L'auteur : Hippolyte30
La course : 100 km de Millau
Date : 29/9/2012
Lieu : Millau (Aveyron)
Affichage : 1553 vues
Distance : 100km
Objectif : Objectif majeur
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Millau 100km 29 septembre 2012
100… Regrets !
Il est 20h12. J’arrive sur la passerelle tout au bout du Parc de la Victoire à Millau.
Encore quelques foulées et j’en finis avec mon premier « 100 bornes ».
Comme souvent après un effort intense, je ne ressens rien. Je ne suis ni heureux, ni malheureux. J’ai juste envie d’arrêter de courir après le temps.
Depuis 1km, mon suiveur, Fabrice « Fabulous » Nicolas n’arrête pas de me répéter : « Denis, tu peux être fier de toi. C’est beau ce que tu as fait. Tu peux savourer, tu peux sourire ! Allez Denis». Je ne réponds rien. Je ne peux pas parler. Impossible. Je suis là sans y être. Je ne peux même pas dire si je suis exténué ou si j’ai mal aux guiboles.
Non, je veux juste couper cette ligne d’arrivée du 100km de Millau située à l’intérieur d’une salle polyvalente sans âme et retrouver mes proches.
Rien de plus. Pour être honnête, il faut aussi dire que j’ai raté mon objectif :
C’était de terminer en moins de 10 h ! Raté !
Alors, sur les derniers mètres, une fois la passerelle passée, je marche, détaché. Il est trop tard maintenant pour rattraper le temps perdu.
Oh là là, le gars comme il se la raconte ! Il termine le mythique 100km de Millau et il n’est même pas content. Ben oui, je suis désolé de ne pas être plus enthousiaste que cela.
Et puis, autant l’avouer, je me suis lancé sur cette course par défaut.
Je cherchais une épreuve mythique, pas trop loin de Montpellier, pas trop chère et qui n’enquiquine pas trop ma famille.
Millau s’est imposé rapidement.
100 bornes de bitume, c’est un gros pari pour un traileur habitué à des sols moins traumatisants dans la garrigue gardoise.
Après 2 ans de coupure suite à une opération au genou, je replonge cette saison
dans la course à pied. Je viens de courir sans douleur ni grande réussite plusieurs classiques (Marathon de Paris, Marvejols-Mende) et je me sens prêt pour un gros défi.
Je veux mettre fin aussi à la sempiternelle question : « Tu fais de la course à pied ? Alors tu as couru le marathon de New York ? Non ? Et les 100km de Millau ? Non plus ? Ben alors ? » Rajoute en général le gars en rigolant pour te montrer que tu restes un amateur.
Bon, au moins, pour Millau, je vais m’y atteler.
Ma préparation sur 10 semaines s’est inspirée du livre de Bruno Heubi « Courir longtemps », une mine de bons conseils. Rien à dire, j’ai fini la prépa assez frais.
Les meilleurs moments, ce sont les sorties longues de 3 heures partagées avec celui qui sera mon suiveur en vélo : Fabulous Fab, 55 ans, 2 Millau à son palmarès dans les années 70. Un bon gars, pas trop bavard, cycliste hors pair, roi de la statistique et qui connaît le parcours aussi bien que le panier fixé à l’avant de son VTT. A l’intérieur, que du bon pour le bipède : des gels, des cacahuètes, du malto, de la soupe à la tomate, de l’eau pure mélangée à du coca, lunettes, casquettes, Ipod.. Etc. Tout y est. Et encore plus dans son dos, un sac avec les affaires de rechange en cas de pluie ou de froid.
Nous arrivons à Millau le vendredi après midi et en profitons pour reconnaître la 2ème partie du parcours, la plus difficile, entre Millau et Saint-Affrique. La côte de Tiergues m’impressionne avec ses gros pourcentages.Mais c’est surtout celle située sous le viaduc de Millau qui ne m’inspire pas. Trop longue, trop pentue.
Nous récupérons nos dossards en 5 minutes. Il y a beaucoup moins d’ambiance que lors de la course du Viaduc de Millau organisée en mai avec 14-15000 participants. Un cent bornes, c’est plus intimiste. Demain, nous ne serons que 1477 au départ.
