Récit de la course : Courmayeur - Champex - Chamonix 2015, par tikrimi

L'auteur : tikrimi

La course : Courmayeur - Champex - Chamonix

Date : 28/8/2015

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 1499 vues

Distance : 101km

Objectif : Terminer

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CCC ou Comme C'était Compliqué

Après les 80k du Mont-Blanc fin Juin, je me retrouve encore dans la vallée de Chamonix pour l'autre gros morceau de ma saison, la CCC que je vais faire avec (enfin surtout derrière) Franck un collègue de travail.


Au niveau du matos et de l'alimentation, c'est la même chose que pour les 80k du Mont-Blanc avec en plus le reste du matériel obligatoire (pantalon de pluie, deuxième couche, bonnet et gants imperméables).

 

Au niveau de la préparation, les 80k du Mont-Blanc m'ont bien entamés, ce qui fait que je me présente pour la CCC avec plus de semaines d’antibiotiques que de sorties longues (3 séries d'antibios pour diverses infections contre 2 sorties de 3 et 5 heures). Mais bon, je me dis qu'en juin j'avais une bonne forme et une préparation optimale, et qu'elle n'est pas partie comme ça. De plus, ce n'est pas la première fois que je vais courir sous traitement ou juste après. Bref, même si je suis conscient de prendre de départ avec un déficit d'entraînement, je ne suis pas plus inquiet que ça.

 

Pour la stratégie de course, c'est assez simple : profiter des bouchons du départ pour monter la tête de la Tronche tranquillement, et envoyer comme je le fais d'habitude dans les descentes. Avec moi le trail c'est ça, je me fais doubler par des wagons de trailers dans les montées, et je double des wagons de trailer dans les descentes. Je pense être à Arnuva (27k pour 1800 de D+ sur du terrain relativement facile) en 5h45 frais comme un gardon pour pouvoir gérer la course à ma main.

 

Allez, départ de la course. Je monte à Tête de la Tronche comme prévu en un peu plus de 3 heures, comme prévu je soufre un peu de l'altitude sur la fin, puis j'enclenche le mode Pacman. Et là, c'est le drame. Rien, pas de jus, pas de force, impossible de trottiner sur le plat ou les descentes roulantes. Je me dis que c'est peut-être passager et que ça va revenir, mais rien ne viendra jusqu'au ravitaillement d'Arnuva. Au lieu d'y arriver frais comme un gardon en 5h45, j'y arrive complètement lessivé en 6h30 déjà proche de la barrière horaire.

 

J'essaye tant bien que mal de recharger les batteries et me lance dans l'ascension du Grand Col Ferret. Au début j'adopte une stratégie de 100m de D+ puis une pause, puis à partir de la mi pente ça sera 50m de D+ puis une pause. Je suis loin d'être le seul à progresser très lentement donc je ne m'inquiète pas outre mesure en mettant ça sur le dos de chaleur. Mais les apparences sont trompeuses, car ce ne sont pas les trailers avec lesquels je cours habituellement, mais la toute fin de peloton.

 

En haut du grand col Ferret, je suis pointé en 1929ème position (il ne devait pas y avoir beaucoup de monde après moi), mais le problème qui se pose maintenant, c'est que la barrière horaire de la Fouly est 10k plus bas avec une descente roulante, et qu'elle ferme dans moins de deux heures. Une simple formalité dans un état normal, mais un vrai challenge pour mon état du moment. J'essaye de trotiner un peu, mais ça ne passe toujours pas. Je decide donc de me lancer tambour battant dans toutes les portions techniques lorsque qu'il y a un peu plus de pente. Cela ne demande pas d'effort particulier, juste de la technique et des cuisses. En quelque appuits, on gagne pas mal de temps par rapport à un franchissement prudent en marchant. Mes compagnons d'infortune ne comprennent pas bien pourquoi cette prise de risque alors que je marche quand c'est plus facile… mais c'est tout ce que j'ai trouvé pour progresser un peu plus vite que la marche.

