Récit de la course : 100 km de Millau 2010, par arthurbaldur
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Mieux vaut tard que jamais ...
Le récit en image.
Le 100 km de Millau est une épreuve de course à pied sur route goudronnée appartenant à la famille du grand-fond. C'est le plus vieux 100 kilomètres français. Il se dispute à Millau tous les derniers samedis du mois de septembre depuis 1972.
Comme chaque année, l’épreuve part de Millau pour une première boucle de part et d’autre de la rivière Tarn, correspondant à la distance du marathon. Elle conduit les coureurs à l’entrée des Gorges du Tarn avant un retour sur Millau. Puis les concurrents s’élancent vers Saint Affrique pour un aller-retour avec à chaque fois l’ascension de l’incontournable route de Tiergues où se fait souvent la différence. Cette deuxième partie du parcours donne également l’occasion aux concurrents de passer à deux reprises sous le célèbre Viaduc de Millau, le plus haut du monde.
Voilà, ça c'est pour la petite description qui va bien, issue du site officiel.
Pour être tout à fait honnête, faire un 100 km était loin d'être en tête de mes priorités sportives. Il y a tant de courses à effectuer en pleine nature, de sentiers à découvrir. Dans ces conditions, pourquoi se décider à franchir le pas ? Et bien par curiosité, parce qu'il faut croire que je suis définitivement accroc aux trucs à la con et parce que l'occasion fait le larron.
Mes compères Oslo et Tazounet ont décidé de participer aux 100 km de Millau.
L'attrait d'un weekend festif, le plaisir de partager quelques pâtes et de trinquer, une mousse à la main, avec des personnes de bonne compagnie, il ne m'a pas fallu longtemps pour me décider. Et puis, quant à faire un seul et unique 100 km (ce ne sera certainement pas le cas du reste) autant que ce soit à Millau. Voilà pour le premier effet kiss cool.
Le deuxième effet kiss cool s'est produit quand l'ami Jean Mik m'a annoncé son désir de jouer au suiveur haut de gamme. Autant vous dire que ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Je me suis empressé de recueillir sa griffe au plus vite avant qu'il ne change d'avis. C'est qu'il faut être un peu fêlé pour envisager de rester le cul collé sur une selle de vélo pendant … longtemps on va dire. Un truc à rester fâcher définitivement avec son amour propre. Surtout à l'allure d'escargot envisagée par votre humble serviteur.
Tazounet a réussi à convaincre un deuxième fêlé en la personne de Michaël. J'imagine bien le truc au téléphone : « Salut Michaël, ça va ? Dis-donc, ça fait un bye qu'on s'est pas vus. Ca te dirait de faire une petite balade coolos en vélo histoire de se voir ? » Sûr que pour l'allure, c'était coolos, pour la durée de la balade moins sûr.
C'est à quatre (Tazounet, Michaël, Jean Mik et moi) que nous quittons l'Arbresle dans la Tazmobile, à savoir le camping-car tout confort de l'ami Tazounet. Faut avouer que c'est bien pratique et sans doute la meilleure solution pour limiter l'inflation du budget sport. Oslo quant à lui jouera au poor lonesome runningboy et descendra à Millau par ses propres moyens.
La météo est une abomination. Nous ferons une partie du trajet sous des trombes d'eau et le ciel gardera une couleur quelque peu déprimante le reste du temps. Humide et froid voilà un bon résumé de la situation. Ce n'est guère motivant pour une balade de 100 bornes. Je ne regrette pas d'avoir pris la veste de pluie … Cela dit, le moral reste bon, la perspective de ce weekend entre potes y est pour beaucoup.
Nous arrivons à Millau vers 17h, ce qui nous laisse largement le temps de retirer les dossards et de papoter avec Oslo, Teraflop et Régine. Des vrais pipelettes ces coureurs !
Ensuite, c'est l'apéro d'avant course et la p'tite mousse qui va bien accompagnée, pour l'occasion, d'une saucisse sèche offerte par Jean Mik. Sympathique la production locale de saucisse, un vrai rayon de soleil pour amateur de bonne chair. Une bonne pasta plus loin et il est temps de faire un gros dodo. Tazounet a fixé le réveil à 6h30, ce qui devrait nous laisser suffisamment de marge pour être au parc de la Victoire à 8h30.
Enfin, c'est ce que je pensais avant de sombrer dans les bras de Morphée … Il s'avère que la marge prévue ne sera pas de trop. On ne va pas le changer notre Tazounet, faut toujours qu'il fasse sont dernier pipi juste avant de partir …
Samedi 25 septembre :
J'ai opté pour une tenue légère. Pour le bas, un petit short échancré histoire de faire craquer la gente féminine. Mon père me disais souvent qu'il avait « les jambes qui ont fait trembler Hollywood », l'occasion de vérifier s'il m'a transmis ce gène. Pour le haut, je panacherai suivant le besoin du moment deux t-shirts. Un manches courtes et mon t-shirt manches longues de finisher du trail Verbier parce que je l'vaux bien. Pour compléter ma tenue de jeune coq, la casquette du trail de Verbier (c'est plus de l'amour, c'est de la rage) non pas que je craigne de souffrir d'un trop plein de soleil mais parce que c'est bien pratique pour se protéger de la fraicheur en soirée et parce que la visière me protégera les yeux en cas d'averse. J'ai confié un coupe-vent sans manche et une veste de pluie à l'ami Jean Mik : il paraît qu'il va faire frisquet à la tombée de la nuit.
Côté ciel, c'est loin d'être le grand beau mais il ne pleut pas, c'est toujours ça de gagné.
Nous rejoignons le Parc de la Victoire peu après 8h30. Il faut se faire enregistrer, étape obligatoire avant de retourner à l'entrée du parc pour se joindre au peloton. Nous avons retrouvé Oslo et Teraflop puis nos suiveurs nous quittent pour rejoindre ensemble Aguessac aux environs du 7ème kilomètre. Nous ne prenons pas le départ ensemble, le peloton est suffisamment dense comme cela pour ne pas ajouter une multitude de vélos. On peut même dire que ça grouille de monde !
L'heure du départ approche, nous nous dirigeons en procession vers le lieu de départ situé un peu plus loin dans le centre ville. Le son de la fanfare qui nous précède, les cris et les applaudissements des spectateurs qui se pressent de part et d'autre de la rue, c'est jour de fête à Millau assurément. Encore quelques minutes à attendre dans le peloton et ...
La belle ...
C'est parti. Enfin, c'est surtout le cas pour les coureurs en tête de peloton. On distingue difficilement ce qui se passe réellement devant mais je suppose que les cadors de la première ligne ont pris un départ boulet de canon. "Pensez-vous, ma bonne dame, ce n'est pas étonnant, on raconte que des marathoniens participeraient chaque année aux 100 km de Millau !" "Des marathoniens ? Ici ? A Millau ? Au sein même de la Mecque de l'Ultra ! Vous n'y pensez pas voyons, comment résisteraient-ils à l'appel de la côte de Tiergues ? Impensable !" A notre niveau, le départ est en tout cas beaucoup moins tonique. Le peloton s'ébroue lentement. A défaut de courir, nous marchons, nous rapprochant peu à peu de l'arche de départ. Et puis à peine franchie, la route semble s'ouvrir subitement devant nous et tout le monde se met à courir. J'enclenche le chronomètre de ma montre. Ca y est, nous sommes vraiment partis.
