Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu
L’UTMB, vu de l’intérieur par Jean-Luc,
Ce titre peut vous paraître un peu présomptueux, mais, je crois que quand vous aurez lu l’ensemble de ce récit, votre avis sera, je l’espère, tout autre ! bonne lecture,
Pourquoi avoir attendu près de trois semaines avant de rédiger mon compte-rendu de l’UTMB 2006 ?
Sans doute qu’inconsciemment, je pense que la page sera définitivement tournée après le point final de mon compte-rendu. Cette course, cette aventure sera terminée.
Après réflexion, je dois m’obliger à partager, raconter, expliquer ce qu’a été mon UTMB 2006. Et puis dans 20 ans, que de souvenirs ressurgiront à la lecture de ces lignes…
CONDITIONS DE COURSE :
L'UTMB c'est officiellement 158kms et 8500 mètres de dénivelés positifs et autant de négatifs à faire en moins de 45 heures, avec 10 ascensions dont 3 cols à plus de 2500 mètres. Course non-stop, ravitaillements environ tous les 8.5 kms (du simple point d'eau au ravitaillement complet), 2 Bases "Vie" au 72ème et au 117ème où il est possible de laisser des sacs avec des affaires de rechange. Départ donné le vendredi à 19h .
Je prépare un sac pour Courmayeur (km70) dans lequel il y a diverses tenues et une paire de chaussures de trail, un autre pour Champex (km117) où je pourrai abandonner les éléments qui ne me serviront plus, et où je mets des affaires plus chaudes ainsi que des chaussures Trail en change au cas où…
Cette année, nous sommes trois :
-Philippe qui a fini en 2005 en 40 h, souhaite réaliser un temps inférieur a 2005, avec une stratégie concernant surtout des arrêts plus courts aux ravitaillements, afin d’optimiser et de mieux gérer la deuxième partie de course en ayant une marge intéressante sur les barrières horaires.
-Jean-Pierre, pas dans un état au top, ayant une douleur récurrente au pied depuis plusieurs mois, prévoit déjà des anti-inflammatoires, malgré cela son mental tient le coup, il souhaite aller au maximum de ses possibilités, son mot d'ordre : prudence et on verra!
-Et moi-même, Jean-Luc, j'ai de bonnes sensations et un moral en béton, impatient d'en découdre avec le monstre, j’ai affiné ma préparation par rapport à 2005 en insistant sur la partie descente afin d’habituer mes genoux et mes cuisses à encaisser les gros dénivelés suite à mon arrêt en 2005 à Courmayeur pour cause de tendinite de la patte d’oie sur la face interne de chaque genou, je veux me forcer à être prudent pour pouvoir finir ; mais une chose est certaine, je ne cours pas pour faire dernier et j'irai explorer mes limites. Je ne fais pas de plan sur la comète, je courrai au feeling, pas de stress avec des temps de passage à respecter. Je resterai dans un rythme plaisant, en frisant les limites s’il le faut. Sur le reste de la course, ma stratégie, comme celle de Philippe, consistera à faire des pauses très courtes, voire inexistantes, afin d’optimiser au maximum et de me constituer un matelas confortable sur les barrières horaires.
L'AVANT COURSE:
Mercredi 23 août, il fait très beau. Arrivée au Chamoniard Volant où nous avons élu domicile. Chalet à l’ancienne, conditions rustiques, un dortoir de 15 personnes est déjà investi par des Trailers. D’autres arriveront le lendemain, tour du propriétaire et ballade dans Chamonix.
Jeudi 24 août, nous allons récupérer nos dossards et faire vérifier le contenu de nos sacs (matériel obligatoire). L’organisation de cette phase est vraiment TOP, par rapport à 2005, preuve de son évolution. Je vois que les participants sont des guerriers aguerris à ce type de course, un équipement tip/top, pas un poil de graisse, des mollets fuselés, des regards confiants, ou alors, quelques personnes semblant découvrir l’ambiance et paraissant impressionnées par ces visages déjà presque dans la course, ce sont des faciès qui ne trompent pas.....
Vendredi 25 août, c’est le grand jour !
Philippe est parti chercher du bon pain, de bonne heure comme hier, pour un petit déjeuner copieux. Nous préparons nos sacs pendant la matinée, avec chacun ses divers grigris. Côté matos. J’ai conservé le même qu’en 2005, sauf le sac Quechua nouvelle version.
Je pars en corsaire, maillot technique manches courtes, chaussures Assics Trabucco et mini guêtres Quechua. Tout le reste est dans le sac à dos, un sifflet, la couverture de survie, le coupe-vent imperméable et les manchettes de cycliste, plus, un maillot polaire fin manches longues aux couleurs de l’ACGV et une paire de chaussettes. J’accrocherai mon GRIGRI, une petite girafe de mon petit-fils TILOUIS derrière mon sac. Aucun stress particulier, Jean-Pierre et moi, nous nous préparons dans la chambre, tandis que Philippe fait son sac à l’arrière de la voiture. La journée s’annonce belle et nous espérons tous que Dimanche ce sera l’apothéose. Mon sac avoisine les 5 kgs.
Pour le déjeuner, Pasta Party sous le chapiteau, nous mangeons des pâtes évidemment, et un repas complet. C’est le dernier vrai repas avant la course et il faut vraiment faire le plein!
Le chapiteau est bien rempli, ici aussi ; l’organisation à du évoluer pour pouvoir accueillir tout ce monde, la logistique est énorme.
L’après-midi, nous tentons de faire une sieste pour accumuler des forces avant la course, et peaufinons nos sacs à dos.
-16 h 30- Il est temps d’amener les 2 sacs poubelles, fournis par l’organisation et personnalisés avec nos numéros de dossard. Ils servent à mettre les affaires de rechange éventuelles à Courmayeur et Champex.
Retour au Chamoniard Volant.
Nous prévoyons de partir pour être dans le sas de départ vers 18 h,
Préparation finale, de la crème Nok sur les pieds et sous les bras, des bouts de sparadrap sur les tétons, réglage final du sac à dos et remplissage des gourdes, la pression monte…
Une petite photo pour nous immortaliser sur le chemin du départ.
Après nous être frayés un chemin avec difficulté, vu le monde déjà présent, nous sommes enfin sur les lieux du départ, serrés comme des sardines au milieu de tous ces coureurs avec des bâtons dans tous les sens. J’ai l’impression d’une armée partant vers l’inconnu et les regards en disent long. Les bâtons nous frôlent régulièrement le visage et il faut faire attention à ne pas se prendre une estafilade avant même le départ. Pendant ce temps a lieu le briefing technique et les petites phrases des notables du coin, l'organisateur de la course, le sponsor North Face, la sono est un peu faiblarde.
Pendant le briefing, je repasse en revue mes objectifs, le tour complet me semble parfaitement réalisable.
Je l’ai bien sûr dans la tête, et il n’est pas question de passer au travers.
Pas de " road book ", juste les temps de Philippe (Finisher 2005) au revers de mon dossard.
Tout va bien, pas de stress, en bonne forme, et en plus… il fait beau et je suis avec mes copains.
Le bonheur. Il est bientôt 19h et outre les 2500 participants, il y a un très nombreux public autour des barrières. C’est assez génial, même si parfois, je me demande comment on va faire passer tout ce monde dans les sentiers de montagne.
1. DEPART jusqu’ aux HOUCHES (Km
Au départ l'émotion monte au fur et à mesure que les minutes s'égrènent. Avec l'inquiétude, la fierté, avec cette musique grandiose et les clameurs de la foule, j'ai les poils qui se dressent sur les bras et des frissons partout, je suis impatient, et je ne suis pas le seul, cela commence à pousser un peu.
Le départ est donné en musique avec : The Conquiest of Paradise, tout un programme, et sous l’acclamation d’une foule nombreuse qui s’étire jusqu’à la sortie de Chamonix.
C’est l’extase, nous sommes libérés de nos cages. Après 8 mois d’attente. Le rythme est régulier après les traditionnels bouchons de départ, allez, tout le monde va aller au bout !
C’est parti pour le premier tronçon en direction des Houches à 8 kms avec 200m de dénivelés positifs et négatifs, Philippe et moi partons ensemble, alors que Jean-Pierre semble avoir décroché.
Cette première partie est plutôt tranquille… Un chemin tranquille, quelques bosselettes, mais rien de très sérieux. Comme l’année dernière, nous dépassons un grand nombre de coureurs, nous sommes obligés de slalomer et de faire des crochets pour gagner des places et prendre notre tempo. Les choses sérieuses vont bientôt commencer, car c'était juste la mise en jambe.
2. LES HOUCHES VERS LE COL DE VOZA (Km 13), dont 3 Kms a 16%.
Nous zappons le premier ravito, et attaquons la montée du Col de Voza avec ses 600m de D+, à notre rythme. Contrairement à l’année passée, nous décidons de sortir nos bâtons dans cette montée,
Celle ci n’est pas très technique, se déroulant sur une piste large, mais ce n’est pas plus mal, vu le monde qu’il doit y avoir plus bas. Parfait! Je grimpe à mon allure, tranquillement, sans trop tirer et surtout, j’essaie d’optimiser l’utilisation des bâtons.
Ils permettent de soulager les cuisses, les genoux et de répartir un peu la charge vers le haut du corps.
Ayant un problème d’attache avec mon support de gourde, je dis à Philippe de ne pas m’attendre s’il veut garder son rythme. J’essaye de régler ce tracas et Philippe me distance. Je ne le reverrai plus avant Chamonix,
J'arrive au sommet à 20h5, avant la nuit. Je me ravitaille avec 2 cocas, et prends 2 barres que je mâchonne en trottinant. Je zappe pratiquement à nouveau ce ravitaillement, et installe ma frontale, la nuit tombe.
3. VOZA AU CONTAMINES (Km 25)
Les premiers ravitaillements se font entre une haie de spectateurs. On se croirait au tour de France, c'est magique. Pendant toute la course, le public ne fera pas semblant de nous encourager. Admiratif et sentant bien le challenge à réaliser, présent même la nuit, et encore la deuxième sous la pluie... Avec toujours quelqu'un prêt à aider, attentif, comme pour soulager un peu l'effort.
Vraiment un immense merci à tous ces bénévoles !
Arrive alors une longue descente de 6km pour 450m de D- (avec une petite remontée au milieu). Cette partie est une succession de montées et descentes, avec une partie assez étroite, beaucoup de racines, roulantes mais « casse-pattes », genre (Les crêtes Vosgiennes), et ce n'est que le début...
La nuit est là, les yeux commencent à s’habituer à la semi-obscurité, mais une racine me rappelle à l'ordre bien vite...
L'ambiance est partout, à chaque village que nous traversons, nous sommes envahis par la chaleur humaine et les encouragements nous poussent.
4. LES CONTAMINES, 30 mn d’avance par rapport à 2005. (576 éme)
Arrivée aux Contamines, à travers une haie de spectateurs, l’ambiance est très chaude. Certains font sonner des cloches à notre passage, d'autres chantent, tous nous applaudissent. Avec le prénom imprimé en gros sur le dossard, j’ai l’impression que tout ce village me connaît, les encouragements pour Jean-Luc fusent de toutes parts.
Beaucoup de coureurs sont en train de se ravitailler. Le ravito Express, se composera pour moi de 2 cocas, je grignote, je prends une barre et un bouillon de vermicelle, j’ai déjà du mal à m’alimenter autrement.
Au départ des Contamines, je suis surpris d’être assez isolé en me lançant dans une légère descente, suivi par environ 4kms de terrain assez roulant, cela continue jusqu’à Notre-Dame de La Gorge avant d’attaquer la première grosse difficulté.
5. MONTEE SUR LA BALME (Km 33) dont 1,7 Kms a 15% ,1 bonne heure d’avance sur 2005.
Je passe devant Notre-Dame de La Gorge, tout illuminée, elle a un côté irréel. Quelques groupes, réchauffés par des grands feux de bois, entretiennent l’ambiance tout au long de cette partie, la pente m’oblige à ralentir mon allure. Nous empruntons une voie romaine à 20% de pente positive, cette partie oblige les plus courageux à alterner marche et course, pour la première fois en ce qui me concerne.
C’est là que commence la première très grosse grimpette de la course.
En deux temps. D’abord montée à La Balme (500m de D+ en 4,1 kms) puis montée vers le Col et la Croix du Bonhomme (770m de D+ en 4,5 kms) soit 1270m de D+ en 8,6 kms…Un très gros morceau.
Après la voie romaine, le tracé vers La Balme chemine sur une piste large. Pas technique, mais parfois raide. Je monte au train, j’essaie d’assurer au maximum. J'ai de bonnes sensations, le froid commence à se faire sentir. C'est la fameuse et redoutée barre des trente kilomètres que connaissent les marathoniens. Ma préparation, faite de footings dans les modestes cols Vosgiens et les petites grimpettes du Toulois va - je l’espère - pouvoir porter ses fruits. Je suis bien !
J'arrive à La Balme à 23h 21, je suis (467éme), c'est bon, bon, c'est bon pour le moral ! Je prends 2 cocas, une soupe et je me rends compte que je suis un des seuls coureurs présents, encore en maillot technique manches courtes. Je me change et mets mon polaire fin ACGV manches longues. Un petit vent rôde et nous sommes très loin du sommet. Et roule ma poule pour la seconde partie de la montée.
6. MONTEE AUX COLS DU BONHOMME ET DE LA CROIX DU BONHOMME 2500 m (Km 38) dont 4 Kms a 18%.
Je repars sur le même rythme, mais progressivement la piste laisse place à un sentier de montagne. C’est souvent raide, parfois étroit, et je suis obligé de marcher à ma cadence tout en gérant bien mon effort. Il est hors de question que je me grille. Je dois rester en dedans, si je veux finir. Plus je monte, plus l'altitude se fait sentir, je ne double plus personne, et me fait remonter par quelques coureurs. C’est une succession de pierriers, entrecoupés de sources, traversant notre chemin assez gras, et je continuerai à ce rythme jusqu’au col du Bonhomme à 2401metres.
Mais après le col du Bonhomme, surprise, il y a une nouvelle montée jusqu’à la Croix du Bonhomme (un autre col qui est à 2551mètres).
Les 150 mètres de dénivelés entre les deux cols sont assez cassants, finalement j’arrive à la Croix du bonhomme, (je suis 528éme) encore très frais. Heureux d’aborder cette fameuse descente vers les Chapieux où j’étais un brin euphorique en 2005. Alors attention Danger, ne pas s’emballer.
7. LA DESCENTE DU BONHOMME VERS LES CHAPIEUX (Km 44) dont 5 Kms a 18%, 1 h 40 d’avance sur 2005.
6 kilomètres de descente. Durant lesquels, je vais apprendre ce que signifie savoir descendre. Celle ci est technique, pierreuse, pentue, humide, avec des ravines. Je décide de ne prendre aucun risque, en étant le plus souple possible. Cette descente constitue un très bon test, pour évaluer ses capacités d’encaissement en prévision de la suite,
Le début est plutôt agréable, un petit sentier qui descend sagement, mais très vite, la pente augmente (900m de D- en un peu plus de 5km) pour devenir plus difficile… De plus, ce n’est plus véritablement un chemin. Par moment, on sort de celui-ci, en empruntant des trajectoires plus directes et plus pentues, avant de le rejoindre plus bas en traversant des ruisseaux. Les bâtons, avec lesquels j’essaie de préserver mes cuisses, et surtout mes genoux, sont très utiles. En fin de descente, après un petit pont, on rejoint un chemin où je trottinerai tranquillement jusqu’au contrôle d’arrivée.
Je découvre Les Chapieux tout illuminés dans cette immensité désolée. C'est un tout petit village niché au fond d'une vallée. Le cheminement suivi jusqu’au ravitaillement, est jalonné de lampions, l’ambiance est très festive, la grande foule est là. Il est presque 2 h30 du matin, les encouragements sont encore très nombreux, je suis au quart du parcourt. Le ravitaillement est très copieux, Gargantua pourrait s’inviter là. Je continue toujours ma stratégie et fait un ravitaillement Express, 2 cocas et une soupe de vermicelle, agrémenté de deux micro-sandwichs fromage et saucisson, préparés avec amour par un moustachu et une jeune fille.
8. LES CHAPIEUX VERS LE COL DE LA SEIGNE 2500 m (Km 54) dont 4 Kms a 16%, presque 2 h d’avance sur 2005 ( je suis 598éme).
Je démarre rapidement, en marchant d’un bon pas, et grignotant mes micro-sandwichs. Après quelques centaines de mètres, je ressens un courant d’air, et m’abrite derrière un gros rocher pour mettre mon coupe-vent imperméable. Je ne le regretterai pas. Je ne l’avais pas mis jusqu'à maintenant pour éviter la surchauffe et le manque d’hydratation, suite à mes tendinites l’année passée, et de plus, je ne suis pas très frileux. La route monte doucement jusqu'à la ville des glaciers à 1789m soit 5 kms pour 250m de D+. Sur cette portion, je marche à bonne allure, mais quelques-uns me doublent, ayant un pas plus énergique que le mien. Quelques mots échangés sur nos sensations du moment, avec mes compagnons d’un instant, puis, moins de conversation, car la 3ème ascension commence. C'est le col de la SEIGNE à 2517 mètres, le frère jumeau du col du Bonhomme, il sépare la France de l'Italie.
Certains passages sont comparables à d’immenses marches d’escalier glissantes et coupantes. Ici, pas de pierriers. Ce qui ne m’empêche pas de trouver cette montée très longue, mais moins qu’en 2005. Il est quelquefois difficile de suivre le chemin, toujours entrecoupé de cours d’eau. Plus le dénivelé augmente, plus le nombre de coureurs ralentissant, devient important. C’est un théorème qui se vérifiera durant toute la course! L’avantage est que, peu de mètres à parcourir suffisent pour constater une forte progression en dénivelé ! D’étranges sensations m’envahissent. Je suis bien, pas de blessures, pas de bobos, tout est OK.Je pense atteindre le sommet. Et non, ce n’est qu’un replat avant une nouvelle partie encore plus raide que la précédente. Cet épisode se répétera à plusieurs reprises, avant que réellement, le sommet ne soit atteint. C'est très usant et frustrant de penser que le sommet arrive et d’être obligé de relancer à nouveau. Tous souffrent en silence… dans la nuit fraîche.
En me penchant dans le vide, j'aperçois les concurrents, qui forment un serpent de lumière illuminant la montagne. C'est féérique. Quelques coureurs, dépassés au cours de cette ascension, et paraissant un peu OUT, ont droit au classique, Ca va ? Et la réponse vient tout naturellement, BOF !
Enfin le sommet, (je suis 632éme) C’est là où j’aurai eu le plus froid, et même pris mal a la gorge. Ce qui m’empêchera de respirer correctement dans les efforts à suivre. J’avais mangé cette partie du monstre vers 6 h45 en 2005, au lever du jour. Et là, il fait encore bien nuit. Je ne pourrai pas admirer le paysage embrumé au petit matin, en fond de vallée, que j’avais immortalisé l’année passée. Qu’à cela ne tienne, j’en prendrai plein la vue avec d’autres paysages inconnus. Je me lance, sans plus tarder, dans cette descente vers Courmayeur longue de 18 Kms.
8. DU COL DE LA SEIGNE, EN DESCENTE JUSQU AU REFUGE ELIZABETTA ( Km 58 ) (je suis 634éme).
Après une partie de descente un peu cassante, j’atteins le ravitaillement du refuge Elizabetta, 2 cocas et je mâchonne encore une barre, que j’avale avec difficulté. Je fais la courte descente à un rythme soutenu jusqu’au Lac Combal. Son profil s'y prête. Il y a plein de vaches dans les alpages qui nous regardent déambuler, impassibles!
9. LE PLAT DU LAC COMBAL.
Puis, j'attaque un long plat, qui borde un lac, formé par l’eau de la fonte des innombrables glaciers. J’en profite pour me reposer un peu en alternant marche et course. A ce moment là, j’ai un coup de moins bien. Serait ce le fait de penser à cette arête du Mont Favre ? Que je vois arriver, et qui l’année dernière ne m’avait pas trop réussie. Le jour commence à se lever, c’est toujours un moment privilégié, d’observer le réveil de la nature et ses superbes couleurs. Alors réveille-toi, Jean-Luc !
10. L'ASCENSION DE L’ARRETE DU MONT FAVRE (Km 63) dont 2,2 Kms a 21%.
Rapidement, en début de cette ascension, de petits groupes en file indienne, se reforment. Les coureurs en plein effort semblent se réfugier dans le silence, qui n’est troublé, que par le bruit saccadé de leurs pas et de leurs bâtons. Chacun semble enfoui au fond de lui-même. Pas une parole! Les dépassements sont difficiles. Malgré cela, je sens que mon rythme revient peu à peu, et j’arrive même à avaler quelques coureurs; ça monte, ça monte, et on n’arrive toujours pas au bout. Cette arête porte bien son nom et elle me reste un peu en travers de la gorge. Le coup de froid que j’ai ressenti, en montant vers le Col de Seigne auparavant, commence à faire ses effets, et je devine, une gêne, au niveau de ma respiration. Arrivé sur l’arête, au point de contrôle, je me pose un instant, j’admire la beauté des lieux.
En bas vers Courmayeur, la nature dans cette lumière au petit jour est superbe, c’est beau. Quel Bonheur !!! (Je suis 677éme).
11. LA DESCENTE DU COL CHECROUIT (Km 67) dont 4,4 Kms a 11,5 % J’attaque la descente… Le tempo est moins vivace, les sensations sont moyennes. Je me fais doubler par un bon nombre de coureurs. J’essaye la méthode Cyrano, comme dit YOYO. Alternance de marche et de course. Cela me réussit plutôt bien, les sensations et le souffle semblent être en symbiose à nouveau après quelques centaines de mètres. Cette partie est assez plaisante. Faite d’un parcours assez roulant, entrecoupé de descentes brèves, mais assez pentues. De quoi se refaire une santé, en la gérant bien. Je me réhydrate, car la température commence à monter. Le ravitaillement suivant, est situé après une longue descente de 900 mètres de dénivelé! La descente jusqu'au col Chécroui se passe assez bien. En arrivant, comme d’hab, 2 cocas, et j’essaye un morceau de fromage qui a beaucoup de mal à passer une nouvelle fois. Je me pose des questions sur ce point important, car je ne suis pas encore à la moitié de ce périple, et je compte bien manger le monstre en entier. (je suis 743éme).
12. LA DESCENTE DU COL CHECROUI VERS COURMAYEUR (Km 72 ) dont 4,6 Km a 16,5%
La descente jusqu'à Courmayeur, est une des parties qui me fera le plus mal. Ce sont les genoux et les quadriceps qui encaissent, lors de ces pentes à fort pourcentage. Et là on est servi. C’est très raide. Je descends une piste de ski, noire sans doute. Pour rejoindre des chemins empoussiérés, ensuite d’autres parties bitumées, et je finis par un long passage, fait de lacets et de marches en escalier assez hautes. J’ai l’impression de n’avoir jamais eu un instant où pouvoir récupérer, tellement le dénivelé fait mal. Au final, une arrivée qui traverse les rues de Dolonne, jusqu'à la Base de Vie de Courmayeur, où les Italiens nous attendent et nous acclament avec chaleur.
13. COURMAYEUR, j’ai 2h 20 d’avance sur mon horaire de passage en 2005 (je suis 784éme).
Courmayeur constituait auparavant, l’objectif minimum de certains concurrents. Mais cette année, on ne rentre dans le classement qu'à partir de La Fouly.Certains se douchent, dorment, se changent, se restaurent, se font masser. Moi, voyant après récupération de mon sac, que les douches ne sont pas encombrées, j’en profite pour en prendre une, rapidement. Je me change, tenue légére (shorti, chaussette et maillot technique manches courtes), je garde les même chaussures trail (assics Trabucco) et mes mini-guêtres, malgré la couche de poussière, because, mes pieds sont bien dedans et sans bobo. J’essaye de manger quelques pâtes, 2 yaourts, et j’ingurgite une bonne rasade de coca. Après un arrêt d’environ 1 heure 10, je poursuis ma route en déposant mon sac au passage.
14. LA MONTEE DE COURMAYEUR AU REFUGE BERTONE (Km 77) dont 4,8 Kms a 17%.
La montée au refuge Bertone, est la sœur jumelle de la descente depuis Chécroui, mais en dénivelé positif. Après avoir traversé quelques carrefours, moments assez désagréables. Encouragé par quelques supporters éparses, je monte assez longtemps, une rue en macadam. La montée commence véritablement d’un seul coup, en empruntant un chemin assez raide, le soleil est déjà bien chaud.
Je monte à travers des forêts d'acacias et diverses essences d’épineux. Dans ces lacets, qui me mènent à l’endroit où j’ai abandonné, il y a un an. Mon moral est vraiment au zénith, le beau temps est là, je sais que je suis dans un bon état physique et que je vais encore manger un peu de cette bête. Tout a coup, au détour de ce chemin, je tombe nez a nez avec une perche et au bout un micro. Il s’agit d’une équipe qui doit réaliser une vidéo, le collègue du perchman a une caméra, lui. Au fur et a mesure que j’avance, ils reculent, en me filmant et enregistrant les réponses aux questions qu’ils me posent. Ce n’est pas une partie de plaisir pour eux. Pourrais-je voir ce film un jour? Je ne sais pas. Je les quitte en n’ayant pas de réponse. Sur la partie finale de la montée, je double quelques concurrents en galère, et enfin le refuge Bertone m’ouvre ses bras.
15. DE BERTONE AU REFUGE BONATI (Km 84) (je suis 764éme).
Heureux d’être là, je me pose un instant. J’admire ce paysage fantastique. J’avale 2 cocas et mâchonne un morceau de barre énergétique comme d’hab. Je repars sans m’attarder en remarquant qu’un grand nombre de personnes semble assez fatigués. Ce qui provoque certainement quelques abandons.
2005 est oublié, enterré, vive 2006.Et c’est reparti pour de nouvelles aventures !!
Le long terrain, vallonné jusqu'au refuge Bonatti, est l'occasion de flâner et d’en prendre plein les yeux. Pas de difficulté majeure sur cette étape. Je marche d’un pas assez rapide mais régulier, je suis dépassé de temps à autre par des trailers. Je les reverrai, pour certains, plus tard. Je commence à gérer mon effort, imaginant les difficultés, qu’il me reste à effectuer. Cette partie est en balcon sur le val Ferret et ressemble à nos Crêtes Vosgiennes, encore une fois, un peu casse-pattes. Je jouis surtout du paysage incroyable qui s'offre à moi. Il fait chaud, ce qui n’est pas pour me déplaire. Il faut profiter de ce temps, car la météo annoncée la nuit prochaine, très pluvieuse, n’annonce rien de bon. J’arrive à Bonatti, petite halte à flanc de montagne (je suis 821éme).
16. DE BONATI A ARNUVA (Km 89).
J’avale 2 cocas, c’est tout. J’ai vraiment des difficultés à avaler. Pas grave, de toutes façons, je n’ai franchement pas faim. Je repars, encore quelques Kms en balcon, et j’aborde ensuite, une descente vers Arnuva, qui fait assez mal aux cuisses. En face de moi, les Grandes Jorasses, et au fond, un superbe glacier. (Je pense que la nuit, on doit passer à côté de paysages idylliques).
A ce moment de la course, il faut savoir être patient. Quelques passages de terrain relativement plats permettent de reprendre son souffle. C’est dur mais c’est bon ! Enfin Arnuva, (je suis 815éme), je régresse régulièrement dans le classement, pas grave, pas important, le chemin est encore long.
Je comprends maintenant pourquoi beaucoup de coureurs abandonnent ici. TROIS choses me paraissent essentielles :
Premio, c’est un moment de la course où on commence à accuser le coup, on se pose des questions
Deusio, le paysage est fantastique, c’est un havre de paix.
Troisio, un gros morceau de la bête arrive aussitôt derrière, (le Grand Col Ferret), et on peut, au choix, l’admirer ou le craindre en voyant le monument à gravir
. Sous la tente de ce ravitaillement, où les visages sont de plus en plus marqués, certains sont las, et je devine des pensées négatives d’abandon, rien qu’en les regardant. J’entends plusieurs fois cette phrase : Fais le Ferret et tu verras après ! Jolie rime.
Un coureur me demande si c’est moi qui signe GIRAFON sur le forum, voyant la petite girafe porte-bonheur qui m’accompagne sur mon sac. Plusieurs trailers m’interpelleront de la même manière tout au long de ce périple, et je leur répondrai, non, c’est le port- bonheur de TI LOUIS, mon petit-fils. .
C’est vrai, d'Arnuva, le paysage est superbe, vous avez un peu l'impression d'être dans un cul de sac au bout du monde, partout des cascades coulent les longs de parois abruptes depuis ces géants de glaces. Donc c'est beau, mais ce n’est pas fini, ça va être dur ! Allez, c’est parti, ça va « chier ».
17. De ARNUVA AU GRAND COL FERRET (Km 93) en passant par LE REFUGE ELENA dont 2,4 Kms a 12,5% et 2,1 Kms a 23%.
Dès le ravitaillement passé, pas de répit, après un court moment de plat, l’ascension démarre. La portion jusqu'au Refuge Elena donne un aperçu de la difficulté attendue, le paysage est toujours aussi beau, dans l'esprit de chaque coureur qui arrive à ce point de la course trotte l'idée que les deux-tiers du parcours sont avalés. La Suisse et ses vertes vallées nous attendent, mais pour les mériter, il faut vaincre le Grand Ferret. Ce col qui est mythique, est le dernier 2500 m. Je monte à mon allure, dépassant certains coureurs au refuge, ensuite c’est moi qui me fais engloutir par quelques autres encore bien en jambes. Je me rends compte que j’ai encore et toujours quelques difficultés à respirer suite à l’effort assez soutenu. J’ai bien pris froid la nuit dernière. Je fais avec, j’espère que cela ne me gênera pas plus. Le souffle étant, après les jambes, un des éléments essentiels. La montée devient de plus en plus difficile. Je régule cependant ma vitesse en fonction de ma respiration, tranquille. Je ventile en cadence pour rythmer mon ascension. J’ai une pensée pour mes amis et me demande où ils peuvent bien être. Je monte doucement, mais j’avance et enfin, après un replat,.j’aperçois les petites tentes jaunes qui s’approchent. Signe que j’arrive enfin sur le toit de l'UTMB, le célèbre et terrible Grand Col Ferret (2537mètres). Adieu l'Italie et Bonjour La Suisse.
Bon, là-haut tout va bien. Le beau temps est encore là. Mais les nuages arrivent et commencent à montrer que les conditions vont changer d’ici peu. Aucune douleur musculaire majeure, pas de crampe, pas d’ampoule. Il est 16 h 11, j’ai déjà effectué 21 h 10 de course, (je suis 821éme). Prêt à affronter le reste du parcours.
Wahouuuuuuuuu !!! Quel Bonheur. J’ai envie de le crier très fort, en espérant que l’écho porte partout cette belle parole autour de moi.
J’adore ces moments de plénitude, où, ayant des sensations physiques positives, noyé dans les éléments naturels, on se dit intérieurement que l’on est capable de donner encore beaucoup.
18. LA DESCENTE DU GRAND FERRET JUSQU’A LA PEULAZ ( Km 97 ) dont 3,5 Kms a 13,5%
Un dernier regard vers cette pente vaincue, et j’enchaîne tranquillement la descente assez roulante, jusqu'à La Peulaz.
Un hélicoptère tournoie au-dessus de nous depuis le Col. Un peu plus bas, un coureur est allongé sous une couverture de survie. Les secours s’occupent déjà de lui, un autre hélicoptère est en Stand By dans le pré tout proche. Les dépassements deviennent assez rares. Je me hâte lentement, on est en Suisse. J’arrive dans une sorte de bergerie, en pleine montagne, servant de ravitaillement. Les premières gouttes commencent à tomber. Je reconnais deux coureurs, qui m’ont avalé sur les balcons de Bonatti, et qui, là, me semblent prêts à abandonner. J’essaye de leur remonter le moral, mais visiblement, ils sont au bout du rouleau, leurs regards semblent vides. C’est au même endroit que Jean-Pierre abandonnera.
19.DE LA PEULAZ A LA FOULY ( Km 102 ) dont 1 Km 20% et 2 Kms a 10% ( je suis 823éme.) Comme d’hab, 2 cocas, aucun ravitaillement solide, à part une barre, que je mâchonnerai très longtemps. La gorge est très empruntée et je n’ai toujours pas faim. Je remets mon coupe-vent imperméable, et me voilà reparti. Direction La Fouly. Après une partie assez technique, cassante et glissante, à cause de la pluie qui se remet à tomber. J’aborde une route, qui permet de se reposer un peu. J’en profite pour discuter avec mes compagnons du moment. Après cette route, une partie où nous suivons un cours d’eau, traversant des bois par un chemin en surplomb.
Arrivée à La Fouly, la pluie a redoublé. Je traverse le village, le ravitaillement est à l’autre bout de celui-ci. C’est TOP, il y a même possibilité de se faire masser. Je m’accorde une petite pose, buvant à nouveau 3 ou 4 verres de coca. Cette pose me sera profitable, car juste avant de repartir, j’arrive à avaler un bouillon de vermicelle, chose qu’il m’était impossible de faire en arrivant ici. La pluie n’a pas cessé. Mais je décide de repartir, afin de ne pas me refroidir. Sous la pluie battante et les applaudissements des bénévoles, je repars donc. Prochain arrêt, Praz.
20. DE LA FOULY A PRAZ DE FORT (Km 111) (je suis 782éme).
Le balisage est vraiment très bien fait. Je m’aperçois après quelques minutes, que je suis tout seul depuis que je suis reparti. La pluie tombe toujours aussi fort. Je trottine et je marche en alternant. Soudainement, j’ai droit à un contrôle sauvage au détour d’un chemin. Ce qui permet à certains concurrents de me rejoindre. Tant mieux, je repars en compagnie de ceux-ci jusqu'à Praz. Cette portion est en faux-plat descendant avec quelques petits coups de cul, en sous-bois. Tout ce que j'aime. En arrivant à Praz, les chalets en bois succèdent aux chalets en bois, fleuris et superbes. C’est un charmant village suisse, que nous traversons jusqu’au pointage. J’absorbe 2 cocas et un bouillon vermicelle, heureux de pouvoir avaler quelque chose d’autre que du Coca qui, en temps normal, n’est pas ma tasse de thé (humour). Mon seul carburant depuis longtemps déjà.
21. MONTEE DE PRAZ DE FORT VERS CHAMPEX LAC (Km 117) dont 4,6 Kms a 11%.
Avec mes compagnons, nous repartons sous la pluie battante. La nuit est presque tombée totalement, et il est temps de préparer les frontales. Après une descente tranquille sur route, nous entrons dans la forêt, en attaquant une côte. J’essaie de rester concentré sur mon allure de montée. Cette dernière se fait en sous-bois de sapins et de mélèzes, très bucolique ! J’essaie de prendre le rythme de mes partenaires, dont un Vosgien. Les jambes sont là, mais j’ai le souffle court, ça monte toujours et parait long. Serais-je entrain d’avoir un coup de moins bien ? Le chemin qui mène à Champex est plus pentu que prévu. J’arrive malgré tout, à suivre le rythme du groupe, il faut s’accrocher, encore deux kilomètres et enfin la base est visible !! Ouf, encore un morceau de la bête avalé. Il pleut toujours. On fait le tour de cette grande tente, et chacun récupère son sac, qu’un groupe de bénévoles nous donne, après avoir vu notre numéro de dossard.
22. CHAMPEX, il est 22 h05 (je suis 787éme). Dés que j’entre dans ce grand Marabout, surchauffé par le nombre important de coureurs, je suis surpris. C’est une étuve. Je constate qu’il n’y a pas d’emplacement spécifique pour se changer, c’est très restreint. De plus, on nous dit que les douches sont froides. Mon camarade, avec qui je fais un bout de chemin depuis Praz, me dit qu’il va se faire masser et soigner ses ampoules. Nous nous mettons d’accord pour quitter, dès ses soins finis et un petit ravitaillement, ce lieu qui ne me plait guère. Je n’ai toujours pas faim, malgré le choix très important, on se croirait au Club Med. Je n’arrive toujours pas à avaler, c’est désespérant, sauf 2 ou 3 verres de coca, je prends un café que l’on me renverse aussitôt, serait-ce un signe ? J’en profite pour mettre un collant, étant toujours en shorty depuis Courmayeur. Je passe un tee shirt technique manches longues. La nuit commence seulement et elle risque d’être très humide, voire fraîche. J’ai hâte de repartir, les visages sont fatigués autour de moi, je n’ai pas sommeil du tout. Beaucoup de trailers attendent pour se faire soigner ou masser, et le coin des soins, ressemble à un hôpital militaire de campagne. Je trépigne, pressé de partir, quand mon camarade sort et me dit qu’il arrête là. J’en suis désolé pour lui, je remets mon sac à dos et repars seul, en déposant mon sac dans une grande benne. Triste pour lui, mais heureux de quitter cet endroit où je pense que je n’aurais jamais du m’arrêter. J'attaquerai donc seul cette partie de course.
23. DE CHAMPEX A BOVINES (Km 126) dont 4,7 Kms a 14%
Je respire enfin, seul, mais pas pour longtemps, je rattrape un trio le long du lac. Nous discutons sur la difficulté à venir. D’après ce que j’ai pu en lire, c’est une partie du parcours qui laisse des traces, donc « pédale douce ». Nous sommes étonnés par la longueur de cette partie roulante, un chemin très large, pensant voir arriver la montée de Bovines assez rapidement. Après un rétrécissement, elle arrive très brusquement et là. AIE ! AIE ! AIE ! J'attaque la montée, une des plus dures sinon la plus redoutée, par ceux qui l'on déjà faite. Redoutée, pas trop à cause de son dénivelé ( 600m ) ni de son altitude (1987m ) mais par sa difficulté technique. C'est le seul col où l’on doit régulièrement se servir de ses mains pour s’aider à monter ces amas de blocs de granit qui sont empilés en vrac. Gravir cette partie se passe d’une façon très particulière et casse le rythme, une sorte de Canyoning. De plus, personne ne semble être déjà passée par ici dans notre groupe et on hésite plusieurs fois sur la direction à prendre. Il faut être très attentif aux balises, à peine visibles par moment, et assez espacées. Les frontales des cyclopes que nous sommes scrutent en permanence au-dessus de ces gros pierriers, afin de repérer les balises que nous devinons à peine. Elles réfléchissent au loin, en nous montrant le chemin à suivre. Le fait de connaître le parcours doit être un sérieux avantage. Nous continuons en traversant par moments quelques torrents, il pleut toujours. C’est interminable, par moment le passage obligatoire est un portillon traversant un alpage avec des vaches noires que nous distinguons avec difficulté. Enfin, nous apercevons un semblant de lumière, assez loin. Cette montée d’enfer se termine par un chemin en balcon très gras, mais bien agréable, qui nous amène droit vers cette luciole. Le ravito est presque en haut du col, l’arrivée à la tente où on nous contrôle est un soulagement pour tous, (je suis 667éme). Comme d’hab, je prends 2 cocas et avale aussi 2 cafés avec 3 sucres, chacun. Je n’ai vraiment rien avalé de solide depuis bien longtemps, et n’en ai toujours pas envie. Je commence à me poser des questions. Vais-je avoir un coup de bambou subit ? Vais-je tenir jusqu’au bout sans ravitaillement conséquent ? Les jambes sont toujours là, et il va m’en falloir, car la descente à venir n’a rien à envier à ce mur d’escalade que nous venons de croquer.
24. DESCENTE DU COL DE BOVINES JUSQU'A TRIENT ( Km 132 ) via COMBE DE FACE et LE COL DE LA FORCLAZ dont 4,6 Kms a 11,5 % et 1,4Kms a 15,5%
Nous voilà repartis, un petit groupe dont je prends la tête, mes compagnons n’étant pas du genre casse-cou. Après une montée, encore, très régulière, je pousse un portillon. La descente est périlleuse, car la boue et les racines ajoutées à la pluie, rendent téméraire, toute prise de risques.
Malgré cela, je souffre moins au niveau du souffle et ressens des sensations relativement agréables. Par moment je décroche un peu le groupe, mais je ralentis aussitôt pour ne pas m’emballer. Nous traversons des alpages par des portillons successifs, où paissent des vaches bien noires, une variété du coin certainement. Des lacets étroits succèdent à des parties très pentues. Nous sommes dans la boue en permanence, faisant les funambules entre les pierres, les racines et les gros devers. Mes chaussures n'adhèrent plus beaucoup, tous les appuis sont fuyants et, pour ne pas tomber, on est obligé de courir à petit pas, pour se rattraper de la glissade du pas précédent! En contrebas, par instant, on peut admirer les lumières de Martigny. Nous arrivons sur une route et traversons un hameau, La Forclaz certainement. Pour revenir dans la boue, tout le long d’une autre descente. OUILLE ! OUILLE ! OUILLE ! Une succession de lacets en épingle à cheveux, encore plus boueuse et où je tombe ainsi que la plupart de mes compagnons. Du délire, on se croirait dans Intervilles, lors d’une épreuve avec du savon noir, c’est l’hécatombe, la Bérezina, Apocalypse Now sans les hélicoptères, mais la musique, elle, collerait bien au terrain. Du coup, ma petite girafe a le nez tout éraflé, maculé de boue. Lorsque nous arrivons enfin à Trient, je suis soulagé, quelle galère !!! Il pleut toujours.. (Je suis 686éme) et il est 4 h du matin, ce ravito sera une occasion de plus pour me poser un peu. Je prends 2 cocas pour commencer et ensuite 2 cafés avec 3 sucres chacun, un véritable régime, comme à Bouvines. En rentrant sous la tente, les bénévoles assis devant leur PC annonce l’arrivée de « Vuillaume Jean-Luc de Gondreville qui a fait le Trail des lacs de Gérardmer. » » Je suis surpris et mort de rire. Je prends des nouvelles de mes amis car depuis la montée de Voza, j’ai perdu contact avec Philippe, et Jean-Pierre a décroché en chemin vers les Houches. Le préposé au Micro me dit que Philippe est à 1 heure de l’arrivée et Jean-Pierre a arrêté à La Peulaz. En m’apprêtant à partir, je repasse devant le ravitaillement, et 2 cocas de plus, pas faim. 2 jeunes bénévoles faisant office d’hôtesses me montrent le chemin du départ et m’encouragent. Il pleut à grosses gouttes, m’en fout, j’y vais, même pas peur, que du Bonheur. Dans la souffrance, mais du bonheur quand même.
25. LA MONTEE DE TRIENT AUX TSEPPES ( Km 135 ) dont 3 Kms a 21 %
Voilà que se profile la montée vers le Col des Tseppes, encore une, la dernière, mais quelle dernière? Un col à 2068m, soit 768metres de dénivelés!!! La cerise sur le gâteau. J’attaque à mon rythme, régulier autant que possible, je ne m’arrêterai pas jusqu’en haut, doublé de temps en temps par quelques coureurs isolés. Les groupetos se sont encore éclatés. Je suis seul la plupart du temps, c’est dur, mais les jambes répondent encore correctement et il convient de ne pas faire d’erreur. Je pense à mon père, à mon petit-fils Louis, à Annie qui me suit sur le Net. C’est un moment que j’ai beaucoup apprécié.
Se retrouver seul avec soi même, cette solitude de l’effort dans le silence de la nuit, en pleine montagne et sous la pluie battante.
Cette grimpette se fait vraiment sans palier. Mais, à un rythme régulier comme le mien, je l’avale sans souffrir outre-mesure, si ce n’est ce problème de respiration. J’arrive au contrôle, une petite tente, il est 5 h 44 et (je suis 631éme), peu de concurrents sont là. On me dit, encore 400 m et c’est plus que de la descente vers Vallorcine.
26. LE RETOUR EN FRANCE via LES ESSERTS ( Km 140 ) JUSQU A VALLORCINE ( Km 142 )
Je repars aussitôt, et ça remonte de plus belle, les 400 m annoncés ressemblent plutôt a un bon 2 Kms. Une montée dans la continuité des Tseppes, qui finit par faiblir, et terminer en un chemin de montagne classique, avant d’attaquer la descente vers Vallorcine. La pluie s’est calmée avec le jour qui se lève en douceur, le ciel me paraît bien couvert. Une bonne partie de cette longue descente de 5 kms se fait dans une gadoue épouvantable. C’est très dangereux et je lève le pied, enfin si l’on peut dire. Le rythme de marche du duo que je viens de rejoindre est faiblard. MADRE DE DIOS ! QUE MALOR ! Ce sont sûrement des espagnols. Les chutes succèdent aux chutes, la fatigue, qu’accuse nettement certains concurrents n’arrange pas les conditions de progression. Une entorse à ce moment serait un désastre. Tous les appuis sont fuyants, encore une fois. Le terrain n’est qu’une longue patinoire boueuse, sur laquelle chaque pas demande attention! Le chemin de Vaches est transformé, en un mélange de boue et de bouses, en longues ornières instables, en passages interminables et abrupts d’herbe détrempée, en ravines remplies d’une épaisse couche de boue. La plupart des coureurs sont exténués et sont d'autant plus prudents dans cette partie. Nous rattrapons progressivement un chemin plus praticable, où j’essaie à nouveau de trottiner. Pas longtemps, mais cela me fait du bien. Passage devant le télésiège de Vallorcine, le ravitaillement est encore un peu en dessous. Nous abandonnons ce chemin, pour rentrer dans la forêt et en prendre un autre plus pentu, ça tire sur les genoux. J’arrive à Vallorcine, me fait contrôler et repart aussitôt, rien ne pourra plus m'empêcher de terminer, il est 7h 50 et (je suis 643éme).
27. DE VALLORCINE via Le COL DES MONTETS (Km 146), JUSQU'A ARGENTIERE (Km 149).
Le chemin est maintenant très large, je marche à bonne allure et dépasse quelques concurrents à la dérive, mais, finisher en puissance, je tiendrai encore l’allure malgré quelques faux plats, et, le dernier petit col, le col des Montets (D+225m). Par contre j’ai plus de mal à trottiner, je regrette déjà les dénivelés précédents et cette portion beaucoup plus plate n’est pas très agréable. Je dois traverser un jardin botanique car toutes les plantes qui m’entourent sont précédées à leur pied de leur appellation sur une petite plaque.
J’arrive à Argentières, où le macadam commence à prendre le pas sur les chemins de terre, c’est le retour à la civilisation, la pollution, le bruit, les voitures. L’accueil est chaleureux et les encouragements n’en finissent plus, je suis sur un petit nuage, je savoure ces instants, la fin du calvaire est proche.
Petit arrêt pour un café express, et toujours pas de solide avalé, il est 09 h 18 et (je suis 632éme).
28. ARGENTIERE JUSQU'A CHAMONIX (Km 158) ET LA SURPRISE
Après la traversée d’Argentières, je me retrouve de l’autre côté de la route. Je repars, pour cette fois avaler ce qu’il reste de la bête. Le chemin en balcon, qui, en tant normal, serait un vrai plaisir, fait de petits vallonnements répétés, me semble être à ce moment de la course, plus difficile que les 150 premiers Kms précédents. Il faut relancer et je n’arrive plus à trottiner, je butte dans quelques racines, preuve que le pas est rasant. Je me fais doubler régulièrement, et je compte une bonne cinquantaine de trailers comme ça. J’ai vraiment l’impression d’accuser le coup. C’est peut être le fait d’être sur d’arriver, maintenant.
Après Argentière, il n’y a plus que 9 kilomètres (136 mètres de montée et 300 mètres de descente). Cette partie est parsemée de bancs et doit être très bucolique en temps normal. Je croise et reconnais la petite anglaise, gagnante féminine de 2005, qui doit faire un footing de récupération en sens inverse. Un groupe d’anciens nous encourage, et précise que c’est la dernière côte avant la descente finale. Une dernière montée très casse-pattes, qui nous fait surplomber Chamonix. Là, je me demande si le parcours n’a pas été rallongé. Cette dernière grimpette est surprenante, et je rejoins un groupe qui a bien du mal. Enfin la descente salvatrice vers Chamonix, la foulée est saccadée, je reviens sur le macadam, avant de rentrer dans le centre-ville de Chamonix. Les spectateurs forment une haie dense qui me porte, et je me sens complètement libéré. Je lis le respect et l’admiration dans le regard des gens. C’est dans ce dernier kilomètre, que l’on fait le plein d’émotions, ce qui masque totalement les douleurs physiques. Les cris et les félicitations me vont droit au cœur, j’aborde le dernier virage, un enfant me tend la main pour que je tape dans celle-ci, ce que je fais avec un grand plaisir.
Tout se bouscule dans ma tête au moment de traverser la ligne, un sourire et une pensée pour ma femme, et mes enfants, dernier contrôle et remise de mon polaire FINISHER.
On est Dimanche, il est 11 h 33, je finis en 40heures 32 minutes et 25 secondes à la 683ème place au Scratch, et à la 91ème place de ma catégorie V2, heureux.
Quel Bonheur !!!
Sur la ligne d'arrivée, je ne retrouve pas mes amis, sont ils entrain de dormir ?
Je trouve un petit endroit au calme, et téléphone tout de suite à Annie, ma femme, qui suit la course sur son PC depuis mon départ, et doit être sur le même nuage que moi.
Je téléphone à Jean-Pierre en revenant vers le Chamoniard Volant. Lui et Philippe m’attendaient en bas de la descente et ont dû me rater, pas grave. Chemin faisant, nous nous retrouvons.
Une douche très laborieuse, je monte les escaliers du chalet très péniblement, et je m’écroule pour environ 3 ou 4 heures de sommeil non-stop.
Jean-Pierre s’occupe pendant ce temps de récupérer mes sacs rapatriés. En fin d’après-midi, nous retrouvons tous les trailers pour un repas frugal sous le grand Marabout. Un dernier petit tour dans Chamonix, afin de se délasser les jambes très raides. Nous craquons devant un marchanG de glace, c’est un régal. Quel bonheur!! Et maintenant DODO! DODO! DODO.
FELICITATIONS A MES AMIS :
Félicitations à Jean-Pierre qui malgré des douleurs persistantes, est parti sans savoir si son état lui permettrait d’aller aussi loin, il a passé les trois grands sommets à 2500 m, ce qui représente une performance de taille.
Félicitations à Philippe, quant à lui, égal a lui-même. Il est arrivé avec 4 heures de moins qu’en 2005, sa stratégie a payé, c’est du solide.
29 : REMERCIEMENTS :
Evidemment, ma femme passera en premier, elle me supporte depuis 2 ans déjà, me traitant souvent de BARJO, elle n’est pas la moins fière de son mari FINISHER. Mes Sponsors, SOPROGA (et plus particulièrement Christian), et DEFAMETAL.
Et tous ceux qui m’ont encouragé, et qui se reconnaîtront.
30. REFLEXIONS D’APRES COURSE :
Que du positif et du Bonheur.
Comblé d’être arrivé, sans aucun complément alimentaire, ni médoc. Sans genouillère, sans chevillière. Les pieds sont intacts, à part un ongle noir, et une tendinite après course au releveur du pied droit.
Surpris de pouvoir faire des efforts de cette dimension en ne m’alimentant pratiquement que de cocas, de bouillons et de cafés, sans avoir de grosse défaillance, preuve que la nature humaine est bien faite. La dimension de cette course hors normes fait que c'est un révélateur pour savoir si l'on a un mental d’acier. Les deux premiers tiers de course servent à se tester physiquement, le troisième est fait de surpassements, ce sont surtout les questions que l’on se pose, qui empêchent d’aller plus loin. Pour en avoir fait l’expérience en 2005 en arrêtant à Bertone avec des tendinites aux 2 genoux. A moins d’avoir un problème physique majeur, je pense que dans cette épreuve, comme dans la vie; le fait d’oser, amène vers une dimension et des possibilités insoupçonnées.
L’organisation :
- la quantité de bénévoles, leur gentillesse, leur disponibilité, leur professionnalisme.
- l'organisation sans faille (a part peut être la Base Vie de Champex).
- l'émotion dégagée par cette multitude de coureurs.
- la beauté et la grandeur des paysages.
Quand on connaît les difficultés, pour mettre en place l’organisation d’une simple course, on ne peut que tirer son chapeau au couple Poletti.
Jean-Luc, Le Trailer Fou, Dossard 1122
1 commentaire
Commentaire de Gadou 42 posté le 06-10-2006 à 17:11:00
un commentaire :sans commentaire ! ! BRAVO
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