 

J'arrive à la Fouly à 20h02, soit 13 minutes avant la fermeture de la barrière horaire. Je ne m'explique toujours pas pourquoi je n'ai pas abandonné ici tellement la situation était compromise. Peut-être l'orgueil, car depuis le la Tête de la Tronche je ne prends aucun plaisir, et j'ai à peine pris le temps d'admirer le Val Ferret, certainement un des plus beau paysage des Alpes. Ce que je me dis, c'est que si je suis capable d'arriver à Champex, le reste de la course me sera plus favorable : il fera nuit et donc plus frais, les ascensions sont moins hautes (environ 2000m pour les sommets), et les descentes sont plus techniques.


Je repars donc de la Fouly à 20h08. 6 minutes pour le ravito en ayant pris le temps de faire le plein des flasques, de croquer dans 2 quartiers d'orange, de prendre un soupe de vermicelles et une part de tarte. Y'a pas à dire, au ravito je suis efficace. Je commence par remettre la machine à calculer en route, j'ai 3h07 pour faire les 14k avec 550m de D+ qui me séparent de Champex. Je veux me reserver 1h15 pour faire la montée vers Champex, donc pour être dans les temps, il faut que je tienne le 6 km/h dans la longue partie descendente. Je vois rapidement que ça ne passe pas en marchant, et qu'il va falloir se faire violence sur certaines portions en courant un peu. Je me donne alors de micros objectifs en prenant comme repère le plus souvent des éléments du balisage ou des gros cailloux. A chaque fois que j'arrive à un de ces micros objectifs, j'ai l'impression d'avoir fini une série lors d'une séance de VMA sauf que là mon allure rapide est encore plus lente que mon allure de récupération habituelle. Mais bon, la progression est correcte, et avec un point toutes les minutes (pour que le GPS tienne les 101k de la course), je sais que mon GPS sous estime un peu la moyenne. J'arrive au pied de la montée vers Champex, et la mise en route est plutôt bonne. Je me surprends même à doubler du monde. Rapidement, je comprends que je vais être dans la barrière horraire, et je lêve un peu le pied histoire de ne pas arriver complêtement lessivé à Champex.


Je rentre dans la tente tant désirée du ravito à 23h01. J'ai maintenant 14 minutes sur la barrière horaire… ça me laisse une minutes de marge par rapport à la Fouly !!! Je dépense cette minute gagnée dans quelques pâtes avalées en plus de la soupe et de la part de tarte, et je repars à 23h12, soit 3 minutes avant la barrière horaire.


La montée vers les alpages de Bovine se passe à un rythme correct, je continue d'adopter ma stratégie de 100 de D+ d'ascention et une courte pause. Je sais que passé le sommet, la descente est dans mes cordes et que je vais pouvoir gagner pas mal de temps. Une fois le sommet passé, je commence effectivement à remonter pas mal de trailers dans les partie techniques de la descente, et j'arrive à Trient à 03h18. 22 minutes d'avance sur la barrière horraire !!! Je commence à me projeter sur Chamonix, mais rien n'est encore gagné, car l'année dernière lors de l'OCC dans la montée sur Catogne j'avais bien ramassé comme il faut, et la descente comporte de nombreuses parties plates où l'on perd beaucoup de temps lorsque l'on ne peut pas courir.


