Récit de la course : Ultra Trail du Mont Blanc 2006, par manu26

L'auteur : manu26

La course : Ultra Trail du Mont Blanc

Date : 25/8/2006

Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)

Affichage : 4820 vues

Distance : 158.1km

Objectif : Pas d'objectif

7 commentaires

Partager :

273 autres récits :

Le récit

Ultra Trail du Mont Blanc 2006

158.1 Kms / 8639 m D+ / 8639 m D-

Mon premier objectif était de finir l’UTMB. Et puis au fil des mois, non pas que je me prenne pour un autre, mais on comprend que ce n’est pas suffisant : Quand t’as un coup de barre au bout de 40 bornes, le fait de penser qu’il faut finir à tout pris n’est pas très mobilisateur. D’où un objectif d’heure, même modeste peu importe : se dire que ça serai bien d’arriver à tel col ou tel refuge à telle ou telle heure.
Alors j’ai dit 40 heures.
Et puis secrètement, je me suis dit 37. ça correspondait à l’estimation du tableur de Rémi POIVERT (http://www.ultrafondus.com/26_CALCUL/Estimateur%20de%20performances.zip) par rapport à mes performances précédentes des templiers (66kms) et du grand raid Ventoux (100kms) essentiellement.

Préparation : je voulais faire 4 séances par semaine pendant 2 mois et demi. Tout compte fait, je n’en ai jamais fait plus de 3. Ou alors parfois avec une séance VTT en plus. J’ai même eu une ou deux semaines vierges.
Sinon c’est de l’hebdomadaire classique : fractionné 10 fois 30/30 en côte, seuil (faut vraiment que je progresse là) et sortie longue.
Dans les sorties bien longues, j’ai fait pas mal de montagne Nyonsaise avec Stéphane qui a dû se désinscrire de l’UTMB, 6 heures avec mon cher Laurent en Chartreuse, Chamonix-Courmayeur (72kms) en 2 étapes pour moins de 12 heures de courses avec des fortiches (Cyril qui bouclera cet UTMB en 28H00, Thierry (qui l’a fait en 29H00 l’an passé) et Olivier), une autre seul de Trient à Cham (26kms) et une sortie de 7H00 à Massat en Ariège avec mon pote Antoine qui un jour d’Août 2004 m’a conseillé de courir pour perdre 4 Kilos.

Coté ascétisme, j’ai arrêté la clope 10 jours avant et je trouve que c’est trop peu. Et le Cairanne également (à l’attention des plus éthylophobes, Cairanne n’est pas un individu mais mon cotes du Rhône Village préféré). Il m’a fallu parfois refuser du fromage pour ne pas craquer… Et aussi plus de viandes rouges, et enfin, sevrage total de café.
J'ai beaucoup dormi les 10 derniers jours, avec sieste systématique la dernière semaine.

Le temps : Il est prévu du beau en début de nuit, ça devrai se gâter ensuite coté Chamonix (on n’y sera plus) mais des précipitations sont aussi à prévoir coté val d’Aoste du samedi après midi jusqu’au dimanche début d’après midi.
Une chose essentielle : pas d’orages de prévus.

Samedi 25 août 2006 : 19H00 : La musique du départ de Christophe Colomb ne m’émeut pas plus que ça.
Faut dire que ça fait 10 mois qu’elle est dans mon MP3 -quand je cours avec- pour me mettre en condition, et que forcément ça démystifie sérieusement le truc.
Moi qui ne suis pas forcément un exemple de sérénité, je n’ai eu une petite appréhension que 2-3 mn avant le départ. Une petite voix du type : « c’est quand même du n’importe quoi de courir 158 kms dans la montagne ». Mais le fait d’être entouré de 2499 autres idiots m’a vite rasséréné.


Chamonix—Col de Voza : Km 13,3 / 2H14 / 2143ème

7mn pour franchir la ligne de départ, c’est la rançon du succès de la 4ème édition de l’UTMB. 25mn pour arriver aux Gaillands ; Après coup pourquoi pas : à ce rythme là on est encore dans les temps à l’arrivée (43H00) sauf que ça monte un peu plus par la suite.
Dans la montée, je trouve Françoise avec la quelle j’avais fais un Off bien vivifiant au Ventoux en janvier (merci Yoyo G.O).
Je connais bien Voza. Je monte normal. Rien de gagné rien de perdu.
Sauf mon objectif secret de 37H00 qui a du plomb dans l’aile avec la longueur du départ.

