L'auteur : marathon-Yann
La course : 100 km de Millau
Date : 26/9/2015
Lieu : Millau (Aveyron)
Affichage : 1955 vues
Distance : 100km
Objectif : Pas d'objectif
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137 autres récits :
Deux récits pour le prix d'un !
- Le point de vue du suiveur, écrit par mon accompagnateur vélo (Laurent V) et publié ici deux jours après la course,
- Mon récit de coureur, qui a été un peu plus long à écrire (et pas trop long à lire j'espère), que vous trouverez maintenant à la suite de ce récit.
Bonne lecture à vous !
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(29 septembre 2015)
De retour de Millau, j'ai encore les pensées trop éparpillées pour écrire un vrai récit. Bientôt j'espère.
Un sentiment très fort cependant. J'imaginais que ces premiers 100 km seraient un grand moment de combat sur moi-même, que je devais aller chercher au fond de moi la force de tenir. C'était en fait un incroyable moment de fraternité, d'amitié, de partage. Merci à Laurent, mon suiveur et frère, à mes amis qui sont venus de Lyon pour me voir, à tous les copains qui ont commenté en temps réel sur facebook les moments clés de la course.
Et puisque mon frère a vécu la course de l'intérieur, voici son récit, le point de vue du suiveur, dont je n'ai pas changé une virgule.
Les deux frères
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Lendemain du Millau 2015. Impossible de dormir malgré le déficit de sommeil. Tellement d'images en tête.
Cet homme interviewé au départ pour son 43eme Millau. Il les a tous faits depuis la création en 1972. Il dira dans le micro que son meilleur classement a justement été en 1972 où il termina 34ème... sur 35, certes.
Et cet homme que nous croiserons un peu avant 20h à St Georges. Nous étions vers le km 85, lui au 55eme. Il courait avec une jambe rigide, dans une attelle.
Et toutes les personnes âgées assises devant leur porte dans les villages traversés. Leur regard emprunt d'admiration et peut-être de nostalgie.
Et ce couple qui fêtait ses 10 ans de mariage. Elle courant en jupette blanche et dentelle dans les cheveux. Lui en noir sur son vélo, avec cravate blanche et chapeau haut de forme. Ils finiront en 13 heures. Remarquable.
Et ces deux spartiates dénonçant la société de consommation et le marketing du sport qui ont fait les 100 km avec des vieilles sandales crocs rafistolées.
Ma crainte à l'arrivée des premières crampes de Yann. Ce sentiment de sérénité en le voyant repartir. Ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme "mobylette" au foot, ce garçon.
Et ce vieux voûté que nous dépasserons à la sortie de Saint Affrique, au km 72. Mais comment a-t-il fait ?
Johan que nous avons rencontré la veille à la pasta party. Nous le croiserons à la dérive, marchant sur un pied, les pieds perclus d'ampoules. Je me suis arrêté pour lui proposer des pansements. Il m'a dit qu'il en avait déjà, que cela ne servait plus. J'ai cru voir dans son regard qu'il allait pleurer.
Les apparitions de Marc et Agnès à différents endroits de la course. Ils ont traversé la France pour cette surprise.
Cette famille qui avait installé des enceintes devant sa maison pour encourager les coureurs. Ces autres, installés aux terrasses des cafés, qui nous narguaient avec leur bière.
Ce coureur en maillot vert avec qui nous courrions depuis 5 heures 30. Il râlait après sa femme qui n'arrivait pas à le suivre en vélo. Il abandonnera dans la descente après le viaduc, vers le km 55. Sa femme était avec lui à ce moment là.
La gagnante féminine... mère de 7 enfants !
La légère Véronique avec qui nous avons couru les 28 derniers km. Elle était facile, ne s'arrêtait même pas aux ravitaillements. 150 mètres devant nous à 1 km de l'arrivée, elle s'arrêtera à 200 mètres de l'arrivée pour finir à la marche, les jambes raides comme du bois, 1 mn après Yann.
