Récit de la course : Sur les Traces des Ducs de Savoie 2012, par Pierrot69

L'auteur : Pierrot69

La course : Sur les Traces des Ducs de Savoie

Date : 30/8/2012

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 1128 vues

Distance : 114km

Objectif : Terminer

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Pierrot Ier, héritier des ducs de Savoie !

Cette fois-ci nous y sommes ! Des mois que je pense à cette course, lors de chaque entraînement, de chaque sortie en montagne, à chaque séance de côtes toujours bien difficile à mon goût, ou lors de tout autre petite impulsion d’entraînement. Mais peu à peu, pierre après pierre, l'édifice s'est construit, mes cuisses ont pris un peu plus de volume (oh pas bien plus, mais un peu tout de même!), mon mental s'est endurci, ma confiance s'est fortifiée. Et pourtant, à quelques heures du départ l’appréhension se fait de plus en plus intense... Dans quelle aventure me suis-je embarqué ? C'est que depuis quelques jours nous savons déjà que nous ne serons pas épargnés par la météo et que les conditions promettent d'être bien rudes !

Le SMS de l'organisation que je reçois ce mardi soir peu après être sorti du travail ne peut être plus clair : « pluie, neige à 2000m, vent, froid. Températures s'abaissant en-dessous de -5°C. Prévoir équipement hivernal. »

Arrivé à la maison, je fais mon sac de sport consciencieusement, check list à la main et rajoute pêle-mêle une veste de montagne, des manches longues, et autres vêtements chauds. Demain il faudra décider dans tout ce barda ce qui rentrera effectivement dans mon sac à dos et ce que j'aurai sur moi... Ça ne va pas être simple !

Accompagné de mon épouse, c'est pourtant sous un soleil radieux que nous arrivons à Chamonix en cette fin de matinée de Mercredi. Direction le centre sportif pour le retrait du dossard. La queue est bien organisée, les murmures évoquent pour beaucoup la météo à venir et il est facile de déceler une dose d'inquiétude chez la plupart des trailers même si l'ambiance est détendue. La vérification du sac sera un peu sommaire pour mon cas mais j'ai bien tout le matériel demandé, voire un peu plus. Dossard 8641 en main, maintenant il n'est plus possible de reculer !

L'après-midi sera passée paisiblement à déambuler dans les allées du salon du trail et dans les rues et boutiques de Chamonix. Les vendeurs de vestes font recettes en cette veille de course !


Nous rentrons rapidement à l'hôtel pour ne pas gaspiller trop d'énergie. Repas pris à 19h, il y a tout ce qu'il faut pour recharger une dernière fois les batteries.

Nouvel SMS de l'organisation : « Conditions prévues très difficiles. 4 couches de vêtement indispensables. »

Pour la n-ième fois je fais et refais mon sac à dos et prépare mes affaires de course, chaque pièce de matériel est importante et je connais par cœur les associations que je peux faire. Et maintenant au dodo, c'est que la navette demain est à 4h30 ! Le début de nuit se passe bien, je dors comme un bébé de 21h à minuit. Mais pourtant, je me réveille à cette heure... Un bruit sourd tonne dans la chambre située sous les toits, c'est la pluie qui tombe sur le vasistas de la salle de bains. Il pleut des trombes d'eau ! Le tonnerre gronde et l'orage s'est installé dans toute la vallée ! Je ne dormirai plus jusqu'à l'heure du levé et mon inquiétude quant à ces conditions à ne pas mettre un escargot dehors est au plus haut...

Heureusement, à l'heure du départ pour la navette qui va nous emmener à Courmayeur la pluie s'est arrêtée mais l'air est bien chargé de nuages et d'humidité. L'ambiance dans la navette n'est vraiment pas à la fête, la trouille est bien là pour nous tous ! C'est concentré que j'arrive à Courmayeur. Après une dernière hésitation je décide finalement de prendre ma veste de montagne la plus efficace, au diable les quelques grammes de plus !