Nous dormons à Mostuejouls dans une maison d’hôtes magnifique, Villa la Muse dénichée sur internet. La chambre donne sur les gorges du Tarn avec vue imprenable sur le 20ème km du parcours. L’endroit est idéal pour une veille de course. Il n’y a presque pas un seul participant dans les parages. Cela enlève du stress. Le soir, notre repas dans un restaurant local tranquille sera parfait avec des serveuses aussi jolies que compétentes. Il y a plein d’ondes positives dans le coin.
Je dors comme un bébé. Je dois être inconscient mais je me refuse à penser à la course de demain. En revanche, Fabrice ne ferme pas l’œil. Il paraît que je ronfle !
6h30. Je suis réveillé par mon IPhone. C’est le grand jour mais je ne suis toujours pas inquiet. Je dois être cinglé. Je ne veux surtout pas penser à ce qui m’attend. Je sais juste que je vais partir à 11km/h et qu’à cette vitesse, je ne souffre pas. Ce sera mon allure 100 km.
Direction le départ, nous retrouvons Ludo Trabuchet qui vaut 2H48 sur Marathon ! Il va nous accompagner en vélo sur la première partie. Je suis flatté.
Mes 2 suiveurs prennent ensuite de l’avance. Nous n’avons pas le droit à une assistance avant le 8ème km pour éviter les accidents entre les bicyclettes et le peloton de concurrents.
Désormais seul, je cherche, parmi toutes ces têtes, l’ancienne institutrice de mes enfants, Corinne Denis. C’est l’une des meilleures féminines au départ. Nous avons effectué une belle sortie longue cet été et elle m’a donné plein de conseils de préparation. Millau est une affaire de famille pour cette audoise installée dans le Sommiérois (Gard).
Son père l’a fait 8 fois (meilleur temps 9H01, respect), son frère Jérôme l’a terminé en 10h14 et elle se lance pour la 2ème fois sur le parcours après l’avoir fini en 2009 (10h50 ). Elle est assez excitée et parle beaucoup.
Le départ imminent ne me contracte pas. Soit c’est l’expérience, soit c’est de l’inconscience. Je n’arrive pas à me projeter sur cette course, à visualiser les difficultés. En 2006, avant mon 1er marathon à Paris, j’avais crié à tout rompre ! Je partais dans l’inconnu. A Chamonix en 2008, lors de mon 1er UTMB, j’avais eu des frissons et même l’envie de pleurer tellement c’était fort la musique de Vangelis et tout le tralala. Ici, rien de tout ça. Le cortège vers la ligne de départ est assez ringard, il faut bien l’avouer. C’est la 41ème édition de cette course mythique sans couronnes ni trompettes. Le temps de faire quelques photos et c’est parti.
Le rythme est tout doux. 11km/H. C’est du footing, rien de plus. A cette allure, tu n’es pas essoufflé, tu ne te fais pas mal et l’acide lactique ne monte pas dans les jambes qui semblent tourner toutes seules, sans effort. La température est idéale, dans les 18-19 °, pas de vent, pas de soleil. Ce samedi 29 septembre est une belle journée pour gambader dans l’Aveyron.
Mes temps de passage théoriques:
10 km : 0h56 60 km : 5h41 100 km : 10 h
20 km : 1h52 70 km : 6h42
30 km : 2h48 80 km : 7h50
42,195 km : 3h55 90 km : 8h52
50 km : 4h45 95 km : 9h27
La première partie est une boucle de 42, 195 km (un marathon) autour de Millau par les gorges du Tarn au nord est. Il n’y aucune difficulté à part quelques raidillons après le semi-marathon. Il n’y a qu’à dérouler, parler et regarder le paysage.
Nous courons ensemble avec Corinne, dossard 821 pendant quelques bornes. Mais une envie pressante m’oblige à la laisser partir.
Au 7ème km à Aguessac, je retrouve ma garde rapprochée, la « Team Zinzin Reporter » comme dit Ludo. Ils attendent au 1er rang. Impossible de les rater avec leur tenue saillante du vélo club de Lunel Passion. Le rose bonbon leur va bien au teint.
