Récit de la course : Ultra Trail du Mont-Blanc 2021, par Gillou39220

L'auteur : Gillou39220

La course : Ultra Trail du Mont-Blanc

Date : 27/8/2021

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 1363 vues

Distance : 171km

Matos : Cham-Courmayeur:
S Lab Ultra 3

Courmayeur-Cham:
Salming trail T6

Objectif : Terminer

4 commentaires

Partager :

273 autres récits :

UTMB 2021 - Du rêve à la réalité

 

A J+2 après l’arrivée, je commence à remettre un peu d’ordre dans mes pensées. J’ai beaucoup de mal à parler de façon claire de ce week-end de folie, c’est pour cette raison que je vais écrire un récit pour tenter d’intellectualiser tout ça. Mais par où commencer?


Déjà j’ai du mal à dire à quel moment je me suis dit que je voulais faire cette course, mes premier trails remontent à 2011 mais je pense que l’année 2013 à été un moment important. Cette année-là Ludovic Bourgeois faisait la CCC, Lucien Bourgeois et Baptiste Cretin la TDS. A l’époque mon expérience en course à pied se limitait à 2 trails de 35 km et 1 marathon sur route, autant dire que l’UTMB n’était même pas un fantasme mais je pense que c’est à ce moment là qu’a commencé à germer l’envie d’allonger les distances. Après un tirage au sort négatif en 2014 sur l’OCC et un premier 70 km (transjutrail) j’ai pu en 2015 découvrir l'événement UTMB sur la petite distance. Je suis tombé amoureux du parcours et de cette arrivée à Chamonix, l’objectif 100 km était à ce moment dans le viseur. La CCC 2016 fut mon premier 100 bornes, malgré la difficulté de la course sous un soleil de plomb, l’objectif UTMB n’était déjà plus un fantasme. J’avais besoin de refaire cette distance déjà pour grappiller des points et me qualifier afin de pouvoir me lancer. La décision définitive de m’inscrire pour l’UTMB je l’ai prise dès l’arrivée de la TDS en 2018, j’avais fait une super course et c’est réellement à ce moment que je me suis dit que ce qui n’était qu’un rêve pouvait devenir réalité. Un tirage au sort négatif et une annulation à cause de la covid n’ont pas altéré ma détermination, après une longue attente je pouvais enfin prendre le départ de cet UTMB 2021.


Je n’ai pas changé beaucoup de choses dans ma préparation en cette année 2021, beaucoup de ski de fond cet hiver, un peu de ski de rando, quelques entraînements croisés qui m’ont amenés à mes deux gros chantiers de préparation, un tour du haut jura en solo fin mai (le tour du jardin 80km 4000m+) et le 90 km du Mont Blanc debut juillet (85km 6000m+). Dans les 2 cas j’ai eu de super sensations pendant les ¾ de l’effort avant de prendre des grosses claques sur la fin. Mais l’objectif était rempli, boucler ces deux tours ultra exigeants en allant chercher loin dans les ressources mentales. En juillet août, l’eiger trail et quelques sorties longues m’ont permis d’arriver à Chamonix avec la sensation d’avoir fait ce que j’avais à faire.


Sur le plan mental, ce n’est rien de dire que je me suis mis une pression folle avant la course, en même temps comment pouvait il en être autrement? Ce moment je l’ai rêvé, il m’a obsédé pendant plusieurs années, et ce mélange d'excitation mais aussi de peur m’a certainement coûté un peu cher sur la première partie de course mais j’ai beau réfléchir, je ne vois pas comment j’aurais pu éviter ça. En ce jeudi 26 aout 2021 à J-1 j’ai la chance d’être accompagné par Ludo mon ami, l’homme avec qui j’ai partagé le plus de kilomètres dans ma vie (peut être plus de 1000 il faudrait calculer)  qui va faire son 3eme UTMB. Nous allons encourager Max un autre pote qui fait l’OCC et qui dort dans le même appart que nous le jeudi soir. Une bonne pizza et une bouteille de rouge plus tard, nous voici au dodo, je m’endors assez facilement mais à 3 heures… patatras ! Réveillé et impossible de me rendormir, j’essaye de faire le job en évitant l’écran mais rien n’y fait, je ne dormirai pas plus que ces 4 heures. Au petit matin, nous allons courir 30 minutes pour un réveil musculaire et à ce moment-là le jour le plus long commence. Mes parents, mon épouse et ma fille arrivent autour de midi. Je suis vraiment content de retrouver ce beau monde et quand Nicolas qui s’occupe de mon assistance arrive vers 14 heures, toute l’équipe est réunie. Derniers briefings et nous partons avec Ludo au pré-départ covid oblige à un petit kilomètre du vrai départ sur la place du triangle de l’amitié. Ludo vise une place dans les 50, pour lui le placement est important, encore un peu de tension s’accumule mais tout va bien. Nous sommes collés au sas élite, il reste une heure à attendre avant le départ.


