L'auteur : Renard Luxo
La course : Sur les Traces des Ducs de Savoie
Date : 28/8/2013
Lieu : Courmayeur (Italie)
Affichage : 1322 vues
Distance : 119km
Matos : Adidas Supernova Riot 4
Objectif : Terminer
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Pourquoi ? Pourquoi attendre plus de 6 mois pour rédiger le compte rendu d’un trail largement faisandé ? La nécessité de ce post, toute personnelle j’en conviens, s’est manifestée au fil des mois. Dans un premier temps en effet, j’étais incapable de prendre du recul sur ce que je venais de vivre. Dans un second temps, le métro-boulot-dodo (re)pris le dessus. Dans un troisième et dernier temps, ce fut le tirage au sort de l’UTMB 2014, que la providence eut la bonne idée de placer sur mon chemin. Il était temps de tourner la page. Dans une certaine mesure, ce CR est à usage thérapeutique ! Il est temps de laisser définitivement cette TDS derrière moi pour libérer de l’espace libre sur le disque dur de ma prépa 2014. J’invoque la clémence des kirikoureurs, enfin les quelques (soyons optimiste !) courageux/ses qui liront ce post en diagonale, sachant qu'il n’est porteur d’aucun message ni conseil.
Servoz, 3H50 du matin, « camp de base ». Machinalement, j’avais réglé mon réveil sur 4h mais je suis déjà affalé dans ce divan que je ne reverrai pas avant demain (si tout se passe bien). Connexion à Facebook, lecture des messages d’encouragement en provenance des amis qui me communiquent leur énergie depuis le plat pays. Plus question de reculer, pas question de les décevoir, prisonnier une fois encore de cet égo de la performance qui m’a mené jusqu’ici. Y suis-je pour me prouver quelque chose ? Certainement. L’échec est-il une option ? Sans aucun doute. Mais je ne l’envisage pas, sans doute par crainte de ne pas réveiller le côté obscur de la force …
Nadine (ma sœur) et Valentin (son compagnon) me rejoignent bientôt. Cette aventure n’était pas envisageable sans le soutien de ma famille (à laquelle j’ai davantage imposé que suggéré ce déplacement dans les Alpes => mauviette que je suis !). J’étais stressé la veille mais là, çà ne rigole vraiment plus ! Nadine le ressent, viscéralement, je sais qu’elle est inquiète, mais je donne le change sans convaincre personne.
Chamonix, 5h15. Valentin et Nadine me laissent au pied du car qui doit me mener à Courmayeur. Ici la course commence déjà. Une fois assis, plus un mot. Barrière de la langue ? Concentration surtout. Un peu comme si le corps et l’esprit se mettaient en mode « économie » avant l’épreuve qui s’annonce. La traversée du tunnel du Mont-Blanc paraît interminable, le car amorce soudain quelques virages puis nous déverse sur un parking. Je grelotte, et m’empresse de suivre le flux humain qui nous mène à la patinoire de Courmayeur. On a beau être un nain de jardin, difficile de se frayer un petit espace pour poser son fessier au sein de cet amas de coureurs tantôt somnolent, tantôt ingurgitant toutes sortes de mixtures à l’odeur et à la consistance douteuses. Chacun son truc !