Me voilà maintenant dans la zone de départ. Par prudence je ne m'avance pas trop vers l'avant pour éviter un départ trop rapide mais je fais attention à n'être pas trop derrière pour éviter les bouchons. La musique résonne un peu plus fort, l'hélicoptère vole au dessus de nous et c'est enfin le départ libérateur. Premières foulées tranquilles dans Courmayeur, il n'y a pas foule à cette heure-ci mais quelques courageux sont tout de même présents sur le bord pour nous encourager.


Très vite nous nous retrouvons dans la première difficulté, le col de Chercrouit. Je suis en mode marche rapide et très concentré. Je pense à boire régulièrement. Ma boisson énergétique passe bien.


©Maindru

Nous montons en convoi par les pistes de ski. Je suis un peu surpris par l'équipement léger de certains mais n'y prête guère attention et me concentre sur moi. Rapidement la pluie fait son apparition et je ne tarde pas pour enfiler ma veste. Je ne la quitterai plus jusqu'à l'arrivée...


©didstzach83

Pas de répit une fois le col passé, nous enchaînons directement sur le col de la Youlaz, point haut du parcours à 2661m. Le chemin est tracé dans la moraine et les écarts n'ayant pas encore pu se faire, un bouchon se forme dans cette montée. J'avais eu connaissance de ceux-ci à la lecture de récits de course aussi je ne panique pas et monte au rythme de la colonne impressionnante de coureurs. Certains doublent sous les quolibets de quelques autres qui ne le supporte pas. J'avoue que ça me laisse indifférent et je me dis que la route est encore bien longue. Coincé dans ce bouchon, une main me tapote sur l'épaule, je me retourne et Ô surprise, l'ami Fildar était juste derrière moi ! On a du coup le temps d'échanger quelques mots tout en montant. De fil en aiguilles nous basculons au sommet du col, mais nous nous perdons rapidement de vue concentrés que nous sommes sur nos pas dans la descente. Le temps est vraiment maussade, la pluie est maintenant plus intense et nous redescendons sur la Thuile. Je fais attention à ne pas trop me laisser entraîner mais laisse dérouler les jambes malgré tout sur un bon rythme.

Premier arrêt au ravitaillement, je remplis mes bidons d'eau et de poudre énergétique, m'alimente un peu et repars rapidement.

Nous montons maintenant au col du petit St Bernard. Pas de difficulté particulière, la montée est douce et régulière et semble du coup un peu longue d'autant que le temps ne s'arrange pas !

© Maindru© Maindru
©Maindru

Quand nous arrivons au lac près du col, nous avons déjà ramassé un bon paquet de flotte sur la tête ! Je me réjouis de mon choix d'avoir mis la Gore-Tex, certes je suis obligé de composer un peu avec les ouvertures sous les bras et devant pour ne pas avoir trop chaud mais elle me protège parfaitement. Ravito au niveau du col, de nouveau je complète mes bidons et repars sans tarder.

Cette première partie de course se passe plutôt bien sauf que je n'ai aucune envie de manger quoique ce soit de solide en courant. J'y arrive pourtant bien au ravito, mais bizarrement dès que je suis en mouvement, seul le liquide passe. Tant que je bois régulièrement ma boisson et que je m'alimente au ravitaillement, je ne m'inquiète pas.

La descente du col se fait par l'alpage, les chemins sont bien gras et les chaussures déjà bien détrempées. Je fais attention à ne pas glisser et cela nécessite d'être bien concentré sur ses appuis.

En descendant nous retrouvons un peu de beau temps, je peux ouvrir grand la veste et je suis content de retrouver Bourg St Maurice. Il faut dire que j'y ai passé quelques journées plus jeune lorsque je pagayais sur l'Isère et son magnifique bassin de Slalom. Il fallait là-aussi composer avec l'eau, avoir le geste précis et puissant sous peine de sanction immédiate. Que de souvenirs dans ce lieu mythique pour les kayakistes ! Nous passons d'ailleurs près de la rivière dans le parcours sportif et je me sens ici comme chez moi. Je suis content de cette première partie de course parfaitement maîtrisée. Alors que je suis dans mes pensées, nouvelle tape sur l'épaule et de nouveau Fildar qui est avec moi ! Je le croyais devant. Nous faisons un peu le point et tout va bien pour l'un et l'autre. J'ai malgré tout un peu peur d'être parti trop vite le sachant meilleur que moi...

A partir de maintenant, nous allons attaquer une longue portion qui durera sans doute plus de 4h pour rejoindre le prochain ravitaillement et un sacré gros morceau en dénivellé. Je fais donc le plein de la poche à eau et des bidons. La pause est un peu plus longue, je prends le temps de m'alimenter et surtout ma femme est là pour m'encourager alors inconsciemment j'en profite pour faire durer un peu. Vue l'heure à laquelle je prévois d'arriver au Cormet, je lui conseille de rentrer directement sur Chamonix, d'autant qu'elle a déjà eue à subir les attentes sous la pluie ce matin. J'ai tout ce qu'il faut dans mon sac pour me gérer tout seul.

Après une rapide vérification de quelques pièces de matériel obligatoire à la sortie du ravitaillement, j'entame la longue montée qui va nous conduire en deux temps au passeur de Pralognan. Dès les premiers lacets, je me sens un peu moins fringuant qu'auparavant ! Pas de problème particulier, juste un peu moins de jus... Il va falloir gérer. Je calque mes pas sur les coureurs qui me précèdent et monte régulièrement. Une jeune femme me sert de lièvre, son pas est régulier et dynamique, je fais l'effort nécessaire pour ne rien lâcher. C'est que mine de rien nous sommes partis pour presque 1700 m de dénivelé non stop ! L'arrivée au fort de la Platte jalonne la 1ère partie de l'ascension. Il ne pleut plus et le temps n'aura finalement pas été trop désagréable dans cette partie. La suite de l’ascension est un peu plus douce et je fais toujours l'effort de ne rien lâcher, doublant finalement assez souvent quelques concurrents qui s'accordent une petite pause pour souffler. A ce niveau de la course je suis dans mes projections de chrono et me prends à rêver de pouvoir les tenir... hum, hum

Nous arrivons bientôt au col de Forclaz et débouchons sur le superbe panorama des lacs du même nom. Le soleil (si si, la chance a voulu qu'il soit là à ce moment!) du soir donne à la roche des reflets rouges orangés. Je prends cette vue magnifique comme une récompense après cette montée éprouvante. Nous passons au bord d'un des lacs puis rapidement le chemin va de nouveau remonter pour aborder la dernière section jusqu'au passeur de Pralognan. A mesure que la pente se raidit et que le chemin se fait plus technique, le temps se dégrade et tourne de nouveau à la grisaille et à la pluie. Je m'accroche encore pour rester dans les pas du petit groupe et, quand nous arrivons au col (2567m), ce sont des trombes d'eau glacée qui s'abattent sur nous ! Des bénévoles sont là pour nous accueillir. Combien de temps vont-ils devoir rester là à affronter ces éléments qui sont franchement déchaînés ? Je suis scotché par leur ténacité et cet entier dévouement pour nous permettre de passer là dans les meilleures conditions. Un simple merci me semble bien maigre en regard de ce qu'ils ont fait pour nous durant cette course. Notre petit groupe aborde maintenant la descente mais celle-ci est technique et les cordes fixes sont finalement bienvenues avec ces torrents d'eau qui coulent sous nos pieds sur ce sentier escarpé. Nous progressons lentement, ne prenant pas le risque de nous doubler et, une fois la zone rocheuse passée, ce sont des sentiers gorgés d'eau et de boue dans lesquels nous devons cheminer. Pour moi c'est le début de la galère, mes pieds glissent, je tombe sur les fesses à plusieurs reprises, heureusement sans conséquence. La fatigue fait que je retiens chacun de mes pas et me contracte alors que c'est l'inverse qu'il faudrait faire...

Je me fais pas mal doubler dans cette descente mais tant pis, je ne tiens pas à prendre des risques et je mettrais le temps qu'il faut pour descendre... La pluie qui tombe est glaciale et je ne tarde pas à avoir froid au mains. Mon collant se trempe mais heureusement ma veste me protège toujours aussi bien. Après près d'une heure de lutte contre les éléments j'arrive enfin à bout de cette descente infernale !

Alors que j'arrive dans la zone de ravitaillement du Cormet de Roselend, le bénévole valide ma puce tout en me demandant :

« Poursuite ou Abandon ? »

J'ai le choix entre la pilule bleue ou la rouge.
Je ne prends pas le temps de réfléchir une seule seconde et répond machinalement

« Poursuite »

« Tente de droite ! », me répond-il.

Mon regard se porte donc sur la tente de droite et je crois distinguer la mention « enfer » au dessus de la porte. Je regarde alors la tente de gauche identifiée par une banderole « Abandon » et il me semble lire la mention « enfer » sur celle-ci également...
Je ne regrette pas mon choix !
Enfin... en entrant dans celle-ci, je comprends d'où m'est venu ce mirage. La tente est bondée, prête à exploser ! Les visages des coureurs sont émaciés, tiraillés par les souffrances que le corps a dû enduré pour arriver jusqu'ici. Je me force à ne surtout pas regarder ceux-ci et me mets volontairement des œillères. Ne penser qu'à ce que j'ai à faire maintenant et uniquement à ça ! Tout d'abord se ravitailler. Je commence par une soupe bien chaude. Je pense que bien des mamans apprécieraient énormément de voir leur fiston manger une soupe avec autant d’appétence ! Je picore à l'envie sur la table du ravitaillement sans penser à de quelconques notions de diététique, saucisson, tucs, coca, banane. Je ne cherche qu'à reprendre des forces. Je peux enfin souffler un peu et relâcher peu à peu la tension nerveuse accumulée dans cette descente éprouvante. Je ne m'éternise pas pour autant, je sais que cela serait fatal ! Il faut impérativement que je me change et que je me prépare à affronter la nuit ! J'avance doucement dans la tente à la recherche d'une place mais c'est peine perdue tant celle-ci est pleine ! Heureusement, juste avant la sortie, un coureur repart et une place sur un banc se libère. Je pose mon sac et mes bâtons et entreprend de me changer. J'ouvre le sac étanche de compression dans lequel j'ai mis une première couche chaude pour la nuit ainsi qu'une micro-polaire. J'enfile cette première couche avec difficulté car mes doigts sont engourdis par le froid et le tissus technique colle sur mes mains humides. Se sentir au sec après ces heures sous la pluie me revigore un peu. Je renfile mon Tee shirt en polaire gaufrée en guise de 2ème couche, bien qu'un peu humide il tient bien chaud et évacue formidablement l'humidité. La micro-polaire en 3ème couche puis enfin la Gore-Tex qui m'a si bien protégé jusque là ! 4 couches, ça paraît un peu fou mais les conditions au dehors l'imposent et finalement je me félicite intérieurement d'avoir pris tout ce matériel avec moi. J'enfile un pantalon de protection, il limitera l'effet du vent sur mon collant mouillé. Je remplace ma casquette trempée par un bonnet et ajuste ma frontale sur celui-ci. J'enfile aussi mes petits gants de ski de rando et les complète par des sur-moufles en prima-loft. J'aurai au final utilisé toutes les pièces d'équipement que j'ai transporté !
Ainsi équipé, je range mes affaires mouillées dans mon sac, jette un dernier coup d’œil à cette tente et me tourne vers la porte de sortie. Assez perdu de temps (environ 30'), il faut regarder devant et ne surtout plus se retourner ! Tel un apnéiste se préparant à la grande plongée, je prends quelques inspirations et pousse la porte de celle-ci. En une fraction de seconde je comprends que le choix de prendre la pilule bleue plutôt que la rouge n'est vraiment pas celui de la facilité !

La pluie glaciale tombe à l'horizontale à cause du vent, la visibilité est plus que médiocre car nous sommes dans le nuage. La nuit promet d'être longue et difficile...

Quelques accompagnants qui ne peuvent rentrer dans la tente et qui attendent patiemment leur coureur dans ces terribles conditions m'encouragent. Je traverse la route et m'engage dans le chemin qui va nous mener au col de la Sauce (le bien nommé!). Je suis seul dans le brouillard et ce temps exécrable... Je me dit qu'il faut vite que je rejoigne un groupe pour couper cette solitude qui fait inéluctablement cogiter et pour que la progression soit moins pénible. Après quelques minutes, je distingue enfin une silhouette dans le brouillard. Je fais l'effort de revenir sur elle mais je m’aperçois rapidement que je manque cruellement de jus. C'est bien ma veine alors que la nuit arrive et qu'il reste encore un long cheminement... Pas de difficultés particulières pourtant dans cette montée mais le rythme est vraiment tombé... La nuit se lève rapidement et moi au contraire j'ai l'impression de décliner avec elle... J'en ai marre de cette pluie, de cette boue, de ce brouillard qui réfléchi le faisceau de ma frontale et empêche de bien voir, de ces chemins détrempés qui n'en finissent plus ! Je me demande bien ce que je fais là... Pourquoi s'infliger ça alors que je pourrais être tranquille au chaud à l'hôtel... Allez, je n'arrête pas de me répéter que je dois cesser de me poser des questions et seulement avancer jusqu'au prochain ravitaillement, que chaque pas me rapproche maintenant un peu plus de l'arrivée. Je chasse ces idées noires et m'oblige à penser à des choses positives. Le col arrive enfin. Nous entamons la descente et les chemins sont sacrément glissants, je tiens difficilement debout et chute à plusieurs reprises, heureusement sans conséquence. Je peste contre moi même, contre les éléments, contre cette foutue pluie ! La chose positive, c'est qu'avec mes 4 couches je n'ai pas froid, j'ai même plutôt trop chaud. Je fais alors le bilan de ce qui va. J'ai plutôt bien avancé jusque là, musculairement tout va plutôt bien même si je manque de jus, pas de douleur particulière. Alors ?! Pas de raisons de se plaindre ! Au creux du vallon coule un ruisseau qui transforme le terrain en une grande tourbière. Régulièrement le pied s'enfonce dans l'eau et mes chaussures sont maintenant devenues une grande piscine ! Dans quel état vais-je retrouver mes pieds ? Alors que la nuit est maintenant complètement installée, la nature du terrain change subitement sous mes pieds et, surprise, nous traversons un large névé qui nous permet de passer une nouvelle fois de l'autre côté du ruisseau. Derrière, le chemin s'enfonce dans une gorge, à gauche la falaise, à droite... le vide que l'on ne voit pas mais que l'on devine. C'est le fameux sentier du curé. Je me dis qu'il faudra revenir ici en plein jour, cela doit valoir le coup ! Je trottine dans ce chemin mais j'ai perdu du temps et quelques places dans cette descente. Le temps est de toute façon devenu accessoire maintenant. Je sais que le plan de marche imaginé avant course ne tient plus. Tant pis... mais cela ne m'affecte pas plus que ça vue les conditions, la priorité est ailleurs !

Arrivée à la Gite, Yes ! Je commence à être rôdé maintenant, soupe, 2 ou 3 tranches de saucisson, un peu de fromage et autres petites gourmandises. Je refais le niveau de mes bidons. Les bénévoles sont une nouvelle fois extra et plein d'attentions à notre égard. J'essaye de ne pas trop m'attarder pour autant et repars.

Prochaine étape, le col du Joly. Une première montée puis il faudra cheminer encore un peu pour atteindre le col. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de cette partie... Je manque encore de pêche, ce qui n'est pas terrible pour le moral et je commence aussi à avoir des périodes de somnolence... Je dois lutter contre le sommeil. Heureusement, les chemins ne sont pas techniques. Cette portion me paraît longue et j'essaye de toujours m'accrocher à un concurrent mais bien souvent celui-ci me dépose... « Avancer », je n'ai que ça dans la tête. Je m'invective, mais j'ai bien du mal à garder ma lucidité. Malgré tout, après un long cheminement, nous débouchons sur une crête et avons en vue le ravitaillement du col du Joly. Celui-ci paraît lointain mais de là où nous sommes nous pouvons entendre la musique qui s'en dégage. Ça a l'air d'être festif par là-bas. J'ai hâte de rejoindre cet îlot rassurant. Je remarque également que depuis quelque temps la pluie a cessée pour laisser place à une nuit qui se dégage. Enfin un peu de répit dans la météo ?

Arrivé au ravitaillement, il y a effectivement de l'ambiance ! La musique est poussée à fond ! Le bénévole préposé à la soupe met une ambiance de feu ! Il crie, tel un bonimenteur, pour vanter les vertus de la soupe à Brunoooooooooooo ! Il est presque 1h30 du matin et tout le monde a une pêche d'enfer ! Son enthousiasme nous réchauffe le corps et la tête autant que sa soupe dont la saveur n'est pas usurpée ; moment magique au cœur de la nuit. Inconsciemment, je marque l'arrêt et perd sans doute un peu de temps ici, mais qu'il est dur de repartir d'un tel endroit ! À partir de maintenant, je sais que je terminerai, j'en suis persuadé, ces bénévoles avec leurs regards et leurs attentions m'ont redonné une énergie folle.

Je repars vraiment regonflé pour une nouvelle étape dans la nuit. Il faut se laisser glisser jusqu'aux Contamines et il ne restera alors que la dernière partie que j'ai qualifié dans ma tête de 3ème section. Je vais encore doucement dans cette descente, ne prenant aucun risque. Ce serait trop bête de se blesser maintenant ! Encore une fois je ne me vois pas avancer dans cette section. La batterie de ma montre a rendue l'âme, je n'ai plus la notion du temps, plus d'info d'altitude ou de distance mais cela n'a plus beaucoup d'importance. Je sais seulement que nous sommes au cœur de la nuit et que je n'ai qu'un seul objectif, rejoindre les Contamines. À nouveau je me surprend à somnoler... Cette deuxième partie depuis le Cormet aura vraiment été laborieuse...

Après 2h de marche, me voilà enfin arrivé aux Contamines. Dans la tête, c'est la jubilation. Je sens l'arrivée si proche et si lointaine aussi, mais je sais maintenant que j'y arriverai. Un coup d'oeil sur le profil qui s'annonce, une première montée de 650m de D+ jusqu'aux chalets du truc, une petite descente sur les chalets de Miage, puis ce sera à nouveau 550m de D+ pour le col du Tricot. Je prends ça comme les dernières grosses difficultés. Cette perspective me fait presser le pas. Bizarrement, le corps répond favorablement a cette impulsion nouvelle et le coup de mou semble enfin passé. Dans la tête, c'est un feu d'artifice, j'ai le couteau entre les dents, je me jure de ne pas perdre une place dans ces montées. C'est chose faite dans le première que j'avale sans sourciller, jouant à saute mouton avec quelques concurrents en détresse. J'ai plus de mal dans les descentes mais malgré tout je tiens mon rang. J'ai malgré tout un peu de mal à la vue de ce qui nous attend. En effet, en face de nous se dresse le col du Tricot, et de là où nous sommes nous pouvons voir l'intégralité de la pente à gravir, les points lumineux des frontales jalonnant le chemin en lacets. Aucun répit dans cette ascension. La pente est marquée mais présente du coup l'avantage de nous faire élever rapidement. Je suis un peu moins fringuant dans celle-ci mais arrive malgré tout à conserver un rythme correct. 2 concurrents me doublent quand même et je n'arrive pas à lutter suffisamment pour rester dans leur pas. De mon côté j'en double au moins 5 peut-être plus, le décompte est donc à mon avantage, petite satisfaction. 2h30 pour effectuer cette partie depuis les Contamines. Je ne sais si c'est bien ou pas mais je suis satisfait. Arrivé au col, beaucoup exultent de savoir cette dernière grosse difficulté enfin franchie.

La descente qui suit est bien technique et ne permet pas d'aller vite. J'ai d'ailleurs un peu de mal et ne prends surtout aucun risque dans celle-ci. Après 400m de D- nous débouchons sur une passerelle Himalayenne superbe. Elle s'étend majestueusement au-dessus d'un torrent capricieux et bruyant. J'adore, c'est de toute beauté. Oui mais voilà, une fois de l'autre côté, le chemin remonte sacrément raide. Nous reprenons à nouveau de la hauteur assez rapidement. Dans la tête c'est vraiment dur (j'avais zappé ce détail de profil) mais je m'accroche. J'arrive d'ailleurs à rattraper un petit groupe. J'essaye de ne pas me faire lâcher et ils m'emmènent jusqu'à Bellevue à la gare du Tramway du Mont Blanc. De nouveau j'ai du mal à suivre dans la descente qui suit mais je m'accroche toujours en prenant soin de ne pas chuter. Les cuisses brûlent un peu mais je n'ai pas eu d'alertes de crampes jusqu'à maintenant, ce qui n'est pas le cas de certains. Le chemin débouche alors sur une route, les Houches ne sont plus très loin. Alors que la pluie nous avait épargné pour cette deuxième partie de nuit, celle-ci refait son apparition et c'est sous des trombes d'eau que je descends ces lacets qui n'en finissent pas sur le bitume. Mes pieds sont en feu, j'ai l'impression d'avoir 2 énormes ampoules sous ceux-ci mais cela ne me gène pas trop pour courir.

Je m'arrête à peine au ravitaillement des Houches, j'ai trop hâte d'en finir ! J'en repars en trottinant, rattrapant encore quelques concurrents qui marchent. Que c'est dur de courir dans ces moments, mais c'est assez jubilatoire aussi de savourer ces instants où l'on prend conscience que ça y est, on l'a fait ! Ces quelques kilomètres pour rejoindre Chamonix sont malgré tout interminables. Je marche rapidement dans les faux-plats montants et me force à trottiner dès que la pente s'inverse.

Vient enfin la délivrance, l'arrivée dans l'artère piétonne de Chamonix. Nous sommes Vendredi matin, il est un peu plus de 9h, soit plus de 26h passées dans la montagne et les bravos des quelques passants sont pris comme autant de récompenses. L'émotion me submerge, je ne me pensais pas capable de réaliser tout ce chemin et pourtant... À cœur vaillant, rien d'impossible !

À cette heure matinale je franchis la ligne dans un relatif anonymat mais je m'en fiche un peu. Ce n'est pas le regard des autres qui fait ma satisfaction à ce moment précis, mais celui que je me porte et qui brille de fierté. C'est tout sourire que je passe cette ligne et cesse enfin mes pas.

Whaou ! Quel pied ! Ou plutôt, quels pieds ! Ils m'auront traîné sans faillir pour une superbe aventure intérieure que je ne suis pas prêt d'oublier !

© Maindru© Maindru
©Maindru



Annexe:Liste du matériel


 

12 commentaires

Commentaire de lalan posté le 07-10-2012 à 07:12:39

Quelle préparation, dans tous les sens du terme. Une course menée en toute lucidité sans faillir, un gros moral.Tu n'as rien laissé de coté dans ton organisation minutieuse.Digne d'un fils spirituel de Marat. Tu peux etre sacrément fière de toi Pierrot.J'ai vraiment pris du plaisirs à lire ton récit. Merci pour ce paratage d'une belle émotion.Bravo Pierrot.

Commentaire de fildar posté le 07-10-2012 à 12:48:32

Bravo pour ton CR, j'ai eu l'impression de revivre ma propre course.
Tu peux être fier de toi comme tous ceux qui l'ont fini. Finalement malgré ce que je t'ai dit le lendemain, j'ai envie un jour de m'aventurer sur plus long.

Commentaire de sapi74 posté le 07-10-2012 à 13:43:45

vraiment un beau récit ca donne presque envie de courir sous ces conditions, je pense que la meilleur preparation que tu est faite pour cet course c'est en faisant ton sac et en hésitant pas a prendre une peut plus lourd mais un peut plus chaud. a mediter.
bravo a toi.

Commentaire de franck de Brignais posté le 07-10-2012 à 14:07:33

Un grand bravo, pour cette superbe ballade et pour le récit que tu nous fait partager. On ressent avec beaucoup de précision ce que tu as traversé et dû endurer. Bravo Pierrot, voilà une course dont tu peux être fier !!

Commentaire de samontetro posté le 07-10-2012 à 18:01:59

La montagne parfois cela peut être ainsi. Tu as su l'apprivoiser même lorsqu'elle était en furie et ta volonté t'a mené au bout de ton parcours. C'est peut être simplement ça être "trailer" c'est en tout cas un véritable exploit que de ne pas avoir cédé à la tentation au Cormet! Quel mental! Bravo!

Commentaire de Arclusaz posté le 07-10-2012 à 22:04:05

Un CR d'une très grande précision (incroyable de se rappeler tout ça !) bien à l'image de ta prépa où tu n'as rien laissé au hasard.
Un CR témoignage, à faire lire absolument à tout candidat à ce type "d'aventure intérieure".

Et bien sur, une course magnifiquement gérée ! bravo !

Commentaire de totoro posté le 08-10-2012 à 13:53:17

Alors là, un grand merci de nous avoir relater toute ton aventure ! Un grand bravo aussi car avec les conditions météo, tu as vécu une sacrée aventure !

Commentaire de marat 3h00 ? posté le 08-10-2012 à 15:34:18

félicitations pierrot pour ton abnégation et ton CR ! la perf est au rendez-vous. On voit bien que les sorties dans les bauges par temps ... enfin comme d'had' - servent.
Me semblait bien que tu étais bien préparé. Bravo aussi pour cette préparation

Commentaire de sebmelalix posté le 08-10-2012 à 17:12:02

Un grand MERCI Pierrot pour ce magnifique récit à la hauteur de la performance.
Dans ces conditions, c'est déjà un exploit de terminer.
Le physique a tenu et tu as eu un mental de "guerrier"
Là, tu m'as fait rêver car dans ces conditions c'est un autre "monde", je sais pas si un jour je m'alignerais sur une telle course mais par ton récit je l'ai touchée!!!!
Et bien content de t'avoir suivi sur le live, c'était passionnant.

Commentaire de sarajevo posté le 08-10-2012 à 21:00:04

Super récit et bravo a toi !!!

Commentaire de sarajevo posté le 08-10-2012 à 21:00:10

Super récit et bravo a toi !!!

Commentaire de Jean-Phi posté le 11-10-2012 à 11:24:51

Bravo et pour le récit et pour ta course ! Tu as fait une belle perf !!!!

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