Je surveille mes cocos du coin de l'œil, l'air de rien. Tazounet et Oslo sont juste là quant à Teraflop, il s'éloigne déjà inexorablement. Mon plan de route est simple : se caler le plus longtemps possible à une vitesse de 10 km/h et lâcher du lest au moindre signe de faiblesse. Il faut absolument que je prenne un peu d'avance sur la première boucle car le profil de la seconde fera chuter inexorablement mon allure sans même parler de la fatigue qui aura largement commencé son travail de sape.
"Salut. Arthur ?" Je suis tiré de mes pensées par Arno avec qui j'ai échangé récemment quelques commentaires sur mon blog. Depuis le début de l'année nous avons inscrit quelques courses communes à notre tableau de chasse (Nivolet Revard, Ultra des Coursières) mais c'est à Millau que nous aurons eu l'occasion d'échanger pour la première fois quelques mots de vive voix en trottinant le long de l'avenue Jean-Jaurès. Sacré coup de chance de tomber l'un sur l'autre dans cette masse de coureurs ! L'échange fut un peu court (je n'ai même pas eu le temps d'admirer tes belles Hoka) mais je ne voulais pas perdre de vu l'ami Tazounet. J'avoue que l'idée d'un petit remake du final des Templiers ici à Millau m'électrise délicieusement les synapses. Le truc idéal pour flatter un égo bien malmené par l'ami Biscotte à Verbier. Je fais mes adieux à Arno et je m'élance dans le sillage de mes deux compères.
Le moins que l'on puisse dire c'est que le peloton est dense mais les trottoirs n'ont rien à envier à la chaussée. Une foule de spectateurs se presse de chaque côté du flot des coureurs pour regarder passer les barjots que nous sommes. Des bras agités frénétiquement par ici, un prénom scandé par là, beaucoup sont là pour encourager un proche, les autres sont venus assister en simple badaud au spectacle de ces quelques 2000 coureurs partis à l'assaut des routes millavoises.
Nos pas nous conduisent rapidement hors de la ville. Après un ultime rond point, nous rejoignons le Tarn que nous allons longer pendant toute la durée de cette première boucle.
J'ai rarement d'excellentes sensations en début de course. Il faut que le corps s'échauffe et que l'esprit rentre dans la course et pour le moment il a bien du mal à rentrer dans quoi que ce soit. J'ai mal au bas du dos et mon fascia latta a décidé de jouer de la balayette sur le condyle de mon genou droit. Génial, je n'ai pas fais 5 bornes et je commence déjà à souffrir. Ca promet d'être sympa. La douleur est tout à fait gérable pour le moment mais en rajoute une couche côté appréhension. Ben oui, j'avoue appréhender quelque peu de m'être lancé dans cette gageure. La distance en elle-même ne m'effraie pas le moins du monde ni même la durée d'effort que j'ai prévu pour la parcourir dans son intégralité, mais j'ai peur de trouver bien monotone cet effort constant sur le bas côté d'une route sans fin. Cela me semble bien moins ludique que cheminer le long d'une monotrace en montagne. Cela dit, je suis venu pour me forger un mental de guerrier prêt à tout. Je ne pense pas être déçu.
Je suis un peu surpris par l'avance des meneurs d'allure. Yoyo qui donne le tempo pour un objectif de 14h est toujours devant nous. Ben merde, il est en train de mijoter sa p'tite troupe façon cabornara ou c'est nous qui sommes à la ramasse niveau timing ?
Nous finissons tout de même par le rejoindre. Faut quand même pas déconner, nous avons signé pour une balade de 12h et il n'est pas question de laisser les mousses se réchauffer. Bon, nous ne sommes pas des sauvages non plus alors nous prenons le temps de papoter un moment avec lui. De quoi ça parle un trailer qui trottine sur une route à Millau ? Des Templiers, mon neveu. "Ils vont passer par ici, ils repasseront par là ...". Au vu des paysages qui nous entourent, il y a de quoi concocter des parcours forts sympathiques et se faire bien chauffer les cuisses. Un régal. On abandonne bientôt l'ami Yoyo. Il nous a rappelé avec raison que nous n'étions pas censé nous trouver là compte tenu de nos objectifs ...
Nous arrivons au premier ravitaillement à Aguessac. J'ai décidé de ne pas en louper un seul mais de veiller à ne pas m'éterniser. Ca m'évitera les remarques habituelles de l'ami Biscotte quant à mes temps de pause à rallonge. Remarquez, il n'a pas tort et ça m'agace. Je prends deux trois gâteaux, un peu de chocolat sans être spécialement attiré par un des ces aliments en particulier.
Mes deux loustics n'ont même pas pris le temps de s'arrêter. Les bougres, on ne peut pas leur tourner le dos une minute ...
Je m'efforce de rejoindre mes compères sans me mettre dans le rouge. A la sortie du village nous avons rendez vous avec nos suiveurs. Pfft, je dois être un peu à l'ouest, j'avais complétement oublié l'ami Jean Mik ! Bon, il faut me comprendre habituellement je porte plutôt mes affaires sur mon dos, le suiveur c'est une première. Nos compères sur deux roues nous attendent dans trois zones réparties par numéro de dossard. Les numéros pairs sur le côté droit de la chaussée, les numéros impairs à gauche. Mine de rien, faire se retrouver facilement coureurs et suiveurs nécessite un minimum d'organisation.
Même sans être totalement le foutoir on ressent comme un moment de flottement, un léger flou en traversant les zones de retrouvailles. La situation semble même créer un peu de stress. "T'as vu Paul ? Je ne sais pas où il est, je crois que je l'ai loupé ..." Certains sont même au taquet niveau poisse et semblent bien pensif devant un pneu aussi plat qu'une montagne bretonne. C'est qu'il faut être quand même un minimum équipé pour faire 100 bornes en vélo ... Ce n'est quand même pas du luxe de prévoir une chambre à air de secours et une pompe.
Ah, voilà l'ami Jean Mik et sa fidèle Rossinante, prêt à affronter tous les moulins de la création. On se fait un petit signe mais je ne m'arrête pas, il n'aura pas de mal à revenir à mon niveau ! "Alors mon Jean Mik, comment vas-tu ?" On se fait un petit topo sur ce qui s'est passé depuis le départ (nos suiveurs ont profité de notre absence pour faire chauffer un peu la gomme en se rendant au point de rendez-vous), on s'enquiert de notre forme respective (bon j'ai évité d'affoler les troupes avec mes petites douleurs à la con) et dans la foulée on en profite pour faire un petit point sur mes besoins du moment. Des besoins je n'en ai pas vraiment à part celle de m'arrêter à la terrasse ensoleillée d'un troquet pour boire une bonne mousse et tailler une bavette. Faut se faire une raison, ce sera pour plus tard.