6h30. Au terme d’une marche plus longue que prévue (çà grimpe déjà, grrrr !!!), j’enjambe les barrières nadar et me faufile pour me positionner dans le ventre mou du peloton. La sono et le speaker italien s’en donnent à cœur joie, mais je ne parviens pas à me décrisper. L’arrivé de l’hélico et de l’hymne (pirates des Caraïbes) n’arrangent rien à l’affaire … Et quand vient le moment du décompte final, la liquéfaction n’est pas loin. L’émotion est à son comble et je ne sais pas trop comment la gérer. Il est 7h, une masse compacte de plus de 1500 coureurs vient de se mettre en marche (au propre comme au figuré tant les rues de Courmayeur peinent à digérer ce flux) et rapidement … çà descend ! Pas pour longtemps, car les premiers lacets du Col Checrouit se profilent. On abandonne le bitume pour un long moment (tant mieux tant je déteste çà). Ce qui m’inquiète, c’est que je suis parti plutôt lentement (mode marche sportive) et pourtant je ne cesse d’être dépassé par des « avions » qui viennent de l’arrière. L’occasion de gamberger (encore) un peu plus. Suis-je à ma place ici ? Il y a un an, je courrais mon premier « 50 », et un an plus tard je suis ici pour un premier ultra de plus de 100 Km, pour la première fois en montagne, et une première expérience nocturne … Cela fait beaucoup de premières ! Soit, je replonge dans ma bulle, profitant des premiers rayons de soleil qui illuminent le massif du Mont-Blanc, et ces paysages fascinants, jeux d’ombre et de lumière, de neige et de roche. A mi-col en Direction du Mont-Favre, je grelotte un peu, certes il fait encore frais, mais le trop-plein d’émotions n’est pas étranger à ces « picotements » …
Une descente relativement technique, un peu crispée (cela se paiera plus tard …), suivie d’un large chemin en creux de vallée, nous mènent vers le premier ravito (Lac Combal). Je ne m’y attarde pas trop (pas vraiment faim à ce stade), et ne prend même pas la peine d’ajuster mes réserves liquides (ne suis-je pas parti avec 2,5 litres ? Grossière erreur qui ne tardera pas à me rattraper !).
Après quelques kilomètres dans les alpages (et un troupeau dont les cloches savoyardes égayent à des lieues à la ronde), nous attaquons en file indienne les lacets rocailleux du Col Chavanne, premier passage lunaire de cette TDS, et accessoirement point culminant de la course avec ces 2584 mètres. Les sensations sont bonnes, je commence même à dépasser quelques coureurs au train, l’avantage de partir lentement (un bon truc pour garder le moral !). Arrivés au sommet, nous entamons une longue descente sur un chemin en dur bien roulant, presque trop car je n’ai pas le sentiment d’avancer tellement les montagnes environnantes et le décor grandiose écrase les mouvements de la petite fourmi que je suis. Ces premières heures de courses ont presque dissipé les doutes du début, j’y suis, j’y reste ! Un petit relâchement coupable dans une prairie humide en fond de vallée me rappelle à l’ordre : l’entorse n’était pas loin. Il faut savourer certes, mais cette TDS est technique et requiert une concentration de tous les instants.
Ce petit moment de frayeur passé, tous les signaux sont au vert et puis soudain … "proucchhhhh prouchhhhhh …" Non de D … ! Ma poche à eau est vide ! Il me reste un fond de bidon de boisson isotonique, rapidement ingurgité puis, plus rien ! C’est pas vrai, manque d’expérience coupable … Quel c … !!! Je devrais pourtant savoir que 2,5 litres, c’est peu en six heures de course, d’autant qu’il fait déjà chaud … C’est la panique, je ne sais plus si je dois courir ou marcher pour m’économiser jusqu’au prochain ravito (qui est encore bien loin, trop loin …). Je songe même à mendier l’aumône liquide auprès de mes condisciples. C’est à ce moment que je vois un mec sur la gauche sortir du chemin, que fait-il ? Et bien le bougre remplit ses bidons et s’asperge énergiquement de l’eau d’un ruisseau de montagne. Je ne tarde pas à l’imiter, et hop, me voilà reparti ni vu ni connu, tel Ken le survivant, les soutes pleines d’une eau fraîche et délicieuse. Nous traversons bientôt un paysage de lacs sauvages, dans lesquels se reflètent le bleu de la roche et le vert de l’herbe généreuse. Quelle spendeur !