A partir de là, je vais pouvoir reprendre des forces et boire mes mixtures à base de poudre de menthe, de tomate entrecoupées de gels délicieux au chocolat, à la pomme et d’autres dégueulasses au citron et aux fruits rouges, berk. Il y aussi des Tucs (très bien les Tucs !), fruits secs…
Fabrice me connaît par cœur et nous avons mis au point nos techniques de ravitaillement lors des sorties longues à l’entraînement. Nous n’avons pas besoin de nous parler. 2 ou 3 mots suffisent : « Tomate s’il te plait ? » et hop le bidon rouge est dans ma main. Il est super efficace au début.
Vers le 15ème, je reviens au train sur Corinne. « Oh Coco, j’ai 40 secondes d’avance sur toi ! » « Ah bon ? Répond-elle. Et comment ca ? » « Ben, c’est évident, J’ai un pissou d’avance ! ». Comme elle s’arrête, je ne la croiserai pas avant un bon moment.
Plus loin, je rencontre Emmanuel Fontaine venu supporter des amis ultra fondus. Cet Instituteur de l’Hérault, membre de l’Equipe de France, est vice champion du monde de 24H depuis 2 semaines. Il est aussi le mari d’Anne-Cécile Fontaine plusieurs fois championne de monde de la distance. Il court à mes côtés un bon kilomètre. « Tu aurais pu me prévenir pour ton titre, on aurait pu en parler à France 3 !» Il me répond par un simple sourire. Ces gars là font des courses de fou dans l’anonymat le plus total, ne gagnent rien et ne recherchent pas la gloire. « Pas grave dit-il, tu pars pour faire combien ? ». « Et bien, mon objectif est de faire 9h59 et c’est mon premier 100 bornes. » « Alors ton rythme est le bon mais attention, n’accélère pas. Millau ne commence qu’au 45ème kilomètre. La 2ème partie du parcours est très dure avec 4 grosses côtes. Il faut vraiment gérer, surtout que c’est ton premier. »
Je sens bien qu’il n’a pas trop confiance dans mes prévisions. Ca m’inquiète un peu. Du coup, je reste très prudent.
Au 20ème, je croise du monde. Sur ma gauche, la Villa Muse où nous avons dormi cette nuit. Sur ma droite, Jean-Claude, l’adorable propriétaire du gite 5*****.
« Jusque là ça va Jean-Claude, à plus tard ». Il me regarde passer en criant : « Allez, courage, plus que 80 km ! ». Je n’ai pas le temps de penser à sa tirade que me voici déjà dans les bras de Mathilde de Flamesnil. C’est ma joyeuse consœur basée à Millau. Sur le pont enjambant le Tarn, elle tourne le reportage de la course pour France 3 et attend le bon client. « Alors Denis, comment tu te sens ? Me demande t-elle ». Régis le cameraman enregistre la scène tout en reculant « Je me sens frais comme un gardon ! »
Ma sortie n’est pas géniale. D’ailleurs, elle ne sera pas retenue au montage.
Plus loin, dans la commune du Rosier, je croise tout le personnel du restaurant L’Alicanta en rang d’oignon : « Ne vous inquiétez pas, j’ai bien digéré le repas d’hier soir ». Ils ont l’air heureux de l’apprendre.
Il y a un nouveau pont à emprunter au dessus de la Jonte puis c’est la première montée du parcours avec une épingle à cheveux. L’endroit est magnifique. Il y a foule et tous mes supporters sont là : Sandrine, mes parents, Renée et Guy, Simone, ma belle mère, Sophie, l’épouse de Fabrice. Je fais un bisou mouillé à tous et je repars sous les applaudissements à tout rompre de belle maman, épatée par tant de jeunesse.
Il manque tout de même mes 2 gamins… absents pour cause de sport ! Hippolyte, 14 ans a un match de foot cet après midi et Léo, 12 ans est sélectionnée par le ligue de tennis pour un stage physique sur 3 jours. On a tous nos objectifs dans cette famille de fou et personne n’est plus important que les autres !