Sous un soleil chaud, nous sentons l’électricité dans l’air, à 15 minutes du départ la séparation entre le sas élite et la première vague se lève et je me retrouve au beau milieu des plus grands coureurs du monde, Le numéro 1 mondial Jim Wamsley est à 2 mètres de moi, François D’Haene et Xavier Thévenard ne sont pas bien loin. Je salue Casquette Verte et échange avec lui sur la future bière à l’arrivée, Ludo est concentré mais me lâche un petit “c’est des élites autour de toi, fais pas le con, ne te retrouves pas avec eux au bout de 4 km”.


Avant le briefing de course nous écoutons parler le meilleur ami d’Andrea, le coureur Tchèque décédé accidentellement pendant la TDS, c’est un moment assez pénible pour moi. Je repense à Marc qui habitait à quelques mètres de la ligne de départ, qui était là pour la CCC et la TDS et qui lui aussi à perdu la vie en 2019 dans un accident de montagne dans le massif des aiguilles rouges. Quelques larmes coulent, mais l’émotion va encore monter quand se lance la musique “Fate Has Smiled Upon Us” puis le mythique “Conquest of paradise”. Quel moment! les frissons, les larmes, je suis en train de vivre ce moment dont je rêve depuis si longtemps. Je profite à fond, tellement heureux de le partager avec un ami si proche et à 17 heures… GOOOOOOOOOO !


Chamonix/Les Contamines: Acclamé comme une rock star


Les premiers mètres sont juste une dinguerie, je peine à retrouver Agathe dans toute cette marée humaine, je m'arrête pour l’embrasser et manque de me faire piétiner. C’est juste la folie. Comme prévu, porté par la foule le départ est rapide, je me tempère néanmoins en essayant de pas bouffer trop de force sur les petits raidillons, mais grosso modo les 8 premiers kilomètres sont torchés à douze à l’heure. Cette première partie n’est pas sans rappeler les départs ou les traversées de villages de la transju, je mesure qu’on à de la chance aussi d’avoir un tel monument populaire dans le haut jura et qu’il faut le bichonner.

Le passage des Houches marque le début de la 1ère bosse, (700 m+ 800m-) et malgré l'engouement populaire un premier grain de sable dans la machine, je souffre d’une manière plus prononcée que prévue dans la première descente. Je suis content de retrouver mes parents, Agathe et la famille Bourgeois au premier ravito. Je minimise un peu cette fatigue en me disant que mon départ un peu rapide m’a un peu entamé, nous en sommes qu'à l'échauffement. Tout le monde me dit que la course commence aux Contamines, je vais essayer de me calmer sur la transition. Je sais que Nicolas et Marine m’attendent là-bas, mon objectif est d’y arriver dans un meilleur état. Je gère donc ces 10 kilomètres relativement faciles, la nuit tombe et j’allume ma frontale juste avant le ravitaillement où m’attend “el pelado”.


Les Contamines/Les Chapieux: Qu'est ce qui m’arrive?