Un talus escarpé peuplé d’arbustes et de racines en tous genres nous mène vers le Col du petit Saint-Bernard et la frontière française. C’est la première fois depuis 7h que nous retrouvons la civilisation et une meute de supporters anonymes mais non moins enthousiastes. Le ravito est là, il est 13h30, et l’horloge biologique dicte le reste. Je me pose pour la première fois sur un banc et fait le plein de fromages, tucs et autres saucissons. Trop de barres (énergétiques) tuent la barre, et j’en ai déjà marre du sucré … Par hasard, je tombe sur JF Panza, que j’ai croisé à plusieurs reprise sur les trails de préparation en Belgique. Il me rappelle son conseil d’en garder sous la pédale jusqu’à Bourg … Finisher de l’édition 2012, dans des conditions météo dantesques, il sait de quoi il parle ! J’envoie un SMS à ma sœur pour la rassurer et lui signaler à la grosse louche que je serai en bas dans 2 heures. Rassasiés, nous nous remettons en route ensemble pour une longue, très longue descente même. Il fait chaud (on a pris 20° par rapport au matin !), j’ai les cuisses en feu (déjà !?!), et je décide logiquement de lever le pied. JF, dont je peine à suivre le rythme avec ses grandes gambettes, ralentit gentiment et nous rallions ensemble Bourg Saint-Maurice (seul passage un peu industriel véritablement moche du parcours ).
Dans les faubourgs de la susnommée, c’est une ambiance de corrida qui nous attend. Première zone d’assistance, je zieute un peu partout et j’aperçois Valentin qui gesticule (« Thierryyyyyyyy !!! » : il m’avait déjà aperçu depuis longtemps …). Il me mène vers Noëmie (ma nièce) et Nadine. Je partage mes premières impressions de course. La mine est bonne (les photos le prouveront plus tard), la confiance est là. Ma sœur me rejoint dans la zone d’assistance, changement de maillot, massage des pieds à la Nok, nouvelles chaussettes et casquette, quelques bouts de banane et de barres céréales, et me voilà 25’ plus tard au check-out. Contrôle sommaire du sac par l’organisation (toujours impeccable, sympa, discrète et à la fois omniprésente) et me revoilà dans les rue de Bourg en compagnie de mon petit fan club. Cela m’a fait un bien fou de les voir, même si j’aurais souhaité être plus disponible. Après tout c’est pour moi qu’ils sont là, à suivre fiévreusement un petit bonhomme sur le Livetrail, à m’envoyer des sms, à transir des heures en guettant ma silhouette, etc etc …
Mais la course a repris ses droits, nous voici au pied d’une ascension de près de 2.000 mètres vers le mythique Passeur de Pralognan. JF, encore lui, m’a conseillé de le franchir avant la nuit. J’ignore pourquoi, mais je ne tarderai pas à le savoir …
Il fait chaud, cela fait déjà une heure que je monte et je dépasse de plus en plus de coureurs. Bientôt, j’aperçois un fort. Je crois à tort qu’il s’agit du fort de la Platte, me disant finalement que cette montée n’est pas si terrible que çà. J’accélère encore un peu puis, en discutant avec un gars, je découvre qu’il ne s’agit que du fort du Truc. La Platte est encore loin ! Il porte d’ailleurs très mal son nom ce s*** car la pente redouble. Plusieurs kms au-delà de 10% de moyenne, je me cale dans un petit groupe qui monte au train. Fait étonnant, je croise de plus en plus de traileurs arrêtés sur le côté en quête d’ombre. Pire encore, j’en vois qui redescendent (abandon sans doute), et par dizaines ! Pas rassurant tout çà … Bon an mal an, le "vrai" fort est en vue. Un gars de l’organisation a provisoirement détourné l’alimentation en eau de l’auge des bestiaux pour remplir nos Camelbaks. Excellente idée car les pertes liquides ont été importantes et le prochain ravito officiel est encore loin. Je retrouve JF une dernière fois. Il souhaite faire une petite pause récup avant d’attaquer le Passeur mais comme je me sens bien à ce moment, je décide de repartir sans trop tarder (tout en cédant à la tentation d’une petite tasse de café offerte par des bénévoles).
