que l'an passé, avalées vers 1600 heures. Sur place, mon béret permet d'attirer l'attention du Bœuf pour quelques échanges rapides, car celui-ci a manifestement encore quelques préparatifs à terminer. Avec Titou et Lulu, nous prenons nos sacs pour nous rendre vers le départ. Je salue Benoît Jordan, organisateur du Challenge Gauloise, et tombe sur le comique de l'année, un participant qui est en train de s'échauffer à côté de sa voiture,… en faisant du stepper!

Juste avant 1900 heures, la musique habituelle retentit. Je suis plus ému mais plus confiant que l'année passée. Quoique, après avoir brillamment lancé un "alea jacta est", je ne peux m'empêcher d'ajouter intérieurement : "morituri te salutant"…. C'est parti…


En route vers Les Houches (Km 8)

J'ai décidé de partir moins vite que l'année précédente et donc, Poulet et moi nous traînons dans le ventre mou du peloton. A un moment, nous sommes dépassés par Gandhi que nous reverrons… douché et frais à l'arrivée. J'arrive aux Houches en 57', soit… 5' plus rapidement qu'en 2005! Je prends le temps de bien me ravitailler en goûtant pour la 1ère fois une barre chocolatée à la spiruline (agréable surprise, pas trop écoeurante et assez digeste) ainsi que, déjà, une soupe vermicelles, ingrédient qui ne me quittera plus avant l'arrivée. Un petit besoin naturel pour s'alléger au max et…


En route vers Voza (prononcé "Voze" par les autochtones – Km 13)

Au début de la montée, pendant l'arrêt pipi, le Galopeur (co-organisateur de la Bouillonante) me dépasse. Je ne sais pas encore que l'on se reverra souvent. Néanmoins, à ce moment, je décide d'insister sur le fait d'aller moins vite qu'en 2005 où il m'avait semblé monter Voza trop vite.
Je me concentre sur la gestuelle, pose le pied bien à plat, utilise les bâtons à l'économie. Je régule l'énergie dépensée et aligne mon rythme sur celui du cœur. La règle est de ne pas devoir allez chercher de l'oxygène, hors la respiration "normale".

En atteignant le sommet, la première réflexion qui me vient est d'être étonné de ne pas avoir du m'arrêter pendant la montée pour mettre la frontale, comme l'année passée. Et en effet, nous sommes en haut après 2h07' pour les 13 premiers Kms, soit 8' d'avance sur l'horaire 2005. Soit,…


En route vers les Contamines (Km 25)

La frontale est en place et comme j'étais parti en long (manches et collant), je ne change rien à la tenue. Pour la 1ère fois, j'applique la méthode du "contrôle technique" à mon corps. Je passe en revue chaque partie (tête, bras, jambes, pieds, matériel,…) et ne rencontre que des voyants verts. "On est bien…"

Je déroule dans les descentes, souplement et je monte allègrement. Je décroche un peu Poulet quand, dans une partie étroite en sous-bois, le nombre plus important de coureurs cette année nous bloque 3x5' environ. Je me prends à râler de devoir ralentir! Oh, doucement…

Cette partie-là m'avait déplu en 2005 procurant déjà mon premier coup de moins bien. Cette année, je suis vraiment bien et content de l'être. L'entrée dans Les Contamines est accompagnée de quelques frissons tant les spectateurs sont enthousiastes. Poulet me rejoint et nous prenons un bon ravitaillement. Je n'ai pas encore besoin de recharger ma poche (1,5 litres) et le mélange fait de 80gr/litre donc la moitié de Caloreen et l'autre du produit à la menthe de chez DK me paraît fort rafraîchissant.

C'est en repartant que je rencontre mon premier problème : j'attends Poulet, comme lui indiqué, à la sortie du ravito mais je ne le vois plus alors que je suis arrêté depuis déjà 15'. Je descends, remonte les escaliers, appelle, crie,… personne. Dans mon esprit, il est clair que, quoi qu'il arrive et sauf abandon, nous devons finir ensemble. Mais bon, je me dis qu'on aura l'occasion de se retrouver et je repars en trottinant d'un bon pas. Le contrôle technique est OK et je note avoir 25' d'avance sur 2005, moment où les barrières horaires avaient commencé à nous ennuyer.


En route vers La Balme (Km 33)

Pour aller vers Notre-Dame de la gorge, le parcours 2006 est plus beau que celui proposé l'année passée. En effet, pour mémoire, des inondations avaient forcé les organisateurs à proposer un long passage bitumeux. Rien de cela ici et le début de la montée sur les larges dalles romaines me plaît bien. D'un pas énergique, je rattrape Poulet qui croyait, aussi, que j'étais devant.

J'arrive à La Balme dans un état de fraîcheur agréable, quasi euphorique, 45' plus rapidement qu'en 2005. Comme je l'avais fait cette fois-là, je profite de l'endroit pour passer une polaire, bonnet et gants puisqu'il s'agit du dernier arrêt avec le sommet du Bonhomme. Je fais également le plein de mon Camel pour la première fois et ce après presque 6 heures de course.

Je suis très lucide et j'avais mentalement préparé ce ravitaillement avant d'y arriver en détaillant, minutieusement et dans l'ordre chronologique, tout ce que je devais y faire. Ce "pit-stop" se passe à merveille et préfigure ma plus belle séquence de cet UTMB, soit l'enchaînement La Balme-Bonhomme-Chapieux-Seigne.

Mais à nouveau, un rendez-vous manqué avec Poulet à la sortie du ravitaillement me chagrine. Après 15' d'arrêt, je décide de repartir seul en pensant que mon acolyte se trouve derrière…


En route vers Les Chapieux (Km 44)

La montée vers le Col du Bonhomme me plaît à nouveau. Je ne dois pas trop subir de ralentissements et il y a moins de vent qu'en 2005. Au sommet, je vois le monticule où nous avions pris une photo de Poulet et moi qui préfigurait déjà nos difficultés futures. Ici, je me vois déjà sourire à pleines dents au photographe virtuel…

La descente se passe très bien, un pas léger, technique sur la partie difficile puis plus allongé sur la deuxième partie plus rapide, là où j'avais marché il y a un an. C'est cependant avec un réel soulagement que je vois le passage sur le pont qui m'indique que je suis très proche des Chapieux. En effet, je n'entendais pas la musique émanant du point de ravitaillement et qui nous avait accompagné pendant 45' en 2005. Cette année, le groupe est bien présent mais joue plus en sourdine. Ouf…

A l'arrivée, je manque me faire contrôler le contenu du sac mais c'est le coureur devant moi qui s'y colle. Bien que ce soient les règles du jeu, j'apprécie éviter ce "contretemps". Je prends du chaud et du froid, je sors directement de la tente et je reste debout et à l'extérieur, redoutant les 3/4Hr d'arrêt d'il y a un an. En 15', je mange, bois, fait un petit pipi et en route.

Les lumières du contrôle technique sont vertes, j'ai 1Hr30' d'avance sur mon temps de référence à l'arrivée au Rav (2Hr au départ de celui-ci), tout est génial. Je salue Jyhémix et Georges en repartant, ce dernier me semblant néanmoins accuser un coup de moins bien…


En route vers le col de la Seigne (Km54)

Les 4 longs Km de bitume vers la Villa des glaciers sont toujours aussi froids et monotones. Pour faire passer plus vite ce moment, je décide de n'allumer que ma petite lampe porte dossard qui éclaire d'un faible halo le chemin juste devant les pieds. Ce faisant, je m'oblige à rester concentré et à avancer d'un bon pas.

La montée vers le Col de la Seigne est beaucoup plus agréable et me plaît tout autant qu'en 2005, voire même plus car elle se fait de nuit alors qu'il y a un an le jour se levait au fur et à mesure de la montée. Tout va tellement bien et vite que je ne remarque même pas que je dépasse Morphéus qui me salue ainsi que Gargarine assis dans le col et non aperçu. Rétrospectivement, j'ai froid pour lui qui est en T-shirt et en short depuis le début alors qu'à ce moment, le thermomètre indique un bon -4C°…

Juste avant le sommet, je rattrape Poulet tout étonné de me voir là et nous basculons ensemble vers l'Italie.


En route vers le refuge Elisabetta (Km 58)

Au début de la descente, ma frontale éclaire les rochers que je trouve beaux, blancs, doux et… zip!!! C'est en fait du givre qui réverbérait la lumière et à deux reprises, je remercie mes amortisseurs postérieurs et suis tout content d'éviter une fracture du poignet ou de l'avant-bras qui ont encaissé une partie des chocs.

Cette année, le ravitaillement est installé plus bas que le refuge même à cause du vent qui souffle assez fort. Il signifie en fait la fin de la descente et le début de la longue ligne droite le long du lac Combal. Nous ne nous y attardons pas trop car le vent est froid et bien présent.

Le jour se levant, nous enlevons la frontale et repartons en courant sur cette longue portion facile sur laquelle nous avions marché l'année dernière. Plus inattendu, je note que ma première nuit s'est déroulée sans un seul bâillement ni ennui et que cela, en soi, est déjà une fameuse victoire.


En route vers le Col chécroui (Km 67)

L'ascension de l'arête Mont-favre me procurera à nouveau beaucoup de satisfactions tant les points de vue sont superbes avec le soleil levant et ce, contrairement aux prévisions météo. Après la nuit étoilée, la journée sans nuage est au menu. Les 400 mètres de D+ sont avalés en 40 minutes et j'ai à ce moment-là 3 heures d'avance sur le timing 2005.

Poulet n'a pas suivi le même rythme et je décide de continuer ma progression pour ne pas attendre en plein vent. Cette séquence vers le Col Chécroui se passe tout en courant là où, à nouveau, je marchais il y a un an et voilà 20 nouvelles minutes de gagnées en l'espace de 4 Km. A Maison vieille, je tombe sur le Galopeur et Alain et, après un rapide ravitaillement, je poursuis mon chemin avec eux par la plongée vers Courmayeur…


En route vers Courmayeur (Km 72)

Cette descente parcourue en 40 minutes en 2005 afin de rester dans les barrières horaires me fera très mal à nouveau. En me remémorant l'ensemble de l'épreuve, elle signifie aussi la fin définitive de l'état de grâce dans lequel je baignais quasi depuis le départ. Pour la première fois, l'ensemble des voyants ne sont plus verts et celui particulier de la plante des pieds clignote de manière pressante. Ce sera aussi bizarrement la dernière fois que j'évoquerai cette image pour m'évaluer de cette manière. Un peu comme lorsqu'on sait qu'on va recevoir une réponse négative à une question et qu'on décide donc de ne plus la poser…

L'arrivée à Dolonne estompe le mal et je vais rapidement récupérer mon sac, 4 heures plus tôt que "d'habitude". Je profite bien de cette pensée puisqu'il s'agit là de mon dernier point de repère sur le parcours. En fait, j'avais pensé que connaître le chemin pouvait aussi bien être un avantage qu'un inconvénient mais je dois bien avouer qu'au vu du déroulement de la première partie, cela a été un formidable atout et je regrette de ne pas avoir une expérience, même partielle, de ce qui m'attend.