1er ravito. Comme prévu pour tout les autres: 5mn. Les bénévoles sont chouettes. Les coureurs sont tranquilles mais ne rigolent pas plus que ça. Je met ma frontale et ma ventrale. Je me sens seul et ça m’ennuie pas.

Col de Voza-Les Contamines : Km 24.7 / 4H23 de course / 2019ème

J’attaque la descente pas mal. C’est un exercice que j’aime. Leste et léger je m’amuse mais je sais qu’il faut faire attention alors je fais attention.
Et là, 2 bouchons sur un sentier à flanc de colline ; à mon avis pas loin de 20mn d’attente passive au total. Rien de bien impressionnant pourtant : un peu de boue, un peu de racines sur 200 mètres...
Le fait de s’arrêter n’est pas ennuyeux en soi, mais s’arrêter quand on l’a pas choisi… Bref. L’avantage, c’est que ça m’enlève définitivement la pression des 37H00. C’est sûr, maintenant ça sera au moins 40.
15mn avant les Contamines : un événement : à 15 mètres au dessus de la route, un type demande « qui a un truc pour la diarrhée ? » . Il devait vouloir dire « contre ».
Moi j’ai 4 gélules de levures de bière mais je continue de courir. Belle lâcheté. Comme souvent, le degré de responsabilité se dilue proportionnellement au nombre de personnes interpellées : on est largement 50 à avoir entendu son appel, « y’en a bien un plus proche du talus que moi qui va lui donner un truc non ? » j’essaie d’évacuer ma culpabilité ; En vain.
Je critique tellement souvent l’égocentrisme des coureurs (« mon p’tit corps, mes p’tites perfs, mon p’tit matos, mes p’tites sensations… »)... je me retrouve en pleine contradiction ; putain j’suis pas beau.


Les Contamines-La Balme : Km 33.1 / 6H11 de course / 2021ème

Ravitos des Contamines : un peu de sucré, un peu de salé, remplissage de poche à eau et c’est reparti.
Oh pas longtemps : quelques 200m en contre bas, au bord du torrent, je prends envie d’une pause pipi. Et là : « mais ! il est où mon dossard ?! » Rien sur le ventre, rien plus bas. C’est sûr, oublié avec son élastique au dessus, au ravito. Je remonte comme un malade. Je demande aux bénévoles, aux autres coureurs. Rien. C’est pas possible, quelle est cette part de moi qui refuse de continuer à mon insu ?.. Je refais les 2-3 endroits où j‘ai zoné : rien ; je redescend comme une bombe ; Je re-cherche. Rien ; Et là, j’exprime enfin à peins poumons le fond de ma pensée : « putain de putain de putain ! ». Deux spectateurs attirés par mon ode me regardent. J’explique ma situation. La réponse fuse : « il est dans ton dos, ton dossard. Faut garder de la lucidité mon garçon. » Hu-mi-lié.
Ça fait du bien les frayeurs parce que ça s’arrête, je me sens tout neuf bien qu’ayant perdu 10mn sur ce coup là. Les 37H sont définitivement enterrées. Les 40 encore possibles mais faut pas que ça continue comme ça. Tiens, j’en ai même oublié l’embarras du type avec sa courante des familles.
Jusqu’à N.D de la gorge, j’alterne 3mn de course et 1 mn de marche ; J’aime VRAIMENT pas le plat. Y’a pas le plaisir de l’effort de la montée, y’a pas le coté « petit chamois » de la descente. Y’a rien.
Ça remonte sévère sur une ancienne voie romaine. Ça calme de se dire que nos ancêtres montaient là avec un peu plus de poids qu’une poche à eau, une gore tex, deux gels et trois figues.
Au chalet du Nant Borrant, je met la veste isolante de Marie. Tout est bien.
Le chalet de Balme s’annonce au loin. Le chemin monte guère mais c’est un peu long.

