Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2006, par Mustang

L'auteur : Mustang

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 25/8/2006

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 4069 vues

Distance : 158.1km

Objectif : Pas d'objectif

8 commentaires

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UTMB

Il est loin le temps où j’ai cliqué sur le « oui » à mon inscription à l’UTMB, 9 mois déjà ! C’est symbolique ! Tout au long de cette année, il a été en filigrane. Mais, voilà, nous sommes fin août et l’échéance- la délivrance – arrive. J’ai l’impression d’être au bord d’une falaise, avant de faire un grand saut dans la mer.
Après un voyage sans histoire avec mon épouse et les amis coureurs, nous arrivons à Cham vers 16h00, ce jeudi. Nous nous rendons directement au centre d’accueil : contrôle des sacs, remise des dossards. L’organisation est parfaite, elle le sera tout au long de la course. Nous séjournons dans un magnifique chalet au-dessus des Houches. Ma nuit va être agitée, trouvant très difficilement le sommeil. La matinée du vendredi est consacrée à la préparation des sacs de change de Courmayeur et de Champex. Pour ces deux étapes, je mets un change complet : un t-shirt thermique, un maillot, un running, des chaussettes, une paire de chaussures, une polaire, de la nourriture, des gants ! Au repas du vendredi midi, j’ai une terrible montée d’angoisse que j’ai du mal à maîtriser.
 
Jean-Marie ,Joël d'Ecouves, Joël de Paris, Dominique, moi, Mario
 
Dominique, le copain médecin, coureur également, s’en aperçoit. Il me regarde l’air très inquiet. Cela passe. Mais je garde la gorge nouée. Pour l’après-midi, sieste mais je ne dors pas. 17h, je m’habille et nous partons en voiture rejoindre Chamonix. Pour gagner la ligne de départ, il faut effectuer quelques centaines de mètres à pied. Harnachés dans notre équipement de trailers et avec notre dossard, nous attirons l’attention des touristes. La foule des coureurs devient de plus en plus dense. Nous remontons la rue pour rejoindre la place du Triangle de l’Amitié. L’ambiance est forte, beaucoup de cris, de drapeaux agités. Les animateurs et les officiels juchés en haut de l’arche de départ nous gonflent à bloc avec des paroles fortes. Sur l’écran géant, les caméras balaient la foule des coureurs. Un dernier geste pour Mireille, mon épouse. Je reste seul avec un des Joël, les autres amis sont dispersés dans la foule. 19h, 19h ! je crois que j’ai la tête vide.
 
 
Le départ se fait lentement, en marchant… comme à l’arrivée !!! Ce n’est qu’au bout de quelques centaines de mètres que je peux courir. Voilà, c’est vraiment parti. L’ambiance est incroyable, elle le sera jusqu’au bout. Les spectateurs nous acclament. Cela donne le vertige. Jusqu’aux Houches, cela a des allures de footing léger. Ensuite se présente la première montée, le col de Voza, une vraie mise en jambes, 650 m de dénivelé sur 4 km, soit une pente à 16,5 %. C’est sur cette pente que les skieurs du Kandahar dévalent à 150 Km/h. Comme les autres, je sors mes bâtons et entreprends une ascension rythmée. Le soir arrive. Nous avons de la chance, le ciel est clair. Le paysage est somptueux.
 
 
 
Les sommets enneigés et les glaciers prennent une magnifique couleur rose orangée. La vue de spectacle grandiose me gonfle un max.
 
 
La nuit est tombée. Toutes les frontales sont allumées et c’est maintenant une longue procession lumineuse. J’ai bonne allure. L’arrivée sur les Contamines est époustouflante. Je passe entre deux rangées de spectateurs qui m’acclament. Des clarines sont agitées frénétiquement. Comment ne pas résister à cet engouement, Je commets l’erreur d’augmenter ma vitesse. A la Balme, toujours la même ferveur. Des feux de camps brillent sur les pentes. Le froid est là. Je revêts ma polaire et ma veste. Le col de la Croix du Bonhomme m’attend avec ses 2 479m. Cette montée est, là encore, hors du commun. Je vais épuiser tous les superlatifs ! Mais cette infinie reptation lumineuse à l’assaut des pentes est un des spectacles les plus saisissants qu’il m’ait été donné de voir. Au-dessus de nous, la voie lactée dresse un autre chemin. La voûte céleste est constellée d’étoiles comme on n’a plus l’occasion de voir dans nos ciels citadins.
Arrivé en haut du col, c’est la descente vers les Chapieux. Je ne suis pas raisonnable là encore, grisé, je me jette dans la pente. C’est une descente folle. C’est ahurissant, cette longue descente de nuit en montagne. Mais je vais batailler  avec  un détail vestimentaire qui va  me  pourrir  la descente.  Bientôt, le premier marathon est bouclé. La vallée des Glaciers s’ouvre devant moi. Dans le jour naissant, la beauté du paysage me submerge. Cependant, avant Courmayeur, il y a encore deux cols à 2 500m à franchir. Ceux-là, je les attaque plus calmement car je sais bien que je n’ai pas été raisonnable dans ce premier quart de course malgré les recommandations. C’est ensuite une longue descente vers Courmayeur en petites foulées. Pour moi, les bâtons sont indispensables car ils permettent de soulager les genoux.
 
 
 
 
 
Dans la cité italienne, ma petite femme est là avec les amies pour me recevoir. C’est réconfortant de les voir. Mais dans  le complexe,  je  galère  un  peu  à me retrouver, suis  un  peu perdu. J'ai croisé Jean-Marie qui repartait.Je me change entièrement et je me restaure. Je remets de  la  poudre dans  mon camel-back. Tout au long du parcours, les points de ravitaillement sont copieux et variés. Chacun peut y trouver son compte. Pour moi, ce sera le plus souvent soupe chaude et pain-fromage du pays. Je repars en marchant dans les rues de Courmayeur. Les enfants de Béatrice m’accompagnent un moment en me photographiant. Des passants m’encouragent par des « bravo »
 
 
 
 
À la sortie de la ville, je  m'aperçois que  le tuyau de  mon camel-back est  bouché  par  la  poudre  non diluée. Je  vais m'épuiser  à aspirer comme  un con  afin de faire "passer"  le bouchon. Cela  m'a destabilisé. Je commence  à manquer de  lucidité. Puis,  là commencent les vraies difficultés. Certes, je viens de passer trois « 2 500 » mais les pentes étaient raisonnables, de l’ordre de 13 -15 %. Mais là, la montée au refuge Bertone est entre 20 et 25 %. Dans un des premiers lacets, une équipe de télévision m’arrête pour me demander à quoi je pense ! J’ai l’esprit un peu en rade. Je réponds tant bien que mal. Je leur dis que je pense surtout à mettre un pied devant l’autre, que je pense au prochain mètre à parcourir. Mais le cadre est tellement grandiose qu’il sublime l’effort. La piste du refuge Bertone au refuge Bonatti permet de souffler. Son profil est vallonné, mais il permet de trottiner tranquillement.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Pour le paysage, que dire maintenant ? Le Mont-Blanc dans toute sa gloire ! Les grandes Jorasses, magnifiques ! Cela m’évoque une strophe d’un « chant » Navajo : au-dessus de moi, magnifique ;au-dessous de moi, magnifique ; autour de moi, magnifique, tout est magnifique…
Puis c’est la descente vers la petite station d’Arnuva. Le temps se gâte. Les cimes disparaissent sous les nuages. Là, j’entreprends une petite restauration avant d’attaquer le point culminant du parcours, le col Ferret avec ses 2 537m. La pluie fait son apparition. En cette fin d’après-midi, la pluie ne va plus me quitter pendant 16 h d’affiler ! Pourtant, un autochtone m’a assuré que ce ne serait que quelques gouttes. J’engage donc la montée vers ce grand col, cahin-caha, à un rythme bien lent, en prenant bien appui sur mes bâtons. Et dire que certains font ce raid sans ! Arrivé au refuge Eléna, j’ai mon premier coup de mou. Je suis vidé. Je suis au Km 90. Au téléphone, ma petite femme me regonfle ! J’essaie de me restaurer convenablement. Je m’enduis la plante des pieds de crème Nok. Je ne suis pas trop lucide. Je m’allonge sur un banc, le long du chalet pour dormir quelques minutes. Bon, il faut y aller ! Lentement, mètre après mètre, j’avance sur les pentes de ce géant. La pluie est maintenant bien présente. Je sors ma cape pluie. Il est presque 18h quand j’atteins le sommet. Déjà, 23 h que je suis parti ! C’est bien plus difficile que je ne le pensais. Et encore, le plus dur m’attend !. La descente est périlleuse. La pluie a rendu boueuse la piste. Alors, vaille que vaille, je préfère descendre en courant. Finalement, cette longue descente me convient.
 
 
 
J’arrive à la Fouly. Les rues de ce petit village suisse sont désertes. Quelques centaines de mètres avant le point de ravitaillement, j’aperçois une voiture familière. Mon épouse en sort et vient m’accueillir. Elle m’accompagne jusqu’au point de contrôle. Elle me prend en charge, me conduit au ravitaillement où je prends une soupe, puis à la salle de soin. Elle m’aide à retirer ma cape pluie, mon sac. Je m’allonge sur une table où un kiné me masse les mollets et les cuisses. Le mollet droit commence à me donner du souci. Une contraction commence à s’installer comme au marathon de Paris. Mes chaussettes sont trempées. J’ai la plante des pieds toute striée. Comme j’ai également un début d’échauffement, le kiné me tartine copieusement les pieds de crème. Un dernier bisou à Mireille et je repars dans le soir. Comme à Courmayeur, les enfants de Béa, Ambroise et Albin, m’accompagnent un moment, tout en me photographiant; quelle allure avec ma cape !
 
La descente continue vers Praz de Fort. La nuit s’installe. J’ai l’impression d’être hors du temps, pourtant, je regarde ma montre. J’en suis à plus de 24 heures de course, mais cela n’a plus vraiment de signification tellement c’est énorme. À 23h30, j’arrive à Champex où, enfin, je vais pouvoir me changer. La salle est bondée. Avec mon sac de change, je ne sais où m’installer. Tant pis, je m’assois à une table de coureurs qui se restaurent. J’entreprends de me dessaper entièrement et me rhabille avec des vêtements secs. Je change également de chaussures. Il faut repartir. Un monstre m’attend : la montée de Bovines avec une pente à 33% sur 1,5 Km. Cette montée sera un vrai calvaire. Plus de force, la contracture du mollet. Mais Emmanuel, un de la bande des six, me rejoint et c’est lui qui va me booster pour continuer à avancer. Vraiment, je le remercie ici. Pour monter à Bovines, ce n’est pas un sentier, mais un chaos de pierre qu’i faut escalader. C’est l’horreur sous la pluie. Je ne sais pas où je trouve l’énergie pour avancer. À chaque point où je m’arrête – et ils sont nombreux- les coureurs qui me passent s’enquièrent de mon état. La solidarité est de mise. J’ai dit à Emmanuel de partir. Enfin, je quitte la forêt et, vers 3 h du matin, j’atteins les alpages. Des lumières orange partout ! je ne comprends pas. Non, ce n’est pas le point d’accueil mais les lumières de Martigny, en bas dans la vallée ! Je mange. Des coureurs se sont entassés dans la tente de secours pour se réchauffer un peu. Je n’ose penser à la descente. Enfin, si, j’imagine le pire. Et bien, non, ça le fait ! Mais juste avant Trient, il reste une descente vertigineuse par un sentier en lacets transformé en toboggan infernal avec la boue. Cette descente n’en finit plus. J’ai maintenant le mollet, en fait les jumeaux complètement contractés. Comment continuer dans cet état ?
À Trient, Km 131, je me dirige vers la salle de soin. J’entre. La salle est pleine de naufragés de l’UTMB: ce sont des corps  allongés sur des  lits  picots, des secouristes s'affairent. J'entends des râles! Cela fait froid dans le dos. Je m’enfuis ! Je vais au pointage. Je mange un morceau, avachi à une table. Comme certains, je m’endors sur la table dans ma cape pluie, quelques minutes. Le froid me réveille. Il est 5h30. Je suis dans le potage. J’appelle Mireille. Elle trouve encore les mots. Je me lève en chancelant. La douleur à la jambe est forte. Il faut que je parcours quelques dizaines de mètres pour que les muscles se réchauffent un peu. Mais comment vais-je pouvoir grimper le mur de Tseppes, 25 % de pente ! Mais, divine surprise, c’est un véritable sentier bien propre. Certes, la pente est raide, mais je peux avancer sans trop de problème. Je marche, le regard juste devant mes chaussures. Je monte, je monte, en m’arrêtant fréquemment. Toujours le même soutien des coureurs qui me dépassent. Puis, un me dit de tenir le coup, que c’est bientôt la bascule. Enfin, j’arrive au chalet. C’est incroyable. Il faut continuer à monter dans les alpages, mais la pente est douce. Et c’est la descente vers Vallorcine. Les nombreux lacets permettent de perdre rapidement de l’altitude, mais la boue rend périlleuse cette descente. Dans un virage, je valdingue ! première chute pour fêter mon arrivée en France. Vallorcine, Vallorcine ! je n’ose y croire. Il reste juste le passage du col des Montets avant de plonger vers Chamonix, du moins, je le crois ! Paradoxalement, je suis mieux à monter avec ma jambe raide qu’à descendre. Je souffre énormément à descendre vers Argentière. Dernier pointage, dernier ravitaillement sur la place du village. Je m’assois à une table. Il est midi. Les bénévoles sont au petit soin avec moi. Il reste 9 Km. Je crois que je ne vais pas pouvoir arriver avant 16h ! J’en peux plus. Encore une fois, je veux arrêter. J’appelle Mireille pour annoncer ma décision. Là encore, elle et la copine Béa me bousculent pour me remotiver, que c’est largement jouable, que j’ai le temps !!!
Bon, plus le choix alors, je repars. Dans les rues d’Argentière, les passants me félicitent, m’applaudissent. C’est incroyable cette ferveur ! Tout en marchant, j’essaie d’évaluer ma vitesse, les kilomètres qui restent à parcourir. Pour monter, le mollet se fait un peu oublier. Je pensais descendre, et bien non, il va falloir monter : 110 m de dénivelé. Mais, j’arrive encore à trottiner. Je rejoins Emmanuel qui marche, complètement vidé. Je l’encourage. Mais il va finir !! Je continue à trotter dans ce chemin qui n’en finit pas de monter. En dessous, j’aperçois enfin Chamonix. Comme partout, les promeneurs me félicitent. Voilà, je bascule vers la ville. Les spectateurs de plus en plus nombreux m’applaudissent. L’émotion est de plus en forte. Ambroise et Albin arrivent au-devant de moi. Je ne peux pas courir. La foule est dense. Tous ces gens qui vous acclament ! Inouï ! Inouï! Je continue à marcher mais, là, après le virage, je sais qu’il faut que je cours. Ces derniers mètres… plus de mots. C'est au-delà de ce qu'on  peut  imaginer.
 
 
                                                 cette  photo résume bien mon ressenti
 
 
Je m’élance en courant vers l’arrivée. Le speaker m’annonce.  Catherine Poletti est  à  l'arrivée, c'est elle qui reçoit  mes  premières  impressions!
 
 
 
 
 
 
 
J’aperçois Mireille, mes amis. Je tombe dans leurs bras. Je pleure.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
vraiment à bout!!!
 
Mustang

8 commentaires

Commentaire de EDELWEISS posté le 29-08-2006 à 21:02:00

Ce compte rendu est magnifique et j'ai pu constater en spectatrice, le véritable dépassement de soi qu'est un tel effort. Encore bravo et bonne récup! E.

Commentaire de béné38 posté le 29-08-2006 à 22:48:00

Oui encore bravo pour ce récit et tout ce qu'il laisse passer comme émotion.

Commentaire de luclafrat posté le 30-08-2006 à 09:32:00

Bravo Mustang, tu viens de nous faire partager un immense moment d'émotion et de rêve.
Certes tu finis certainement vidé, mais tu l'a fais....
Surtout prends bien le temps de récupérer pour nous faire vivre d'autres folles aventures.

Amicalement,

Luc.

Commentaire de Olivier91 posté le 31-08-2006 à 16:43:00

C'est çà pour moi l'UTMB: de l'émotion. Bravo et bonne récup!

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 21-06-2012 à 07:32:21

Et celui-là, je ne l'avais pas commenté... t'avais l'air jeune à l'époque !

Commentaire de o[Bob] posté le 27-06-2012 à 11:41:46

Je découvre, et je commente, et je vote pour le K-livre :
Bravo, super !

Commentaire de vinch64 posté le 28-05-2014 à 21:02:38

Magnifique ce CR!!!
Et la photo de ton arrivée est merveilleuse.
C'est hallucinant tout ce qu'on peut lire dans ton regard. De la fierté et du bonheur d'être arrivé au bout de cette course et de toi même !

Commentaire de La Tortue posté le 06-09-2016 à 01:31:02

nuit d'insomnie, je me ballade sur kikourou et feuillette de vieux CR !
comme je vais à chamonix vendredi pour l'Evergreen228, je me replonge dans l'ambiance.
merci et même 10 ans après , il n'est jamais trop tard pour dire : "bravo" !

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