Le silence reprend rapidement ses droits. On en brûle des calories à papoter et il vaut mieux que j'économise mon souffle. Dès lors, je me concentre sur ma course et Jean Mik me suit, tantôt à mes côtés, tantôt légèrement en retrait derrière moi ou bien encore en prenant un peu d'avance pour faire un cliché ou dépasser rapidement un groupe de coureurs. Un truc me vient à l'esprit en le voyant batifoler tranquillement à mes côtés. Me voilà relégué bien malgré moi au rôle de Sancho Panza suant et soufflant tandis qu'il endosse celui de don Jean Mik, frais comme une rose venant d'éclore, pédalant nonchalamment le nez au vent. Se retrouver écuyer, un comble pour Arthur ! Cela dit, don Jean Mik est bien plus appliqué à la tâche qui lui est dévolue qu'il n'y paraît à la première lecture.
Lors de ma cogitations pré-compétitive, j'avais pensé porter à la main pendant toute la durée de la course une petite bouteille d'eau de 33cl (j'ai dit de l'eau) pour pouvoir m'hydrater à ma guise. Une fois vide, Jean-Mik se chargerait d'en effectuer le remplissage au prochain ravitaillement et me fournirait en échange sa sœur jumelle prête à l'emploi (non Jean-Mik, je ne parle pas de ta sœur). Il a en fait bien vite réclamé ma bouteille. Ca lui faisait de la peine de me voir la porter à la main. Il a dès lors pris en charge totalement mon hydratation. A intervalle régulier, il se portait à mon niveau pour me tendre ma bouteille sans que j'aie à la réclamer ni même à y penser. Un intervalle d'une dizaine de minutes j'imagine. Je me suis d'ailleurs aperçu que je ne pensais pas suffisamment à boire car j'étais souvent surpris lorsqu'il me tendait la bouteille. Quoi déjà !
Bon, c'est bien sympa tous ces vélos mais ça prend de la place et c'est comme en bagnole sur la route : il y a des barges de chez barges. J'irai pas jusqu'à dire qu'on risque sa vie à courir au milieu de cette forêt de roues, de pédales et de guidons mais il faut avoir l'œil vif et faire gaffe à ses petons. J'ai frôlé la catastrophe à plusieurs reprises avec mon 46 fillette. Une pensée toute particulière à cette jeune écervelée arrêtée sur le bas côté et qui n'a rien trouvé de mieux que s'élancer sur la chaussée au moment même où je passais. Une mention spéciale également à ce cycliste tractant une carriole derrière lui. Non content de déboiter régulièrement devant mon auguste personne sans avoir conscience, de toute évidence, de la longueur de son attelage, lui et ses compères avaient également la fâcheuse idée de rouler de front rendant veine toute tentative de les doubler. Allez, je ne leur en veux pas. Je me suis occupé l'esprit un moment en cherchant plein de nouveaux noms d'oiseaux.
Mon dos et mon fascia semblent s'être faits une raison. La douleur s'est atténuée, se limitant désormais à une simple sensation de gêne ténue. Je suis chaud, mon corps s'est habitué à l'effort et il se fait peu à peu oublier. Les endorphines y sont probablement pour quelque chose. J'ai très légèrement augmenté ma vitesse moyenne qui doit se situer à un bon 10 km/h.
Je précède mes compères d'une bonne centaine de mètres et cela me sied bien au teint.
Les kilomètres défilent lentement mais sûrement, rythmés par les prises d'eau à chaque fois que Jean-Mik me tend ma bouteille. Pas besoin de penser, il me suffit de courir et de vérifier de temps en temps ma vitesse de croisière. Cela me laisse tout le loisir de contempler le paysage. Le Tarn s'écoule paisiblement sur ma droite, des prairies verdoyantes alternent avec les parcelles labourées et les cultures. Au-delà, la forêt de feuillus monte à l'assaut des collines et prend pied sur les sommets environnant sans parvenir à dissimuler à notre vue les roches claires des falaises du Causse. Vieilles chapelles aux murs de pierres, châteaux en ruine dominant les gorges depuis les hauteurs et habitations à flanc de colline complètent à merveille le paysage. J'en oublie la noirceur de l'asphalte.
J'avais imaginé ne pas m'arrêter aux ravitaillements. Jean-Mik se chargeait de faire le plein de nourriture qu'il me donnait ensuite au besoin. Tout cela pour éviter la cohue aux ravitaillements et pour ne pas perdre de temps. Je ne crois pas m'être arrêté aux ravitaillements de Rivière sur Tarn mais mes bonnes résolutions (peut -être pas si bonnes du reste) ont été oubliées dès le ravitaillement de Boyne. Je ressentais le besoin de m'arrêter, d'échanger quelques mots avec les bénévoles affairés, de prendre plaisir à découvrir les aliments que j'allais manger disposés soigneusement sur les tables. De manière à faciliter l'accès aux tables, les cyclistes étaient invités à poser leurs montures au préalable.
Finalement on passe son temps à manger à Millau ! Avec un ravitaillement toutes les 30 minutes environ tu n'as pas le temps de digérer que tu en remets à nouveau une couche. Ce n'est plus une course c'est une balade gastronomique.
Ma position en tête de course, dans notre groupe de lascars s'entend, est sur le point d'être mise à mal. Les bougres, ils ne respectent rien ! Dans le village de Peyreleau, juste après le Rozier, c'est Oslo qui ouvre la marque en me dépassant rapidement par la droite. Bon, je ne me faisais pas d'illusions et j'étais même plutôt surpris de le voir encore dans mon sillage après plus de deux heures de course. Impossible de tenter quoi que ce soit pour le suivre, de toute façon, il aurait été totalement vain et parfaitement suicidaire de le faire.
Peyreleau est un village pittoresque fort sympathique pour qui cherche un lieu de villégiature. De vieilles demeures en pierres s'abritent les unes contre les autres au pied d'une énorme tour carrée crénelée, seul vestige du Château de Peyreleau. Un régal pour l'œil et pour les cuisses car le village abrite une des premières difficultés. Une côte suffisamment pentue pour m'obliger à marcher. La route forme un lacet en épingle. J'aperçois Tazounet en contrebas, il a un bon rythme, j'ai le pressentiment que je ne vais pas tarder à me faire bouffer tout cru. Effectivement, ce sera le cas un peu plus tard à l'occasion d'une pause pipi. C'est bien beau une hydratation aux petits oignons mais ça implique quelques arrêts indispensables pour vidanger l'organisme.