Le virage passé, il n’y a plus personne. « Vous verrez me disait l’hôtelier ce matin au petit déjeuner, la route pour aller à Millau rive gauche, est pittoresque. Ce sont les montagnes russes ! Dans le coin, les cyclistes amateurs redoutent le retour avec les petits coups de cul ! » Comme j’aime bien les relances, je préfère cette partie. A partir du 21ème km, il y a de plus en plus d’espace entre les coureurs. Je tape la discussion avec Thomas, tee shirt vert fluo et casquette à l’envers, un finisher du marathon d’Annecy. Nous avons exactement le même rythme.
Ce toulousain, s’élance pour la 1ere fois sur un cent bornes avec son frère comme accompagnateur vélo. « J’ai un record à 2h59 au marathon, alors je compte terminer aujourd’hui en moins de 9h30 » assure t-il en respirant très fort. Certes, il a 38 ans, 10 de moins que moi mais il est gonflé quand même. Mon meilleur temps sur 42 km est aussi de 2H59 et cela me semble osé 9h30 comme objectif. Au 35ème, boosté, il accélère le train après avoir vu sa famille. Je ne compte pas le suivre aussi vite. Je le vois irrémédiablement disparaître. Franchement, je n’aurais parié aucun Euro sur sa réussite.
Erreur ! Avec son dossard 63, il va terminer 38ème en 9H09. Ce néophyte est un champion en puissance.
« Fabrice, tu ne trouves pas que je respire fort moi aussi ? » « Non, pas du tout ! Rétorque t-il du tac au tac, tu faisais plus de bruit cette nuit en ronflant ». Elle est bonne celle là. Ca nous fait bien rigoler dans une montée vers Millau.
En arrivant dans les faubourgs de Millau, je commence à gamberger. Tout le monde le dit, la course commence seulement maintenant après le marathon. Il faut absolument arriver facile au 42ème kilomètre. Les difficultés s’accumulent ensuite avec un gros dénivelé sur 60 bornes. Malheureusement, je ressens une douleur au genou droit. J’ai été opéré du ménisque voici 2 ans. Cela devait arriver.
Dans mon dos, (Je l’apprendrai plus tard), mes 2 acolytes font la moue.
Je semble déjà dans le dur en traversant Millau encombré par de nombreuses voitures. Je fais la tête des mauvais jours et je m’enferme de plus en plus dans ma bulle sous ma casquette.
Il est 13h49 quand je pénètre dans la salle du Parc de la Victoire.. Le calcul est simple. Cela fait donc le marathon en 3h49 soit exactement 11 km/h ! Muy bien, je suis une machine à courir malgré l’absence de GPS et d’accéléromètre pour vérifier. J’ai toutefois 6 minutes d’avance sur mes temps de passage.
Pour la première fois depuis ce matin, j’ai envie de m’arrêter. Au ravitaillement,
je bois 2 cocas et je me jette sur 2 petits sandwichs de roquefort et de jambon cru. Je repars en marchant.
A l’extérieur, Ludo et Fabrice trouvent le temps long. Je suis passé à la 118ème place. C’est bizarre comme sensation mais en entrant dans la salle, j’ai l’impression en même temps d’être sorti de la course. J’accepte le combat perdu d’avance pour passer sous les 10 heures. Avec mon genou douloureux, je décide de changer de tactique. Maintenant, le but est de finir, je me moque du reste. Je ne regarde plus ma montre.
Au 44ème, à la sortie de Millau, toute la famille m’attend devant le Super U. Je m’arrête quelques secondes. J’avoue, sans en rajouter, que je suis dans le dur.
Je ne veux pas trop les alarmer. « J’ai un peu mal mais c’est normal. C’est le bitume, je n’ai pas l’habitude.»
Avec eux, il y a aussi toute la famille de Corinne. La valeureuse instit de Villevieille pointe 3-4 minutes derrière moi. Son frère, Jérôme m’encourage : « Allez Denis, c’est maintenant que ça commence! Il faut serrer les dents, ça va revenir ». Voilà, j’y suis.
45ème km, après Creissels. La montée rectiligne sous le viaduc de Millau ! Les choses sérieuses débutent là. Le pourcentage est très important, même les cyclistes ont du mal. La pente n’est pas longue, pas plus de 3km, mais elle fait mal aux pattes, elle passe juste sous le tablier le plus haut du monde.
Grandiose ! La plupart des runners décident de marcher pour ne pas faire monter aussi le palpitant. Depuis quelques minutes, je vais mieux. J’ai demandé mon Ipod à Fabrice et la musique m’entraine vers le sommet comme par magie. J’aime les montées, c’est mon point fort. Je décide de courir à petites foulées de plus en plus rapprochées.
Je reprends quelques gars, c’est un bon moment. Je vais garder les écouteurs jusqu’à la fin de la course. En haut de la bavante, il y a le 50ème km. Je rameute « la Team ». « Eh les gars venez près de moi. Dans 100 mètres, Il y a LE photographe officiel pour LE cliché avec le viaduc en fond. Il ne faut pas rater la photo». Nous doublons encore 2 équipes pour avoir le plus beau souvenir possible.
Je souris… Pas longtemps. Ca se gâte au dessus de nos têtes. La pluie vient brouiller encore un peu plus mes projets. Des grosses gouttes bien froides qui ont vite fait de doucher tout le monde. Au début, nous espérons une simple averse puis il faut l’admettre, elle mouille beaucoup cette eau tombée du ciel. Je mets mon K-way, mais je suis déjà trempé. Puis, je me fais du souci pour mes 2 potes. A bicyclette, à cette faible allure, ils vont attraper la mort s’ils ne bâchent pas. Ils font les fiers, comme des gamins. « Non, non Denis, t’en fais pas. Ca ne nous gène pas ». Je suis obligé de me mettre en colère pour les ramener à la raison.
Après Saint-Georges de Luzençon, en bas de la descente, le parcours est un long faux plat montant de 7 kilomètres serpentant en fond de vallée. Sans le froid, la pluie, la brume sur les sommets et le vent de face, l’endroit pourrait être agréable. En fait, c’est juste l’enfer. Sur son vélo, Ludo est à bout. Trempé, il claque des dents. L’abandon est proche. Je suis dans le brouillard. Je baisse la tête sous la casquette, je rentre les épaules et je cours comme un automate entre 9 et 10km/h.
Ca sent le sapin. 60ème km. J’ai hâte d’arriver à Saint-Rome de Cernon. J’ai laissé un sac de rechange à mes parents et je commence à avoir froid. La course devient dure aussi pour eux. Heureusement, ils ont tous trouvé refuge dans un bar-tabac au centre de la ville. Sandrine prend quelques photos. J’enfile ma tenue de pluie préférée, une polaire de vtt bleue et usée jusqu’à la moelle mais qui reste très efficace. Merci Môman !
Ludo vient me parler, dégouté : « Denis, ça t’embête si je laisse tomber ici. Je n’en peux plus ». Le pauvre fait de la peine. On dirait qu’il sort de la machine à laver. « Evidemment non, mon Ludo. Va te mettre au chaud ! » Il devra encore pédaler 20 km sous des trombes d’eau pour rentrer à Millau !
Je suis las et j’ai les jambes molles. Ludo parti, je n’ai plus vraiment le moral. La pluie redouble d’intensité. C’est béta car j’attaque la partie la plus dure du parcours. Devant nous se dresse la terrible côte de Tiergues, une difficulté à monter 2 fois, à l’aller comme plus tard au retour. La pente oscille entre 7 et 10 % sur 4-5km. C’est le juge de paix des 100 km de Millau. Vu mon mental brumeux, je décide… de marcher. Je ne suis pas le seul. La course se corse aussi pour Fabrice. Avec son poncho qui lui cisaille les jambes, il dégouline sous la pluie. J’ai peur qu’il prenne froid. Ce n’est pas le genre du tout à se plaindre, plutôt le gars à souffrir en silence.
Fabrice est un vrai dur au mal. Homme de valeur, ce footballeur était mon coéquipier au milieu de terrain dans une autre vie. Déjà un porteur d’eau. Je peux me reposer sur lui. On échange toujours aussi peu de mots, quelques regards, rien de plus mais ça m’aide. Et puis, il est patient le type et ne fait jamais aucune remarque négative.