Cet athlète surhumain qui, dans la dernière et rude montée vers le viaduc, avec 90 km dans les jambes, poussait sa femme exténuée en vélo.
Cette policière chargée de la circulation qui encourageait les coureurs.
La clameur de la salle des fêtes au cœur de laquelle se situe la ligne d'arrivée.
Cette petite fille de 6 ans chantant à pleine voix "on a gagné, on a gagné" à l'arrivée de son père.
Le sourire de chaque coureur passant la ligne d'arrivée, le visage creusé par la fatigue, la soif, la faim.
Cet homme qui s'effondrera la tête dans son plateau repas de fin de course, victime d'un malaise vagal.
Cet autre au milieu du réfectoire qui s'arrête brutalement, tétanisé par des crampes. D'abord soutenu par deux personnes, il faudra le porter pour l'évacuer vers les kiné.
Et ces lumières de lampes frontales éparpillées dans la montagne que nous croiserons en rentrant en voiture. Les derniers auront marché/couru toute la nuit pour passer la ligne d'arrivée à 9h du matin, 12h après Yann, 23h après le départ.
Et tant d'autres images encore...
Je suis vraiment ému ce soir, par ces 48h partagées avec mon frère. Bien au delà de l'exploit sportif, ces images m'ont beaucoup apporté. Un sentiment qui vous redonne confiance en l'Homme. En sa force, en sa volonté, en son humanité.
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Le point de vue du coureur
(19 octobre 2015)
C’est l’histoire de deux frères qui décident d’aller à Millau. Le premier, après une dizaine de marathons, a envie de se frotter à l’autre dimension. Apprenant ça, le second a immédiatement proposé d’enfourcher son plus beau vélo et d’endosser le rôle ingrat de suiveur, chauffeur, manageur, reporteur... C’est cela, et c’est bien plus que cela.
« Pour un nouveau-né, tout est nouveau », dit l’adage. Pour un nouveau cent-bornard aussi, à commencer par la préparation. Fort des recommandations d’Edie, je m’applique à courir 400 km par mois. Sans problème en juillet. Fin août, alors que je commence à introduire une bonne dose de dénivelé dans mon programme, une tendinite apparait et m’oblige à me reposer une interminable semaine. Je reprends l’entrainement, et moins d’une semaine après survient un nouvel imprévu, assez inattendu en septembre : la grippe m’oblige à rester au lit une nouvelle semaine. J’en sors 15 jours avant la course, et essaie de gérer au mieux les quelques sorties que je peux placer, entre récupération et remise en forme. Comme je suis un garçon positif, je me dis que ce repos forcé pourrait m’être profitable.
Départ de Paris pour Millau le vendredi, en voiture. Le voyage passe vite : nous échangeons tout le long sur nos courses passées et à venir. Après une inoubliable étape à Clermont-Ferrand, nous arrivons vers 17h à Millau et allons directement retirer nos dossards. Notre rejoignons ensuite notre logement à Saint Georges, où le propriétaire a organisé une pasta party avec les quelques cent- bornards qui remplissent son camping. La conversation tourne évidement autour de la course, des pièges à éviter, de la difficulté pour le suiveur vélo, des 20 à 25% d’abandons… Nous organisons ensuite le chargement du vélo- j’essaie de prendre le moins de matériel possible, avant de nous coucher relativement tôt.
Le bien nommé Parc de la Victoire
Arrivés peu après 8h au Parc de la Victoire, nous avons tout notre temps pour nous préparer. Le vélo est chargé, les sacs déposés au vestiaire, nous nous faisons prendre en photo et nous séparons : les cyclistes prennent un peu d’avance pour éviter les embouteillages. Je passe un peu de temps dans la salle, à écouter le speaker nous parler de la course et nous présenter quelques figures de Millau. C’est une course qui a une histoire, une dimension humaine, incroyables. Je félicite les lapins runners pour leur blog, discute un peu avec un coureur, et nous nous regroupons à l’entrée du Parc de la Victoire, où la fanfare municipale vient nous chercher pour nous mener en cortège à la ligne de départ. Chemin faisant, je reçois quelques SMS d’encouragement, dont un SMS de mon copain Marc : « nous sommes 100 m après le départ ». Il a fait 300 km, avec sa famille, pour m’encourager. J’ai l’occasion de les embrasser juste après le départ, et si je leur dis « j’ai un point de côté », je suis gonflé à bloc et prêt à en découdre. Ca tombe bien, il me reste 99,9% de la distance à parcourir !
Mon plan de course est assez sommaire. Basé sur l’excellente description du parcourt de Vincent Toumazou (http://www.courirsimplement.fr/files/Magazine%20_1-2013-09%20HDEF_100%20km%20Millau.pdf), je visualise assez bien les tronçons. Je me suis fixé quelques repères horaires, qui doivent me servir à ne pas partir trop vite. L’objectif est de ne pas aller (beaucoup) plus vite que 10 km/h dans les parties courues, de gérer au mieux le dénivelé, et de finir en moins de 12h. Enfin, surtout de finir.
Sur les deux premiers km, impossible de courir vraiment : il me faut 15 mn pour les franchir. Dès que la route s’élargi, j’accélère un peu et cherche à trouver le bon rythme. Je remonte les ballons des meneurs d’allure : 11h, 15h, 13h… c’est encore un peu confus, ou alors ces meneurs ont des stratégies de course très singulières ! Mais j’ai décidé de ne pas me prendre la tête avec les allures, et je profite du paysage magnifique le long du Tarn.
Quel parcours !
Nous retrouvons les cyclistes à Aguessac. Pendant tous mes entrainements, je me disais après 7 km : « ah, c’est le moment où je retrouverai Laurent ». Mais je n’avais jamais imaginé quelque chose d’aussi impressionnant : sur presque 1km, des cyclistes, à gauche et à droite de la route, scrutant le peloton pour retrouver leur coureur. « Allez, Yann, Allez ! On ne lâche rien » Mon frère m’a retrouvé, et avec les voisins avec qui il a sympathisé, m’encourage comme si j’avais déjà parcouru 97 km. Le temps qu’il range son appareil photo, je prends un peu d’avance, il lui faudra 2 km pour me rattraper (je ne comprendrai que plus tard qu’il a aussi pris le temps de poster des photos sur Facebook, ce qu’il fera toute la journée). Le peloton qui s’était étiré est de nouveau dense, avec tous ces cyclistes qui cherchent à se mettre au rythme de leur coureur. Nous nous retrouvons à proximité de la Joëllette : 8 coureurs se relaient pour la pousser, et ils ne font pas semblant ! Leur entrain est impressionnant et leur permet de recevoir les acclamations méritées des spectateurs.
Quel parcours ! (bis)
Laurent m’encourage déjà : « allez, plus que 85 km, que du plaisir ». Peu après Boynes, je rattrape le meneur d’allure 10h30. Ca devient sérieux, je ne veux surtout pas le dépasser de peur de me griller. Je reste donc avec lui et le petit groupe qui l’entoure. Il nous abreuve de conseils. Lors de la côte de Peyreleau : « ici, si vous avez mal aux jambes, c’est que vous allez trop vite, il est encore temps de ralentir ». Dans la descente qui suit : « Déroulez bien les pieds, c’est bon pour le retour veineux ». Lors d’un passage à l’ombre : « ici, si vous avez froid, c’est bon signe, vous n’êtes pas en surchauffe ». Je le suis sans problème, décrochant parfois pour discuter avec Laurent, de peur qu’il ne s’ennuie. En fait, le seul conseil que notre meneur oublie de nous donner, et que je regrette sincèrement de ne pas lui avoir demandé, c’est comment gérer les ravitaillements. Je perds chaque fois 500 m sur lui, et lorsque je retrouve Marc et Agnès, miraculeusement téléportés au ravitaillement de Pauhle (km 33), je perds définitivement de vue mon groupe (nous recroiserons le meneur d’allure seul, remontant de Saint Affrique, quelques heures plus tard).