Le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est pas tout plat dans le coin. Le profil est même plutôt du genre tourmenté entre Peyreleau et Cresse. Bon ce n'est pas Verbier évidemment mais je plains franchement nos amis marathoniens s'ils comptent faire un chrono sur ce genre de parcours. J'ai lu à plusieurs reprises que la première boucle était plate … ben on ne doit pas avoir la même notion du plat. La seconde boucle promet d'être sympa pour les guiboles.
Me retrouver à la traîne a fait baisser mon curseur peps d'un cran (le mental si vous préférez). Me voilà passé du niveau « Je suis le roi du monde. » à « Bon, c'est bien beau tout ça, mais on se la boit quand la mousse ? ». A vrai dire je n'ai guère envie d'une bière en ce moment. Un problème prend peu à peu une place de plus en plus grande dans mes pensées bien malgré moi. J'ai un de ces mal de bide. Pfft, c'est quoi cette galère ! Il va falloir envisager un arrêt aux stands.
Je laisse filer les kilomètres à la recherche du bosquet qui me garantira le minimum d'intimité requis. Point de bosquet idéal, il me faudra faire avec un arbre, une haie voir peut-être même me contenter d'un mini buisson. Non, voilà qui est mieux : un transformateur EDF. « Jean-Mik, mes mouchoirs s'il te plaît ! » Quel brave suiveur, et fin logisticien de surcroit, le voilà qui me tend un rouleau de papier toilette molletonné, triple épaisseur, du grand luxe !
Au vu des vestiges découvert derrière le mur du transformateur, les lieux ont été très prisés par les coureurs qui m'ont précédés. Peu disposé à poser mon royal séant sur les reliques de mes prédécesseurs, je tente de descendre le talus qui jouxte le mur arrière du bâtiment.
L'opération est délicate, le talus est abrupt, plus profond qu'il n'y paraît, mes jambes se dérobent dans la pente glissante et me voilà accroché aux branches, les muscles tétanisés par l'effort. La plaisanterie aura été coûteuse en énergie ! Il faut croire que le trail me manque …
Je rejoins Jean Mik un peu plus tard plutôt satisfait du bilan de l'opération : j'ai bien failli me casser la margoulette, mes narines seront très certainement marqué à vie par la force des effluves mais l'intensité de mon mal de bide a très nettement diminué et celui-ci semble même sur le point de disparaître complètement.
Les kilomètres s'enchaînent. Je n'ai plus de douleurs abdominales, les jambes vont bien (dans la mesure du possible), je n'ai pas à subir les affres de l'hypoglycémie ni même les conséquences d'un simple coup de bambou mais force est de constater que je ne suis guère motivé et que la tête n'est pas vraiment à son affaire. J'envisagerais presque de jeter l'éponge à la fin de cette première boucle. Mais bon, j'ai décidé qu'il y aurait zéro abandon en 2010 alors je serre les dents, je ferme ma gueule et j'avance en donnant le change.
Le moral reprend un peu des couleurs en arrivant sur Millau. Heureusement car l'avenue de Millau plage est à classer dans le genre interminable. Voilà le panneau des 40 bornes. J'ai hâte d'en terminer avec cette première boucle. La savoir derrière moi ne fera pas de mal côté mental.
On rejoint le centre ville en traversant le pont de Cureplat que je franchis à la suite d'une jeune vétérane casaque rose, jupette blanche. Madame est du genre très affutée mais pas suffisamment pour résister à mon envie d'en finir avec cette première partie. La traversée du cœur de l'agglomération dans la circulation automobile n'est pas ce qu'il y a de plus agréable mais les quelques encouragements viennent compenser ce petit désagrément.
Tiens mais c'est l'ami Oslo. Je suis surpris de le croiser. Je pensais qu'il avait beaucoup plus d'avance sur moi. Monsieur est resté (très) sage jusqu'à présent, je ne voudrais pas être à la place de ses semelles quand il va se décider à desserrer le frein à main. Ca risque de chauffer !
Un peu plus loin, c'est au tour de Tazounet de me faire coucou alors que je remonte l'allée dans le Parc de la Victoire. Hum, il n'est pas bien loin l'ami Tazounet. Des neurones paisiblement endormis dans les recoins les plus obscurs de mon cerveau se réveillent brusquement, des branchements trop longtemps oubliés sont réactivés. Ca palpite, ça grésille, des étincelles jaillissent générant de délectables et inavouables pensées. Toi mon gaillard, je m'en vais te préparer un maravage spécial Arthur. Ce sera du lourd, du saignant, du légendaire, tu vas m'en dire des nouvelles … Ce sera pour moi une source de motivation toute trouvée pour les prochains kilomètres. Me voilà tout ragaillardi en pénétrant dans la salle du parc de la victoire qui abrite le ravitaillement.
Ca fait bizarre de passer à deux pas de l'arrivée alors qu'il reste 58 bornes à parcourir. Un petit coup de poêle à frire. Je viens de boucler le marathon en 4h38. Une bonne heure de plus que mon meilleur chrono sur la distance. Il devrait me rester quelques forces pour la suite. Je fais le plein d'énergie mais je ne m'attarde pas trop, la chasse au Tazounet est ouverte.
La bête ...
Je rejoins Jean Mik à la sortie du ravitaillement et c'est reparti pour un tour. Il faut à nouveau retraverser une bonne partie de la ville. La circulation automobile est plutôt dense par endroit et les bénévoles qui veillent sur notre sécurité nous invitent à être vigilants et à rester à l'abri sur les trottoirs. Nous serons plus tranquilles après avoir traversé le Tarn et quitté Millau car nous emprunterons une voie cyclable séparée de la chaussé par un terre-plein pour nous rendre à Creissels.
J'ai particulièrement aimé le ravitaillement de Creissels. Une petite place, un marabout pour abriter des bénévoles enjoués et des tables bien garnies. J'ai un petit échauffement au pied droit qu'il faut vite traiter pour éviter qu'il ne dégénère. Assis sur un banc, je prolonge un peu ma pause pour me passer une épaisse couche de Nok sous le regard attentif d'une jeune enfant. Elle semble perplexe devant ce tartinage plantaire consciencieux. « Tu vois, c'est pour éviter les ampoules ... ». Mon sourire n'a pas dû être assez avenant ou ma voix fatiguée a dû paraître trop bourrus, je n'ai pas eu la moindre réponse !
Ca monte encore un peu après le ravitaillement avant de redescendre sur le centre commercial de Raujolles si j'en crois les indications inscrites sur le profil de la seconde boucle. Rien que du bien gentil pour le moment mais ce que je découvre maintenant me semble nettement plus sympathique ! La première difficulté véritable de la course nous attend avec cette fameuse montée au viaduc. La départementale 992 prend subitement des allures de rampe de lancement et s'élance droit dans la pente à l'assaut de la colline et du viaduc. En plus, la circulation est déviée ce qui n'est pas pour me déplaire.
Sacré ouvrage d'art que ce viaduc. Quand on pense que la plus haute pile culmine à 245m et même 343m en considérant l'ensemble pile-pylone, on ne peut être qu'admiratif pour le travail réalisé par Norman Foster et le groupe Eiffage. Le viaduc de Millau est impressionnant et en plus il est beau.