L’après-midi touche à sa fin, la température tombe peu à peu, et le vent d’altitude achève de me convaincre d’enfiler ma coupe-vent et mon bonnet. Bien que large encore, le chemin devient caillouteux. La montagne sauvage s’offre à nouveau à nous : le spectacle commence ! Je crois que si je devais retenir un moment fort de cette TDS, c’est cette zone semi-lunaire entre le Col de la Forclaz et le lac Esola. Je me force à rester à l’écoute de mes sensations, mais l’émotion gagne à nouveau … L’hélico est au-dessus de nous dans la montée vers le Passeur. Un long ruban de coureur se tortille dans ce paysage incroyable, immense, écrasant. Les pourcentages sont terribles, et sans presque m’en rendre compte, me voilà devant une mini-tente et quelques organisateurs qui nous invitent à la prudence. Prudence ? Je ne tarde pas à comprendre en m’avançant au bord de cette arrête rocheuse que constitue le Passeur de Pralognan. Va falloir y aller … Je me jette littéralement dans cette caillasse où les pierres (et pas de petites caillasses mais des « boulets » de plusieurs kilos !) se mettent à rouler au passage des coureurs. Quelle folie !!!
Moi qui suis de coutume sujet au vertige, je suis pris d’une espèce d’excitation morbide, sorte de conjuration de la peur que je devrais éprouver en temps normal. Je me surprends à partir en glissade pour recouper quelques virages, gagner quelques places, et laisser derrière quelques coureurs littéralement tétanisés par la pente. Contre toute attente, pour la première fois dans cette course, je me retrouve presque seul. Gagné par une euphorie indescriptible, je me prends à accélérer, encore et encore, faisant fi de toutes mes résolutions de départ. Chaque coureur devant moi devient une cible que je m’empresse d’atteindre, avant de me fixer un nouvel objectif au loin. Je cours désormais à l’instinct. Cela va (aussi) se payer plus tard …
La nuit tombe assez rapidement, cela devient limite de courir avec cette visibilité mais, de manière assez irrationnelle, j’ai décidé de ne pas mettre ma frontale avant le prochain ravito. C’est débile, je sais, mais à ce moment je suis pris d’un mini-délire ...
Les lumières et l’ambiance du Cornet de Roselend nous ramènent dans le monde réel. Après le check-in de rigueur, je pénètre dans un chapiteau surchauffé, où une masse de traileurs se sustentent, se désapent et se parent de nouvelles couleurs avant d’affronter la suite du programme. L’appétit est là, l’organisation nous gâte : saucisson et fromage de montagne (un délice !), soupe à la vermicelle, gâteaux, biscuits, barres, fruits secs et autres … Difficile de trouver une place pour se poser, je dois dealer avec un groupe de suédois pour obtenir un coin de banc. A peine posé, je commence à me gaver de tous ces bienfaits. Dans le même temps j’ai ouvert mon sac et je me rends compte que je n’ai pas de tee-shirt de rechange. P***, j’aurais dû profiter du sac d’allègement … Je troque dès lors mon maillot trempé contre une polaire légère, revêtue à même la peau … Pas l’idéal mais bon, va falloir terminer avec. A ce moment, je check pour la première fois ma carte et là, grosse surprise, je constate que je suis seulement à mi-parcours !!! Aarrrrgh ! De quoi retomber sur terre après les quelques excès commis depuis Bourg … Le mal est fait, l’avantage au moins c’est que j’ai pas mal d’avance sur la barrière horaire … Reste à (di-)gérer la suite … (ce mot va prendre tout son sens …)
Armé de ma frontale, je sors de ce chapiteau presque soulagé de retrouver la solitude de la montagne. Reparti en trottinant avec deux autres traileurs, nous attaquons rapidement le Col de la Sausse, premier d’une trilogie qui s’annonce terrible. Le terrain est humide et un de mes compagnons d’infortune se vautre littéralement dans une mare devant nous ! Il repart péniblement, complètement trempé, et semble accuser le coup, but the show must go on. Ce col présente un pourcentage assez régulier et se monte sans trop de peine. Je suis surpris par l’humidité ambiante, nous sommes littéralement trempés par d’infimes gouttelettes. Il ne s’agit pourtant ni de pluie, ni de brouillard (le ciel est clair). La montagne est décidément très déboussolante …
Nous nous enfonçons ensuite dans une gorge rocheuse, d’où émerge l’écho d’une rivière tumultueuse. Intrigué, je m’arrête et m’approche du bord pour tenter d’en sonder le fond. Ma frontale ne m’est d’aucun secours, un vrai trou noir : c’est ver-ti-gi-neux ! (je découvrirai après la course qu’il s’agit du fameux « Passage du Curé »)
Cela fait quelques minutes, une heure peut-être, que je ne suis plus trop dans mon assiette mais, sans doute pour conjurer le sort, je me focalise sur mes pas et ma respiration dans l’attaque du Col de la Gitte. Après quelques lacets, la nausée me gagne. La progression devient un véritable calvaire et je vois bientôt débouler les frontales de l’arrière. Quelques vômissements plus tard (la soupe à la vermicelle n’est pas passée, les charcuteries non plus …), je m’assied sur une pierre, puis une autre … Chaque virage devient une opération survie. Je titube. Lors d’un scanning de la puce à mi-pente, les organisateurs me filent un peu de leur coca perso. J’en mets dans mon bidon et repars, têtant quelques centilitres toutes les 5 minutes en espérant que çà passe … Une heure plus tard, les nausées sont toujours là mais j’ai fini par m’habituer à cet état comateux. C’est à ce moment que je découvre réellement à quel point on peut repousser les limites en ultra. Le problème toutefois, c’est que je ne parviens plus à boire ni à manger. A ce régime-là, impossible d’arriver au bout vu ce qui reste encore à accomplir. Soit. Je décide de m’accrocher jusqu’au prochain ravito. Rassemblant mes dernières énergies, je recommence même à trottiner. Le Col du Joly est en vue, le chapiteau de l’organisation aussi, mais cruellement le parcours nous fait tourner autour, et c’est reparti pour une heure supplémentaire de montagnes russes ...
Il est 2h du mat, j’entre dans le chapiteau. Les victuailles qui s’offrent à moi renforcent encore ma nausée. Une gentille doctoresse m’accorde quelques instants (elle a du boulot la pauvre, un vrai champs de bataille !). A peine contées mes mésaventures intestinales (je pense que je dois avoir une « sale gueule » à ce moment), elle me fraye illico un passage juqu’à un matelas au fond du chapiteau. Je m’y allonge sans discuter et avale un comprimé que j’espère « miracle ». A ce moment, le découragement et le doute me gagnent. Pour la première fois depuis Bourg, je lis les messages de mon portable. Non d’une pipe, Nadine et Valentin sont déjà aux Contamines !!! Ils m’attendent, frigorifiés et enthousiastes. Complètement HS, j’envoie machinalement un SMS mi-figue mi-raisin. Ma sœur me connaît trop bien, elle se rend compte que je suis au plus mal et elle m’invite à tout lâcher et à préserver ma santé. C’est la gamberge complète !
J’ignore à quel moment, et combien de temps j’ai dormi … C’est le froid qui m’a réveillé, malgré la couverture. Je me redresse comme un « I », presque surpris de me retrouver là ! Mais n … de D …, sans prétendre détenir la forme de ma vie, j’ai l’impression que çà va mieux. Me dirigeant vers ces victuailles qui me faisaient horreur en entrant, j’avale quelques gorgées de coca en guise de test. Çà passe. Essayons quelques biscuits secs … Yes ! Le transit intestinal fonctionne ! La pilule miracle a produit ses effets, je peux à nouveau m’alimenter. Sans coup férir, je sors de la tente sans demander mon reste et file vers les Contamines. A ce moment, je suis guidé par la volonté de rassurer ma sœur qui se fait un sang d’encre dans la vallée à m’attendre dans le froid. J’ai la rage, désireux de rattraper le temps perdu, et j’accélère, encore et encore, m’occasionnant au passage quelques frayeurs dans cette descente longue et piégeuse par endroit. Les sensations sont revenues, de même que l’adrénaline de la course, et c’est plus rapidement que prévu que j’arrive aux Contamines où m’attend mon petit « fan club ». Je m’empresse de rassurer ma sœur, et d’avaler quelques trucs au passage. L’endroit est vraiment crépusculaire à ce moment. Les ravages de la course transforment les coureurs en zombies, certains choisissant de déposer les armes ici, si proches du but finalement, exténués, victimes de crampes ou de blessures.
Instinctivement, je sens que je ne dois pas rester figé trop longtemps, histoire de ne pas laisser les micro-lésions musculaires me transformer en terminator. Ayant à peine pris congé de mes fidèles soutiens, c’est un véritable mur qui se présente ! Difficile de trouver un tempo, raccourcir la foulée, et progressivement le cardio se stabilise. L’écart entre les coureurs grandit, je finis même par me retrouver seul au milieu des bois à chasser les balises. Heureusement, l’aube se précise, en même temps que le chalet du Truc. Deux fous furieux fondent sur moi, je tente de m’accrocher quand soudain ma frontale me lâche. Heureusement, j’avais pris la peine de placer une pile de rechange directement accessible dans la poche de ma raidlight et, dans une semi-obscurité, j’opère prestement le pit-stop. Et la lumière fut ! Je rattrape les deux trublions dans … une descente, assez technique de surcroît. Cela n’augure rien de bon car il reste encore une grosse difficulté et tout ce D- se transformera en D+ dans les minutes qui viennent …
De fait … J’aperçois rapidement une cohorte de points lumineux, plantés tels des leds dans un mur ! L’amorce, déjà exténuante, est accomplie à travers prés. Je morfle, mais ce n’est rien à côté de la caillasse qui nous attend. Je tente de suivre le rythme endiablé de mes deux compagnons. On échange quelques mots. Sont-ils français, suisses, belges ? Je ne le saurai jamais car, irrésistiblement, je les laisse filer … Cette fois, point d’indigestion (j’avale barre sur barre), simplement je suis « cuit ». Je m’arrête plusieurs fois pour retrouver mon souffle, ce Col du Tricot est diabolique ! Même à la ramasse (2 Km/h de moyenne …), je dépasse toutefois l’un ou l’autre traileur à l’agonie. Le jour pointe, en même temps que les derniers lacets du « monstre ». Deux bénévoles de l’organisation s’époumonent pour nous hisser jusqu’au sommet (« ALLEZ ALLEZ ALLEZ !!! »).
A ce moment, je sais que c’est dans la poche. Pas le temps de savourer toutefois car la descente est très technique, impossible de tenir une foulée. Aucune constance possible au niveau des appuis dans cet espèce de labyrinthe de saignées terreuses, bourrées de racines et autres s*** Mes cuisses ne répondent plus, je manque à plusieurs reprises de me ramasser, emporté par un élan que je ne contrôle plus. J’alterne marche et (légère course), l’œil rivé derrière pour essayer de contrôler ma place, forme de mini-défi inutile, mais qui me permet de conserver un peu de lucidité.
Je « subis » la course de plus en plus, et à part un moment de ravissement sur une passerelle câblée impressionnante qui enjambe la langue terminale du glacier, je commence à insulter tout seul les organisateurs lorsque je me rends compte (non de D … !!!) que çà remonte, et pas un peu ! Il reste en fait une dernière difficulté, que ô amateurisme primaire, je n’avais pas repéré sur la carte, la montée vers Bellevue. Rien de bien méchant pour un traileur frais mais à ce moment je pédale vraiment dans la semoule, me faisant déposer par quelques ovnis surgis de nulle part. Les jambes ne répondent plus, le cardio est out-of-control, je choisis de m’asseoir 5 minutes sur un banc pour rassembler l’énergie vitale qui me reste. Heureusement, le sommet est proche, je bascule dans une descente interminable vers les Houches. Celle-ci me rappelle aussitôt que mes ischio-jambiers sont carbonisés, chaque foulée est une pénitence. Et pourtant, à mon grand étonnement, je dépasse encore quelques coureurs, que seule la volonté maintien à flot tant leur corps semble avoir abdiqué depuis belle lurette (je n’oublierai jamais ce gars qui descendait à reculons !). Les derniers lacets sur asphalte sont un vrai supplice, vite vite que le chemin redevienne plat, please !
Voici Les Houches. Je m’attendais à une ambiance de folie, susceptible de me re-booster pour filer sur Cham’ tel un avion de chasse. Et bien non … Les bénévoles du ravito sont crevés, la nuit a été longue pour eux aussi … Je m’assieds pour la deuxième fois en deux heures (pas normal çà …). Machinalement, j’avale quelques trucs sans conviction. Pas vraiment faim d’ailleurs ...