Je repars à 8h26 du ravito (8 minutes… j'ai été un peu long, mais c'est en fait parce que le ravito est à une centaine de mètres des points de contrôle à l'entrée et à le sortie), et je commence ma montée vers Catogne. Je me fais doubler un peu, mais je double aussi. Le rythme de montée est toujours correct, et je ne force pas plus que ça. J'ai maintenant un peu de marge, et je me prépare à mettre le bleu de chauffe dans la descente vers Vallorcine. Le point de contrôle après le sommet passé, je sais qu'il y a une portion de descente où l'on peut faire parler la technique. Je me lance, et à la moitié de cette portion, je pose le pied sur une touffe herbe au bord du chemin pour éviter une pierre qui me semblait instable, mais sous la touffe d'herbe il n'y avait rien, le vide. Je commence alors à dévaler sur plusieurs mètres en me demandant quand cela allait s'arrêter. Heureusement que je cours sans bâtons, car je me suis agrippé à tout ce que j'ai pu, et au final plus de peur que de mal, mais cela m'a refroidit un peu. J'ai mis plusieurs minutes avant de relancer la machine. Arrive ensuite les portions que je craignais le plus, des longues parties plates ou avec une faible pente. Je me force à trottiner sur quelques portions, mais après la Tête de la Tronche c'était déjà compliqué de courir sur le plat, et après plus de 20h de course, on peut dire que les choses ne se sont pas arrangées. Arrive enfin la dernière partie plus techique, avec de la caillasse, des racines et de la pente… enfin un peu d’amusement.


J'arrive à Vallorcine à 6h29 soit 31 minutes avant la barrière horaire et en repart 8 minutes plus tard. En une nuit de lute acharnée, j'aurais repris 18 minutes à cette fichue barrière horaire. En repartant de Vallorcine, j'ai les larmes qui montent, je sais maintenant que je vais finir, je connais très bien le terrain qui reste, j'ai plus de 20 minutes de marge sur la barrière horaire, et je progresse à la même vitesse que celle-ci depuis le début de la course. Mais je me rends compte que je n'ai pas profité de mon ultra, à part lors de la montée tranquille dans les bouchons vers le Tête de la Tronche, je n'ai pas eu un seul instant de plaisir, j'ai très peu regardé le paysage lorsqu'il faisait jour, je n'ai jamais laissé mon esprit divaguer, je n'ai jamais pensé à mes proches en allant même jusqu'à mettre mon portable en mode avion pour ne pas être perturbé par les vibrations des SMS, des likes et commentaires sur mon mur Facebook. Je fais tout au mental depuis depuis le début. Ok j'ai un gros mental pour ce genre d'épreuve, mais aujourd'hui le physique n'est pas là, et après 15 jours de maladie, on reprend par un footing tranquille dans les bois et par par une course de 101k avec 6100m de D+.


Enfin bon maintenant il faut aller au bout, il y a la Tête aux Vents à grimper, et surtout, il faut arriver à la Flégère avant 10h30. Avec la petite marge que j'ai maintenant, j'y vais vraiment tranquille. Je sais que si c'est un peu limite, j'ai toujours la descente de la Tête aux Vents vers la Flégère où je peux mettre un peu mettre les gaz. L'obectif n'est plus maintenant de repousser au plus possible la barrière horraire, mais juste de la passer, même si c'est de quelques secondes. Je pofite enfin un peu. Quand on monte la Tête aux Vents, la Verte et son Dru sont magnifiques, et quand on approche du sommet, on voit enfin le Mont-Blanc. La montée à été très longue, je me suis fait doubler de nombreuses fois, mais je m'en fiche, je veux juste arriver à la Flégère avant 10h30.


J'arrive à la Flégère à 10h21. Pas eu besoin de forcer plus que ça pour conserver 9 minutes d'avance sur la barrière horaire. Je peux enfin retirer le mode avion de mon portable, consulter les SMS et les messages Facebook reçu depuis hier matin, envoyer un SMS à Astrid et Franck, et publier un message rassurant sur mon mur. Ca a l'air stupide, mais qu'est ce que ça fait du bien d'oublier cette barrière horraire et de pouvoir enfin partager. Au passage, j'apprends qu'ils ont repoussé la barrière horraire de 15 minutes.