Pas la peine de gaspiller ses forces dans cette grimpette, je marche dès le début des réjouissances. Marcher, voilà qui me convient tout à fait. Avec la pente, les muscles de mes jambes retrouvent des sensations de trailers plus habituelles. Je laisse les quelques fous qui me doublent s'épuiser prématurément et je me concentre sur le paysage en m'alimentant.
Elle m'a vraiment mis la pêche cette grimpette, j'ai la banane, la frite, la patate … un ravitaillement complet à moi tout seul. Et ça va durer comme ça longtemps. Je commence à l'apprécier cette balade. Vous n'avez qu'à jeter un oeil sur la vidéo qui suit pour en être convaincu. J'ai sorti le sourire des grands jours, un sourire jusqu'aux oreilles. Dommage que le son soit inaudible avec le vent.
A droite, sur l'autre versant, on aperçoit la pile P1 du viaduc que nous avions traversé à l'occasion de l'unique édition de la Piste des … (je m'autocensure, j'ai promis de ne plus en parler).
Le viaduc et ses gigantesques piles sont derrière moi. Nous avons pris à nouveau le temps de faire quelques poses photos pour la postérité. Arthur dans la côte de Raujolles, Arthur lève les bras, Arthur devant la pile du viaduc, Jean Mik m'aura refait le portrait en long et en travers tout au long de ces 100 km. Un vrai book et sexy en plus, short échancré sur cuisses de velours.
J'enquille dans la longue descente sur Saint-Georges de Luzençon à la poursuite de Nathalie avec qui j'échangerai quelques mots beaucoup plus tard dans la montée de Tiergues. Elle est impressionnante de régularité comme de nombreuses féminines. Je suis plus rapide qu'elle notamment dans cette descente mais elle s'avérera bigrement efficace dans sa gestion des ravitaillements et dans sa propension à me rattraper au moindre fléchissement de ma part. Probablement une cousine de Mamanpat.
Le pourcentage de la pente est modéré. J'adore laisser dérouler mes grandes guiboles dans cette descente. Après m'avoir demandé si je ne manquais de rien, Jean Mik m'a abandonné un moment pour se laisser aller dans la pente. Se traîner à moins de 10 km/h doit être frustrant pour les suiveurs. Bon forcément, j'ai eu soif dès lors qu'il n'a plus été là !
Le ravitaillement de Saint Georges de Luzençon est abrité dans une salle à laquelle on accède après avoir traversé une petite cour. J'ai la surprise de voir Michaël assis tranquillement dans la salle. Aurais-je rattrapé l'ami Tazounet ? Hum, non il n'est pas dans la salle … « Hello Michaël, ça va ? Il est où Taz ? ». Michaël s'avère être une source parfaite d'informations. Taz a quitté le ravitaillement il y a peu, quelques minutes seulement. Il est en bonne forme, le moral est bon. Le bougre, le maravage ne semble pas être pour tout de suite. A défaut de le rattraper immédiat, je vais tout de même lui mettre un peu la pression à distance. Ben oui quoi, faut bien s'occuper un peu, c'est long un 100 bornes. « Moi aussi Michaël, j'ai la super forme, les jambes vont bien, le moral est au zénith, dit à Taz que j'arrive ... ».
Après avoir avalé un lot de tartines conséquent, je quitte le ravitaillement. Comme à chaque fois, Jean Mik me rattrapera un peu plus tard après avoir fait le plein des bouteilles d'eau et s'être restauré. Les 100 km de Millau est sans conteste la course où j'ai le moins utilisé mon ravitaillement personnel. Une barre en tout et pour tout jusqu'à présent.
Cette portion entre Saint-Georges de Luzençon et Saint Rome de Cernon est un faux plat montant difficile à gérer mentalement. La difficulté, du reste, tient plus à mon désir d'arriver rapidement à cette fameuse côte de Tiergues qu'à la difficulté de la pente à proprement parlé. Je m'autorise quelques rares phases de marche. Je n'ai pas une force mentale suffisante pour m'en dispenser totalement. J'ai doublé régulièrement des coureurs jusqu'à présent. Il me semble que c'est moins le cas désormais. Je fais le yoyo avec quelques coureurs ce qui est somme toute logique à ce moment de la course mais nous avons la surprise à plusieurs reprises avec Jean Mik de voir un coureur, sorti d'on ne sait où, nous dépasser rapidement …
Au ravitaillement du pont de Dourdou, je retrouve mon informateur, espion suiveur infiltré en la personne de Michaël. Il semble que Tazounet soit moins en forme. Une ouverture se profile dans l'optique d'un fumage en règle. Je me vois déjà dans la côte de Tiergues, Tazounet à ma portée, je gagne du terrain sur lui peu à peu. Il sait que je me rapproche inexorablement et sent bientôt mon souffle sur sa nuque. « Coucou mon poulet ... ».
Je rencontrerai le coureur de tête dans la portion qui suit. C'est tout d'abord une voiture avec un afficheur chronométrique sur le toit qui déboule puis quelques instants plus tard une fusée sur deux pattes. Hé bien, pauvre garçon, je n'aimerais pas être à sa place. Ca doit mettre rudement la pression de voir défiler les secondes juste devant son nez quand on veut faire une performance. Déjà que ce pauvre gars ne peut pas profiter des ravitaillements car à ce niveau de performance, ça m'étonnerait fort qu'il en profite beaucoup. Mais en plus de cela, il doit se sentir bigrement seul dans l'effort, son premier poursuivant ne montrera le bout de son museau que bien plus tard et il arrivera à Millau avec 25 minutes d'écart sur le premier. Je ne peux m'empêcher de compatir et l'applaudis chaudement à son passage. Je ferai de même pour les suivants avant qu'ils ne soient trop nombreux tout du moins.
A Saint Rome de Cernon, je m'arrête à nouveau au ravitaillement, je n'en ai pas loupé un seul jusqu'à présent et je ne vais pas commencer à le faire maintenant. Je me délecte avec gourmandise devant la table quand un coureur inquiet me demande si je suis dans le sens de l'aller ou du retour. Silhouette élancée, muscles des cuisses saillants et parfaitement dessinés, short minimaliste de marathonien, tout est là pour créer l'illusion. La sélection naturelle s'est juste plantée lamentablement sur la cylindrée du moteur mais on ne le devine pas quand je suis à l'arrêt. « Non, je pense me faire une petite boucle jusqu'à Sainte-Affrique rapidos mais ne m'attends surtout pas, je te rattraperai en chemin … ».
J'ai croisé Karbone au début de la pente dans la côte de Tiergues. De longs cheveux blonds flottants aux vents, un short hawaïen à fleurs, impossible de le louper. Le sieur Karbone descend à vive allure préférant le terrain irrégulier du bas-côté de la route à la monotonie du bitume, une forte dépendance au trail sans doute. Il me faudra plusieurs coucous appuyés pour qu'il sorte de sa léthargie compétitive et lève la tête pour découvrir celui qui trouble sa quiétude. Courir la tête dans le guidon, je comprends désormais mieux l'expression.