La Balme-La Croix du Bonhomme : Km 38.6 / environ 8H / vers 1900ème

Une longue file de lucioles magnifique et ininterrompue s’étend sur l’ensemble de la montée. C’est sur cette portion que j’avais eu du mal lors de la reconnaissance en juillet dernier. Du coup, et même si je me croix facile, je prend ce rythme lent et imposé de fait comme une économie d’énergie pour plus tard. On ne peux pas doubler, tant mieux.
C’est bizarre comme le rapport au temps est différent la nuit. Je trouve que tout va plus vite.
Tiens, il reste un névé de 15m de long.
Arrivé au col, il faut encore monter 150m D+ sur un terrain que j’affectionne (sec et caillouteux), et mes pompes aussi ; Alors là je me lâche et je double. Je gêne personne et je dit bien merci. Gentil garçon.
Un grand plaisir.


La croix du Bonhomme-Les Chapieux : Km 43.9 / 9H11 / 1842ème

C’est décidé : j’attaque la descente fort. Il devrai pleuvoir à partir de samedi après midi ; là c’est encore sec : allez ! Carpe Diem la nuit est à moi.
Et là crac la chute.
Pas spectaculaire, pas de mal, mais qui aurai pu être lourde de conséquence : je suis tombé à 20cm d’un précipice de 50 à 100m, avec une pente fatale. Le coureur que je venais de doubler a eu encore plus peur que moi. Ça m’a bien calmé. Tranquille la descente, tranquille.
Mais je suis en forme. Je voulais stopper 45mn aux Chapieux, dire bonjour au patron qui est une connaissance de la famille ; mais d’abord je ne le vois pas, ensuite je suis bien en forme alors j’en profite ; j’en profite tout en gardant le précieux conseil de la reco Juillet (merci Cyril) : « quand c’est dur, fait un peu plus, et quand c’est facile, fait un peu moins ».
Je reste 15mn aux Chapieux où je fais coucou à une autre partenaire du Ventoux Off de janvier et hop.


Les Chapieux-Refuge Elisabetta : Km 57.5 / 12H39 / 1333ème


Je repars très bien malgré le bitume que j’exècre.
Dans la montée vers la ville des glaciers, il y a un coureur qui dort assis par terre, contre le rocher. Il est pale, il fait froid ; bizarre on a quitté les Chapieux il y a 30mn: pourquoi il est parti ?.. « Coucou comment ça va ? » il fait semblant de ne pas avoir été réveillé et me dit que c’est juste un moment, que ça va aller, que ça va lui faire du bien. Je lui conseille de mettre sa couverture de survie. Il veux pas ; Jusqu’où doit-on forcer les gens ?.. Je repars en pensant qu’il va souvent se faire brancher par d’autres coureurs et que ça va le maintenir en éveil. Je continue à courir avec de faibles pauses jusqu’au refuge des Mottets. Là ça remonte régulièrement, pas violemment, mais Dieu que c’est long pour arriver au sommet du col de la Seigne. Vous savez, ces montagnes qui sont là, tout à coté mais qu’on n’atteint jamais ; Un vallon, et puis encore, et zut encore un. La montée est cependant magnifique car le soleil se lève. Je regrette un peu mes jumelles au sommet. Mais Marie et la belle famille m’ont bien dissuadé de les prendre. De toute façon dès cet après midi, c’est fini le régal des yeux. Et puis mon sac fait déjà 5,5 Kgs.

Descente sur Elisabetta : je me donne encore une chance de m’amuser malgré la boue un peu plus présente.
Et là crac la chute. Pas de précipice cette fois mais mon bras a heurté violemment un rocher pour me protéger le visage, et je sens que j’ai maintenant du mal à faire un quart de tour de tête sur la droite. Et ça tiraille dans le dos mais sans faire mal. A ce train-là, ça va être dur de boucler les 158 bornes. Faut faire gaffe.
En plus, et ça c’est autre chose, mais ma démarche en canard (merci Papa) me handicape drôlement lorsqu’il s’agit de descendre dans ces petits chemins creusés dans l’herbe. Imaginez Charlot à la montagne.
En tout cas, la descente marque la fin de la course en file indienne. Dorénavant, c’est le plus souvent par petits groupes que les coureurs avancent. Moi pas trop ; je suis très irrégulier dans mon rythme : Marcher 20mn, courir 20mn, m’arrêter 2mn, reprendre 15 sec, m’arrêter autant, etc… Dès qu’une descente de 3 mètres se présente, je cours et je profite de mon élan pour le début de la montée qui suit.