Je n'ai pas prévu de stratégie particulière au ravitaillement et je m'y arrêterai finalement 1 heure 15', sans regret quant à la durée. Je me change complètement (manche courte mais collant long), je me fais masser la plante des pieds, je prends un repas chaud bien meilleur que l'amoncellement collant des lasagnes version 2005, je reconstitue le sac et… en route.

Le Galopeur et Alain n'ont pas attendus tandis que Jyhémix et Georges sont arrivés mais ils ne repartiront pas contrairement à La Castafiore qui a l'air en pleine forme, dixunt ceux qui l'ont vue.


En route vers Bertone (Km 77)

Le passage dans la ville de Courmayeur, presque 24 heures après les concurrents de la CCC, est agréable, les spectateurs rencontrés étant sympathiques. Dans la ville même, le chemin monte légèrement puis de plus en plus. En attaquant la côte, le soleil est au beau fixe et je regrette de ne pas avoir mis lunettes et casquette. De plus, le long collant noir chauffe et je pense avoir commis ma première erreur tactique. Le futur me montrera heureusement que ce n'était pas le cas.

Au début de la progression, je croise Gagarine, reparti rapidement de Dolonne et à nouveau assis. Il m'indique son intention d'arrêter et je pense qu'à cet endroit, il n'a jamais été aussi près de l'abandon. Il repartira toujours sans bâton et finira en boulet de canon après m'avoir dépassé au ravitaillement de Champex.

Je monte toujours d'un bon pas et je garde un souvenir de Bertone comme étant une difficulté majeure sans doute du au fait qu'on redémarre d'un havre de repos. Par ailleurs, c'est le seul moment de la course où la chaleur a été assez écrasante. Je dépasse Morphéus reparti avant moi de Courmayeur et j'aperçois pour la première fois Popeye dans un de ses rares moments de moins bien.

Au sommet, ma puce est détectée par la jeune demoiselle qui a contrôlé mon sac aux inscriptions. Il s'agit en fait de la même qu'en 2005 et auprès de laquelle j'étais retourné pour conjurer le sort, comme quoi on peut parfois avoir des réactions assez fantaisistes. Mais bon, l'accueil est plus que souriant et cela est déjà réconfortant en soi.


En route vers Bonatti (Km 84)

Nous repartons à 5 (Morphéus, Popeye, Poulet et son colocataire de séjour qui ne se quitteront plus jusqu'à Chamonix). Les longs balcons ne me laissent pas un souvenir impérissable surtout que le soleil joue au chat et à la souris avec les nuages. Après nous avoir gentiment ouvert la route, Popeye et Morphéus passent la vitesse supérieure avec une aisance déconcertante. Je me trouve ainsi rapidement isolé, mes deux autres compagnons levant eux un peu le pied.

A partir de ce point, je pense que je vais tirer le meilleur parti possible des circonstances de course, en tous cas tant qu'une certaine lucidité m'habitera. Je commence à appliquer les deux principes mentaux que je m'étais maintes fois répété. Le premier émane de la Tortue pour qui j'ai eu de nombreuses pensées pendant ces heures de solitude : "la question ne doit pas être de savoir si tu peux faire quelque chose mais si tu veux le faire".

Ensuite, je découperai le reste du parcours en étapes correspondant aux ravitaillements, appelée également la "tactique du hareng saur" et je n'aurai que le seul objectif suivant en tête. Il s'agit alors de se répéter : "Bonatti, 7Km", "Bonatti, 7Km",… où je trouverai l'accueil particulièrement chaleureux.


En route vers Arnuva (Km 89)

Poulet et son compagnon arrivent plus tard et comme le temps change et le vent se lève, je les préviens que je repars sans les attendre. Je serai ainsi isolé pour toute la descente vers Arnuva et je dois bien avouer que cette partie me laisse peu de souvenirs à l'exception notable de la fin de la descente assez bucolique et verte.

Le problème est cependant que la douleur à la voûte plantaire est maintenant bien présente et elle se double d'une contracture à l'épaule droite comme en 2005, bien qu'à l'époque le problème s'était déjà déclaré aux Chapieux. Rapidement, le simple contact du sac à dos en devient douloureux.

A mon arrivée, Le Galopeur et Alain sont présents ce qui indique une progression fort similaire, à l'exception notable des temps d'arrêts aux ravitaillements. Je les salue rapidement mais fonce vers la tente de massage où une jeune dame s'occupe longuement de mon épaule – ce qui n'est déjà pas mal . Nous repartons ensuite vers le juge de paix du parcours avec Poulet and Co, entre-temps arrivés. J'en oublie de me ravitailler, erreur d'importance car j'entendrai l'affreux bruit de siphon de ma poche vide bien avant le sommet du…


En route vers le Grand Col Ferret (Km 93)

C'est le sommet de notre petite randonnée, celui, comme l'indique le road-book, qu'on apercevait une petite dizaine d'heures auparavant du Col de la Seigne. J'avoue humblement que je n'avais rien vu (venir). La douleur est tellement présente à l'épaule que j'effectue la totalité de la montée avec le seul bâton gauche, l'autre étant supporté dans la main droite. Cela ne m'empêche pas d'arriver au sommet sans aucun repos en 1h50', arrêt à Arnuva compris. En fait, j'effectuerai toutes les ascensions d'une traite, à l'exception notable de…. mais on n'est pas encore là.

Au sommet, je sollicite un peu d'eau auprès du service de secours. L'infirmière consent à me donner un peu d'eau pure (lisez sans complément glucidique), quantité qui me permettra de tenir jusqu'à Champex, quelques heures plus tard. Ce sera ainsi assez tard que je noterai une diminution sensible de mes besoins en liquide, cependant en adéquation avec la diminution de la température et la dégradation des conditions climatiques. Celles-ci justifient enfin la tenue choisie au départ de Courmayeur.


En route vers La Peule (Km 97)

Bonjour la Suiiiiiisse…. Le premier contact avec ce pays se passe via une longue descente qui compte au total 20Km. Le début est constitué d'une succession de balcons assez doux dans un environnement de course assez facile.

J'en profite pour trottiner allègrement sans devoir utiliser les bâtons que je porte pour la première fois de cette manière depuis qu'ils sont sortis du sac. Sans que je ne le sache à ce moment, il s'agit de ma dernière descente où je me sentirai bien.

Quand j'entre dans le chalet-ferme de La Peule, je salue…. mais oui, ce sont bien eux,… Alain et Le Galopeur, gentiment étonnés de me revoir après m'avoir laissé agonisant (ou presque) à Arnuva. Inconsciemment, je dois considérer que le hasard n'en est plus un et qu'il est peut-être bon de faire un bout de chemin ensemble. Depuis le temps qu'on se croise et la descente vers Courmayeur, nous repartons donc à trois avec une "petite" différence notable, étant l'apparition d'une pluie drue, lancinante, à la fin psychologiquement usante qui nous laissera tranquilles… le lendemain matin.


En route vers La Fouly (Km 102)

La sortie du ravitaillement est constituée d'une descente très technique dans un chemin étroit qui m'abîme définitivement la voûte plantaire. Même la route ne permettra pas à mes pieds de se reposer. Bien que j'aie pensé à une influence des conditions climatiques sur ma perception de la course, je serai "rassuré" d'entendre une majorité de coureurs ayant détesté ce passage.

C'est ici que je pense être passé du monde physique au monde mental dans ma progression. La phrase lancinante, qui variera régulièrement, est lancée : "La Fouly, 5Km", "La Fouly…". Sur le côté de la route est garé un véhicule dans lequel Mesdames Mouche et Gagarine attendent leur mari de coureurs. Je n'aurai même pas la gentillesse de les saluer alors que mes compagnons se mettent sympathiquement à mon allure, ce que je remarquerai et qui me fera un bien fou. Merci à eux…

Arrivant à La Fouly, j'ai la pensée la plus négative qui m'ait traversé l'esprit car je me dis : "voilà, je suis classé", ce point devant être atteint cette année pour être repris dans les classements. Je ne saurai jamais quelle aurait été ma pensée suivante car se produit à ce moment ce que je crois être ma première hallucination de la course.

J'aperçois d'abord le Hareng saur qui, après avoir brillamment bouclé la CCC, avait promis de venir me soutenir. Je suis heureux (et étonné ) qu'il ait tenu parole et cela me fait le plus grand bien. Ensuite, un spectateur me hèle : "allez Olivier"! Cela me semble normal puisqu'il lui a suffi de lire mon prénom inscrit en grand sur mon dossard. Je le regarde, lui sourit et lui répond : "merci Eric" et continue mon chemin… "Eric"… Quel "Eric"? Mais oui, Eric Devos, le beauf de la Clète, notre caméraman de l'an dernier. Mais que fait-il là?

Et à côté, celui qui rigole, derrière sa caméra? Sa caméra? Mais c'est la Clète… Sans rien dire, ils ont pris congé et ont fait 800Km pour nous encourager et nous filmer comme ils l'ont fait quelques heures plus tôt avec la Hareng saur. Bon, à partir de cet endroit, ils ne pourront enregistrer que des traits tirés et des langues pendantes, mais ce sont des images qui pourront se monnayer cher… L'état de grâce est cependant bien passé et après quelques échanges de paroles et un coup de main reçu au ravitaillement, je repars avec mes deux acolytes sous une pluie battante.



En route vers Praz de Fort (Km 111)

Est-ce le parcours plus roulant ou cette rencontre sympathique, voire les deux, mais les douleurs aux pieds sont momentanément oubliées. Mieux encore, le massage à Arnuva semble finalement miraculeux puisque machinalement j'emploie à nouveaux les bâtons. Je trottine pendant une longue séquence d'une heure environ en lâchant même mes deux compagnons.

Ce n'est qu'à l'approche de Praz de Fort que je dois ralentir la cadence pour le passage le long de la corniche. C'est ensuite le beau, mais difficile pour moi, chemin de la crête de Saleina. Je me fait dépasser par le petit groupe que j'accompagnais jusque là. Je viens ainsi, sans le savoir, de faire un bout de chemin avec le Festnoz puisque celui-ci pointe au ravitaillement 2 minutes avant moi. Peut-être se parle-t-on, je ne pourrai malheureusement pas m'en souvenir quand un jour je le reverrai.

Le responsable du ravitaillement nous indique la victoire de Olmo alors que Delebarre était passé en tête à cet endroit. Nous repartons à quatre, la Mouche nous ayant rejoints à cet endroit. C'est là que j'aperçois "mon" croate fumeur rencontré aux Chapieux en 2005 et qui a gardé cette bonne habitude d'en griller en moyenne deux à chaque arrêt!


En route vers Champex (Km 117)

En repartant, le moral est à "grand beau". La longue descente après le Grand Col Ferret est terminée et la montée vers Champex, deuxième base de vie est en vue. C'est un point agréable pour moi et j'en oublie presque de mettre la frontale car la nuit tombe. Dans mes rêves les plus fous, j'espérais atteindre Champex en fin de journée et je n'en suis pas trop loin. La montée commence avec d'excellentes sensations et seul la Mouche suit le bon rythme que j'imprime.