Avoir de bons copains, c'est ce qu'il ya de meilleur au monde
La route est agréable, le parcours magnifique, le temps idéal. Nous voyons des coureurs sur l’autre rive du Tarn, en cortège coloré. A ce moment de la journée, les jambes répondent bien, le moral est au plus haut. Nous passons devant le refuge SPA, et les chiens ne manquent pas de nous motiver, puis je suis tout content de me faire photographier devant le panneau Millau. La fin du marathon est proche. Pourtant, peu après l’entrée dans Millau, je ressens un coup de moins bien. Le parcours au milieu des voitures est subitement moins sympa, j’ai soif. Je décide de prendre mon temps au ravitaillement du marathon, atteint en 4h.
Oh sole Millau
La remise en route n’est pas facile, même si l’on aborde la partie excitante du parcours, avec ses côtes impressionnantes. C’est aussi la zone grise, l’inconnue, pour moi qui n’ai jamais dépassé 50 km de course. J’aborde la côte du Viaduc quand je ressens des crampes aux deux mollets. Il me reste 55 km à courir, quatre énormes côtes à franchir, j’ai déjà des crampes, et pourtant je ne doute à aucun moment. Mon frère me passe une pastille de Sporténine, que je fais tomber, ainsi qu’une gourde, que je fais tomber aussi. Décidément, le coup de moins bien se confirme ! En tout cas, la question de savoir si je vais courir dans la côte ne se pose pas : je vais marcher tout le long, en m’hydratant un maximum. Deux cyclistes m’encouragent : « c’est bien ce que tu fais » Exactement les paroles que je voulais entendre. Finalement, assez peu de coureurs me dépassent, et c’est avec un vrai soulagement que je me remets à courir dans la descente. J’avais lu que de nombreux coureurs n’aiment pas les descentes, pour ma part je déroule sans aucun problème, reprenant la plupart des coureurs qui m’avaient doublé dans la monté. C’est extrêmement réconfortant : même en marchant dans les côtes, je reste dans le coup.
Nouveau ravitaillement à Saint-Georges de Luzençon, avant d’entamer une portion que je sais difficile : le long faux plat montant vers Saint-Rome de Cernon. Au ravitaillement, la sono est à fond : Johnny chante « Qu’on me donne l’envie ! ». Je n’en manque pas ! La vallée est jolie, je sais que j'ai la chance de ne ressentir aucune douleur, aucune ampoule, pas de fatigue excessive, d'avancer à une allure toujours satisfaisante après 6h de course. L'’envie et le moral sont toujours là. Peu avant Saint-Rome, nous croisons la voiture de tête, avec le premier coureur, Hervé Seitz. Pas très loin derrière, le second. Ils avancent à une vitesse fantastique, suivis par de nombreux cyclistes. Des robots ? Non, le 4ème, que nous croisons dans la côte de Tiergues, encourage les (1796 ?) coureurs qu’il croise. Comme pour la côte du viaduc, j’aborde cette côte en marchant, ce qui m’offre un instant de répit apprécié. Là encore, la remise en route au sommet se passe bien, et je peux de nouveau dérouler ma foulée sans douleur jusqu’à Saint-Affrique. Loin d’être découragé par les coureurs que je croise, qui ont une, deux ou trois heures d’avance sur moi, je puise dans ce spectacle une distraction qui me fait oublier toute fatigue. Ou presque : à 200 m du ravitaillement, les crampes au mollet réapparaissent en montant sur un trottoir.
Heureusement, le ravitaillement est là. Je décide d’y passer un peu de temps. Deux kinés soulagent mes débuts de crampes, et je me félicite d’autant plus de m’être arrêté que j’avais oublié que j’avais laissé un sac. J’en profite pour récupérer quelques affaires et pour demander aux bénévoles de renvoyer le sac à Millau.