Refuge Elisabetta-Courmayeur : Km 72 / 15H38 / 1516ème

La fameuse ligne droite ennuyeuse le long du lac Combal : j’alterne 1mn de course et 1 mn de marche. Et c’est parti pour la montée jusqu’à l’arrête du Mont Favre. Sec dans la forêt, plus tranquille dans les alpages, et de flanc pour finir. La vue est magnifique ; je repense à mes jumelles. L’aiguille de Peuterey, le Mt Blanc italien et le Nôtre à portée de main. Je pense à Marie qui sera à Courmayeur. La montée sur l’arête Mt Favre se passe d’autant mieux qu’il ne reste que la descente sur Courmayeur avant la base vie. La descente en question se passe bien et joyeusement jusqu’au col Checrouit. La suite est moins drôle : moins technique et plus pentu. Le bout de pieds souffre un peu et les cuisses chauffent beaucoup. Quelques centaines de mètres avant la base vie, Marie, son père et un ami m’accueillent en poussant des cris à faire rougir de gêne Robbie Williams.
Douche (attention de ne pas se retrouver comme moi dans les douches des filles), trop d’attente aux massages, je les zappe. Je récupère de l’huile et c’est super Marie qui s’y colle. Je met ma tenue toute propre récupérée dans le sac déposé à la base par l’organisation. Y’a aussi la queue pour manger des pâtes, alors je me restaure en aliments froids. La pause aura duré une bonne heure. Marie m’a fait passer un joli mot d’encouragement et aussi un dessin de Solveig (2 ans et demi) pour son père « roi de la Montagne ». Et elle me fixe rendez-vous à Champex. Difficile de ne pas se sentir attendu avec tout ça. Pression pression.


Courmayeur-Refuge Bertone : Km 76.9 / 18H10 / 1373ème

Marie m’accompagne jusqu’au centre de Courmayeur et me laisse avec un centbornard bien expérimenté (7H30 !), bien barbu et bien dans l’esprit Spiridon. Mais il fatigue vite dans la montée du refuge Bertone. Et moi je ne me sens pas très efficace. Largué dans les montées, mon orgueil en prend un coup. Mais je n’en veux pas à cette montée qui gagne son épreuve de force contre moi en toute honnêteté. Il est bien laborieux le Manu.
Je m’accroche, j’ai chaud, j’ai soif d’eau gazeuse, je veux m’en inonder tout le corps. Saint Yorre priez pour moi.
Dans cette montée franche et violente, on est pile à la moitié de l’épreuve, en kilomètres et en dénivelé. C’est un peu dur de se dire ça. Faut pas se dire ça.
Arrivé au refuge, je fonce sur l’eau gazeuse. Je vis un rêve. Mais je bois trop. Je gonfle et c’est bibendum qui repart pour 3 heures terribles. Terribles pas tant par la souffrance physique à laquelle on s’habitue toujours, mais par l’impuissance de faire mieux. C’est la course qui me mène et pas l’inverse.




Refuge Bertone-Arnuva : Km 88.7 / 21H18 / 1319ème

Ce n’est qu’en écrivant ces lignes que j’analyse ce passage à vide : et oui, j’ai quasiment rien bouffé à Courmayeur et j’y suis resté (trop ?) longtemps. Peut-être aussi que c’est pas du tout ça, que c’est normal ce type de passage dans une course et qu’il faut résister à la tentation de vouloir tout maîtriser en rationalisant.
Je marche 80% du temps alors que le sentier est à flanc, rarement escarpé, parfois descendant. C’est comme un joli jardin, un régal pour le VTT détente. Tiens, je me suis toujours demandé combien de temps mettrai un VTTiste confirmé pour faire ces 158 bornes.
Dommage que les nuages nous empêchent d’admirer le Triolet (que j’avais grimpé en 1983 !), le mont Dolent partagé par ces trois pays, et bien sûr plus en avant les grandes Jorasses et sa mythique pointe Walker. Aarrgghh.
Quand on est en forme, ce passage doit être paradisiaque. On franchit des ruisseaux qui rappellent les pub tartare et chewing gum holiwood réunies, le Val Ferret en aval. Et moi qui suis mal.
Dernière descente sur Arnuva avant le Grand col Ferret. De petites gouttes font leur apparition ; M’en fout, tant qu’il n’y a pas la foudre qui seule me conduirait à l’abandon ; Je suis un phobique de ce truc là. Pour gérer ce passage difficile, je me concentre sur mon souffle et je lui fait suivre le refrain d’un chant provençal que ma fille aînée Julia a appris. Ça me cale. Ça m’aide.
A Arnuva, je reste 10mn parce que mon esprit s’embrouille : je fais les choses de travers, style enlever 4 fois le sac parce que j’oublie d’y prendre des trucs ; j’oublie les bâtons. Je renverse de la soupe chaude sur mes affaires. Bref les neurones partent un peu en vrille. Normalement, je planifie les tâches à faire lors d’un arrêt et là ppffftt.