Je quitte la tente en marchant quand je me fais interpeller par un compatriote flamand (je découvrirais plus tard qu’il s’agit de Théo Leroy). Il me propose de terminer ensemble, en mode marche sportive. Machinalement, je le suis, et c’est vrai qu’il marche vite le bougre sur le long chemin qui serpente le long de l’Arve. Après quelques Km à ce rythme, l’adrénaline, l’imminence de l’arrivée, et surtout quelques coureurs qui me dépassent (l’égo, toujours l’égo), je n’y tiens plus. Le soleil commence à inonder la vallée, mon « partenaire » vient de m’annoncer (via son épouse) que nous étions autour de la 400ème place au classement (inespéré), IL FAUT COURIR !!! Je ne laisse pas vraiment le choix à mon partenaire, faut y aller ! Cette fois, c’est à mon tour de jouer la locomotive. Nous fondons littéralement sur Chamonix, l’émotion commence à monter, et dans la traversée du piétonnier vers la ligne droite finale, difficile de ne pas craquer. Les encouragements, des mains qui se tendent pour nous porter vers la ligne. Çà y est, la voilà, l’Eglise et le portique sont en vue, ces derniers mètres, je voudrais les revivre toujours ! Mon « fan club » est là, au complet, parfaitement placé dans l’axe de l’arrivée. Je suis presque gêné de bénéficier d’autant d’égards par comparaison aux « anonymes » qui passent la ligne « tout seul ». Je mesure la chance que j’ai de les avoir, de pouvoir presser avec eux le premier « jus » de cette TDS 2013 !
Le débriefing vient de commencer, le voici bouclé, enfin, plus de 6 mois plus tard … Place à l’UTMB 2014 !!!
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12 commentaires
Commentaire de bubulle posté le 09-03-2014 à 08:23:29
Bon, pourtant, j'en ai lu des CR de la TDS, mais le tien....je ne sais toujours pas s'il doit me faire peur ou me donner des ailes pour août prochain..:-). C'est qu'il aurait quand même plutôt tendance à faire un peu peur quand on voit les stades par lesquels tu passes.
Déjà, là, ta description du Passeur, j'imagine Sabzaina qui se liquéfie en la lisant. Et, bon, moi aussi, fort dema jolie entorse du moment, je me dis que les occasions de se fiche en l'air sont innombrables sur cette course, donc je ne suis pas fier non plus. Mais pourquoi on a cliqué, non de d'la! :-)
Merci en tout cas pour cette description claire et précise, ça servira sans conteste et.....rendez-vous en septembre pour notre CR de la TDS..:-) (et, peut-être, rendez-vous autour du départ ou de l'arrivée de l'UTMB, bien sûr!)
Commentaire de Renard Luxo posté le 09-03-2014 à 10:12:56
Merci Bubulle, tu ne dois pas être trop inquiet car je vois que tu as déjà pas mal de "métier" au niveau courses, bien plus que moi il y a un an quand je me suis lancé dans cette TDS. J'ai eu beaucoup de chance de la finir ...
Le Passeur est un endroit mythique, sans doute l'ai-je un peu sublîmé dans ma mémoire, mais c'est vrai que çà marque !
Tu vas te régaler, cette course est magnifique. Ne pas commettre l'erreur de partir trop vite (la course commence à Bourg), accepter de marcher en côte, s'alimenter judicieusement (hum hum ...), arriver très frais fin août (pas d'excès de compèts ou de reconnaissances) seront les clés du succès.
Rendez-vous pour le débrief en septembre, tu vas pouvoir frimer dans Cham' avec ta veste de finisher alors que les UTMBistes ne seront même pas encore partis ... Lol.
Commentaire de sabzaina posté le 09-03-2014 à 12:45:56
Superbe CR, ça valait le coup d'attendre :)
En revanche, ça me fait bien peur pour fin août :/
Commentaire de Renard Luxo posté le 09-03-2014 à 15:02:18
Merci Sabzaina, la procrastination a parfois du bon finalement ... lol. Tu ne dois pas craindre cette TDS vu tes références sur trail (j'ai été voir, curieux que je suis !). Il "suffit" de rester lucide, de ne pas répéter les erreurs que j'ai commises, et de rester concentré car il y a pas mal de passages techniques, proportionnellement plus que sur la CCC et l'UTMB dixit ceux qui ont fait les 3 courses. Cela étant, moi aussi je flippe en pensant au 28 août ...
Commentaire de samontetro posté le 09-03-2014 à 18:04:23
Que de souvenirs en dévorant ce CR! Le ravito du col du Mont Joly, un moment stratégique pour moi aussi en 2012! La petite grimpette avant Bellevue, moi non plus je ne l'avais pas notée sur le profil... et qu'est ce qu'elle fait mal! Et ces derniers kilomètres complètement cuit dans les baskets!
Le Passeur ? Booaaafff! En 2012 j'y ai vu la grande Agnès y faire un vol monstrueux par dessus les bâtons et... elle à gagné la course! ;-)
Tu as compris que sur un ultra il ne faut jamais rien lâcher, tu est prêt pour la grande boucle!
Commentaire de Renard Luxo posté le 09-03-2014 à 18:44:11
Merci Samontetro pour ce petit coup de boost supplémentaire en prévision de la "grande course" ! En plus, toi tu as subi des conditions météo dantesques ! Et je reste évidemment bouche bée devant ces martien(ne)s qui bouclent la TDS en une quinzaine d'heures, frais et au lit au moment où le gros du peloton se traîne encore au Cornet de Roselend ...
Commentaire de yoshi posté le 11-03-2014 à 09:33:58
Ah la la j'aurais jamais du lire ton CR, ça me fait trop flippé, moi qui fait du trail que depuis un an, je me suis inscrit à la TDS 2014 ! ce qui me fait le plus peur ce sont les passages sauvages techniques même si j'ai pas mal progressé depuis Sierre Zinal de l'année dernière. En tous cas, je vais adopter une allure qui aura juste pour objectif de finir, quitte à marcher les 3/4 du temps, finir vers les 400eme, j'y pense même pas !
Commentaire de Renard Luxo posté le 11-03-2014 à 10:29:39
Bonjour Yoshi, si çà peut te rassurer je n'avais pas plus d'expérience que toi avant d'entamer cette TDS et j'ai marché dans tous les cols (et même en descente à la fin ...). Et malgré cela, il y a moyen de terminer bien avant les barrières horaires. Espérons que nous bénéficierons du même temps qu'en 2013, alors soit certain que çà va le faire !!!
Commentaire de Matchbox posté le 17-08-2015 à 20:17:34
Ne pouvant pas être de la fête cette année je me délecte de tout les CR qui traînent au sujet d'une des courses de l'UTMB et le tiens est vraiment passionnant. Je me suis régalé !
Commentaire de Renard Luxo posté le 17-08-2015 à 21:06:35
J'y suis pas non plus sniiiiiifffff. Et même si je fais l'UT4M dans qq jours, je n'ai pas honte de dire que le barnum chamoniard va me manquer, d'ailleurs je compte bien refaire la TDS en 2016. Merci d'avoir exhumé mon récit, c'est comme l'ultra en live, on l'écrit avec ses tripes.
Commentaire de arnauddetroyes posté le 27-10-2015 à 22:48:06
je relis des cr de la tds en prévision de 2016 et le tiens me seras surement très utile.
Très difficile de faire mieux question ressenti et volonté ,génial d avoir osé s inscrire sans grande expérience ,mais la preuve en est que ça peut quand même le faire si la volonté est forte.
Bravo le belge ;)
Commentaire de Renard Luxo posté le 27-10-2015 à 23:02:18
Comme tu vois Arnaud, un p'tit gars du plat pays, sans aucune référence ultra, ni montagnarde, ni expérience nocturne pour le surplus ... peut parfaitement boucler la TDS sans titiller les BH. Alors je ne m'inquiète pas pour toi ! Bonne prépa, et RV à Courmayeur en 2016, si le sort est avec nous ...
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