Techniquement, il n'y a aucune difficulté mais cela commence à durer un peu trop à mon goût. Virages après virages, cela en devient interminable. J'en oublie le road-book : "cependant, il y a bien pour une heure en étant à l'aise", traduit pour nous par 1h15' d'ascension. Le moral descend aussi longuement que cela ne monte malgré l'imminence de l'arrêt. Qui plus est, la première vision de la base de vie est assez apocalyptique puisque nous apercevons le bus quasiment rempli de concurrents ayant abandonné.

Malgré les douleurs nombreuses, l'envie d'arrêter ne m'effleure pas. J'ai beau chercher dans l'ensemble de mes souvenirs de l'UTMB, je ne crois pas y avoir pensé un seul moment. Qui plus est, nous retrouvons nos "accompagnateurs surprise", à l'exception notable du Hareng qui préfère le confort relatif d'un véhicule froid à la chaleur et à la compagnie pourtant agréables du Mogwaï.

Après avoir récupéré mon sac, je commence par me changer mais aperçoit rapidement une place libre au massage. Je me précipite et demande la totale, enfin, ce qui est possible à ce moment… Je reçois jusqu'à 3 personnes simultanément pour, respectivement, mes pieds, mes jambes et mon épaule. On m'applique finalement la technique "Nok" : plein sur les pieds, plein dans les chaussettes et le tout dans les chaussures.


Requinqué un peu physiquement mais surtout moralement, j'engloutis une assiette de pâtes et suis prêt à repartir avec Alain, le Galopeur, la Mouche, Gargarine sorti de nulle part et Popeye à nouveau des nôtres. Que fais-je…? Je n'hésite pas longtemps et décide d'attendre Poulet arrivé 20 minutes plus tard et qui n'a pas encore mangé. Vient alors, pour moi, un beau moment de discussion avec Morphéus, sur le point de s'arrêter…

Il me demande ce que j'en pense. Je ne sais si je le surprend mais volontairement j'évite la réponse bateau, du genre : "c'est con de s'arrêter ici après ce que tu as fait". Je lui dis plutôt : "as-tu des objectifs dans les mois à venir et qu'une blessure pourrait remettre en cause? A toi de voir…" Quelques minutes plus tard, Poulet et son ombre sont prêts et Morphéus nous demande s'il peut faire un bout de chemin avec nous. "Bien sûr, plus on est de fous,…"

Mon arrêt a duré 1h15', à nouveau sans regret quant à la durée, et euphorique, le nouveau grand philosophe que je suis devenu lance : "je ne sais pas si on ira au bout mais en repartant de Champex, nous avons marqué un grand coup". Je ne pouvais évidemment pas savoir ce que j'allais endurer après…


A l'ombre de Bovine (Km 126), je me suis assis et j'ai (presque) pleuré

Une longue portion en légère descente sur terrain facile nous accueille. Malgré cela, nous choisissons de marcher, et ce sans nous concerter. Rapidement, un tendon à l'arrière de la cuisse droite m'indique un ras-le-bol d'être sollicité. Chaque pas devient douloureux et il me faut un certain pour comprendre le mouvement "qui ne va plus" : il me devient difficile de lever et surtout de plier la jambe. Malgré une certaine prudence, tout se dégrade petit à petit quand la montée vers Bovine commence…

Je vais rapidement me retrouver isolé selon un schéma maintenant connu : Pascal et son double ralentissent et Morphéus accélère si bien que je le reverrai seulement à l'arrivée… Je sais déjà qu'il aurait – légitimement – été déçu de s'arrêter à Champex et je suis content pour lui, dernière pensée positive qui me vient avant…ouh….

Arrive maintenant la portion de l'UTMB que je n'oublierai jamais, dernière image que j'en garderai un jour parce que c'est :
• celle de la seule montée où, à diverses reprises, je me suis arrêté;
• celle où les bâtons ne suffisent plus et où il faut les mains pour grimper;
• celle où, seul, sous la pluie, sur des racines, parmi les rochers, j'avance sans voir où je suis, sans savoir où je vais, suivant les balises que j'aperçois au travers les bancs de brouillard;
• celle où j'ai ma seule hallucination, mais de taille, étant une cuisine équipée blanche installée dans la montée et finalement matérialisée de profil par une grande surface rocheuse peinte en blanc;
• celle enfin, et surtout, où je sens mon corps me lâcher petit à petit, se dégradant de plus en plus, tel un cockpit d'avion où les lampes rouges s'allument les unes après les autres. La jambe droite douloureuse m'oblige à attaquer chaque dénivellé par la jambe gauche puis à me déhancher pour amener l'autre au même niveau. Après ½ heure de contrainte, le genou gauche commence à renâcler à son tour, ne stabilise plus le pied ce qui m'oblige à un grand écart et un élancement douloureux dans la cuisse droite…

Enfin, je m'extirpe de ce pétrin et débouche en plein vent pour rejoindre le ravitaillement qui nous attend. La vue magnifique des "pistes d'atterrissage" éclairant la ville de Martigny me met un peu de baume au cœur. A droite, une tente ouverte où sont distribués les ravitaillements et j'y prends un café bien chaud. A gauche, une tente fermée et chauffée dans laquelle je pénètre. Et me voilà tournant en rond, cherchant à m'asseoir sans renverser mon breuvage. J'arrive finalement à m'installer à terre au moment où le gentil bénévole indique que ceux qui veulent se reposer doivent se rendre au prochain arrêt à Trient, distant de seulement (!) 6Km.