Arnuva- Grand Col Ferret : Km 93.3 / 23H10 / 1262ème

Assez bizarrement, c’est dans cette montée du point culminant que je reprend des forces : ou c’est la fin « naturelle » du passage à vide, ou c’est la soupe de pâtes, ou c’est la musique que je décide d’écouter pour la première fois jusqu’au sommet (2537m) : Brassens, Mozart, les Ogres de Barback, Fersen, Nourrit, Les fils de teuhpu, Chopin, Supertramp, etc… Pas très Rock’n Roll le garçon mais c’est comme ça.
La pluie s’accélère sérieusement. Suffisamment pour que je sorte la Millet Gore tex du sac. Je monte lentement (1H50 pour 800m D+) mais tranquille et sûr de moi. Le physique tient. En revanche la gore tex n’est pas fiable contre la forte pluie et je commence à être bien mouillé dessous ; Non, c’est pas la transpiration, c’est bien la pluie. Et elle est forte. Pourvu que ça ne dure pas.
Ça va durer pas loin de 6 heures.



Grand col Ferret-La Fouly : km 102 / 25H01 / 1184ème

Dire qu’il y en a qui paient cher pour se rouler dans la boue.
Ici, l’exercice de style consiste à choisir de descendre sur les petites portions d’herbes (même bien mouillées) plutôt que sur la boue épaisse et brillante qui se généralise tout au long de la descente sur la Peulaz.
Le ravito de la Peulaz, il faut que j’y revienne avec des copains, du Cairanne, des carnets de chants et une bonne tartiflette. C’est un paradis. Faut pas y rester, on y est trop bien dans cette petite bergerie toute en longueur. Il y fait chaud et humide ; ça sent même pas la sueur alors qu’on est serrés comme des sardines. Et dehors il tombe des cordes. Tiens, c’est la pluie que ça sent ; ça sent bon la pluie. Je suis fier d’avoir trouvé la force d’en sortir. Un paradis. Il est bientôt 19 heures.
Dehors il fait très froid et je suis totalement mouillé. Je me souviens m’être demandé s’il n’était pas plus sain de courir torse nu. En plus, j’ai oublié de protéger mon sac de la pluie. Les Tucs se sont transformés en pâte dans tout le sac, le tout mélangé aux lampes, à la trousse de soins et à la vaseline qui s’est barrée de sa boite.
Tout est bien.
C’est une route qui nous emmène à la Fouly. Je cours. Ça va. L’état est méditatif. L’attention ne se pose sur rien et c’est bien. J’ouvre parfois la bouche pour avaler la pluie. Ça hydrate…
Je cours avec plein de gens qui veulent s’arrêter à la Fouly (c’est à partir de cet endroit –102 km- que l’on entre dans le classement général). Apparemment ça en motive quand même pas mal.
Au ravitaillement de la Fouly, je bois une soupe bien chaude et j’ai bien froid. Faut vite repartir. En plus Marie et Valérie (sa sœur) sont sûrement déjà là-haut, à Champex.
La pluie forte s’est calmée. Reste un crachin. Il fait nuit. Dans la descente sur Praz de fort, je fais la route avec un gars de Vincennes sympa. On discute enfants et montagne. Il a un peu mal dans la descente.
A Praz de fort, je rejoins un groupe de jeunes bien tranquilles et on attaque la montée sur Champex ensemble ; on la finira ensemble. Cette montée, je l’estimais à environ 20 minutes. Je croix qu’il nous a fallu presque une heure. On voit le village au pied, pas tellement loin, et puis plus rien pendant la montée à travers bois… Au bout d’un moment, c’est à se demander si on avait bien vu un village tout la-haut. Et puis, au sommet d’une cote on aperçoit une lumière et deux grandes ombres. On s’approche.
La lumière, c’est le premier lampadaire du village et les deux grandes ombres, c’est Marie et Valérie.
Et là, je suis pris en main comme c’est pas possible. A la limite de la décence; je n’ose pas regarder les autres coureurs à la base vie de Champex : elles m’enlèvent le sac, le nettoie, me donnent les affaires sèches, m’emmènent au sous sol du blockhaus pour la douche; La douche, je la prend seul merci. Au retour, elles me prennent chacune un pied et me massent. Mes pieds sont dans un état parfait ; pas une ampoule, pas une irritation, ni de crevasse alors qu’ils sont mouillés depuis bien 5 heures. En revanche, ils me font mal sous la peau, comme si une ampoule géante s’y était glissée sur la partie supérieure.
Marie m’ordonne d’aller me faire masser le reste… ce que je fais.
Deux jeunes gens –un gars une fille- s’affairent sur mes mollets (bien chargés disent-ils) et sur mes cuisses (en pleines formes). Normal je ne cours que sur les mollets, faudra que j’apprenne à varier. Eux sont là depuis 8H00 ce matin et ne se sont même pas arrêtés pour manger.

