Celui-là, il sera différent ! J'ai souvent couru le marathon de Paris sans réel espoir d'y faire un temps, en raison d'un autre marathon couru une semaine avant ou d'un 80 bornes disputé 2 semaines plus tôt , mais cette année, pour mes 50 ans, je vais jouer ma chance à fond ! C'est décidé, malgré les 4 dossards consécutifs épinglés ces 4 dernières semaines (semis de Paris et de Rambouillet, EcoTrail 80-je suis incorrigible- et foulées de Malakoff), je vais à ce marathon avec ambition. Dans mon viseur, la mythique barre des 3h.
Et pour ça, une stratégie bien éprouvée : me coller au meneur d'allure et le suivre jusqu'au bout de mon rêve, peut-être, en tout cas jusqu'au bout de mes forces. Stratégie qui manque de faire pshit , en raison de mon arrivée très tardive au départ (dur de se lever à 5h un dimanche, surtout quand on est allé au théâtre le samedi soir). Heureusement, j'ai la bonne idée de descendre à Victor Hugo, et j'arrive à poser mon sac à la consigne puis à me faufiler juste à temps dans le bon sas. Coup de bol, je me retrouve dans l'une des vagues dans lesquelles il y a un meneur d'allure, je vais pouvoir tenter le coup !
Départ rapide, comme le veut la tradition. Premier kilomètre : comme si elle avait deviné mes pensées, une spectatrice nous encourage : "allez les coureurs ! Il ne faut pas le lâcher, ce meneur d'allure !". Je le préviens : "je vais faire un marquage à la culotte, comme au foot !".
En fait, je ne me freine que sur les 2 premiers kilomètres, après je suis à une allure que je trouve tout de suite tenable mais soutenue. Tellement qu'au premier ravitaillement, j'accepte sans même vraiment réaliser la bouteille d'eau que me tends un concurrent, ce qui est une vraie bêtise en période de Covid.
Je me félicite d'avoir décidé, au dernier moment, de partir en version légère. Il faisait froid ce matin, mais la température me semble maintenant parfaite pour courir. Je reconnais la descente vers le km 10, que nous avions parcourue dans l'autre sens pour le semi il y a un mois. Je réalise que souvent, ce parcours recoupe celui d'autres courses que j'ai eu plaisir de courir récemment (semi, 10 km, Ekiden, Triathlon...), comme si le marathon était la synthèse de toutes les autres courses. Ca fait des repères sympathiques.
Peu avant la Porte Dorée, un coureur que nous rattrapons me demande si notre meneur est régulier. Si nous franchissons tous les kms avec une régularité de métronome, il donne cependant de courtes accélérations ou des coups de frein à chaque km, pour se recaler sur les temps de passage prévus. Ces à-coups sont parfois difficiles à encaisser, pour me préserver, je prends quelques mètres d'avance sur lui.
Après le bois de Vincennes, retour à Paris dans une ambiance extraordinaire, puis nouveau passage animé par la place de la Bastille. J'ai cependant l'impression qu'il y a un peu moins de monde que certaines années, peut-être à cause du froid ? Nous sommes au km 24 et croisons des coureurs partis plus tard, qui en sont à leur 7ème km. Je cherche sans succès si je vois parmi eux mon frère ou mon neveu, qui fait son premier marathon à 20 ans. Malgré un d'entraînement réduit à peau de chagrin en raison d'une blessure, il s'est lancé dans l'aventure avec l'insouciance de ses 20 ans, et la finira avec un courage qui n'appartient qu'à lui. Respect.
Passage sur les quais. Une pancarte m'amuse : "tu pourras écrire marathonien sur ton profil Tinder". Pour cela, il faut rejoindre l'arrivée ! Ambiance disco sous le tunnel, la musique est presque trop forte. Toujours avec une dizaine de mètres d'avance sur le meneur d'allure, j'arrive au km 30, en face de la Tour Eiffel. J'attrape au passage une nouvelle bouteille d'eau (je n'aurai consommé que de l'eau sur cette course) pendant que le meneur d'allure me rattrape, et je fais le point.
Je suis là où je voulais être. Au km 30 avec le meneur d'allure 3h, c'est maintenant que le combat va commencer. Il va faire long feu. Un ou deux km plus tard, le meneur commence -avec ses fameuses accélérations- à prendre quelques mètres d'avance, que je n'arrive pas à combler. Ces quelques mètres se transforment en dizaines de mètres, puis en centaines de mètres lors de la montée du boulevard Suchet. La fin va être longue.
J'imagine déjà les gros titres : "Les yeux plus gros que le ventre" "Péché d'orgueil" (je parle évidement du titre de mon récit kikourou, pas des journaux !)
Même si je n'ai pas de profil Tinder à enjoliver, je poursuis cependant du mieux possible. Après tout, je vais moins vite qu'espéré, mais je ne craque pas complètement. Je repense aux 10 km de Paris Centre où la meneuse d'allure 40 min m'avait également distancé 2 km avant l'arrivée , et s'était arrêtée quelques mètres avant la fin car elle était en avance sur son temps-cible. Bien que voyant la flamme s'éloigner, je m'étais accroché et avais atteint mon objectif sub40 du jour. Je ne pense pas qu'un tel miracle se produira aujourd'hui, mais je m'appuie sur cette leçon pour me chercher de nouveaux objectifs: mon meilleur temps à Paris (3h12)? Mieux que 3h10 (pas réussi si souvent)? Mieux que 3h05 ?
Je ne calcule pas, et donne tout ce que je peux, malgré les jambes de plus en plus lourdes. Les derniers kilomètres me sont familiers, après 6 participations c'est la moindre des choses, et je suis porté vers l'arrivée par une foule de plus en plus bruyante. Ligne franchie en 3h01.
Le coup passa si près. Curieux sentiment à l'arrivée, entre le bonheur d'avoir battu mon RP de 2 min et la déception - prédominante à ce moment- de ne pas avoir atteint les 3h. Déception plus liée aux nombreuses courses qui ont entamé ma fraicheur durant le mois de mars qu'à mon état d'esprit du jour. Stratégie de la jambe de bois, comme si j'avais besoin de me fabriquer des excuses pour ne pas franchir la barre des 3h. Ce marathon est effectivement différent par ce qu'il m'a appris.
En rentrant chez moi, dans le RER, je lis avec consternations les nouvelles terrifiantes de la guerre en Ukraine, et trouve franchement futile mes histoires de course et de minutes gagnées ou perdues. Je repense à ce marathonien qui m'avait dit que passer la barre des 3h ne lui avait pas changé la vie. Je ne m'attendais pas à ce que cette course, ou même qu'une course, change ma vie, je cherchais simplement quelques instants d'insouciance. Parenthèse enchantée, le temps d'une course, le temps d'une chanson, le temps d'un souffle.
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants.
Marcel Pagnol
5 commentaires
Commentaire de L'Dingo posté le 12-04-2022 à 08:29:31
CR bien sympa.
AMHA , 4 épreuves en 4 semaines juste avant était un peu gourmand. Le semi de Paris un mois avant pour se faire du rythme puis une bonne fin de prépa d'entretien jusqu'au marathon et l'affaire serait jouée. Mais Paris n'est pas facile du fait des "changements" d'allure dus au profil.
Vu ton expérience, tu as toutes les cartes en main pour claquer cette perf. Bravo
Finir sur le bel épilogue du "Château de ma mère" ne laisse pas nécessairement augurer que , dans le futur, la barrière des 3h soit un château en Espagne :-) :-)
Commentaire de marathon-Yann posté le 15-04-2022 à 09:10:33
Merci de ton commentaire ! C'est vrai que 5 dossards en 5 semaines c'est gourmand, et surtout que j'ai du mal à choisir mes priorités. Mais après ces années Covid où les courses étaient rares, j'ai du mal à dire non !
Commentaire de Ze Man posté le 12-04-2022 à 11:26:12
Bravo ! Voilà un chrono qui me fait rêver ! Tes doutes et réflexions me rendent ce CR d'autant plus sympathique. Et puis quel enchaînement de dossards ! Tu fais quelle course la semaine prochaine ? :)
Commentaire de marathon-Yann posté le 15-04-2022 à 09:12:08
Ah ah, pas de course la semaine prochaine, ni la suivante ! Par contre, à la fin du mois, l'Ultrabalaton, soit 210 km sur route, ca va envoyer du lourd !
Commentaire de catcityrunner posté le 18-04-2022 à 08:09:21
Juste un petit peu plus de fraîcheur le jour J et c'était bon ! Bravo pour la perf et il reste les marathons d'automne pour casser le mur l'année des 50 ans. Personnellement, j'ai toujours eu du mal à Paris et je trouve que Novembre est le meilleur mois pour le marathon.
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