La sortie des Contamines me fait chaud au cœur, je revois Marine pour la première fois pour le départ, je sais qu’elle est inquiète pour moi, j’essaye de la rassurer. Il ne faut pas se raconter d’histoires, même si j’essaye de faire au mieux pour concilier vie de famille avec mon entrainement pour cette échéance, il est évident toutes ces heures dehors ont un impact sur notre vie de famille, pour elle aussi je dois absolument finir. Je croise aussi mes parents, Agathe et les Bourgeois qui ont décidé de veiller pour m’encourager une dernière fois avant cette première nuit. Toujours dans une ambiance digne du tour de France, je cours à bon rythme vers notre dame de la gorge ou commencent vraiment les choses sérieuses avec une longue montée vers le refuge de la Balme puis celui de la Croix du Bonhomme. Durant cette montée mon estomac n’est pas top, mais plus inquiétant j’ai les yeux qui commencent à se fermer alors qu’il n’est pas encore minuit. Le stress accumulé ainsi que le froid ne sont certainement pas étranger à ce qui m’arrive et la descente vers les Chapieux ne me rassure pas vraiment. Seul point positif, Nicolas et Marine sont là et quand j’annonce que je ne suis pas dans un grand jour, ils arrivent à trouver les mots pour me convaincre que ça va revenir. Je sais que la route est encore très longue et j'espère juste que la première nuit ne me sera pas fatale. Dans un ultra ça revient toujours mais quand ?


Les Chapieux/Courmayeur: A long night


Je sais que cette partie va être difficile. Au programme longue montée, pierriers, froid, altitude, solitude. J’attaque donc cette longue montée de 1000 mètres vers le col de la Seigne et l’Italie prudemment, je perd des places et le doute s’installe dans ma tête, serais je parti trop vite? Pour ne rien arranger, le sommeil commence à vraiment se faire sentir et mes yeux se ferment de plus en plus souvent. Puis se produit quelque chose d'inattendu, en faisant part de mes déboires à un autre coureur, ce dernier me propose un gel à la caféine. Perdu pour perdu, j’accepte et nous continuons à discuter. Il me dit même: “si tu t’endors on peut parler ensemble ça te tiendras éveillé”. Chaleureusement touché par sa bienveillance j’accepte, et le pire c’est que ça marche, nous marchons en discutant de tout et de rien pendant plusieurs heures, le rythme est même très satisfaisant car nous arrivons à grappiller quelques places. Ca c’est ce qui va, ce qui ne va pas c’est que plus nous montons en altitude plus le froid et le vent glacial me mettent à mal. J’avais mis une paire de gants dans une poche mais ma gourde à coulée et ils sont trempés, la transpiration a bien mouillé ma veste et la descente du col est pour le moins pénible. Je n’attaque donc pas dans les meilleures conditions une partie redoutée par tous les coureurs, l’abominable col des Pyramides calcaires. Pour faire simple sur le papier rien d’impressionnant, à peine plus de 200 mètres de dénivelé, mais dans les faits il s’agit d’un beau merdier de pierrier aussi bordélique qu’une chambre d’ado. La descente qui s'ensuit dans ce chantier n’est guère plus avenante, elle se transforme en calvaire, je me fais doubler et perd même de vue Jerome mon compagnon d’infortune. A ce moment là je rêve de me poser pour pioncer à Courmayeur mais je suis encore à plusieurs heures de cette pause au chaud. Comme toutes les mauvaises choses ont une fin, je termine cette saloperie de descente pour arriver au ravitaillement du lac Combal, la température à encore baissé et le ravitaillement est en plein air. Je prends donc la décision de me mettre en mode hiver avec bonnet (transju évidemment), gants et veste plus chaude. Bonne idée car le ressenti est de -10. Je retrouve à ce moment le parcours de la TDS que j’avais fait il y a deux ans, cette partie est belle et en me retournant je vois ce faisceau lumineux de centaines de frontales qui dégouline du col de la Seigne et des Pyramides calcaires, assurément une des plus belles images de course de ma vie. Malgré tout cette féérie ne va pas beaucoup m’aider à gravir l’arête du Mont Favre qui n’est pas à négliger, le fait d’être au chaud et d’avoir retrouvé mon nouveau meilleur ami Jérôme me redonne du baume au coeur et le soleil qui pointe le bout de son nez atténue la sensation de fatigue, l’embellie ne se traduit pas vraiment en places gagnées mais j’envisage la suite avec un peu plus d’optimisme. Le décor est époustouflant, l’herbe givrée attend les premiers rayons du soleil qui illuminent l’Italie, j’hésite à prendre une photo mais le fait d’enlever gants, dragonnes et bâtons m’en dissuade. Ce bon passage se confirme sur la longue descente vers Courmayeur, j’ai hâte de me poser un bon coup et accélère le mouvement, petite enflammade que je paierai cash quelques heures plus tard. Bonnant malant j’arrive à Courmayeur avec 10 petites minutes de retard sur mon planning prévisionnel. Ce passage au ravitaillement est un peu chaotique. Covid oblige, la salle principale est fermée pour l'assistance depuis 7 heures. Je suis un peu paumé, je vais dormir 10 minutes, je me change, je demande à Nicolas de me faire passer nok et serviette, l’organisation n’est pas fameuse et je m’arrête une heure. Je termine cette pause avec Nicolas et Marine qui sont d’un soutien précieux. Je repart déterminé. UTMB jour 2, c’est parti !


Courmayeur/La Fouly: Sensations infernales dans un décor paradisiaque


Je sais que je ne reverrai pas Marine et Nicolas avant environ 7 heures, ça fait longtemps que je pense à cette partie, je sais que c’est la plus belle de la course. Selon mes projections de course,  j’imagine que la montée va être difficile mais que la partie roulante en balcon va me permettre de me refaire. C’est à peu près l’inverse qui se produit, je passe plutôt sereinement la bosse en écoutant le concert d’Eddy Mitchell, le début du balcon après Bertone est agréable mais très vite je déchante. Je paie sûrement musculairement ma fanfaronnade de la descente de Courmayeur. J’imaginais pouvoir courir autour de 8 voire 9 km/h mais je suis plutôt autour de 5. Je trouve interminable cette partie qui était passée comme un coup de vent il y a 5 ans sur la CCC. J’ai la sensation de me faire beaucoup doubler et surtout je vois beaucoup de dossard des vagues 2 et 3 ce qui veut dire que ces coureurs censés être plus faibles que moi m’ont repris au moins 30 minutes. Je n’ai pas la lucidité à ce moment de me dire que la course est encore très longue et que cette vitesse qui plus est à 2000 mètres d’altitude n’est pas catastrophique, du coup je rentre dans une spirale mentale ultra négative. Je traine ma peine comme un pauvre malheureux, seul le décor époustouflant me redonne un peu de force, le versant Italien du Mont Blanc (encore plus beau de ce coté) et les grandes Jorasses nous contemplent sous un soleil magnifique balayé par un vent glacial. J’arrive au pied du grand col Ferret (le dernier en haute altitude) dans un état de grande lassitude. Point positif auquel j’essaie de m’accrocher, je n’ai aucun soucis gastrique, je mange banane, compote et purée de pois chiche pendant l’effort et un peu de tout au ravitos (Bouillon, vermicelle, pain, fromage, jambon, cookies), Tout va bien de ce côté là, c’est ce genre de petit signaux qui nous permettent d’entrevoir ou plutôt espérer un moment de mieux. Le début de la montée va faire apparaître une nouvelle problématique qui durera jusqu’à l’arrivée, la gestion de l’habillement et du froid. A l’abri du vent la température est fraîche mais plutôt agréable, en revanche une fois découvert un vent glacial vous perfore jusque dans les os. La montée sinueuse alterne entre les deux et la veste chaude devient vite une veste de sudation pour mieux vous pétrifier dès la sortie de l’abri. Malgré tout, la montée correctement avalée et pour le coup l’expérience de la CCC est fort utile dans gestion de cet interminable sentier sinueux. Comme depuis le début de la course, une bonne surprise s'enchaîne rapidement avec une déconvenue. La longue descente vers la Fouly pourtant assez facile se fait d’un pas lourd. Les souvenirs d’une super sortie de ski de randonnée cet hiver sur ces mêmes chemins me rappelle de bons souvenirs mais surtout que cette descente certes facile est vraiment interminable. Toujours avec la sensation de me faire doubler, j’arrive à la Fouly. Revoir Marine, mes parents, ma fille et ma sœur me fait chaud au cœur mais c’est une discussion avec Nicolas autour du ravitaillement qui va déclencher le déclic que j’attend depuis déjà une quinzaine d’heure. Avec son calme et les mots dont il a le secret, il me dit que je ne suis pas plus moche que les autres et surtout que je ne suis pas vraiment en retard par rapport à ce qui était prévu. C’est une réelle surprise pour moi, tant j’ai eu l’impression de me traîner dans ce Val Ferret, je comprends que cette vitesse je dois l’accepter et que c’est cette vitesse de déplacement qui va m’emmener à Chamonix. J’ai même gagné des places pendant ma galère, je décide donc de faire ma course pour moi car comme me l’avait dit Ludo pour la TDS  “jusqu’aux 20 derniers kilomètres ton seul adversaire c’est toi même”. Je prends donc tronçon par tronçon, prochain objectif: Champex.


La Fouly/Champex: Un nouvel espoir


La descente vers Praz de Fort est assez roulante, et comme dit précédemment j’accepte désormais ma vitesse de course, je vois désormais le côté économique de ma foulée de grand-père plutôt que de me lamenter sur sa lenteur. Et comme par magie quand cerveau veut, tout se passe bien. Les kilomètres défilent sans pensées négatives et j’arrive vite au pied de Champex. Échaudé par les changements de sensations incessants depuis le début de la course, je me dit que cette bonne descente va sûrement être sanctionnée par une défaillance dans la montée, et surprise après un début de montée prudent, les sensations s’améliorent de minutes en minutes. Dans ce type de montée calibrée pour un jurassien (400 mètres de dénivelé, altitude inférieure à 1500 mètres), le plaisir est enfin là. Après coup quand j’intellectualise cette sensation, je comprend certainement à ce moment là que sauf blessure il ne peut rien m’arriver. J’ai les clés au niveau de l’alimentation et l’hydratation et après 24 heures de course, il n’y aura pas de dégradation flagrante de ma force car la longueur de l’effort est incompatible avec le moindre accoup. C’est donc dans une dynamique totalement différente que j’arrive à la base de vie de Champex, la famille est là et Nico remplit son rôle d’assistant coach à merveille. Je me ravitaille et participe une fois de plus à la déforestation de la Côte d’Ivoire en stockant des tonnes de bananes dans mon sac pour la longue montée à venir.


Champex/Trient: Comme dans un rêve


Dans la fraîcheur de ce bord de lac, je repars pour une partie que j'avais repérée 15 jours auparavant. Cette reconnaissance m’est précieuse notamment sur la longue partie descendante vers le plan de l’Au qui marque le début de la terrible montée vers Bovine. Les bonnes sensations entrevues se confirment, comme d’habitude je commence la bosse gentiment avant de lâcher les chevaux dans la deuxième partie de bosse. En comparant après coup les segments par rapport à la reco, je suis halluciné de voir que je suis monté plus vite pour cet UTMB. La sensation est grisante, j’allume ma frontale au moment de traverser l’alpage qui marque la bascule vers Trient. Pendant la descente, tous les voyants sont également au vert et je prends un pied pas possible. La banane n’est pas seulement dans ma poche elle est également dorénavant sur mon visage. Petite ombre au tableau, après 25 heures à voir tous mes compagnons descendre avec leurs bâtons, je décide de les imiter, je comprendrai vite que le changement d’appui provoqué par ce choix provoque des frottements inédits pour moi et les ampoules commencent à apparaître. Euphorique, je rejoins quand même Trient et mon bonheur est encore accru quand je vois que Vincent, Melissande et Gabie m’ont fait la surprise de venir me voir. Je suis sincèrement touché par ce soutien et j’arrive chaud comme la braise à la base de vie. El Pelado m’attend et je lui annonce qu’enfin la course commence. Seule ombre au tableau qui aura un impact énorme sur la fin de course, une vive douleur se déclenche dans mon pied gauche quand j’enfile mes manchons. Ces derniers sont certainement de bonne taille pour une bonne compression sur mes jambes fraîches, mais là ils sont manifestement trop serrés pour mes jambes enflées. C’est vraiment bête car je les mets beaucoup plus pour me tenir chaud que pour une action compressive. Je minimise la douleur en me disant que la c’est la pause m’a légèrement grippé l’articulation et que la douleur s’estompera en marchant et je repars déterminé pour l’avant dernière bosse.


Trient/Vallorcine: Le feu et l’inflammation


Pour être déterminé je le suis, la montée vers les Tseppes est raide mais régulière, j’ai toujours souffert quand je l’ai passé en course. Je l'ai repéré avec Ludo il y a deux ans, ces repérages sont importants pour dédramatiser. Je sais que malgré la fatigue j’ai déjà passé des montées bien plus dures en course (Montenvers et Tricot), ma douleur du ravitaillement ne me gène pas vraiment et je confirme les sensations de ces dernières heures, j’abat un bouleau de maboule et fait une montée tonitruante. Les Tseppes sont vite atteintes, l’arrivée à Catogne un peu plus longue que prévue mais à ce moment-là, j’envisage une fin de course de rêve tant les signaux sont positifs. Cette euphorie est vite calmée dès le début de la descente. On entend souvent des banalités du genre “un ultra c’est long”, et pour le coup alors que les sensations physiques et mentales sont à leur apex, la petite douleur au pied gauche se transforme en une massive tendinite au fléchisseur du pied gauche. Pour moi c’est la catastrophe, si le pied n’est pas posé parfaitement à plat une douleur type coup de couteau se décharge dans tout mon pied. Autant dire que malgré la forme, la descente devient vite un calvaire, la douleur est difficilement supportable mais ma volonté reste intacte, je sais que je pourrai voir un kiné à Vallorcine, il me fera un plâtre si il le faut mais je n’abandonnerai pas à la dernière base de vie. Le mental est tiraillé entre la satisfaction d’avoir la quasi certitude de finir et l’angoisse que ces 20 derniers kilomètres deviennent un long chemin de croix. A ce moment précis je sais que la dernière partie sera plus longue que les 4 heures prévues mais j’ai vraiment peur de mettre quasiment le double. Une fois au ravitaillement, je dis à Marine que ça ne va pas fort, je demande à Nicolas de me trouver un kiné et attend sagement sur un lit d'auscultation. Le kiné me manipule et me pose un tape, j’aurais préféré un bon anti inflammatoire des familles et un bain de voltarène, le podologue regarde mes ampoules et me fait un pansement tout pourri qui s’enroule dès que je remet ma chaussette. Énervé, j’enlève tout, les ampoules sont vraiment le cadet de mes soucis à ce moment-là. Après avoir perdu une demi heure pour avoir froid et deux manips qui ne m’ont absolument soulagé, Nicolas s’occupe de ma dernière assistance. Il me fait une analyse psychanalytique Freudienne de ma blessure, je ne comprends pas tout mais en gros il me dit que c’est dans la tête.  Une fois le docteur Freud laissé dans les limbes de l’histoire, j’ai une course à finir, un grand froid est annoncé sur la tête aux vents et j’opte pour l’option habits chauds. Je suis quasiment habillé comme au départ d’une Transju. Sous couche, gants, buff, bonnet, je suis prêt à affronter le dernier tronçon. Néanmoins la violence de la douleur quand j’enfile ma chaussette et ma chaussure me rappelle que ces derniers kilomètres ne vont pas être une partie de plaisir.



Vallorcine/Chamonix: Ce n’était donc pas un rêve


Dans ma tête je sais parfaitement ce qui m’attends, une partie roulante jusqu’au col des Montets, une montée horrible jusqu'à la tête aux vents, un pierrier en guise de balcon jusqu'à la Flégère et une descente plutôt facile mais longue jusqu'à Chamonix. Vu ma configuration à ce moment de la course j’ai peur qu’aucune de ces quatre parties ne soit facile. J’attaque en courant la montée du col des Montets, je m’attends à souffrir instantanément mais contre toute attente, ma minuscule foulée passe correctement sur le plat. Ragaillardi par ce cadeau du ciel, je cours comme si la ligne d’arrivée était au col. Je dois absolument capitaliser sur cette embellie. Ce comprends vite sur les mouvements de terrain que tout se passe bien dès lors que mon pied peut se poser à plat, je me dis donc à ce moment là que si j’ai la force en montée, je pourrai avancer convenablement jusqu'à la tête au Vent, je me focalise donc sur cet objectif. Une bonne pelletée de place remontée plus tard me voilà au col des Montets, je salue une dernière fois Nicolas et Marine qui vont pouvoir profiter d’un lit et d’une douche bien méritée. Eux aussi ont fait le tour du Mont Blanc, en voiture certes mais ils doivent aussi être completement cuits. Lors de la CCC 2016 cette montée avait été un véritable chemin de croix, mais cette fois ci je sais ce qui m’attends nous avons descendu ce sentier au 90 du Mont Blanc et j’en avait profité pour m’impregner et analyser les différentes phases de cette dernière bosse. Je rentre alors dans un moment assez paradoxal, l’approche des aiguilles rouges provoque toujours en moi une profonde tristesse depuis le décès accidentel de mon ami Marc dans une avalanche dans l’aiguille de Praz Torrent. Cette pensée, cette nostalgie, cette tristesse mais aussi le souvenir des bons moments passés avec lui me donnent une énergie et une rage incroyables. La douleur au pied n’est pas trop présente sauf quand je tape dans des pierres et la partie la plus raide passe assez vite. La dernière partie en pente plus douce est plus longue et les mini descentes me font souffrir mais je suis très fier de boucler ce tronçon Vallorcine tête aux Vents en 2 heures 7, le seul tronçon ou je suis plus rapide que Ludo sur tout le parcours malgré deux pauses pour me déshabiller puis me rhabiller pour le moins chaotiques. Je sais désormais que mon heure de gloire est terminée, poser le pied à plat est impossible dans un pierrier comme ce sentier vers la Flégère. Je me reconcentre sur mon seul objectif, rejoindre l’arrivée? Non ! Je dois rejoindre l’arrivée en moins de 37 heures 43 minutes et 55 secondes. Pourquoi? C’est le temps de Michel Bovy sur l’UTMB en 2008, personnage haut en couleur de Bois d’Amont à la voix légendaire. Il me reste donc 2 heures 45 pour finir l’objectif badaboum. Sans surprise, la traversée est longue et douloureuse. Je profite des montées pour me refaire (un comble après 35 heures de course). Les lumières de la Flégère si lointaines à la tête aux Vents se rapprochent et je parviens à rejoindre le tout dernier ravitaillement. Ça commence vraiment à sentir bon. Sans traîner au ravitaillement j’attaque la descente, je mobilise toute ma concentration pour économiser ce douloureux pied gauche. J’alterne course et marche, je suis pas mal doublé pendant cette descente mais je me dit que le boulot fait dans la dernière montée me fera faire une fin de course satisfaisante. Les lumières de Chamonix s’approchent gentiment, je repense à tous les efforts de ces 2 jours, à tout mon parcours depuis que j’ai commencé à mettre un dossard en course à pied, tous les doutes et les souffrances qui ont jalonné mes courses et entraînements depuis 10 ans. Je pense aussi fort à ma famille, Marine d’abord qui est là qui m’a suivi à Besançon, Annecy, Chamonix, Grindelwald, Zinal, Lyon et sur tant d'autres courses. A Agathe qui se demande pourquoi papa part des matinées entières pour rentrer tout crotté et cerné. A Adèle notre petit rayon de soleil dans une période 2020-2021 bien pourrie dans la perte de plusieurs membres de notre famille. A mes parents qui viennent régulièrement m’encourager et qui m’ont tant donné. A ma sœur qui se demande pourquoi je m’inflige ça mais qui est là aujourd'hui comme pour la CCC. A mes partenaires d'entraînement, Ludo qui a fini son UTMB en 27 heures aux portes du top 50, Nicolas qui une fois passé la période grassouillette du printemps et toujours un sacré compagnon d’aventure, à Max dont le compliments sur mes progrès en 10 ans me rendent toujours particulièrement fier. A Antoine qui m’a donné le goût pour l’effort d’endurance pendant notre collocation ou nous n'avons fait que boire des bières. A Remy partenaire officiel pour le ski de fond. A mon meilleur ami Emilien qui m’a transmis à sa façon son amour des montagnes. A Vincent champion paralympique à Sotchi avec qui les échanges sur un objectif à long terme m’ont énormément apporté. A Jason champion olympique à Vancouver et quintuple champion du monde qui sera fier de moi, c’est bon pour une fois d’inverser les rôles. A mes amis de Bois d’Amont qui ne parlent pas beaucoup de ça avec moi, mais je sais qu’au fond d’eux ils savent ce que ce projet représente pour moi. A mes amis de fac qui ne doivent pas reconnaître le Gillou d’il y a 15 ans, si ce n’est ma propension à l’excès. Et à Marc bien sur, j’arrive chez lui à Chamonix et cette putain d’avalanche me prive de le prendre dans mes bras sur la ligne d’arrivée, je sais qu’il était avec moi, il le sera toujours. Je sors enfin du sentier, je retrouve avec joie le macadam (un comble), une dernière passerelle à traverser et nous sommes dans la Chamonix, je range ma frontale une fois sous les feux de l’éclairage public. Je me rends compte que je l’ai fait. Séquence émotion, Vincent, Meliss, Gabie et Marine Bourgeois se sont levés pour fêter mon arrivée, je suis tellement heureux de vivre ce moment si important avec mes amis proches. Puis j'aperçois El Pelado, je lui dois une fière chandelle, comme à son habitude il a rempli son rôle avec conscience, humour et bienveillance. Un dernier petit détour et je vois mes parents Marine et Agathe, j’ai une envie folle de les prendre dans mes bras. Je porte Agathe jusqu'à la ligne d’arrivée sans oublier un signe pour Marc. Je suis rentré à bon port exactement 37 heures 12 minutes et 26 secondes après le départ. La boucle est bouclée, au petit matin dans l’anonymat de la nuit Chamoniarde  une page de ma vie se tourne.


Epilogue


Après la traditionnelle photo sur le podium, je récupère ma veste finisher et pour ne pas trahir qui je suis vraiment nous nous tournons vers un bar ou je commande une grande pinte de bière. Assurément la meilleure de ma vie ! 

Au petit matin ma douleur au pied est très vive mais je m’en fous. Je suis un putain de finisher de l’UTMB mais surtout… J’AI REMPORTÉ LE BADABOUM CHALLENGE !


Mon UTMB en chiffres


Distance officielle: 171.5 km

Distance gps: 176.6

Denivelé: 10042 m

Temps: 37h12m26sec

Classement: 387

Meilleur classement: 385

Moins bon classement: 579

Vitesse moyenne: 4.7 km heures

Ecart avec le vainqueur: 17h26m26sec

Nombre de pas: 204009

kilomètres parcourus à plus de 10 km/h: 10

kilomètres parcourus a plus de 10 km/h après Saint Gervais: 0

kilometre le plus rapide: 4m34 (km2)

kilomètre le plus lent hors ravitaillements: 18m51 (km64)

Bananes ingurgités: 25

Ravitaillements: 17

Assistances: 5

Bosses franchies: 11

Paires de chaussures utilisées: 2

Temps de sommeil: 4 minutes

Nombre d’albums musicaux écoutés: 6

Volume de vin bu la veille: 0.55L

Nombre de T Shirts Portés: 6

Jurons prononcés: 1223

Nombre de crampe: 0

Ampoules à l’arrivée: 5

Entrainement 2021 avant course: 245 heures

Nombre de sommets franchis en 2021 avant course: 66

Nombre de séance fractionnées en côte: 1

Fraise tagada ingurgité: 2

Volume d’eau bu pendant la course: 16L

Volume de bière bu à l’arrivée: 0.5L

Poids perdu depuis noel: 12 kg


4 commentaires

Commentaire de GcBhx posté le 06-09-2021 à 22:05:25

Un récit qui fait voyager dans les emotions, les partages, les bas et les hauts et qui donne envie de s’y frotter ou d’y retourner!

Commentaire de Gillou39220 posté le 07-09-2021 à 18:33:32

Merci pour ce retour! Je ne sais pas si j'ai vraiment envie d'y retourner... J'aurai peur de gâcher ce souvenir d'un aboutissement et de banaliser ce moment. Après c'est vrai que c'est une drogue dure

Commentaire de augustin posté le 07-09-2021 à 11:43:12

belle prose! un beau récit, plein de sagesse et qui rend bien compte des différentes étapes traversées (au propre comme au figuré...) bravo!

Commentaire de Gillou39220 posté le 07-09-2021 à 18:35:33

Merci pour ce retour. Essayer de poser des mots sur une aventure c'est surtout comprendre ce qui s'est passé, c'était tellement fouillis le lendemain!! content que ce partage t'aie plu!

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Votre annonce ici !

Accueil - Haut de page - Aide - Contact - Mentions légales - Version mobile - 0.07 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !