Récit de la course : Sur les Traces des Ducs de Savoie 2021, par Grego On The Run

L'auteur : Grego On The Run

La course : Sur les Traces des Ducs de Savoie

Date : 24/8/2021

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 509 vues

Distance : 145km

Objectif : Pas d'objectif

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TDS 2021 : le goût amer de l’inachevé

Récit publié deux ans après les faits. Pour tourner la page il faut l'écrire.

Avec les photos c'est là.

https://firstquartilerunners.wordpress.com/2023/08/21/tds-2021-le-gout-amer-de-linacheve/

 

Sans les photos c'est là :

J’écris ce récit deux ans après l’événement. Pourquoi avoir attendu ?

Cette course a fait l’objet d’un drame, un coureur de nationalité tchèque est décédé. Le fait d’être pris en étau au Passeur de Pralognan pendant (teasing)… Et puis de retour à Paris, je m’étais tourné vers la préparation du Tor des Géants prévu quelques jours plus tard. La page était tournée sur la TDS. Et donc pas de récit.

Or deux ans après, j’ai au moment où j’écris ces lignes la TDS 2023 en ligne de mire. Dans 7 jours exactement je serai sur la TDS.

C’était donc finalement le bon moment pour revenir sur cette TDS 2021, histoire de laisser une trace car les circonstances de cette course me sont restées en mémoire. Cette course m’a terriblement marqué à plus d’un titre. Deux ans après et c’est comme si c’était hier.

En revanche je n’ai plus aucun repère précis concernant les horaires exactes des événements que je décris. Je prie le lecteur de m’en excuser d’avance.

Mercredi 25 août 2021

Ma femme et mes enfants de 4 ans sont avec moi lorsque nous prenons la navette à Chamonix en début d’après midi. Il fait un soleil radieux. Oui la sortie va être belle, à un détail météo près que je n’ai pas vu venir, ni préparé.

Pour les enfants c’est la première fois qu’ils prennent le tunnel du Mont-Blanc (« c’est le plus long de France et d’Italie » leur dis-je). Ils sont un peu angoissés de rester dans ce boyau aussi longtemps. Nous devons porter le masque anti-Covid dans le bus. Et comme toujours je me sens un peu patraque dans les transports.

Nous arrivons à Courmayeur, nous descendons du bus qui en fait nous a conduits au bas de la station et non au Centre Sportif de Dolonnes. Nous sommes perdus comme tous les autres coureur. C’est où le départ ?

Et bien il faut marcher presque 1 km pour arriver au Centre Sportif en plein cagnard avec deux enfants de 4 ans qui commencent un peu à trépigner. Ma fille « on arrive à quelle heure ? ». « Euh, bientôt » ma réponse systématique qui ne veut rien dire mais qui a le mérite de lui convenir.

Finalement c’est fourbus que nous arrivons au grand parking. Je laisse mon sac de change. Ouf il y a une cafétéria pour se reposer et charger les batteries. Nous allons prendre un cappuccino qui va me faire un bien terrible. Il doit être 16 heures environ. Je fais partie de la deuxième vague prévue à 17 heures ?

Nous assistons en famille au départ de la première vague. J’ai la chaire de poule, la musique de départ (Bo du film Robin des Bois) est magnifique. Franchement je suis conquis et autant vous le dire « j’ai les poils »   (Private joke). C’est saisissant de voir cette première vague s’élancer.

15 minutes plus tard c’est à mon tour. Je me faufile dans le peloton, je crois que nous devons avancer masqués (mesures anti-Covid oblige). Je ne vais pas avoir la même émotion qu’en tant que spectateur 15 minutes plus tôt, plutôt concentré sur le fait de gicler des « startings blocks » (c’est mon ancien passé de sprinter en Athlétisme qui revient :-). Enfin la musique et puis c’est parti.

Au moment de franchir la ligne de départ je me déporte sur la gauche pour saluer mes supporters en herbe. Nous attaquons une première montée sur un chemin de 4*4 assez facile. Je suis heureux de faire le constat dès le départ que j’ai vraiment « le guane ». Je monte super aisément. L’entraînement hyper intense de tout l’été a vraiment payé. Reminder : j’ai abandonné sur l’X-Alpine 6 semaines plus tôt pour contracture à la cuisse juste après Bourg Saint Pierre.

Sur ce chemin je ne vais que remonter du monde. Il fait beau, pas trop chaud, les sensations au top. Que du bonheur ! J’ai même une coureuse qui me reconnaît « Grégo c’est toi ! »   Après le single track en direction de l’arrête du Mont Favre j’ai le souvenir d’une longue descente sur un chemin en 4*4. J’ai une pèche comme jamais, des jambes et cuisses en béton. Je cours assez vite et continue à dépasser quelques coureurs. Mais assez vite, le ciel s’obscurcit. Je n’avais pas vraiment prévu cela.

La nuit va assez vite tomber…une pluie diluvienne aussi. Le premier cauchemar peut commencer.

Pour l’instant ce ne sont que quelques gouttes, j’espère que cela va très vite s’arrêter ce truc. Je mets juste ma GoreTex. Sauf que, sauf que… ce n’est pas une petite pluie, ce sont des trombes d’eau qui me tombent dessus. Mais c’est quoi ce truc ? Il commence à faire nuit, on passe dans une portion arborée, quand nous en sortons c’est l’enfer. C’est catastrophique, j’ai fait l’erreur de ne pas couvrir mes jambes, mon short complètement détrempé par capillarité va mouiller mon TShirt. Je commence très très vite à avoir très froid. Le spectre de l’abandon de la SaintéLyon 2019 ressurgit. Bon sang ! Comment ne pas avoir capitalisé sur cet échec ?

Première épreuve : celle de l’eau
Le parcours longe un lac juste avant le col du Petit Saint Bernard, c’est un souvenir terrible, il pleut, il fait noir (ou presque), j’ai froid et n’ai pas d’autre choix que d’avancer. Je suis dans un tel désarroi que je n’ai pas la force de m’arrêter pour prendre ma frontale, j’ai les mains complètement gelées. Si je le pouvais, je quitterais cette course pour un peu de réconfort, de la chaleur. Je suis dans un état d’hypothermie déjà bien avancé lorsque nous devons contourner le lac et remonter dans des bruyères (je crois), je dois me rattraper aux branches pour ne pas tomber. Je titube et toujours pas de frontale alors je suis un concurrent devant moi. Il est impératif d’arriver au prochain ravito du col car je suis en alerte rouge !

Il était temps, le réconfort est là. Enfin sous les tentes, par terre c’est tout détrempé comme le sont les coureurs. Et quant à moi je suis dans un tout petit état. Je dois tout enlever, me dévêtir de tout ce qui me colle à la peau telle une pellicule d’eau glacée (c’est à dire tout ; sauf le boxer). Quand on est dans un état d’hypothermie on se sent tout rouillé, les gestes sont lents et imprécis. Par ailleurs essayer d’enlever du textile imbibé de flotte qui vous enveloppe telle de la colle c’est juste impossible ! Autour de moi des coureurs qui claquent des dents comme moi. Il va me falloir plusieurs dizaines de minutes pour arriver à mes fins : mettre ma deuxième couche à même la peau, mettre mon pantalon Gore Tex mais mon boxer et mes chaussettes resteront mouillés et froids. C’est toujours en claquant des dents que je me dirige vers la table du ravito, je ne peux pas repartir dans cet état il faut que je me réchauffe en ingérant des calories, c’est ma stratégie. Je commence par une barre à céréales pour oiseaux, puis une deuxième, une troisième (combien encore ?)…un bouillon aussi. C’est assez long mais j’arrive à mes fins, je me sens un peu mieux. J’appelle ma femme pour lui dire que je suis toujours coincé au ravito et qu’il ne faut pas s’inquiéter.