A côté de moi, je vois un concurrent blême, perdu, engoncé dans une couverture de survie. Un de mes derniers moments de lucidité me force à me lever et à repartir de ce lieu de perdition. Le vent souffle et je m'en vais dans la nuit noire sans plus attendre personne…


En route vers Trient (Km 132) – May the force be with you

La descente commence doucement et je profite pour m'insérer dans un petit groupe où je remarque que personne ne se sent beaucoup mieux que moi. Cela ne m'empêche pas de jouer au serre-file et de régulièrement me retrouver seul. A chaque fois, je serre les dents pour revenir sur les derniers et ne pas être isolé. Mais rien n'y fait, chaque pas est douloureux pour la plante des pieds quand il faut choisir entre glissade et racine d'arbres. Les dénivelés sont maintenant franchis selon la technique du planté des bâtons, genre départ de slalom.

Je m'applique et me force à suivre celui qui est devant moi. Je mets mes pieds dans ses traces car tant qu'il ne tombe pas, je reste debout. Sauf qu'avec ma chance du moment, je me retrouve derrière le seul concurrent qui a mis une longue cape pour se protéger de la pluie mais c'est aussi un vêtement qui cache ses chaussures. Je suis obligé de varier l'allure pour prendre du recul puis me rapprocher de manière régulière. Je me surprends à penser que cet ersatz de Darth Vador, je lui planterai bien mon stick entre les omoplates. Et je me surprends aussi à lever mon bâton droit à l'horizontale…

Arrivé au Col de la Forclaz, matérialisé par cette boutique sur la façade de laquelle est inscrit "Bazar des frontières sardes", je suis le seul à me rendre compte que nous ne sommes pas encore à Trient. D'un pas décidé, je m'engage sur la crête pour me retourner 2 minutes plus tard et voir un attroupement de frontales surmontées de point d'interrogation. Je continue pour m'élancer dans la dernière partie de la descente, tellement glissante qu'elle en devient agréable, jusqu'à ce point d'arrêt qui sonnera la fin de ce cauchemar.

Je traverse le village et suis content car je vais voir mes supporters. J'entre dans la tente et parmi les rares badauds, j'aperçois… en fait je n'aperçois personne que je connais. Je me sers divers ravitaillements froids et chauds car je sens que Poulet ne va pas arriver tout de suite. J'en profite pour enlever ma chaussure gauche et m'offrir un petit massage perso. Je m'allonge même sur un banc et ferme les yeux mais je sais que je ne m'endormirai pas.

Entre alors dans la tente Eric qui se dirige vers le représentant de l'organisation présent. Je sens qu'il va lui demander mon temps de passage au point précédent et je le hèle : "et, je suis là"… Tout étonné, avec une expression du genre "quoi, déjà?", il va chercher la Clète et le Hareng. Nous devisons et ils me remontent le moral. Nous passons en revue les temps de passage des gens que nous connaissons. C'est là que j'apprends que La Castafiore est toujours bien, que Mercator suit mais que malheureusement Titou et Lulu ont mis le clignoteur…

Poulet "exposant deux" arrivent 45 minutes plus tard et nous repartons sous la pluie pour la dernière grosse difficulté. Il est 5 heures du mat', il y a plein d'autres villes qui s'éveillent et cela fait 34 heures qu'on joue au boy-scout…


En route vers Vallorcine (Km 142)

Le corps humain est un formidable outil, une machine ayant des facultés d'adaptation que je ne soupçonnais même pas. C'est le raisonnement qui m'accompagne depuis Trient car bien que je ne suis plus de première fraîcheur, les contraintes musculaires ont diminué. Le repos et le massage m'ont soulagé et je m'engage résolument dans le beau chemin, dur mais régulier de la montée des Tseppes (des "steppes" comme disent les concurrents fatigués). Je me retrouve à nouveau seul pour 1 heure et 600 mètres de D+.

J'arrive au sommet en même temps que le lever du jour… Je répète : " j'arrive au sommet en même temps que le lever du jour". Quoi? Deux nuits d'affilée et une journée sans dormir, sans fatigue, sans presque bâiller mais surtout sans ennui. Aux oubliettes le MP3 emporté pour me tenir éveillé, que je n'avais pas sorti sauf pour le confier à mes supporters quand la pluie était trop battante. Le repos spécifique de fin de préparation est certainement à l'origine de cela et le Mogwaï est devenu un animal nocturne…

Au sommet, un vent froid côtoie un feu rougeoyant menacé par la pluie. Je devrais repartir rapidement mais je ne peux estimer quand Poulet va arriver. J'attends une vingtaine de minutes et en route pour un supplément de montée et une promenade en balcons avant de basculer sur une dernière longue descente que le Hareng m'a décrite comme facile. Effectivement, cela n'a rien à voir avec l'enfer vécu vers Trient mais les jambes fatiguées doivent encore se battre avec la boue rendant nos figures de style dignes du patinage artistique.

Back to France et arrivée à Vallorcines où je vais chercher un café noir et trois sucres comme souhaité par Poulet. J'enlève, une avant-dernière fois, mes chaussures pour m'offrir un massage. Le plus dur est fait et le risque d'abandon pour foulure, entorse ou chute a disparu. Mais bizarrement, ce n'est pas un contentement mais une certaine forme de lassitude qui me gagne. Il reste encore 15 longs kilomètres sans le défi particulier que peut représenter une ascension ou une descente.


En route vers Argentière (Km 149)

La montée du Col des Montets représente une petite ondulation insignifiante et le reste du parcours vers le dernier ravitaillement est agréable. Je me force à trottiner quand l'un ou l'autre concurrent me dépasse. Cela a comme avantage de délier un peu les jambes mais cela ne dure jamais longtemps. Je chemine un peu avec un coureur que je crois être celui vu sous la couverture de survie en haut de Bovine. Je ne lui fais pas le déplaisir de le lui demander.