Elle est bien sympa cette côte de Tiergues, une mention toute particulière pour les deux virages en épingle à cheveux que j'ai particulièrement appréciés. Voilà une excuse toute trouvée pour marcher. Cette effort musculaire différent est un vrai soulagement pour mes guiboles. Cela dit, je me fais tout de même un devoir d'allonger le pas pour monter à bonne allure. Quand on s'est tapé 7000 m de D+ à Verbier au mois de Juillet on peut quand même faire un petit effort dans une côte d'à peine 200 m !
Le ravitaillement suivant est en contrebas du village de Tiergues dans un virage peu après avoir rejoint la départementale 993. L'endroit est plutôt venté. J'ai le dos encore un peu moite avec le surcroît de chaleur engendré par notre récente montée. Me voilà avec des frissons dans le bas du dos. Je me refroidis à vitesse grand V. Il s'agit de ne pas trainer.
J'ai apprécié à sa juste valeur l'interminable descente sur Saint-Affrique. J'ai passé chaque seconde qu'elle a duré à me faire violence, à lutter pour ne pas m'arrêter et passer en mode marche. A chaque seconde passée, mon mental se renforçait, se nourrissant de ces petites victoires successives de ma volonté. Que du bon Arthur, que du bon pour le long retour sur Lyon de ma future LyonSaintéLyon ...
J'ai enfin rattrapé l'ami Tazounet. L'opération m'aura pris beaucoup plus de temps que prévu. Moi qui espérait un petit maravage des familles en pleine côte de Tiergues, je n'aurai même pas vu la couleur de ses semelles dans la descente sur Saint-Affrique. En rentrant dans la salle bondée du ravitaillement, j'ai aperçu tout d'abord Michaël avec lequel j'ai échangé quelques mots puis j'ai rejoint compère Taz assis sur une chaise. L'ami Tazounet n'est pas en grande forme, il souffre des releveurs, ce mal classique chez les coureurs de fond. Je sais que la douleur engendrée peut être particulièrement forte. J'en avais fait les frais à l'occasion du Trail des 3 Châteaux en 2009 avec un abandon à la clé … Le releveur de mon pied droit avait souffert du long retour en voiture sur Lyon après la Piste des Seigneurs et je n'avais pas suffisamment récupéré pour la balade suivante au Creusôt.
Un court instant, j'ai peur qu'il veuille jeter l'éponge. Ah non, l'enfoiré ! Il ne va quand même pas me priver de mon petit plaisir. Quand je pense à l'effort surhumain consenti pour le rattraper. Un vrai objectif pour me motiver et ne rien lâcher. Bon, je balance mais il faut dire que c'est un peu la faute à Jean Mik : « Oui, tu vas le manger tout cru, c'est sûr ... ». Un vrai pousse au crime ce Jean Mik !
Je m'empresse de remotiver ma futur victime. « Aller, ça va aller, on va le faire tranquillement ensemble … ». Bon ok, j'avoue avoir menti comme un arracheur de dents mais c'était pour la bonne cause, remettre l'ami Tazounet sur les rails. Une fois qu'il serait sur pied, je ne serais absolument pas certain de résister à la tentation …
Ouf, la douleur semble gérable, je lui laisse le temps pour se refaire une santé et j'en profite pour faire le plein et pour m'occuper de mon 46 fillette à grand renfort de Nok. Il reste tout de même une trentaine de bornes, il ne faudrait pas tomber en rade et risquer une hypo au retour.
Il fait nettement plus froid en sortant de la salle. Suffisamment pour que j'enfile mon t-shirt manche longue. Avec la casquette en complément toujours vissé sur la tête, j'ai la panoplie complète pour faire la promo de l'unique ultra trail de plus de 100 km entièrement Suisse.
Saint-Affrique : 8:24:10
Nous repartons à quatre de Saint-Affrique. La côte de Tiergues est à nouveau au programme avec une ascension par le versant sud ouest récemment emprunté. L'arrêt prolongé à Saint-Affrique m'a regonflé à bloc. J'ai des fourmis dans les jambes et j'ai bien du mal à me contenir. Je succombe avec délice à une phase sympathique d'euphorie. Cela ne m'est pas arrivé depuis bien longtemps. J'ai une sacrée envie d'augmenter la cadence, de forcer l'allure, de jouer quoi. Alors quand ce petit groupe de coureurs nous dépasse à bonne allure dans la pente, la tentation est trop forte, j'accélère brusquement et je leur emboite le pas. Le Tazounet est resté scotché au bitume … « Le flinguer, comme ça, de sang froid, sans être tout à fait de l’assassinat, y’aurait quand même comme un cousinage. »
Un fumage de Tazounet, c'est tellement bon, j'en arriverais presque à oublier ce tout petit remords tapi au plus profond de moi. Un reste d'esprit chevaleresque transmis par mes ancêtres sans doute. Le remords ne m'aura pas travaillé bien longtemps du reste. C'est bien beau d'être joueur mais je suis en train de payer cash mon accélération. Tazounet revient peu à peu à mon niveau malgré ses deux boulets, pardons ses deux releveurs. Je me retourne et ralentis en me tournant vers lui. « Ben alors, tu trainais ma poule ? ». Hum, Tazounet a le visage du gars qui n'a pas aimé se faire chatouiller entre les omoplates et a une furieuse envie de me rendre la pareille. Ce sera chose faite avant même le ravitaillement de Tiergues. Il faut dire que l'animal ne s'est pas arrêté au ravitaillement. Il connait mon point faible pour les tartines de roquefort le bougre !
Sacré point faible du reste que ce temps passé aux ravitaillements car je ne vais rattraper l'ami Tazounet qu'au prochain ravitaillement à Saint-Rome de Cernon soit plus de 10 bornes plus loin ! Il m'aura fait payer cher mon excès de zèle momentané.
Nous décidons d'être sages désormais et de rester ensemble jusqu'à l'arrivée. Tazounet se change pour la nuit. J'ai préféré ne pas rentrer dans la salle et l'attendre sur les marches d'escalier pour ne pas m'habituer à la chaleur. Jean Mik, toujours au top dans son rôle de suiveur, m'a apporté quelques provisions à grignoter et un verre de soupe. Nous avons dépanné un cycliste qui n'avait pas prévu de chambre à air de secours. Jean Mik en bon samaritain prévoyant lui a donné une des siennes. Une crème ce Jean Mik, tout le monde n'a pas le privilège d'avoir un suiveur aux p'tits oignons comme lui.
Pour éviter de nous faire tailler un short, nous avons sorti les frontales. Celle de Tazounet dirigée vers l'avant pour éclairer notre route et la mienne dirigée vers l'arrière pour éblouir nos éventuels poursuivants … meuh non, pour être visible. J'ai enfilé le coupe vent sans manche offert en cadeau à la Montagn'Hard en 2009 pour me protéger du vent.