Cela dit, ça commence à être la pagaille dans sa corbeille fixée à l’avant du guidon. Les bouts de cartons censés divisés l’espace pour les bidons dans la panier ont comme fondu sous la pluie et il ne s’y retrouve plus. A un moment, je lui demande : « Tomate s’il te plait. » et il me tend la menthe. Ce n’est pas grave car j’aime bien la menthe mais j’attendais de la tomate. Je lui dis sans reproche : « C’était de la menthe » en lui rendant le bidon. Il s’excuse tout en farfouillant dans le panier et tombe par terre sur le bitume. J’ai continué comme si de rien n’était. Je ne me rappelle pas m’être retourné pour le voir à terre ! Incroyable !
Dans la montée, nous croisons les premiers, déjà de retour vers Millau. Ils ont 15 km d’avance. Ca rend humble. L’Alsacien Michael Boch est seul en tête, derrière lui, à 2 minutes, un copain Montpelliérain, David Laget. « Allez David, Boch n’a que 500 m d’avance. Tu peux revenir» et je tape dans la main de ce grand chauve qui vaut 2h16 sur marathon. Ils garderont le même écart jusqu’à l’arrivée. Boch,va gagner en 7h10 devant David à 3 minutes 15.
Comme souvent en course, c’est une femme qui me réveille. La 3ème féminine me double, une narbonnaise Véronique Hérard. Je le confesse, c’est de l’orgueil masculin mal placé, rien d’autre. Je décide de lui coller le train et ça court ! Je songe aussi à ma petite tenniswoman, Eléonore. Hier, ma fille a passé le test d’endurance Luc Leger. « Papa tu sais, m’a-t-elle dit au téléphone, sur la fin, j’étais tellement fatiguée que j’ai pensé à toi. Je me suis dit : c’est rien ton effort alors que papa va courir demain 100 km. Et ça m’a fait courir plus longtemps. » Elle est adorable cette gamine. Penser à elle me fait oublier mes propres tourments. Je me demande également si Hippolyte, mon fils footballeur, a marqué un but cet après midi à Lunel.
Comme par enchantement, après le sommet de Tiergues, Emmanuel Fontaine court de nouveau à mes côtés. 2 semaines après son 24 h, il fait une sortie longue de récup sous la pluie !!! Il semble confiant : « Tu es bien. Je te l’assure. Ta foulée est très relâchée. Tu es toujours sur les bases de moins de 10H ». Sympa de sa part mais je sais que j’ai 10 minutes de retard sur mes partiels.
La descente vers Saint-Affrique est longue et toujours pluvieuse. Fabrice est content. « Quand on atteint Saint-Affrique, on est certain de finir les 100 km de Millau. Tu peux me croire, tout le monde le dit ». Il est gentil mon copilote. Je suis un peu aux abonnés absents mais tout ce qu’il me dit me fait du bien. Un peu plus loin, je croise Thomas qui remonte déjà vers Tiergues et l’arrivée. Aucun son ne sort de ma gorge, juste un signe d’encouragement de la main. Il a l’air à fond.
A Saint-Affrique, il faut faire le tour de ville avant de repartir par la même côte. Sandrine et Sophie nous attendent sous la pluie. Je prends de nouvelles tout en courant. Mon épouse filme avec son portable. Il faut pointer dans la salle de ravitaillement. Je suis 121ème en 6 heures 56. Il me reste 30 bornes à parcourir. Ca risque d’être long. Je fais un stop de 30 secondes pour récupérer une petite soupe et un sandwich. Mes proches sont là, à l’intérieur. Je vais les doucher pour mieux me préserver. Je décide de continuer sans leur taper la causette. Ma mère m’interpelle : « Mais enfin Denis, tu ne veux pas mettre des affaires sèches et changer de chaussures ? Tu es trempé. »« Non merci. Je sens que si je m’arrête, je ne vais pas repartir. A toute à l’heure ! »
Dehors, Jérôme, le frère de Coco m’accompagne quelques mètres : « Bravo. Tu es sur un bon rythme. Au début de la côte, tu marches et après ça ira. Corinne n’est pas loin derrière toi. » Comme j’ai l’esprit de contradiction, je décide de courir dans la montée de Tiergues. Cet aller-retour sur le même tracé est une bonne idée car nous pouvons échanger des regards parfois quelques borborygmes avec les gars qui descendent.