Saint Affrique
Il reste 29 km. Je me remets en route. Malgré l’arrêt, je sens que les crampes ne sont pas loin. Dans sa description de la course, Vincent Toumazou dit qu’à ce moment on sait que l’on va finir la course. Méthode Coué ? Je n’éprouve aucun doute, malgré la menace des crampes. Le retour commence par la côte de Tiergues. Ce versant est moins pentu mais plus long que celui que nous avons gravi à l’aller. Je l’aborde en alternant beaucoup de marche et un peu de course. Nous croisons sans cesse des coureurs, certains visages nous sont familiers maintenant : nous croisons des compères de la pasta party, saluons l’accompagnatrice qui nous avait pris en photo le matin, inquiète pour son mari en train de flancher.
En haut de Tiergues, nous retrouvons Marc et Agnès, qui m’accompagnent en trottinant jusqu’au ravitaillement, et avec qui je partage un verre de bière. Comme à chaque fois que j’ai marché, je constate avec soulagement que je peux me remettre à courir sans douleur. A l’aller, nous avions encouragé un coureur ici : « Allez, c’est la descente maintenant », il avait fait la grimace. Pour moi, les descentes restent faciles et confortables, je déroule sans douleur et je ne fais que doubler, me semble-t-il. Arrivé à Saint-Rome, nous retrouvons Marc et Agnès, comment ont-ils fait ? Agnès cours avec moi, répondant avec un grand sourire à la surprise des spectateurs qui se demandent si elle a couru 80 km en jeans/baskets, Marc enfourche le vélo de Laurent, qui en profite pour se dégourdir les jambes. C’est une joyeuse troupe qui arrive au ravitaillement. Au compteur vélo (qui n’est pas super précis), nous avons parcouru 84 km, soit deux marathons. Je n’ai aucun doute, je vais arriver au bout. Je ne me soucie pas du chronomètre, je n’ai toujours aucune douleur, c’est un moment agréable, presque d’euphorie. Pourtant, le long faux-plat descendant vers Saint Georges n’est pas facile, je sens les crampes toujours proches. Laurent n’a plus de Sporténine, j’essaie de bien m’hydrater et de m’étirer un peu. Laurent s’arrête quelques instants pour proposer des pansements à un coureur rencontré à la pasta party, qui souffre de terribles ampoules. Un cycliste me voyant seul me demande si j’ai besoin de quelque chose, je décline l’offre mais cette solidarité me fait chaud au cœur.
Même pas fatigué !
Nous croisons encore et toujours des coureurs, dont Jean-Jacques, qui a fait toutes les éditions de Millau. J’éprouve un respect incroyable pour tous ces coureurs à qui il reste un marathon à courir, alors que la nuit tombe. Pour notre part, il nous reste 13 km.
Et au milieu coule un viaduc
Un peu avant Saint-Georges, nous retrouvons Marc et Agnès. Là encore, le joyeux cortège se reforme, même si j’ai maintenant du mal à suivre Agnès. Il y a au ravitaillement de Saint-Georges une kiné disponible, qui essaie elle aussi de me faire passer mes crampes. Marc me donne un bol de soupe, j’enfile une tenue plus chaude, prends ma frontale, et m’élance vers la côte du viaduc. Je marche pas mal dans la côte, prends le temps de m’arrêter pour faire une photo à côté du panneau 90km, et même de téléphoner à mon épouse pour lui dire que c’est sûr, je vais terminer. Un coureur nous dépasse en poussant son accompagnatrice, épuisée sur son vélo. D’autres descendent encore, il leur reste une nuit pour parcourir 50 km. La nuit est tombée, c’est un moment magique, nous voyons les frontales des coureurs se déplacer dans le silence de la nuit. Près du viaduc, trois spectateurs non éclairés nous surprennent « Allez ! Non, c’est pas lui ». Dans la descente, toujours le même miracle, je peux courir sans douleur, ce qui n’est pas le cas des coureurs que je double. Je sais depuis longtemps que je vais mettre moins de 12h. Je sais aussi que les derniers km seront difficiles, avec des petites côtes après Creissel. Je profite du dernier ravitaillement et repars, témoin privilégié d’une belle bagarre entre deux féminines, qui se disputent peut-être une place au général. Je réalise que l’une d’entre elles, avec un t-shirt violet, est plus ou moins à ma hauteur depuis le 20eme km, cela fait presque 8h que nous courons au même rythme.