Enfin je repars dans une descente en direction de Séez et Bourg Saint Maurice. Et là je ressens un bien être énorme car il s’est arrêté de pleuvoir et que je ressens la dopamine me submerger car les bonnes sensations reviennent. Un plaisir très intense de repartir et de se remettre en jambe. Mon arrêt au ravito du col du Petit Saint Bernard est estimé à près d’une heure

La descente vers Bourg Saint Maurice ressemble à une renaissance. Je suis enthousiasme, un peu trop, au ravito de Séez quand je salue et remercie les bénévoles. Ce sont les effets des endorphines.

J’arrive à Bourg Saint Maurice et cela fait environ 8 heures que je suis en course. Après le ravito que l’on vient d’avoir je me demande ce que je dois y faire. C’est dingue comme je ne sais pas gérer les ravitos/bases vie. Mon activité favorite ne sachant pas trop quoi faire : « je jardine ». Je fais un inutile tour de la grande salle de gymnase à la recherche de ce je ne sais quoi à côté duquel je serais passé. Bref, j’y perds mon temps en bonne et due forme (bien noter pour la TDS 2023 : à BSM on « file tout droit, y’a rien à voir ») d’autant plus que mes gourdes sont remplies depuis Séez.

Deuxième épreuve : celle du feu (ou de l’absence de chaleur)
Et c’est parti pour cette très longue (la grande difficulté ascensionnelle de la TDS) montée qui a pour point culminant le Passeur de Pralognan. Il doit être plus de 22 heures (?) quand je quitte BSM. J’ai vraiment de bonnes sensations. Le temps est sec, très sec. Arrivé aux alentours du Fort de la Platte cela grimpe très très sèchement (je ne sais plus si c’est juste avant ou juste après). J’ai le souvenir de la marchande de sodas à 3 euros pièce qui fait son petit commerce. Et on repart pour la dernière partie de cette ascension. Je suis dans la roue d’un autre coureur, on longe un tout petit lac et à ce moment nous nous arrêtons pour lever la tête et voir le passage d’un hélicoptère qui va en direction de BSM. Je ne sais plus quelle heure il est (1 h du mat ?). Pas trop de mal à deviner qu’il vient de prendre un coureur blessé pour le descendre à BMS. (NB : Nous comprendrons rétrospectivement qu’il s’agit du coureur tchèque qui est décédé). Après une petite descente gentille, le paysage semble magnifique et j’en aurais la confirmation dans le sens contraire de plein jour (mais je ne le sais pas encore)…

On sent que c’est bientôt la fin du la montée. Nous voyons des grappes de coureurs assis sur le sol, de la lumière artificielle, il y a même un feu allumé. Je ne comprends pas bien ce qu’il se passe ici là haut. Je me retrouve à attendre dans une file d’attente (il doit être 2 heures du matin). Une brise qui fait bien froid nous transperce les os. Mais que se passe-t-il ? Nous nous parlons entre coureurs pour faire le constat suivant :

1/ En fait nous sommes à quelques dizaines de mètres du Passeur de Pralognan.

2/ Il y a eu un accident d’un coureur juste après le passage.

3/ Des personnes de l’organisation font désormais passer au compte goutte les coureurs à un rythme lent… très lent.

4/ Derrière moi je ne peux que constater que la file d’attente s’allonge à un rythme qui est beaucoup plus rapide que le flux de coureurs passant de l’autre côté du col !

Cela fait une demi heure que nous sommes à l’arrêt et …. on n’a pas avancé de 10 mètres ! On commence à avoir très très froid. J’ai le souvenir de bénévoles de l’organisation venir prendre des nouvelles pour identifier les personnes qui ont impérativement besoin d’attendre près de la source de chaleur du feu. La rumeur se propage selon laquelle le coureur aurait décédé sur place avant d’être évacué en hélico.

Et puis nous apprenons par les bénévoles que la course est arrêtée et que nous devons revenir à BSM par le même chemin en sens inverse.

Nous prenons acte de la décision. Le contexte est juste dramatique donc personne n’a d’état d’âmes sur le fait d’arrêter la course. Cela semble à tout le monde tout à fait légitime.