C'est à Argentière que je me rends compte qu'il ne pleut plus bien que la dernière fois où je suis certain que la pluie m'accompagnait remonte au sommet des Tseppes, soit 4 heures plus tôt.

Pour la première fois, je me permets une entorse au casse-croûte classique qui m'aide depuis le départ et j'engloutis des toasts au pâté. Mmmmmh… Tellement bon qu'en me relevant pour remettre mon sac à dos, j'envoie le reste des provisions au sol…. Sorry et….


En route vers … l'arrivée (Km 158)

Je repars cette fois plus lentement et me force à rester avec Poulet car il n'est plus question que j'arrive avant lui au prochain arrêt. Je suis un peu nerveux - bien que je ne le montre pas - car, à quatre, ils ont commencé à deviser de tout et de rien comme dans une réunion d'anciens combattants. C'est à peine si la course existe encore. En ce qui me concerne, je n'ai plus qu'une envie, c'est de rentrer et je joue les serre-files. Je cours léger pour inciter, je m'arrête et me laisse dépasser puis incite à courir léger.

J'en arrive même à m'asseoir sur un banc et prendre le temps de lire tous les sms reçus depuis Champex, certain qu'il ne me faudra pas longtemps pour les rejoindre. Quelle bonne surprise quand je vois arriver La Castafiore qui termine en boulet de canon. Elle me demande de prévenir Gandhi et les Célestes pour leur dire que nous arrivons. Je la rassure en lui certifiant que la haie d'honneur est déjà prête.

Cette dernière partie est surprenante car bien plus vallonnée que la dernière difficulté recensée comme étant le Col des Montets. En temps normal, ce serait certainement une belle promenade mais là, trop c'est trop. Je rejoint le groupe, dépasse et joue l'éclaireur auprès des promeneurs croisés : "encore 2Km, bravo". ¼Hr après : "encore 2Km, bravo". Ensuite : "encore 2Km,…" Stop! Je tombe enfin sur une personne sympathique (!) qui me dit : "je suis coureur, je t'informe correctement, il te reste 2Km300…"

Allez, je le crois. Je continue à m'éloigner du groupe, j'attendrai Poulet au bas de la descente. L'émotion me gagne car je sens que c'est fait. Je lève les bras, je trépigne, je sautille… au milieu de nulle part. Je commence la dernière descente, je croise Perrine puis, un peu plus loin, Hortense, filles de Poulet qui rejoignent leur géniteur. Bas de la descente, encore quelques hectomètres et je m'arrête auprès de Gandhi qui attend un peu à l'extérieur du site, près d'un rond-point.

Je m'y assieds pour profiter un peu du moment, rien qu'avec moi, avant le contact avec la foule. Je savoure en attendant les autres fous qui ont eu le même rêve. Je prends mon portable et je sonne à la Mogwaïette. Elle me répond et hurle : "t'es où? Cela fait une heure que, selon les prévisions, tu devrais être arrivés…" Elle a déjà du répondre à 3 ou 4 appels reçus à la maison, de connaissances qui suivent la course et qui s'étonnent également. Je la rassure et je lui annonce également la décision que j'ai prise, longuement ressassée mais mûrement réfléchie :…


Conclusions… En route vers…?

Elle me demande : "mais tu es bien sûr"? Je lui répète le tout avec conviction une seconde fois et elle me dit qu'elle me le rappellera en temps utiles. Je coupe la conversation car Poulet and girls arrivent au bas de la dernière descente du périple. Je range le téléphone, j'empoigne mes bâtons et, à trois avec son compagnon de randonnée, nous entamons la dernière ligne droite, évidemment la plus poignante.

Vu l'heure, la foule est bien présente et de plus en plus dense au fur et à mesure que nous approchons de l'arrivée… Au loin, nous entendons le speaker. A chaque pas, un spectateur nous félicite pour ce qu'on a entrepris. Est-ce réel ou pas mais pour la première fois de mon expérience de coureur, j'ai l'impression que ces personnes sont sincères. Ce n'est pas le même bravo policé qu'à l'arrivée d'une course banale. Et puis, qu'est-ce qu'une course banale? Ce n'est peut-être que moi qui souhaite ou crois que ces spectateurs-là savent…

Le dernier virage est là, l'arche d'arrivée quittée 42 heures plus tôt est encore plus belle vue de ce côté. Des frissons? Oui,… De la joie? Oui…, au regard de certains sacrifices consentis et un soupçon de regret aussi pour ne avoir été là, juste un an plus tôt. Mais de la fierté d'avoir enfin pu rencontrer la confiance que tant de gens avaient placée en nous depuis ce moment-là.

Et ensuite? Et bien, il fallait que tout cela sorte : la fatigue, oubliée un temps grâce à l'adrénaline mais aussi toutes les autres toxines physiques et mentales accumulées. Car ce n'était que cela n'est-ce pas, et c'était plus facile de les faire sortir par les yeux que par les autres pores de la peau. Et Poulet aussi un peu. Et le Hareng saur, trop-plein de toxines à son tour en train de m'arracher des lambeaux de peau dans le dos. Et la Clète de se cacher derrière sa caméra et qui ne voyait sans doute plus ce qu'il filmait, plein de toxines lui aussi…

Je prends possession de ma veste "finisher", j'y tiens assez à ce symbole. Je me rends dans la tente du dernier ravitaillement je décide de faire le malin et je demande une bière. Avec sourire, le préposé me tend une cannette de Kro. Bon, faisant contre mauvaise fortune bon cœur…  je me ravitaille, bien assis et hop, j'élimine quelques toxines supplémentaires bien calées en dessous de la paupière. J'ai une dernière hallucination car j'aperçois un hindou mais je me retiens heureusement d'aller lui tirer la barbichette car il est bien vrai lui!