Pour ménager les releveurs de Tazounet et le propriétaire des releveurs en question (et moi aussi par la même occasion), nous avons opté pour un petit cyrano en 5:1. Rien avoir avec votre home cinéma, nous avons juste alterné des phases de course d'environ 5 minutes (enfin de petit trot) avec des phases de marche d'une minute. Je laisse Tazounet gérer l'alternance des phases, je ne suis plus apte pour assumer le moindre calcul, j'ai débranché ma conscience et seul mon cerveau reptilien est encore aux commandes pour mener à bien son ultime objectif : me ramener le plus vite possible à la couchette du camping-car et à Millau par la même occasion.
C'est la bamboula au ravitaillement du pont de Dourdou. Il y a de la musique à fond, l'ambiance est sympa, j'en ai des frissons de plaisir dans le dos, le cocktail endorphine / adrénaline est explosif, l'euphorie gagne à nouveau du terrain. Chauffé à bloc l'Arthur. A défaut de dance floor, je m'élance à la poursuite de la meneuse d'allure des 13h en train de rameuter sa troupe. Bon, les premièrs mètres m'auront vite refroidi et puis j'ai promis d'être sage ...
Il y a encore quelques coureurs dans l'autre sens même si leur rang est désormais bien plus clairsemé. Quand je pense au chemin qu'il leur reste à parcourir, je ne suis pas fâché d'être de ce côté de la route. Qu'il est long ce faux plat qui nous mène à Saint-Georges de Luzençon même si la pente, légèrement descendante, nous est favorable. Je suis dans ma bulle, perdu dans mes pensées, si proche et pourtant tellement éloigné de mes compères, je regarde sans voir, répond par automatisme. Mon seul lien avec le monde extérieur est cette bouteille d'eau que me tend Jean-Mik à intervalle régulier. Courir, boire, courir, courir, courir … et marcher de temps en temps mais si peu finalement.
Je me réveille devant la salle du ravitaillement. L'ami Tazounet est vraiment fâché avec ses releveurs, il va profiter de cette halte pour se faire soigner. Massage, crème anti-inflammatoire et cacheton devraient le remettre sur pied en principe. Monsieur se la coule douce sur la table de massage, et si l'ostéopathe n'avait pas entamé le dialogue il serait probablement en train de piquer un roupillon salvateur. Et après cela, on dit que je traine aux ravitaillements, on me taille le costard du coureur plus attiré par la tartine de roquefort que par la performance … En attendant que l'ostéopathe fasse des miracles, ils sont forts pour cela, je profite du plaisir tout simple d'être assis sur une chaise à siroter une soupe. Même pas besoin de me bouger, mon fidèle coéquipier est là, toujours aussi prévenant.
Quelle caillante en sortant du ravitaillement ! Je suis frigorifié. T-shirt manche courte, t-shirt manche longue, coupe vent sans manche de la Montagn'Hard et veste de pluie Quechua enfilée à la hâte suffisent à peine à me réchauffer. Il faut dire que le petit short échancré de marathonien est loin d'être idéal pour lutter contre la baisse de température. Grosse déperdition de chaleur garantie ! On nous a annoncé un 4° en température ressenti ! Brrrr …
Une dernière grosse difficulté nous attend avec la remontée au pied du viaduc. Elle aura eu le mérite de nous réchauffer malgré les quelques gouttes tombées à ce moment-là. Nous aurons vraiment échappé au pire côté météo, quand je pense aux trombes d'eaux qui se sont abattues sur nous la veille pendant le trajet ! La montée n'aura pas durée bien longtemps, j'étais occupé à papoter avec un coureur qu'avait rencontré Taz à l'aller. Et puis quel régal pour les yeux de revoir le viaduc illuminé dans la nuit. La lumière blanche qui éclaire chaque pile et le point rouge au faîte de chaque pylône. C'est de toute beauté. Arrivé au sommet, l'ami Tazounet a repris des forces, la douleur s'est atténuée et c'est à bonne allure que nous descendons en direction du centre commercial de Raujolles.
Impossible de terminer sans faire une petite pause technique, preuve de l'efficacité redoutable de l'hydratation façon Jean Mik. Ce bougre de Taz file sans s'arrêter. Oh, la canaille, il ne va quand même pas jouer à l'Arthur, le maravage à la sauvage c'est ma chasse gardée ! Pas le choix, il faut bien que je termine l'action débutée, et c'est immobile face à un buisson que je vois disparaître Tazounet au loin. Je profite de la pause pour prendre un gel, j'ai le sentiment que le final va être musclé … Une petite pause supplémentaire devant le panneau du 95eme km et je me met à nouveau en chasse. Obligé de courir au train après 95 bornes, si c'est pas malheureux. Bon ça va, j'ai rattrapé mon lascar assez rapidement, en presque un kilomètre quand même !
On hésite un peu à s'arrêter au dernier ravitaillement pour passer sous la barre des 13h. Bon c'est surtout Tazounet qui hésite, moi je suis hautement convaincu de l'intérêt d'une halte. Il y a des tartines de Roquefort, probablement les dernières que je pourrai déguster à Millau et l'ambiance à ce dernier ravitaillement est des plus sympathiques. Je me risque même à fredonner « le port d'Amsterdam » avec le chanteur présent au ravitaillement. Le ciel peut bien nous tomber sur la tête, nous sommes si proches de l'arrivée, plus rien ne pourra nous arrêter. On prend la pause pour une photo souvenir, on papote. Après l'effort le réconfort, ben nous c'est également pendant tant qu'à faire.
Michaël reste avec nous tandis que Jean Mik part en avant histoire de faire des photos de notre arrivée. Maintenant que nous avons bien trainé, il ne reste plus qu'à avoiner, ben oui quant à faire les choses autant les faire bien, enfin à fond. On va tenter de la passer cette barre des 13h !
Et voilà mon Tazounet qui part comme une balle, enfin à l'allure d'un footing rapide. Et ben purée, je vais le sentir passer le final, j'en viendrais presque à regretter d'avoir trainé au ravitaillement, on aurait pu se faire un finish plus light. Bien qu'un peu inconfortable, l'allure est restée raisonnable jusqu'à présent mais après avoir traversé le pont Lerouge, Tazounet en remet une couche …
« Ca va mon poulet ? ». Ca va, ça va, il en a de bonne lui … J'ai l'impression de faire ma séance au seuil du dimanche matin au parc de Lacroix Laval. C'est pas que j'agonise, j'ai encore de la marge, je dirais même que je suis en train de me faire sacrément plaisir mais purée c'est dur, sacrément dur, faudrait pas que le gag dure trop longtemps. « Oui, oui, ça va, pas de problème. ». Ben oui, quoi, règle number one : ne jamais montrer le moindre signe de faiblesse à un Taz en forme. Faut pas tenter le diable. Facile celle-là, c'en est honteux. N'empêche aucune pitié pour son compère vétéran, à peine avais-je débité cette réponse à la con que notre allure augmentait à nouveau d'un cran !
Elle est longue cette traversée de Millau … il me semble que nous accélérons encore, je vire au rouge et le temps semble se dilater à l'infini. Je suis sur le point de rendre grâce sur l'avenue de la République, j'ai affreusement mal aux jambes, chaque muscle et tendon de mes jambes se rappelle vigoureusement à mon bon souvenir mais pour rien au monde je ne lâcherai prise. Un virage à droite et nous pénétrons enfin dans le parc de la Victoire.
Au sprint ! Nous avons remonté cette p.... d'allée au sprint, en jetant nos dernières forces dans cet ultime effort. Des vrais barges ! Mais arrivée à l'entrée de la salle, après avoir gravi la rampe métallique, nous nous sommes arrêtés et c'est bras dessus bras dessous que nous avons franchi la ligne d'arrivée en frères d'armes ...
[center]Nous avons vaincu la bête ensemble.[/center]
On nous remet à chacun notre diplôme de finisher. Ca ne rigole pas côté organisation, tu passes la ligne et hop on t'édite illico presto le diplôme avec ton nom, ton classement et ton temps qui va bien. Bon enfin qui va bien, ça c'est vite dit mais l'important n'est pas là. Les flash crépitent, on prend la pause pour la postérité, on le mérite quand même un peu, on est cenbornard.
Il me faudra ensuite un long, très long moment de repos, assis le cul sur une chaise et les pieds en éventails sur une table, avant de me décider à bouger de nouveau. J'ai rarement eu une telle flemme. Le repas d'après course m'aura bien requinqué. Mais purée qu'est-ce que j'ai eu du mal à remonter dans la couchette supérieure du camping-car !
Quel bilan tirer de cette balade ?
J'ai enfin eu le bonheur simple de partager l'arrivée d'une épreuve au long cours avec un de mes compères. Des arrivées aux petits oignons, j'en ai connues quelques-unes. Certaines m'ont particulièrement marqué. Ce fut le cas de la Piste des Seigneurs que j'ai terminée avec une sensation de facilité et un sentiment de puissance jamais ressenti de façon si intense depuis. Au panthéon de mes meilleurs souvenirs, le Trail des 3 Châteaux avec un final au sprint d'anthologie entre Biscotte et moi. Quel pied ! J'ai d'excellents souvenirs de fumages et de maravages sauvages dans la joie et la bonne humeur. Dans un autre registre, il y a la CCC 2008 et cette arrivée dans Chamonix avec Line au terme d'une course commune de 98 km et puis bien sûr la LyonSaintéLyon de nouveau avec Line. Ma femme et ma sœur nous avaient rejoints à Beaunant pour nous accompagner jusqu'à la ligne d'arrivée. Que d'émotions vécues.
Cette arrivée commune avec Tazounet trouvera également place dans mes meilleurs souvenirs. Un grand merci Taz pour avoir partagé ce moment avec moi.
Autre satisfaction, celle d'avoir partagé cette expérience avec Jean Mik. Notre équipe coureur/suiveur a vraiment bien fonctionné. Si la course est difficile pour les coureurs, il faut pensé que c'est également loin d'être facile pour les suiveurs. La durée de course est importante, l'allure faible et il a fait plutôt froid dès lors que la nuit est tombée … Jean Mik aura été pendant 13h un suiveur prévenant et efficace, bavardant quand je désirais papoter, sachant s'effacer et me laisser dans ma bulle quand j'avais besoin de me concentrer sur mon effort. Un grand merci à toi Jean Mik.
Le weekend passé avec mes compères aura été excellent. Le principal objectif est donc atteint. Et puis j'aurai eu le plaisir de rencontrer Michaël, Teraflop et Régine. La fête quoi ...
Et d'un point de vu purement compétitif ?
J'ai eu quelques difficultés pour déterminer une prévision de temps de course. En ayant quelques ultra trail à mon actif, je n'étais pas néophyte sur de telle distance de course mais je n'avais aucune référence sur laquelle me baser pour un 100 km route.
J'avais pensé 12h30 au début de l'année (voir mon programme des réjouissances pour 2010) puis 11h30 en étant un brin optimiste compte tenu du dénivelé conséquent à Millau.
J'ai couru sur les bases d'un chrono de 12h jusqu'à St Affrique. Jean Mik pourra témoigner en ma faveur, jusque-là je n'ai perdu que peu de temps aux ravitaillements. J'ai bien peur qu'ensuite les tartines de Roquefort aient sabordé un peu mes espérances …
Tout cela pour dire que je devais avoir les cannes pour faire 12h mais qu'il ne fallait vraiment pas espérer faire mieux.
Bon je pourrais balancer l'ami Tazounet comme étant en partie responsable de cette consommation excessive de tartines. C'est vrai quoi, je l'ai attendu patiemment à Saint-Georges de Luzençon pendant qu'il se faisait dorloter sur la table de soins. Ce n'est pas la peine de nier, j'en ai la preuve en photo … Et je ne parle pas de l'attente à Saint-Affrique. Là, vous pouvez imaginer un Tazounet tout vert en train d'enrager devant tant de mauvaise foi. Meuh non mon Tazounet, je plaisante …
Il faut rappeler que Millau était un objectif intermédiaire dans ma préparation pour la LyonSaintéLyon 2010. Une manière comme une autre de travailler le mental au vu des longues portions de bitume qui m'attendent à nouveau sur la LyonSaintéLyon. Le bilan est très positif sur ce point. J'ai finalement assez peu marché, ce qui n'avait pas été le cas, loin s'en faut, lors de mon retour sur Lyon pour la LyonSaintéLyon 2009.
Et la course ?
Une organisation parfaite, des bénévoles sympathiques, des spectateurs enthousiastes, des ravitaillements alléchants, des paysages charmants, un viaduc stupéfiant, Millau mérite assurément sont titre de Mecque des 100 km. C'était superbe … mais je n'y reviendrai probablement jamais, en tout cas pas pour le 40eme anniversaire de la course. Je partirai à la découverte d'une autre région, le Périgord Noir par exemple ou la Vendée … Mais pour être tout à fait honnête, quant à parcourir 100 km à pied, je préfère de loin le faire sur une petite monotrace à flanc de montagne, dans les paysages magnifiques du Valais par exemple ...
Arthurbaldur. :)
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4 commentaires
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 19-12-2010 à 19:56:00
Baldur nous Gate.
Commentaire de arthurbaldur posté le 19-12-2010 à 20:05:00
Excellent ... :))
Commentaire de Jean-Phi posté le 17-10-2014 à 16:14:44
Je ne l'avais jamais lu celui là ! Ca donne des idées pour 2015... De drôles d'idées ! ^^
Commentaire de arthurbaldur posté le 17-10-2014 à 16:25:36
J'en ai de bons souvenirs ... cela dit, c'est pas facile sur le moment.
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