Nous souffrons tous.
Je cours à un rythme modeste. Avec ses gambettes à l’air, la féminine de Narbonne me double de nouveau. Parfait, je m’accroche. Juste avant le sommet, je m’arrête prendre une soupe et du coca et je me fâche. Fabrice est tout blanc, les yeux tout rouges. « Fabrice, si tu ne manges pas un sandwich ou si tu ne bois pas une soupe, j’abandonne ! Tu ne peux pas continuer à pédaler sous la pluie sans te nourrir. » Il prétexte quelque chose pour la forme et file se restaurer sous la tente. Non mais …Dans la descente, un gars en tee shirt bleu avec la coupe du footballeur anglais des années 70 me dépasse facilement. Bizarre ! J’avais l’impression de courir vite. Je demande mon allure de course à Fabrice. Il regarde son compteur : « 9,8 km/h !» « Quoi ? T’es certain ? Putain, je me traine ! »
Arrivé enfin à Saint Rome de Cernon au 82ème km, je me jette sur une soupe. J’ai soif de chaud. Il pleut toujours. Je demande à mes proches de rentrer à la maison étant donnée cette météo impossible pour un 29 septembre. Je m’inquiète de leur santé. Ils ne sont plus tous jeunes et cela ne doit pas être très marrant à regarder tout ça. Ils refusent, forcément. Désormais, on se retrouvera à l’arrivée.
Au moment de les quitter, un gobelet de bonne souplette dans la main, Corinne me rattrape à bonne allure. « Oh ! Denis, fait-elle surprise, je ne m’arrête pas. Je suis 4ème féminine et la 3ème n’est pas très loin devant. » Quelle vitalité ! Elle est impressionnante dans l’effort, seulement vêtue de son soutien-gorge sportif et d’une bâche en plastique transparente alors que j’ai toujours mes 3 couches sur le dos.
Tout à coup, j’ai très chaud. Je me déshabille aussi dans ce faux-plat descendant menant vers Saint-Georges. Je tends k-way et polaire à Fabrice, j’enlève ma casquette détrempée. Et j’enclenche la 2ème. Curieusement, je reviens aisément sur Corinne, secondée par Julien son mari. Je me place devant elle pour lui donner le rythme : « Denis, je ne peux pas te suivre. Tes foulées sont trop rapides pour moi. » Je ralentis un peu. Julien parle beaucoup et blague pas mal. Il voit un radar au bord de la route : « Attention Denis, tu vas être flashé ! » « Arrête de lui parler Julien, lui reproche Corinne, tu sais bien qu’il aime rester dans sa bulle. » Bien vu Coco. Du coup, je prends le large au train juste avant Saint-Georges. Il est 19h00. Les cloches de l’église annoncent la fin de la pluie.
Enfin !
Il reste 10 bornes. C’est rien du tout 10km ! C’est 37’30 quand je cours vite !Mais là, à ma vitesse de sénateur, il faut compter le double ! Surtout, il y a cette terrible dernière côte de 3km avant de repasser sous le viaduc. Je cours à 8,5 km/h. Je suis en mode guerrier. Je ne pense à rien du tout. Je balance un pied devant l’autre, c’est tout. Je rattrape 3 ou 4 gars. Je ne souffre pas vraiment.
J’ai hâte d’en finir. Plusieurs fois, je demande à Fabulous Fab: « Coco, Elle est loin ? » Je ne sais pas si je dois l’attendre ou pas. Je ne veux pas faire genre « Je l’ai attendu. » Ce n’est pas très correct comme attitude. Sa course est de toute manière mémorable.
De l’autre côté de la route, des concurrents marchent vers la nuit dans l’autre sens. Ils n’ont pas encore atteint la ½ de la course. C’est dingue ! Le dernier classé arrivera d’ailleurs le lendemain après 23h49 d’efforts, 24 h étant la barrière horaire. Après le viaduc, ce n’est que de la douleur. Certes, en fond de vallée, nous apercevons Millau à 7 km mais cette dernière descente à 10 % fait mal aux cuisses.
Je pense être à 12 km/h. La nuit tombe, l’écurie est proche.