Je mange des pâtes, j’embrasse les filles, remet ma veste encore bien mouillée, et je repars sous le crachin avec deux isérois qui ont fait toute la route ensemble.


Champex-Trient : Km 132.2 / 35H11 / 889ème

Entre Champex et Trient, il y a Bovine.
Ah Bovine ! on n’ira pas en vacances là-bas : sa boue, ses pierres, sa boue, ses torrents, sa boue. Franchement pénible et sans intérêt. C’est bien plus pénible que dur. Bien plus long que rigolo. On passe son temps à grimper en nocturne d’un rocher boueux à un autre en faisant attention de ne pas tomber.
Arrivé au ravito, les bénévoles me confirment qu’effectivement, ici c’est toujours humide. Ben merde alors, pourquoi on y passe ?
La suite jusqu’à Trient via le col de la Forclaz sera très pénible pour moi. Bien sûr pour cause de boue mais surtout de sommeil (pas dormi depuis 45 heures moi) ; Et c’est ainsi que pendant la descente sur la Forclaz, outre le fait que je suis d’une lenteur guère égalable, j’ai des absences comparables à celles des chauffeurs ensommeillés sur l’A7 : une demie seconde, voire une seconde de sommeil tout en courant et hop, on récupère le fil ! Parfois aussi, la sensation miraculeuse d'être encore debout parce que je ne sais même pas ce qui s’est passé ces 3 dernières secondes.
La descente du col à Trient est sévère et boueuse. J’ai très mal à la plante des pieds ; Mais le jour se lève et mon envie de dormir part avec la nuit. Ça c’est quand même la bonne nouvelle.
L’autre bonne nouvelle, c’est que je prend la décision de me faire masser la plante des pieds par un podologue.

Trient-Vallorcine : Km 142.4 / 37H51 / 762ème

Là c’est Manu superstar.
J’attaque la montée –que j’avais fait seul en reco il y a 1 mois après une nuit quasi blanche- à un bon rythme. Sans défi mais à un bon rythme : moins de 50 mn pour 635 mètres D+ ;
Au petit ravito, je fais connaissance avec un rennais (Eric je crois) ; des fois on sait pas pourquoi, on rencontre quelqu’un, il se passe pas grand chose, mais on sent qu’avec lui ça passe, c’est possible. Alors on marche bon train quelques minutes ; on s’arrête, on regarde la montagne. 2 potes à lui nous attendent, on s’arrête pour regarder et parler du barrage d’Emosson, de l’aiguillette des Houches, de Belachat… C’est marrant pour la première fois, je suis bien avec un type. Son pote propose de faire la descente et l’idée plaît à tout le monde ; Alors on se lance et là je découvre que mes jambes sont pas loin du 100% assez bizarrement. Je reprend du plaisir à cet exercice qui me plait tant habituellement. Je pense à retrouver Marie, à arriver à Cham et à repartir dans ma Drôme. J’ai des ailes. Je décide de poursuivre seul la descente sur Vallorcine.
Bizarre la nature humaine : alors que je ne m’étais jamais senti aussi naturellement bien en course avec un type, je décide de poursuivre seul. Je demande à ses collègues de m’en excuser et de le saluer. Et là je met le turbo et je prend un pied fou. J’ai pourtant 37 heures de course, j’ai eu des moments pas loin d’être apocalyptiques et là, je ne comprend pas.
Au ravito de Valorcinne, pour la première fois j’ai le souci de demander combien de temps j’ai mis depuis Trient, tellement j’étais bien. On me dit 2H35: Si on enlève les 20 minutes de discussion au ravito et la contemplation des aiguilles rouges, c'est un bon temps. Surtout pour une montée des Tseppes correcte mais pas vraiment à fond.
Bon, je me dis toujours que je me fous du temps, mais là je me suis tellement surpris que j'ai pas résisté à l'envie de regarder. Comme quoi on est parfois des sales mecs épris de performance de temps en temps.