Il fait froid, tout le monde sort sa couverture de survie. Nous nous retournons pour repartir, sauf que c’est très bizarre… on n’avance pas non plus dans le sens de la descente. Et là il va falloir prendre conscience que nous allons rester coincés comme des rats pendant un temps indéterminé qui va durer en ce qui me concerne près de 4 heures mis bout à bout alors que je commence à claquer une nouvelle fois des dents. Il doit être 2h30 / 3 heures du matin ? Bon sang, nous sommes beaucoup à être livides. Je dois trouver des stratégies pour me réchauffer, je sautille ? Non il y a de l’air froid qui passe entre mes jambes. Et puis une couverture de survie c’est très fragile il ne faudrait pas la déchirer. Une des meilleures stratégies est de se mettre accroupie mais au bout de quelques minutes cela n’est pas tenable, j’ai des crampes et dois me relever et j’ai encore plus froid. Comme le temps passe lentement quand on est coincé et que l’on a froid et que personne n’avance. C’est un calvaire sans nom. La coureuse derrière moi est blanche comme un pince à linge, je n’ose pas lui demande si elle a besoin de quelque chose, je ne peux absolument rien faire pour mes congénères. C’est struggle for life, j’ai juste besoin d’une épaisse et énorme couverture SVP !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Il est 4 heures du matin, on a avancé de 5 mètres en 1 heure, c’est juste pathétique.

Il est 5 heures du matin, j’essaie de percevoir l’aube, quelques rayons SVP pour nous réchauffer juste un tit peu !!!!!!! Un calvaire.

J’ai le souvenir d’un coureur polonais qui n’en peut plus, il est fou, il veut quitter la file d’attente pour aller tout droit dans le fossé et prendre la tangente. Il y arrivera je crois avec l’aide d’un de ses congénères….

Enfin ! Je crois que mon tour est arrivé, il doit être 6h30 quand j’aperçois ce passage hyper technique où l’on fait passer les coureurs au compte goutte avec une corde tenue autour de la taille par un bénévole de l’assistance de la course. Merci à lui, je le salue. Je savoure ma libération. La lumière du jour arrive en même temps. Elle réchauffe les âmes et…mes jambes.

La suite ?

Nous nous dispersons très rapidement. Les rythmes de course de chacun sont très différents. Tout le monde est cuit moralement et physiquement par cette nuit de dingue que l’on vient de vivre.

Le soleil tape très vite. On sent une chaleur caniculaire percer. J’ai le souvenir de courir avec deux jeunes super en jambe. Fort de la Platte dans le sens inverse, cela pique. Un des parents de ces coureurs nous ramassera en voitures à quelques encablures de BSM pour nous conduire directement au gymnase de BSM où nous attendront des navettes.

C’est donc un peu groggy que je prends la navette (à midi ?) qui nous ramène à Chamonix.

J’apprends que la course s’est poursuivie pour les coureurs ayant passé le col. Ce n’est pas ce que j’avais compris initialement (course arrêtée pour tout le monde). Mais tant mieux pour eux. Il faudra peut être juste éviter d’exulter sur la ligne d’arrivée tel un Platini après son pénalty réussi devant Liverpool alors que plus de 40 cadavres longent les trottoirs du stade du Heysel. Des fois que la famille du coureur décédé tchèque tombe sur les images…

EPILOGUE
1/ L’organisation nous envoie un message le lendemain pour nous dire que tous les coureurs ayant passé BSM seront classés sur le format Courmayeur / Bourg Saint Maurice. Mon chrono est de 8h12 pour un score ITRA de 567.

2/ A ce titre l’organisation nous informe que le Tshirt de finisher nous est également destiné. Je n’irai pas le chercher, je ne suis pas finisher de la TDS 2021.

3/ Mes enfants l’après midi participeront à la Mini OCC (ils appellent cela la « Mini UTMB »). C’est leur première course. Je suis là pour les encourager.

Conclusion : Mes enfants vous avez performé et avez franchi la ligne d’arrivée, comme je suis fier. Les vrais finishers de la famille ce sont eux !

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