L'auteur : EMN75
La course : Ultra Trail du Mont-Blanc
Date : 30/8/2019
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 1991 vues
Distance : 171km
Objectif : Terminer
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Le matériel obligatoire remplit mon sac Salomon. Ne pas avoir d'assistance sur la course m'oblige à en tester les limites d'élasticité : je dois rajouter un change froid et chaud pour Champex, de quoi manger, une frontale et sa batterie, du petit matériel de secours et divers babioles qui devront aussi me suivre sur le parcours. Après cette première bataille héroïque pour tout caser, j'arrive en retard pour déposer le sac de délestage pour Courmayeur, le ciel est menaçant et lorsque je déboule sur la place de l'Amitié de Chamonix, elle est déjà noire de monde près de 1h avant le top départ.
Il y a beaucoup d'énergie ici, on sent l'excitation des coureurs, l'inquiétude des accompagnants et aussi les premières gouttes de pluie. J'avais lu que l'UTMB était la seule course où on pleurait non pas à l'arrivée mais au départ. C'est presque vrai tant il y a de la joie et de l'émotion à être là, tous ensemble avant de partir dans l'inconnu ! J'étais déjà venu accompagner mon pote Laurent sur ce même départ. Cette fois j'y suis avec des chaussures de trail au pied et le sac sur le dos 🤨 ! Je remercie ma chance de début d'année pour ce tirage au sort positif, pour une fois. Mes précédentes courses me trottent en tête, TDS, swiss Iron trail, Echapee belle, Fiz, Aquaterra, transaubrac, endurance trail & templiers,... elles m'ont toutes permis d'être là aujourd'hui et me donnent confiance pour celle qui va commencer aujourd'hui. Je suis heureux. La pluie qui nous arrose durant cette heure d'attente n'est pas étrangère aux goutes qui coulent sur mon visage.
Le discours de Catherine Poletti, la maman et organisatrice de cette course, est touchant. Le départ est donné pour 170k sur 3 pays et 10.000 D+. Et c'est tout de même avec pas mal de frottements et d'émotion que le cortège s'ébranle dans les rues surpeuplées de Chamonix. Je pars vite, je suis impatient de me retrouver enfin dans les montagnes au calme et un peu moins entouré.
Ma "stratégie" de course est plutôt basique : d'abord me mettre à l'abri des barrières horaires avec un départ un peu rapide pour éviter les bouchons et le faux rythme de la fin de peloton (et oui je déteste la pression des BH😤), je pousse donc jusqu'aux Contamines pour avoir mes 2h minimales d'avance sur les limites temps puis je passe dans un mode économie de course : gestion gestion gestion de l'effort.
Je prends maintenant mon temps, et profite un peu plus de la course avec un tempo raisonnablement lent. Ne pas aller trop vite pour aller loin.
Ce que je gagne parfois sur les BH de certaines étapes est utilisé pour un peu de gastronomie (petit dej avec omelette italienne au col Checrouit, tea time et tarte aux myrtilles à Champex 😋), des soins (massages, podologue), de la farniente (4 pauses repos de 20 min dont une bonne sieste sur la pelouse à l'ombre des arbres d'Arnouvaz) et du papotage avec les bénévoles ou coureurs. Avec ce petit rythme le corps tient la route et je m'occupe l'esprit.
L'objectif à chaque fois est d'atteindre le prochain point de contrôle. De U1 les Houches jusqu'à U16 La Flegere. Chaque étape est particulière, de 5 à 15k avec plus ou moins de D+ et D-. Ces étapes sont comme les scènes d'une pièce de théâtre dont l'intrigue se joue sur les pentes du massif du Mont Blanc.
"Glad et grateful". Je le suis à chaque fois que je vois au loin la silhouette des tentes ovoïdales oranges de l'organisation, perchées sur les arêtes du massif. Positionnées à chaque point important, elles marquent la fin du col ou de l'étape. Une petite victoire.
L'arrivée en haut des pyramides calcaires est aussi belle que la montée a été éprouvante. C'est l'aube du premier jour, tout est encore sombre, les premières lumières apparaissent au loin derrière le lac Combal entre les montagnes. À droite un névé, partout autour des chaos de pierres, pas de végétation ici juste la silhouette fière des 2 pyramides qui dominent la scène.
À trop contempler le paysage et la procession des frontales qui s'étirent dans l'obscurité le long d'un fil sans fin, je glisse sur une pierre et me heurte violemment le dessus du pied. La douleur est intense et s'ajoute à d'autres. Celle ci ne me quittera plus pendant plusieurs jours... mais je peux continuer de trottiner, cela aurait pu être pire.
Les Kms déroulent tranquillement. J'alterne entre des sensations de "pas trop mal" à "pas mal dans le dur" 😅 notamment lors des efforts en altitude (col du Bonhomme et de la Seigne qui se passent à 2500m). J'arrive à m'alimenter de manière basique mais plutôt efficace : principalement bouillon vermicelle et carré de chocolat noir, thé sucré, des TUCS, un peu de pain/pain d'épice, de la pastèque et tranches d'orange sur la fin du parcours. J'évite cette fois le fromage, le saucisson (sniff). Une nouvelle fois je ne mange aucune des barres que j'avais prises, pas envie. Mon principal problème en fait est l'hydratation qui passe de plus en plus difficilement... j'ai oublié les électrolytes à Courmayeur, je ne peux pas boire les boissons d'effort industrielles, mon corps ne veut plus d'eau claire, et il fait chaud. Cruel dilemme.
Une violente averse après le grand col Ferret va rebattre les cartes. Déjà des éclairs au loin allumaient l'horizon lors de la montée qui allait nous faire basculer de l'Italie à la Suisse. Au passage du col, les bénévoles sont plutôt rassurants mais les premières gouttes, larges et chaudes commencent à s'écraser mollement sur le sol à côté des yourtes de la Peule qu'on vient juste de rejoindre, 300 mètres plus bas. Je continue en espérant rejoindre La Fouly quelques kilomètres plus loin avant le déluge. Je ne suis bien sûr pas assez rapide à ce petit jeu... La pluie se renforce et j'ai juste le temps d'enfiler mon impermeable avant que des gros grêlons ne s'abattent sur nous, pauvres traileurs perdus au milieu de sentiers sans arbre pour nous protéger. La pluie transforme les sentiers en torrents, et les grêlons changent les torrents en granité. Près d'une heure de descente glissante et glacée est nécessaire pour rejoindre la tente de La Fouly. Un torrent de boue a emporté un pont, le village sera coupé du monde pendant quelques heures. J'apprends aussi qu'il ne pleut qu'ici, pas une seule goutte à 5km à la ronde. Je me demande qui est le chat noir.
Cette averse m'a donné étonnement un coup de fouet et je repars rapidement sur la section de Champex porté par l'adrénaline !
La montée de Champex pourtant courte mais technique dans les racines puis celle de Bovine sont très dures. J'avais fait la reconnaissance de la CCC sur le même parcours de fin et pourtant seuls quelques repères me reviennent en tête, les chemins me semblent maintenant 2 fois plus longs !
Après Champex la 2nde nuit est bien installée, je suis dans le dernier tiers du parcours, le plus mental. Il reste 3 grosses bosses, près de 1000m à monter et descendre à chaque fois. Je ne sais plus courir, je ne peux que marcher à présent. Je continue d'avancer, un pied après l'autre sur les dénivelés raides de Bovine et Catogne. Comme dans Inception, j'ai l'impression de descendre en moi chercher des ressources de plus en plus profondes, niveau après niveau pour avancer. Je perds en lucidité. Ce sera une seconde nuit d'ivresse sous les étoiles de la nuit noire de Catogne.
En pleine descente sur Vallorcine, ma dernière batterie clignote, ma lampe rends l'âme... Je dois poursuivre éclairé par le faible rayon de ma lampe C, puis je perds ensuite une lentille. Me voila avec un seul œil valide et sans vision du relief sur ce sentier faiblement éclairé. Rideau.
Le soleil se lève sur Vallorcine, je suis assis sur un banc du ravitaillement, les yeux réparés. Il ne reste plus qu'une seule montée. La Tête aux Vents. Je sirote un verre de coca. Je sais que je vais aller au bout. Je profite de ce moment.
Après la pesanteur de la nuit, la fin du parcours est légère. Je discute sur toute la portion suivante avec un autre coureur. Nous nous prenons même en photo sur le massif de l'aiguille rouge avec le Mont Blanc en arrière plan - 1er selfie sur cette course. Nous sommes heureux d'être la et d'avoir passé cette dernière bosse. J'apprendrai plus tard qu'on se connaissait en fait via un ami commun, Greg. Coïncidence surprenante.
Les jambes restent lourdes lorsque j'arrive à la Flégère, le fameux point U16. Le prochain est Chamonix, j'attendais ce moment ! Je ne m'attarde pas au ravito cette fois et repars pour une dernière descente. Le plus vite et le plus tôt je serai à Chamonix maintenant pour une bonne douche et une bière. Je retrouve la forme au fur et à mesure que la pente devient moins technique et je recommence à pouvoir dérouler mes foulées. Je prends de la vitesse et remonte progressivement sur des coureurs alors que je vois Chamonix en contrebas. J'ai l'impression de courir aussi vite à l'arrivée qu'au départ😳 La boucle est bouclée, en près de 40h30.
Je savoure les derniers mètres. Je vois Anne dans le village, puis Patrick - Maître Patoche - avec sa veste de finisher bleu turquoise. Il est donc finisher de la CCC 2019 👍 on se congratule rapidement et je termine cette dernière ligne droite pour passer l'arche et rejoindre la place de l'Amitié, sans larme dans les yeux cette fois, et les bâtons levés.
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Vainqueur 2019 : Pau Capell (20h19 !)
Durée de ma course : 40h30
Classement : 698e
Partants :2563 - 40% d'abandons
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