Vallorcine-Argentière : Km 148.8 / 39H09 / 734ème


L’arrêt au ravitaillement dure moins de trois minutes. Ça sent vraiment l’écurie. J’alterne course et marche rapide tout les 100 mètres jusqu’au col des Montets. Là-bas, au loin, je devine Marie, Solveig, Valérie, les beaux parents et les enfants. Ils ne savent pas que je les ai déjà vus alors, zélé et un peu honteux de l'être, je me met à courir dans la montée pendant 300 mètres, d’un bon train (style 11-12km/h), je double 4-5 coureurs sous les regards certainement admiratifs de ma famille; Et voilà qu'ils commencent à crier des trucs que je comprend pas trop et à me faire des signes. C'en est touchant. Arrivé à 20 mètres d’eux, je relève la tête d’un air faussement surpris de les trouver là...et bien c'était pas eux...
Ceux-là, ils encourageaient le coureur que je venais juste de doubler… Ils doivent encore se demander pourquoi j’ai ensuite ralenti ma course, alors que ça recommençait justement à descendre.

La descente sur Argentière se fait avec un bon quinqua sympa qui me parle de sa vocation tardive de la course au long cours.
Et là, surprise, Marie, Solveig et toute l’équipe m’attendent au ravito. Je fais les 100 derniers mètres avec ma petite qui m’époustoufle. Super. Je ne me doutais pas que c’était si bon de se faire accompagner de la sorte. On discute avec les bénévoles. J’apprécie. 20mn. A tout à l’heure sur la ligne.


Argentière-Chamonix : Km 158.1 / 40H51 / 717ème

Et c’est ça qui est bon : la course est pas finie mais tu sais que c’est gagné. Alors tout ce temps est à toi. La respiration est ample. Je cours 30 secondes pour 4 minutes de marche ; je cause avec tout le monde. Je me fous du temps, mais vraiment complètement. Mon Fils Hansi me manque parce j’ai couru avec lui sur ces chemins du petit balcon sud. J’aimerai qu’il finisse la course avec moi.

Le petit balcon sud, c’est la cour des miracles ce dimanche matin : ce sont comme ces clichés de combattants qui reviennent de guerre, parfois soutenus par des camarades d’infortune. J’ai épaulé un italien pendant 5-10 minutes qui n’arrivait plus à marcher et qui pestait contre le tracé qui nous faisait remonter avant les Praz pour mieux piquer droit sur Chamonix ensuite. Il semblait commencer à râler –toujours en italien- contre les Français si compliqués.
J’ai manqué de lui mettre un coup de boule dans la poitrine.
J’ai aussi eu confirmation de mes hallucinations visuelles : déjà à Trient, il m’avait semblé voir une loutre faite avec des brindilles de bois alors que c’était un simple paillasson plié en deux...
Là, ça se corse avec une expo de peinture sur de la mousse naturelle, sur une vingtaine de mètres ; Vraiment, les artistes ont de la fantaisie à revendre. Ah non, ce n’est que de la mousse sur 2-3 arbres.
Un peu plus loin, une fille en jean embrasse son petit ami contre un puit de pierre. Un peu de sensualité dans ce monde de barjes. Et bien non, rien: ni jeune homme, ni jeune femme, ni puit.
Enfin, je retrouve le quinqua d’Argentière ; mais là il va plus du tout: lorsque je lui demande si il est prêt à apprécier sereinement ce moment fort de l’arrivée, il me répond que ses copains se sont trompés d’endroit, qu’on peux faire confiance à personne, qu’il a décidé de se foutre de tout. Pas contrariant, j'abonde en lui faisant remarquer que c’est tout de même pas suffisant pour gâcher le plaisir d’arriver... il me dit que si, et que c’est quand même dégoûtant.
La cour des miracles.


Le meilleur pour la fin : une rencontre particulière juste avant l’épisode précédent : alors que je cours bien tranquille, des pas rapides se font entendre derrière moi : un type sans dossard qui court en jean et haut bleu :

Moi : « salut !
Lui : - Salut
Moi : On se promène ?
Lui : Oui, j’arrive d’Argentière pour voir des copains qui arrivent.
Moi : Super.
Lui : Ouais, mais tu sais que j’en étais ?
Moi : T’en étais de quoi ?
Lui : Ben, de la course.
Moi : qu’est-ce qui t’es arrivé ?
Lui : j’ai abandonné aux Contamines.
Moi : Merde !
Lui : justement, j’ai pris une chiasse terrible et je me suis complètement vidé ; Pas moyen de repartir. Et puis après les barrières horaires me talonnaient… et j'ai arrêté. »

Pardonnez moi cette conclusion bouddhisante, mais je pense que la vie vous remet quand même souvent devant des situations que vous avez mal appréhendé, où vous avez été mauvais.
Il venait de Pau en plus. J’ai délicatement évité le double jeu de mot vaseux, mais je lui ai un peu avoué que oui, ça me disait bien un peu quelque chose ce type sur la gauche de la route et qui semblait un peu en difficulté...

Je boucle en 40H 51mn.

L’arrivée sur Chamonix est belle. Mais je conseillerai aux futurs finishers de ne pas chercher à tout prix à remercier tout ceux qui disent bravo –ils sont quand même bien 2000 !- parce qu’on en oublie de profiter à 100% de ce moment rien que pour nous.
C’est si rare, un moment rien que pour soi.

Ce tour me manque déjà.



Pas une seule courbature, pas même le lendemain ni après. Comprend pas. A mon avis je vais faire une bonne décompensation des familles dans le mois qui suit, c'est pas possible !
J'ai repris le Cairanne.
J'ai pas repris la clope. Pas envie.

Merci à tous ceux qui m’ont supporté à leurs cotés ces 10 derniers mois. On peux pas dire que j’avais trop de variété dans mes sujets de conversation. Pardon à eux. Je me rattraperai cette année.


Emmanuel KAPPS






7 commentaires

Commentaire de béné38 posté le 29-08-2006 à 22:45:00

Merci pour ce récit plein d'humour. Qu'est-ce que j'ai ri ! Tu as tout de même atteint ton objectif initial, celui de terminer. Bravo.

Commentaire de Olivier91 posté le 31-08-2006 à 16:59:00

Grand CR que tu nous as réservé. Beaucoup d'humour et de lucidité. Félicitations pour ta course.

Commentaire de Sandrine74 posté le 31-08-2006 à 22:43:00

Heureusement que tu as retrouvé ton dossard !!!
Vraiment super ton récit, merci de nous faire partagé ton petit tour ! A l'année prochaine !
Amicalement
Sandrine

Commentaire de guy13 posté le 01-09-2006 à 22:16:00

Beau CR, quelque peu distancié... Tant pis pour la mauvaise conscience, tu as réussi une sacrée course. Et puis, la prochaine fois, tu feras les 10 mètres du bon Samaritain.

Commentaire de riri51 posté le 03-09-2006 à 21:23:00

Félicitations!!!

Commentaire de fastoch posté le 05-09-2006 à 22:23:00

Saint Yorre priez pour moi, j'adore !

Commentaire de christianboronad posté le 07-09-2006 à 13:55:00

Merci pour ton CR, très personnel, j'ai beaucoup aimé. En lisant ces lignes on s'y croit vraiment. Bravo finisher!
christian.

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Votre annonce ici !

Accueil - Haut de page - Aide - Contact - Mentions légales - Version mobile - 0.06 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !