L'auteur : Olivier91
La course : Ultra Trail du Mont Blanc
Date : 24/8/2007
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 2944 vues
Distance : 163km
Objectif : Pas d'objectif
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273 autres récits :
Décidément, cette course n’est pas comme les autres. Ce n’est pas une simple course . C’est un rassemblement, une fête, un pèlerinage. L’appoche de l’événement fait bouillonner les forums internet. Même les coureurs qui ne participent pas s’y intéressent. En quelques années, l’UTMB s’est imposé comme LA course d’Ultra, la référence. D’autant que cette année le plateau est exceptionnel ! Peu de « stars » de la discipline manquent à l’appel. Je ne suis pas une star, mais moi aussi, j’y suis pour la troisième année consécutive, après mon élimination de 2005 et mes 34h52 de l’an dernier.
Plus les années passent, plus mes courses sont baignées dans une atmosphère de convivialité. Cette fois encore, celle-ci est au rendez-vous, avec les rencontres qui se multiplient au cours de cette demi-semaine de fin août et la réception à St Nicolas, dans mon chalet situé en haut d’un chemin emprunté par l’UTMB, de Sébastien et sa femme, Michel, Stéphane, Jérôme et Christophe. Le camp de base, situé à une bonne demi-heure de Chamonix a l’avantage d’être suffisamment près du triangle de l’amitié pour faciliter les allers-retours et suffisamment éloigné pour nous permettre de nous préparer dans le calme et la sérennité.
L’ambiance est excellente et à la franche rigolade. Nous avons l’impression de nous connaître déjà depuis longtemps. Je me sens dès ce moment concerné par la réussite de chacun pour ce qui constitue pour tous l’objectif majeur de l’année. Le dernier repas est consacré à la dégustation d’une superbe croziflette, variante de tartiflette à base de crozets de Savoie. Je mets au point les derniers réglages avec Alice qui me suivra au maximum avec les enfants pendant cette petite aventure qui est devenue familiale, tellement tous s’y investissent. Alice sera même bénévole cette année : elle participera à la circulation des coureurs à St Gervais.
Vendredi 15h
C’est le grand départ. Il est temps, l’attente a été longue pendant cette semaine de vacances, vouée à une certaine inaction, ce n’était pas le moment de se fatiguer à quelques jours de l ‘épreuve.
Alice partira après moi, elle doit se rendre au briefing des bénévoles de St Gervais avant de me rejoindre sur la ligne de départ. Les formalités correspondantes vont vite ce qui lui permet de me retrouver 45 mn avant le départ.
Lors de la remise des sacs que nous retrouverons à Champex et à Courmayeur, je croise de nombreuses connaissances et nous échangeons de bon cœur, souvent autour d’un bulletin de santé (Laurent qui vient pour la forme mais devra renoncer aux Houches, Philippe qui aura du mal à honorer son statut de favori, atteint de problèmes digestifs depuis le début de la semaine et d’une fissure de la rotule, Manu qui s’inquiète de ses genoux qui ne le laissent pas en paix depuis le raid Montpellier Valence,…). Me rendant sur la ligne de départ, je croise plusieurs copains coureurs qui choisissent une position proche de la ligne, j’opte pour une position plus en retrait, j’aime partir lentement, je ne veux pas être pris dans le rythme trop rapide de la tête de course.
Outre Alice, je retrouve Sébastien et quelques mètres derrière moi Manu et Stéphane, très concentrés. Les derniers échanges avec ma petite famille me font passer un doux frisson au travers du corps, je les sens tellement avec moi. Ces émotions sont celles que je recherche ici, nous sommes vraiment loin du train train quotidien ! !
A propos d’émotion, elle étreint la majorité des coureurs quand Michel Poletti, l’organisateur-coureur témoigne de son amitié à Werner Schweitzer, l’emblématique vétéran suisse fort aimé du peloton, luttant contre la maladie, mais fidèle au rendez-vous Haut-Savoyard.
Vangelis emplit de sa musique la place de l’amitié ... le départ est donné. Nous sommes contraints de marcher pendant quelques centaines de mètres avant d’entamer un petit trot qui nous mène tranquillement jusqu’aux Houches. Le temsp est radieux et s’ annonce stable pour le week-end. Nous nous dirigeons vers une course plaisir plutôt qu’une course héroïque. Les deux ont leur charme.
Je croise des coureurs connus ou qui me connaissent au travers de mes récits de course, je reconnais des amis dans le public. Ce début de course est serein, quoique … Mon inaction voulue de ces derniers jours m’a déconnecté de mon entrainement. Je n’ai plus la mémoire de ce que j’ai fait, je me sens démuni face à l’immensité de la tâche qui m’attend. J’ai l’impression de ne rien avoir fait cette année (alors que j’en suis à mon 9ème ultra de l’année et que j’ai effectué 45000m de dénivelé positif et 1600 km de CAP depuis mars). Je suis un peu décontenancé, stressé, peut-être plus que l’an dernier. J’ ai sans doute peur de faire moins bien, j’ai envie de voir la fierté dans les yeux d’Alice et des enfants, mais j’ai peur de ne pas être à la hauteur.
Vendredi 20h
J’arrive à La Charme. Les sensations ne sont pas bonnes. J’avance, mais les douleurs que je craignais pour les avoir ressenties ces dernières semaines sont apparues aux fessiers et surtout aux aines. Une cruralgie bilatérale me fait souffrir et le moral n’est pas au top.
Je me retrouve une première fois à la hauteur de Manu qui grommelle tant qu’il peut. Un peu sauvage, il n’aime pas ce début de course dans la cohue, au contact de coureurs insuffisamment expérimentés en particulier dans l’usage des bâtons. Il est vrai que certains comportements ne lassent d’étonner, mais nous savons que d’ici quelques kilomètres, les écarts se feront et rendront la course plus sereine. J’entame la nouvelle descente sur St Gervais, 1000m d’un coup, que je dévale à bonne vitesse, j’adore çà les descentes. Je saurai plus tard que j’aurai doublé plus de cent coureurs dans cette partie. J’en profite pour étrenner ma nouvelle frontale (Led Lenser), très puissante, mais dont la grande légèreté présente un défaut important : l’instabilité marquée du faisceau sur le sol.
L’arrivée à St Gervais est évidemment un grand moment pour moi car j’y retrouve Alice dans sa tenue verte de bénévole et les enfants qui m’ont confectionné une pancarte d’encouragement « Vamos Papa » (Marion est fan de Raphaël Nadal ! ! !). Je prends mon temps pour être un peu avec eux. Pendant ce temps, Michel Poletti, arrivé en même temps que moi, sans prétention de performance cette année car il se remet des suites d’une opération du genou, passe aussi un peu de temps avec des bénévoles enthousiastes.
D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls à être enthousiastes, le public saint gervolatin fait honneur au nouveau statut de la ville qui reçoit la course pour la première fois en son centre. L’ambiance est magnifique. C’est la fête ! !
Vendredi 21h
J’entame la partie du parcours que je connais bien pour l’avoir parcourue plusieurs fois, ne serait-ce que lors des trois dernières éditions de la Montée du Nid d’Aigle. Mais, les sentations sont toujours mauvaises. Je ne peux pas courir. Mes cruralgies m’empêchent de lancer les jambes en avant. Je m’étonne de penser sporadiquement à l’abandon, de peur que le plaisir ne soit pas au rendez-vous. Je sens le piège que je craignais : le fait d’avoir réussi à boucler l’an dernier rend moins « vital » l’objectif de finir cette année. Heureusement, j’avais anticipé cet état mental et je lutte pour évacuer cette idée. Je suis inscrit, c’est pour tout faire pour finir.
Je retrouve l’ami Gilles au bas de ma rue, sur le parcours cette année. Il m’accompagne 500m et me laisse à mes doutes et à ma douleur. Je perds de nombreuses places dans cette partie où je pensais courir et où je marche moyennement rapidement. Manu, que j’avais distancé dans la descente de la Charme me double à ce moment. Il m’a l’air en forme.
L’arrrivée aux Contamines est fervente, même si c’est un peu en retrait par rapport à l’an dernier. Je vois Christophe Gotti, 3è du dernier Tour des Glaciers de la Vanoise qui explique au micro son abandon. Christophe a accompagné le groupe d’alipinisme d’Alice il y a 19 ans … et s’est par hasard qu’ils se sont retrouvés lors de la course de Pralognan.
Je croise Michel au ravitaillement ; Michel qui travaille au collège de mes enfants et qui est arrivé ¼ d ‘heure après moi l’an dernier. Décidément, nous avons un rythme proche l’un de l’autre.
Après le plat jusqu’à Notre Dame de la Gorge, marché au lieu d’être couru, j’entame la plus longue montée de la course, le col de la Croix du Bonhomme. Celle-ci se passe bien. Le rythme n’est pas démentiel, inférieur à mes entraînements, mais me permet de doubler plusieurs dizaines de coureurs. A la Balme, je suis attendu par Eric qui redescend d’une journée en montagne et qui peaufine en tant que spectateur sa découverte du monde de l’ultratrail qui semble le convaincre de s’y mettre aussi sous peu.
Après ces premières heures passées souvent au contact d’un public chaleureux, les pentes au-delà de la Balme signent notre entrée véritable dans le monde de la montagne, éclairé par la lumière hésitante de millions d’étoiles ("Mes étoiles au ciel avaient un doux froufrou") et d’une lune quasi pleine. Le silence s’impose à nous . J’entre dans ma bulle, je me sens enfin un peu serein.
Samedi 1h
Au sommet du col du Bonhomme, quelques supporters nous saluent. J’avale les quelques centaines de mètres qui nous séparent de la Croix du bonhomme avec rapidité. Arrivé au refuge, je me décide à changer de frontale, l’éclairage très puissant de ma Led Lenser a déjà fortement faibli et est insuffisant pour la descente qui s’annonce. J’en reviens à ma MyoXP, finalement plus fiable.
J’entame la descente un peu moins vite que l’an dernier. La descente de la Charme a déjà entamé mon potentiel. Mais mon rythme est suffisant pour doubler plusieurs dizaines de coureurs jusqu’à une première chute qui replie mon bâton. En courant, j’étire le brin en cause et le serre, malheureusement, je ne vois pas que je le sers alors que le tube est hors du tube supérieur. A la chute suivante, cela ne manque pas, je casse mon bâton. Je sais à quel point je me sers de mes bâtons et cet incident est une vraie guigne pour moi. Je poursuis en maugréant, le moral franchement atteint, d’autant que cette année, le traceur a décidé de couper tous les lacets du chemin final pour nous faire prendre une pente marquée, en herbe et terre humides … et donc glissantes à souhait. C’est par 5 fois supplémentaires que je me retrouve fesses contre le sol, manquant même de me faire mal une fois. Cela n’arrange pas mon moral : je ne peux pas courir à cause des cruralgies, je monte moins fort qu’attendu et il faudra en plus que je me passe des bâtons et ceux-ci vont cruellement me manquer dans les descentes !
Bref, les idées sont grises quand j’entre sous la tente du ravitaillement des Chapieux où je tombe sur un Manu au visage plus fermé que jamais : « Je suis très en colère, je viens de me faire une cheville dans la descente ! » Manu est sujet à de nombreuses entorses, et les numéros d’équilibristes imposés par la descente lui en ont peut-être causé une. Il décide cependant de continuer. Moi aussi.
Samedi 3h
Je pars pour la longue ligne droite menant à la Ville des Glaciers où je marche d’un bon pas au lieu de courir .. et les places défilent. J’attaque sans conviction le col de Seigne qui me vaudra 2 arrêts ravito/respiration tellement je pioche à ce moment-là. Il faut dire que nous sommes dans cette phase de la nuit, autour de 4h du matin où mon rendement est systématiquement atteint. Heureusement, je peux déguster l’ambiance incroyable de cette montée. En effet, aux deux tiers de celle-ci, on voit presque la fin du sentier au-dessus de nous et en dessous nous le voyons quasiment jusqu ‘aux Chapieux. Et c’est une longue chenille de plusieurs kilomètres que forment les pâles lumières des frontales qui répondent aux millions d’étoiles qui scintillent nullement troublées par une éventuelle pollution lumineuse ("Une obscure clarté descendait des étoiles"). La voie lactée laisse sa large traînée blanchâtre d’un bout à l’autre de l’horizon. Cette image vaut toutes les souffrances endurées. Petits instants miraculeux que seuls nous autorisent les sorties dans l’intimité de la nature. Instants de poésie qui me nouent la gorge et résonnent en moi en un petit frémissement qui vient humecter mes paupières.
L’expérience acquise ces 2 dernières années me permettent de passer sans encombre les moments de moins bien qui auront ponctué cette montée. De plus, je respecte malgré tout (et à ma grande surprise, vues les circonstances) mon plan de marche en 32h environ. Je salue rapidement les bénévoles du col et plonge immédiatement dans la descente : ne pouvant courir, je préfère gagner du temps dans toutes ces phases de transition, de plus un petit vent frisquet risquerait de me refroidir. Etonnemment, cette partie que j’avais mal négociée les 2 années précédentes est le premier secteur que je passe réllement sans encombre, avec plaisir. Si bien que je rejoins Manu (déguisé en Mme Michu avec son buff sur la tête) juste avant le ravitaillement d’Elisabetta.
Samedi 5h
Nous repartons ensemble, il est enfin sous le charme de la course. Il a vécu comme moi les instants magiques de la montée de la Seigne, il se sent bien. Il souhaite trottiner le long du lac Combal … je ne peux le suivre et le laisse disparaître dans l’obscurité qui déjà faiblit. Une franche rosée commence à apparaître au loin, je vais sans doute observer la levée du jour en haut de l’arête de Mont-Favre comme l’an dernier. Mes sensations en montée étant toujours mitigées, j’attaque très prudemment la montée et doit malgré tout souffler un peu sur le haut, à l’occasion d’un arrêt pour m’enquérir de la santé d’un coureur en difficulté. Celui-ci a les genous très douloureux suite à une chute et serre les dents pour aller abandonner à Courmayeur.
Comme l’an dernier, le spectacle de la lumière naissant sur l’arête de Peuterey est féérique et m’impose un petit arrêt contemplation. Je suis dans mes temps, un peu en avance sur l’an dernier, compte tenu de l’allongement du parcours. Reste à descendre aussi bien que l’an dernier sur Dolonne. Mes relances sont moins efficaces eut égard à mes douleurs persistantes, mais dès que le profil est descendant, je me fais plaisir et double les coureurs moins à l'’aise en descente. Je vais même plutôt vite sur les derniers hectomètres avant Maison Vieille au cours desquels j’ai la surprise de doubler Bertrand, traileur de haut niveau, terrassé par les ennuis digestifs, qui se rend à petite vitesse à Dolonne pour abandonner. Philosophe, il ravale autant que possible sa déception et m’encourage pour ma course. Je le laisse après un passage éclair au ravitaillement et m’élance pour une descente infernale sur Courmayeur, descente où enfin je lâche les chevaux et avale les mètres et les coureurs avec aisance. Je prends le temps d’annoncer mon arrivée à Alice qui dort dans la voiture avec les enfants en attendant mon arrivée.
Samedi 7h50
J’arrive à Courmayeur dans les temps que j’envisageais. Je ne souffre d’aucune tendinite, la plaie de mes autres éditions de l’UTMB. Il fait beau, je retrouve ceux que j’aime et malgré les douleurs, je me sens en état de poursuivre. Il faut noter à propos de ces tendinites qui ont émaillé mes deux premières années de course à pied (je suis en effet un tout jeune coureur !) que j’ai pris deux décisions qui semblent s’avérer concluantes : me faire enlever une dent de sagesse mal placée et passer régulièrement entre les mains de mon ostéopathe (après les grosses accumulations de courses et en prévision des gros objectifs (ainsi j’y suis allé quelques jours avant de partir pour Chamonix)). Depuis, aucune alerte sérieuse : coincidence ou lien ?
Après quelques minutes passées à me changer et à me préparer, je rejoins dehors ma famille pour manger tranquillement mes pâtes bien méritées. Tous les 5 sont enthousiastes. Ils m’indiquent que je gagne des places régulièrement pour être à ce moment dans les 400. Je lis la fierté dans leur yeux. Je fais le plein d’ondes positives auprès d’eux. Je les aime profondément. Et j’ai l’impression que je suis une peu servi en retour par leur amour. A ce moment, je mesure, après les heures de solitude que je viens de vivre, que cette course nous la faisons à plusieurs et que c’est un peu la leur. En outre, de nombreux témoignages d’amitié me sont parvenus directement (sur mon portable) ou par l’intermédiaire d’Alice dont le mobile a beaucoup chauffé depuis le départ. Chers amis, puis-je vous rendre ce que vous m’apportez dans ces moments-là ! ! L’UTMB est une course particulière pour cela, car elle permet aux autres de partager en temps réel et cela est infiniment précieux.
Samedi 8h35
Avec tout cela, ma pause a été plus longue que prévu. Je repars flanqué de ma petite famille pendant quelques centaines de mètres, mais une chose a changé : je suis regonflé à mort par cette pause et en plus Alice m’a donné un antalgique qui fait immédiatement effet. Pour la première fois de la course je n’ai plus mal !
Cela ne m’empêche pas de marcher pour digérer, jusqu’à l’attaque de la montée pour Bertone que j’effectue de manière régulière, sans forcer. Il commence à faire chaud et monter dans le rouge pourrait avoir des conséquences néfaste pour la suite. Je n’arrive pas à monter véritablement vite, mais j’arrive dans un bon état de fraîcheur à Bertone, ce qui me permet de réaliser une section euphorique jusqu’à Arnuva. Je suis enfin parfaitement bien. Ma course est enfin souple. Le paysage est à couper le souffle : Dent du Géant et Grandes Jorasses saupoudrées d’un blanc étincelant. Petit sentier terreux dans une ambiance féérique. Je déroule, je déroule ! ! Je ne fatigue pas. Je double régulièrement un coureur ici, un coureur là. La descente sur Arnuva est l’occasion d’un sprint effréné qui me comble de joie. Les jambes répondent parfaitement, l’entraînement important lors du mois de juillet fait son œuvre.
Samedi 12h30
L’arrivée à Arnuva est un enchantement. Le val Ferret italien m’a toujours semblé être un dépliant touristique pour convaincre les touristes d’aller en montagne, tellement on s’y sent près du Paradis. Lumineux, coloré et chaleureux ce point de la course fait partie de mes préférés. J’y croise deux relations on-line, François et Jérôme, dont je fais la connaissance de visu. Alice et les enfants sont là. Ils sont radieux. Ils ont profité d’une terrasse engazonnée pour prendre un petit déjeuner homérique. Et leur bonhomme est toujours là, son classement progresse, ils manifestent leur enthousiasme à grand renfort de clarines. Boudiou, que les embrassades sont revigorantes. Je me sens moins atteint que l’an dernier au même endroit, cela promet pour la fin de course.
Toujours limité dans ma vitesse ascensionnelle, je prend le chemin d’Elena puis du Grand col Ferret avec beaucoup de prudence et perds quelques places, mais serre les dents pour limiter la casse. Conformément à la tactique décidée, je ne reste pas une seule seconde au col et descend promptement vers La Peule. J’estime être 320è et espère passer sous les 300 d’ici La Fouly. Et effectivement, mes longues foulées énergiques me portent plus vite que la marche étriquée auxquels sont réduits de nombreux coureurs dépassés dans cette descente.
A La Peule, je vois Michel s'élancer au moment où j’arrive : Oh le beau point de mire ! Je le rattraperai au moment de mettre le pied sur le chemin légèrement descendant qui doit nous mener à La Fouly. Nous partageons quelques hectomètres, mais il décide de courir sans discontinuer, là où j’opte pour une Cyrano (alternance marche-course) et s’éloigne peu à peu.
A La Fouly, pour la première fois je vois des coureurs en phase avancée de décomposition : avachis sur leur siège, endormis dans le nid douillet de leur bras, ils sont une dizaine qui s’interrogent sur la poursuite de leur aventure. Je suis moi-même soumis à des sensations contradictoires : autant je ne me sens pas super bien dans les montées malgré l’économie de course sur les plats, autant je me sens sûr de finir, je me sens fort. Par quel miracle ce sentiment de force malgré mes limites notables ? Je ne sais pas trop. Sans doute mes mauvaises sensations sont liées à une difficulté à faire monter les pulsations, mais mon sentiment de puissance serait issu de l’absence de marques notables de fatigue malgré la vingtaine d’heures de course.
Samedi 15h30
La partie sympatique entre La Fouly et Champex est pour moi la première occasion de courir sans retenue : je suis toujours plus à l’aise sur une monotrace que sur une large route. Pourquoi ? Je ne sais pas, cela semble pourtant contradictoire, mais c’est ainsi. Je me sens bien quand je vois juste devant moi, à proximité de l’ancien ravitaillement de Praz de Fort, Cédric et son père …. Cédric qui était plus d’une heure devant moi au col Ferret : c’est mauvais signe ! Effectivement, Cédric me demande mon avis quant à son éventuel abandon. Il souffre de tendinites de chaque côté du genou droit, à proximité de son ancienne fracture de fatigue, ce qui l’inquiète. Nous devisons 10 minutes jusqu’à ce qu’ il prenne la décision qui semble s’imposer : l’abandon. Un peu charognard sur les bords (c’est l’effet que je me fais, à ce moment), je demande à Cédric, s’il peut me passer un de ses bâtons pour remplacer celui que j’ai cassé. Bien entendu, celui-ci s’exécute, mais je passerai une bonne demi-heure à ressasser la façon dont j’ai demandé ce coup de main, car, pris dans ma bulle, j’ai eu peur que ma demande ne soit pas entourée de toutes les précautions d’usage, vis à vis d’un concurrent forcément très déçu par la décision qu’il a été obligé de prendre. Après coup, je sais qu’il n’y a pas eu de problème, mais sur le moment, la fatigue aidant, c’est fou comme on se fait une montagne de tous les petits doutes.
Toujours est-il que je peut enfin compter sur 2 bâtons pour les 3 dernières montées qui m’attendent, c’est toujours ça de gagné. Mon arrivée à Champex se fait dans l’ambiance d’une fin de bel après-midi de vacances. Les spectateurs sont éparpillés le long du parcours et notre vitesse toute relative permet de discuter au passage, ce qui me permet d’apprendre que les témoins du bord de route me trouvent plutôt meilleure mine que les autres concurrents : mine de rien cela me réconforte et renforce mon sentiment d’assurance quant aux perspective de boucler la boucle.
J’effectue les dernières dizaines de mètres avant la base vie de Champex en compagnie d’Alice et des enfants sauf Marion qui s’est postée plus haut, caméra au poing. L’ enthousiasme de mes accompagnateurs ne se dément pas et je profite à plein des bouffées d’amour qu’ils m’envoient. Je me souviens que l’an dernier, la fatigue et la concentration m’avaient fait oublier de leur témoigner en retour tout l’amour et toute la reconnaissance qu’ils méritent, je fais donc attention à répondre à leurs sollicitations avec le sourire et avec le maximum de tendresse disponible à ce moment de la course.
Je suis bien mieux organisé que l’an dernier et profite de l’aide de chacun. Les informations sur les copains sont plutôt bonnes, la plupart sont encore en course et nous sommes pour beaucoup dans des positions relativement proches, Manu, par exemple venant de quitter le ravitaillement. Je ne reste que 25 minutes et me lance avec un peu d’appréhension dans ce qui constitue à mon sens le seul véritable obstacle à la perspective de finir : la montée de Bovine.
Samedi 19h
Après quelques hectomètres passés avec un kikoureur (choupinet05), après m’être allégé dans la mousse ( !), j’attaque cette montée mythique, passée dans la difficulté l’an dernier et reconnue le dimanche précédent. Je me cale dans un rythme correct et très économe. Je cherche à diminuer la hauteur des marches, véritable piège de cette ascension, pour ne pas faire appel à une puissance devenue rare après 24h de course. Au final, cette montée sera la plus maîtrisée, avec celle du Bonhomme. Je double un paquet de coureurs dont une Japonaise qui semble mal en point … mais qui ne comprend pas l’Anglais … tout du moins le mien ( !). Malheuseument, une nouvelle alerte se dessine : mes pieds commencent à souffrir d’échauffement marqué. Je l’avais ressenti lors de la partie Chamonix-Courmayeur, effectuée en Goretex en prévention de l’humidité de la descente des Chapieux. Ce choix de chaussure a été une erreur. Sur du très long, les échauffements sont inévitables pour moi. C’est le seul cas qui m’occasionne des ampoules depuis que je traite mes pieds à la Nok .
En attendant, je repars dans une espèce d’euphorie. Le sentier en balcon avant Bovine est avalé dans l’allégresse, la descente effectuée à bonne allure, avec une souplesse contrastant avec les pas saccadés des coureurs que je dépasse. Le dernier obstacle qui me causait de l’ inquiétude est derrière moi. La nuit tombe, le temps est doux.
La perspective d’améliorer mon classement de l’an dernier se précise, celle de le faire dans un temps conforme à mes objectifs aussi. Dans les derniers lacets de la descente sur Trient, j’entends les clarines agitées par mes fans en furie, la perspective de les retrouver avec la quasi certitude de finir me réjouit.
Mon arrivée à Trient est triomphale. L’enthousiame de mes enfants s’est propagé au public qui attend « Vamos Papa » avec eux. Amusé, je lève les bras tel un héros au bout de son aventure sportive. L’ambiance est bon enfant et bruyante. Je suis reçu au son de : « Papa, t’es le meilleur ». C’est faux mais ça fait plaisir à entendre. L’accueil des bénévoles est particulièrement sympatique (mais où ne l’a-t-il pas été ?). Je crois que la communion avec ma famille n’a jamais été aussi forte qu’en ce moment. Cette aventure partagée est une bénédiction. Beaucoup de coureurs n’ont pas le plaisir d’être aussi bien compris par ses proches. Je savoure ma chance.
Samedi 21h30
Dernier obstacle qui m’inquiète peu, car je l’avais avalé avec facilité l’an dernier : les Tseppes. Cela passe moins bien cette année, mais je ne m’affole jamais. Je trouve la partie finale après la ferme très longue. Je m’engage dans la descente avec des ressources encore suffisantes, mais la descente, quoique bien plus praticable qu’en 2006, ne permet pas de courir aisément. L’arrivée sur la piste de ski me rappelle que mes pieds n’en peuvent plus. Je distance les coureurs que je double, mais ne peut courir, cela brûle trop. Les ampoules sont là, la plante des pieds est très sensible. J’appelle Alice pour annoncer mon arrivée. Je la retrouve au ravitaillement de Vallorcine, ainis que Sandrine, signe que Manu n’est pas bien loin. Effectivement, il est annoncé un gros quart d’heure devant moi. J’embrasse rapidement Alice et me lance dans la nuit , objectif : faire la jonction avec Manu.
Je monte vers le col des Montets à bonne vitesse, comme l’an dernier. Seules différences : je chante « Love me do » des Beatles (cadeau de mes filles qui l’ont chanté en boucle pendant deux jours) au lieu de « Y’a d’la joie » de Trenet .. et il ne pleut pas. Je reprends 17 mn à Manu et Jean-Christophe qui lui tient compagnie, et les rattrappe au passage du col. Je me mélange les neurones dans les prévisions d’arrivée, mais nous finissons par unir nos moyens résiduels pour tenter de passer sous les 33 heures. Je lance la descente sur Argentière. Nous arrivons au dernier ravitaillement. La perspective de réaliser notre objectif est plausible, mais faut pas mollir. Les plats qui suivent Argentière engagent Jean-Christophe à lancer un petit footing, mais les pieds en feu, je suis obligé de renoncer rapidement, d’autant que le plat descendant indiqué sur le road book nous apparaît drôlement montant ! ! Jean-Christophe râle avec la poésie de l’accent provençal : un régal. J’essaie de mener un rythme rapide dans la montée du Lavancher qui nous semble interminable. Enfin nous y sommes, ne reste que de la descente et du plat. La descente, nous ne pouvons la courir : genoux pour Manu, pieds pour moi. Le plat, même chanson, le tendon d’Achille douloureux en plus pour moi. Mais dans une modeste application du modèle Diniz, nous franchissons en marchant les derniers km de plat du bois du Bouchet à une bon 7 km/h, peut-être 8. L’arrivée à Chamonix nous permet de nous retrouver en pleine lumière.
Dimanche un peu avant 3h30
Au bout de la ligne droite, Alice et les enfants. Nous allons passer sous les 33h. Nous nous regroupons pour passer tous ensemble la ligne. 2 coureurs peu délicats en profitent pour sprinter et nous passer pendant ce petit rassemblement sympatique. Ils nous auraient doublés dans leur rythme, pas de problème, mais sprinter pour profiter du moment, cela m’est apparu bien incongru ! Enfin ce n’est pas grave. La fête est belle, les sourires aux anges quand serrés les uns contre les autres nous franchissons la ligne au bout de 32h52 d’efforts partagés .
Je me précipite sur une chaise que je positionne devant le ravitaillement, près à tout dévorer. Mais, je n’arrive plus à rien avaler, même pas de l’eau ou du coca. Le froid me saisit malgré la surépaisseur de couches dont je me protège. Le relâchement post course est brutal. Je recherche la présence réconfortante d’Alice. Les enfants sont fourbus mais comblés. Eric, venu voir cette fin de course, est convaincu de la grandeur d’un tel effort, je le sens vraiment atteint du virus !
Je ne traîne pas sur la ligne d’arrivée, salue mes compagnons et rentre me coucher. La démarche est d’une lenteur exaspérante, mais le bonheur est profond. Je le savoure. Il est moins violent que l’an dernier, car je n’ai que très peu douté de pouvoir finir (impression sans doute trompeuse, mais réelle). Par contre, je baigne dans une espèce de sérennité, d’accomplissement.
L’histoire est d’autant plus belle que j’apprends le lendemain que 4 sur 5 des coureurs hébergés chez moi sont finishers, ainsi que quelques copains UFOs, pour lesquels cet objectif d’arriver revêtait une importance particulière (Stéphane, Patrick, …).
Un dernier repas festif partagé avec les potes et l’aventure 2007 se clôt. Rendez-vous en 2008 ?
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15 commentaires
Commentaire de Choupinet 05 posté le 02-09-2007 à 22:17:00
Salut Olivier 91,
Félicitation pour ta performance et ton récit,
J'ai été super content de faire ta connaissance, on aura surement l'occasion de se revoir sur d'autres courses.
A Bientot
Choupinet 05
Commentaire de JLW posté le 02-09-2007 à 23:10:00
Quelle course, quel récit. On ressent une certaine sérénité, un grand bonheur partagé avec tes proches et une réussite éclatante de tes objectifs qui fait vraiment envie. En un petit mot banal, bravo et merci pour ton cr très bien écrit.
Commentaire de titifb posté le 03-09-2007 à 08:25:00
Magnifique CR empreint de sérénité. Le soutien de ta famille est certainement pour beaucoup dans ta réussite, mais c'est toi qui as couru: BRAVO !
Et félicitations à Alice et à ton club de fans...
Commentaire de Zeb posté le 03-09-2007 à 10:19:00
Bravo Olivier, pour ce "doublé", parait que la seconde fois n'est pas évidente, mais comme d'habitude, tu t'en es tiré de fort belle manière...
et puis encore merci de nous avoir accueilli, Géraldine et moi, nous avons tous vécu des moments trés forts....
Rendez-vous en 2008, sans aucun doute (si j'arrive à avoir un dossard bien sûr !!!)
Seb
Commentaire de Khanardô posté le 03-09-2007 à 10:29:00
Olivier, tout d'abord un grand bravo, car tu as couru cette grande boucle avec sérénité, efficacité, panache !
Plein de choses à apprendre dans tonn récit, et je m'y replongerai certainement si... en 2008...
Je suis comme toi convaincu de l'importance des proches dans une telle aventure. Maintenant que je suis "chargé" de famille, je comprend mieux la dimension que tous ces êtres chers peuvent apporter et la chance que nous avons d'avoir famille, amis...
Repose-toi maintenant, et continue de nous faire de beaux récits !
Amitiés
Alain
Commentaire de gdraid posté le 03-09-2007 à 10:56:00
Bravo pour ton récit Olivier.
Ton attachement à ta famille, fait chaud au coeur.
Ta préparation à une telle entreprise a heureusement porté ses fruits, malgrè certains moments de souffrance.
J'aime lire les passages où tu dévalais avec plaisir, certaines descentes.
J'aime lire l'image nocturne du ciel étoilé, associé au cheminement lumineux des lampes frontales, derrière toi, dans la montagne.
J'aime lire la chronologie limpide des évènements de ta course.
Merci Olivier, pour le partage de tant d'émotions.
JC
Commentaire de agnès78 posté le 03-09-2007 à 11:02:00
merci olivier pour ce beau récit!
Quelle course gérée d'une main de maitre!
Ton sourire le dimache soir faisait très plaisir à voir et celui d'Alice aussi!
Bonne récup
gros bisous
agnès
Commentaire de eric41 posté le 03-09-2007 à 13:05:00
Bravo Olivier,belle course superbement maitrisée et bien joli CR richement détaillé.
Eric
Commentaire de rapace74 posté le 03-09-2007 à 13:11:00
bravo pour ta course olivier!! je me revois dans ton recit a chaque ravito ou il y avait ta femme ,cela te requinque a fond et c'est vraiment le pied.... j'espere que nous aurons l'occasion de refaire des trail ou off ensemble sinon ce sera a l'UTMB 2008
manu
Commentaire de Tamiou posté le 03-09-2007 à 16:24:00
Une belle tranche de vie, tu me donnerai presque envie de le faire cet UTMB.
Encore bravo pour ta perf, avec tous les petits problèmes que tu as su dépasser.
Commentaire de joy posté le 03-09-2007 à 21:26:00
B R A V O et je dirais meme grand B R A V O...
A bientot et bonne recuperation a toi venerable olivier91.
Commentaire de oufti posté le 03-09-2007 à 21:30:00
Bravo pour ta course que tu as parfaitement géré!!!
Commentaire de hemerodrome posté le 04-09-2007 à 09:09:00
Merci Olivier de nous faire partager "votre" course, on sent la présence de tes proches et cela est le plus important...bonne récup...
J'espère à très bientôt
Commentaire de Say posté le 05-09-2007 à 11:15:00
Salut Olivier
Je vois qu'être hébergé chez toi porte bonheur (presque un grand chelem!). On a suivi tes pérégrinations autour du Mont Blanc avec plaisir.
A+
Coli
Commentaire de Karllieb posté le 06-09-2007 à 23:07:00
Olivier, je te le redis : tu m'a vraiment bluffé. Je ne t'attendais pas en si bonne place. Chapeau bas. Faudra que tu me donnes la recette pour l'an prochain. Bonne récup et à une prochaine. Peut-être en janvier sur le Raid 28 ?
Karllieb
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