Nuit magique à Millau
L’ambiance dans la nuit est irréelle. Nous savons que nous allons y arriver, pourtant je n’éprouve aucune euphorie, je repousse même les compliments de Laurent : trop tôt pour crier victoire. J’alterne les moments où je cours bien (11 km/h au compteur vélo) et ceux où les crampes m’obligent à marcher. Comme je suis un garçon positif, je me dis que sans les crampes j’aurais peut-être été tenté de courir dans la côte du viaduc, à l’aller, et que j’aurais explosé pour de bon. Dans Millau, les coureurs sont espacés. J’encourage un concurrent qui marche : « allez, on y est ». 200 m plus loin, c’est moi qui marche et lui qui me dépasse. Un automobiliste nous double, se gare. En sortant, le conducteur me regarde dans les yeux : « bravo ». Je réalise à ce moment que les encouragements, les bravos, les applaudissements des passants ne sont pas adressés à un peloton anonyme, qu’ils s’adressent à chacun d’entre nous, à moi. A ma demande, Laurent s’est arrêté pour photographier le panneau 99 km, puis il m’a dépassé pour aller poser son vélo. 600 m, 400m, cela passe presque trop vite. J’entre dans le parc de la Victoire. Bien sûr, Marc et Agnès sont là et m’accompagnent sur les derniers mètres, vite rejoins par Laurent. Cette remontée de l’allée éclairée par des lampions est magique. Je gravis le dernier plan incliné, franchi la ligne d’arrivée avec mes amis et mon frère, en 11h23.
Contrairement à ce qui a pu m’arriver à l’arrivée de certains marathons, je n’éprouve ni bouffée de fierté ni envie de pleurer, mais un curieux sentiment de vide et de plénitude. Le speaker me serre la main, je ressens comme un adoubement. Il me tend le micro et me demande quelle image je retiens : « c’est trop tôt, je ne sais pas ».
Après une rapide douche, nous dinons tous les quatre. Je découvre les multiples messages d’encouragements postés sur Facebook, en réponse aux photos que Laurent a posées aux moments clés de la course. Je commence à réfléchir à ma course. Dans La Grande course de Flanagan, Tom McNab observe : « c’est la vitesse qui tue, jamais la distance ». Avoir réalisé un marathon sensiblement plus lent que d’habitude (10,5 km/h au lieu de 12) m’a effectivement permis de courir 3 fois plus longtemps, ce n’est pas le moindre de mes étonnements. Nous regardons les coureurs arriver, seuls ou attendus par des parents, des amis, ils ont tous une façon unique de célébrer la même joie. Qui a dit « les courses d’endurance sont les seules épreuves où il y a autant de vainqueurs ? ».
100 commentaire
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4 commentaires
Commentaire de CROCS-MAN posté le 28-09-2015 à 20:30:09
on était bien à la même course, l'homme à l'atèle aux airs d'Herrero est Patrick un coureur des 6 jours de Privas, la jolie mariée c'est Angeline, c'était son 2ème Millau. Bravo pour votre course les frangins et merci pour le récit qui nous replonge dans ce bel évènement.
Crocs-man le Spartiate :)
Commentaire de marathon-Yann posté le 19-10-2015 à 18:23:07
merci de ton commentaire. J'ai croisé un deuxième coureur en Crocs, en haut de Tiergues, tu le connais ?
Commentaire de teddom posté le 28-09-2015 à 22:40:37
bonsoir super rèçit du suiveur j'ai fait Millau dans les année 90 et c'est tout a fait cela la fete de l'ultra ,des gens de tout bord de tout niveau uni par la mème passion et félicitation au coureur pour ce joli chrono
Commentaire de augustin posté le 13-12-2018 à 17:23:44
Super récit Yann, comme d'hab. Je tombe dessus et j'apprécie la prose, merci !
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