Le retour vers le gîte est difficile car je manque de sombrer dans les bras de Morphée (euh, la grecque, pas notre compagnon de route). Je prends une douche et indique que je vais faire un petit somme et que je ne compte pas participer au repas d'après course. En fin de soirée, les Nivellois improvisent une petite collation avec champagne, gâteau et bougie pour les finishers. Quelle attention fort sympathique et appréciée…


Puisque ce long CR est aussi appelé un retour d'expérience, voici quelques conclusions personnelles quant à cette aventure :

Rien ne remplace l'expérience et une préparation adéquate. Oui, si vous attendiez des révélations extraordinaires, j'admets que ce début est banal. La banalisation cependant, c'est le plus grand risque qui me guette après cet UTMB. Comme je l'ai terminé, je pense que peux faire toute distance inférieure, la fleur au fusil et sans préparation physique ou mentale particulière. Attention au crash…

J'ai appris à mieux me connaître en matière de gestion de course de longue haleine. Le matériel emporté était adapté et je n'ai mangé qu'une seule minuscule barre énergétique emportée. Au niveau physique, le plus beau constat personnel est la possibilité de passer deux nuits sans avoir seulement l'envie de bailler. Je suis curieux de tenter une petite sortie nocturne hors ce contexte particulier propre à l'UTMB.

Tous les soutiens reçus, sous quelque forme que ce soit, sont exacerbés, amplifiés par rapport à la réalité ordinaire. Ce qui m'a le plus marqué sont les nombreux SMS reçus pendant la course. J'avais volontairement choisi de ne pas avoir mon portable accessible aisément afin de ne pas perdre trop de temps à le consulter. Or, j'ai rapidement réalisé que certaines personnes me suivaient en temps réel sur le site et qu'environ ¼Hr après être reparti d'un point de passage, je recevais un message. Jusqu'au moment même où penser à un appel possible a directement généré celui-ci…

Le corps est une merveilleuse machine mais je pense qu'elle n'oublie jamais ce que vous lui avez infligé. L'UTMB est dans ma chair à brève mais aussi à longue échéance… Deux semaines après l'arrivée, les pieds sont dégonflés – heureusement – mais une laxité des ligaments du genou gauche m'empêche toujours de marcher normalement. La plante des pieds par contre… je peux me recycler en fakir!

J'ai envie de diviser cette course en 3 portions correspondant aux bases de vie. Si j'avais participé à Chamonix-Courmayeur, mon souvenir serait celui d'une performance. Bien préparé, j'ai effectué le parcours plus vite qu'espéré et je termine frais. Si la course était Chamonix-Champex, j'aurais terminé une course dure, un peu trop difficile pour moi. J'aurais cependant puisé dans mes réserves pour terminer cette belle aventure. Mais, j'ai participé à Chamonix-Chamonix…

Plus tard, je n'en retiendrai que des images positives. Je dirai à mes petits-enfants : "je suis finisher de l'UTMB". Ils seront peut-être eux-mêmes plus fous que moi, je ne le leur souhaite pas. Mais je veux écrire, pour m'en souvenir, que j'ai martyrisé mon corps, plus que je ne l'aurais imaginé ou souhaité. Je suis passé au moins à trois reprises (Bovines, Trient, Vallorcine) par le déplaisir d'être là au-delà de l'idée de l'abandon qui ne m'a jamais effleuré.
Alors, comme je l'ai dit à la Mogwaïette, qui ne manquera pas de me le rappeler, j'ose répéter que je ne le ferai jamais plus. Ni aucune épreuve de cet acabit-là…

Mais qui suis-je évidemment pour émettre cet avis? Je ne souhaite dissuader personne de tenter cette aventure alors que je l'ai fait. Pour exprimer autrement ce que je ressens, je dirai que tout le monde a des rêves. Certains veulent atteindre le Graal en allant de plus en plus loin dans une direction, d'autres, dont je suis, le cherchent à divers endroits. Mon futur sportif est donc ailleurs. De là à fouler plusieurs fois les mêmes chemins sans s'en rendre compte…


Mogwaï

2 commentaires

Commentaire de manu26 posté le 12-09-2006 à 16:37:00

Très beau récit où l'on se sent associés à ton périple, comme avec une voix off dans un film intimiste.
Bravo.
2 choses: j'ai également ressenti la même sincérité dans les félicitations des spectateurs, tout au long du parcours.
Enfin, rassures-toi sur une chose: moi aussi je l'ai vue, la cuisine blanche en plein air dans la nuit noire et boueuse de Bovines, en haut sur la gauche, juste avant un passage de ruisseau.
Etonnant !
Pour sûr que l'an prochain on ira y croquer un ch'ti bout si t'es là.

Commentaire de Jean-Louis posté le 13-09-2006 à 14:30:00

J'aime bien ta façon d'écrire, beaucoup moins 'académique' que la mienne... Pour la fin du parcours (Argentières-Chamonix), j'ai eu les mêmes états d'âme que toi (ça monte et ça monte et ça remonte et chaque quidam rencontré: allez, plus qu'un km...). Une précision hors contexte: Morphée n'est UNE grecque, mais un grec ouisque qu'il est le fils de d'Hypnos (le sommeil) et Nyx (la nuit). Mon CR se trouve sur: http://www.jogging-running.com/

Encore bravo

Jean-Louis

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