Je redescends maintenant tranquillement sur Chamonix. J'arrive à midi juste après la cérémonie de remise des prix, ce qui fait que Chamonix est noir de monde, et j'ai le droit à une véritable arrivée de star. Je n'ai pas eu le droit à ma décharge émotionnelle tant recherchée lors de mes arrivées d'ultra (j'en ai eu une à Vallorcine… on est peut-être limité à une seule par ultra), je suis juste heureux que cela se termine, et me demande encore comment j'ai pu puiser aussi loin pour me sortir de cette situation qui était bien compromise à Arnuva.


Pour conclure, je suis fier d'être arrivé au bout, je savais que mentalement j'étais fort, mais quand même pas à ce point. Par contre, deux ultras de plus de 24h en deux mois, c'est clairement trop pour moi. Je n'aurais pas du prendre le départ de cette CCC. Se présenter au départ d’une telle épreuve en retour de maladie avec 1 sortie longue en juillet, une autre en août et pas de randonnées en montagne, c'est du manque de respect pour l'épreuve. Le gros mental doit quand même laisser un peu de place à l’intelligence et la raison, et y aurait été justement intelligent et raisonnable de se dire que cette fois ci je n'étais pas prêt. L'Ultra et la montagne sont pour moi une passion, où le plaisir doit prendre le dessus sur la souffrance.

Je vais maintenant prendre un bon repos et finir avec la saison avec la SaintéLyon (la nuit c’est mon élément). L’année prochaine, il n’y aura qu’un seul ultra, certainement la TDS.

7 commentaires

Commentaire de mazbert posté le 30-08-2015 à 21:34:26

J'étais à Champex pour la fermeture de poste. En voyant partir les derniers je me disais qu'aucun d'entre eux ne finirait vu l'état dans lequel ils étaient. Je me suis trompé. Chapeau bas.
Tu as du faire des progrès en japonais et en chinois car il n'y avait presque plus qu'eux dans la tente à 2 minutes de la BH.

Commentaire de tikrimi posté le 30-08-2015 à 23:11:48

Quand revois ma démarche sur le LiveTrail en arrivant au ravito, c'est vrai que ce n'est pas rassurant pour la suite. Mais à la différence des autres moi je gagnais du temps sur la barrière. 1 minute depuis la Fouly ça n'est quand même pas rien!!!
C'est vrai qu'il y avait beaucoup de chinois et de japonais. Mais j'avoue que pendant la nuit à part au ravito pour remercier les bénévoles, je n'ai échangé avec personne.

Commentaire de arnauddetroyes posté le 31-08-2015 à 22:11:56

Avoir les BH aussi proches ca devient un exploit de tenir aussi longtemps sans faillir.
Ton analyse de fin course est surement la bonne,mais tu es quand même finisher de la CCC.
Bravo et +1 pour la sainté ;)

Commentaire de Matchbox posté le 01-09-2015 à 13:33:16

Bravo d'avoir résisté à la pression des barrières horaires. Ton récit prouve que la tête à bien plus de pouvoir que les jambes et quand elles ne sont pas là, cette belle machine cérébrale est capable de prendre le relais.

Commentaire de millénium posté le 02-09-2015 à 15:32:52

Merci pour ce récit , source de motivation pour ceux qui souhaitent se lancer dans l'ultra.....Bravo

Commentaire de Bruno Kestemont posté le 07-01-2016 à 12:05:47

Bravo pour cette gestion intelligente et ne pas s'être laissé décourager par un mauvais départ. Récit plein de suspense. Je suis inscrit au tirage au sort pour le CCC 2016 et je fais seulement mon 2ème ultra en Italie en Juin (Lavaredo Ultra Trail). Ce récit est bienvenu pour m'aider à ne pas prendre ces défis à la légère. Après avoir réussi un premier Ultra, le risque de se surestimer est grand.

Commentaire de Shoto posté le 13-12-2017 à 18:46:37

Ton récit est une belle leçon pour toud kes traileurs .... de courage d abord mais aussi de raison et de conseils pour ne pas prendre à la légère la CCC et l enchaînement des ultras. Merci a toi.

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