Les derniers kilomètres sont interminables. Nous nous retrouvons dans la circulation et il faut redoubler de concentration avec les voitures qui zigzaguent entre nous. Quelques passants acclament gentiment les forçats de la route. Les bravos partent de tous les bars de la ville. Je n’oublie pas de remercier même si cela me coûte un gros effort.
La fin, vous la connaissez. Je termine en 10h10 !
Dans la salle blafarde, les applaudissements de mes supporters réveillent le zombi qui est en moi. La ligne passée, Sandrine m’embrasse. On me tend un sac de finisher et le diplôme attestant de ma participation. Je termine à la 116ème place sur 1477 partants.
2 minutes plus tard, Coco arrive 3ème sénior féminine. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre. C’est émouvant. Je peux enfin sourire. Moi aussi, je suis « Cent-bornard ».
Désormais, je pourrais dire : « oui oui, les 100km de Millau, je les ai fait, en 2012. »
« Et le marathon de New York ? »
« Heu, et bien non pas encore. » Grrrr
Extraits de SMS ou Facebook
« Bravo Zinzin ! Une de plus au palmarès » Pierrot
« T’es au top ! Un petit tennis demain ? » Julien
« Bravo Deniiiiis ! Juste un peu de nuit à la fin du parcours. J’espère que tu es fier de toi ! » Anne
« IL EST FOU CE TYPE ! » J.B
« Bravo. C’est un résultat impressionnant » Eric
« Respect » TC Beaucairois
« Well Donne le Reporter Bipede » Manu
« Bravo. Je suis fier d’avoir comme collègue et ami une personne avec une telle volonté » Guy
TOUTEFOIS, au travail, c’est plutôt :
« Ah bon les 100km de Millau ? Ouais ouais ! Et tu fais combien ? 10h10 ? Et le premier ? Hein ? 7h10 !!!! Mais qu’est ce que tu as foutu pendant tout ce temps !!!!3 heures, c’est énorme ! »
Tout est dit !
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6 commentaires
Commentaire de CROCS-MAN posté le 09-10-2012 à 12:58:44
Merci pour ton récit. Tu es dur je trouve, envers toi et envers la course. L'ultra route est un milieu intimiste, modeste, humble. Mais tous habitués de ce petits monde étaient là. Pour sur ce n'est pas la course commerciale du Viaduc. Tu as fait un beau chrono, bravo. Tu es un compétiteur. Mais n'oublie pas le plaisir, sinon à quoi bon
Commentaire de Hippolyte30 posté le 09-10-2012 à 15:16:56
Tout à fait d'accord avec toi le Solitaire. J'ai écrit ce texte lors d'un premier jet les 3 jours après la course. Avec un peu de recul, j'ai moi aussi apprécié l'absence de Bling bling et la beauté de ces 100km. J'accepte tes critiques...Elles sont tout à fait fondées...
Commentaire de diegodelavega posté le 10-10-2012 à 16:54:59
Bravo et merci pour ton récit ... effectivement d'après ton commentaire, je suis arrivé 119ème entre toi et Coco (tu me reconnaîtras, nous habitons dans le même coin). Par contre, comme Le Solitaire, je te trouve très dur envers toi et cette épreuve ... n'as tu pas un peu sous estimer sa difficulté ? Tu es la preuve vivante que malgré ton palmarès de Grand Trailer, ce 100km sur bitume est à prendre très au sérieux ! Et même si cela ne t'apporte pas grand chose, je tiens quand même à te féliciter ... car un 1er 100km de Millau en 10h12, c'est vraiment très très bien ! Perso je rêve de descendre sous les 10h ... et même de faire 9h30 ... mais cela me prendra du temps ... alors je bosse année après année en essayant de prendre du plaisir ... et pour l'instant ça paye même si le chrono n'est pas toujours au RV. A nos âges c'est bien la plus belle des vertus de ces longues distances ... nous permettre de progresser malgré notre déclin physique. Encore BRAVO et à l'an prochain à Millau j'espère !!!
Commentaire de Hippolyte30 posté le 10-10-2012 à 17:51:36
Merci Diego. Peut être ai-je manqué d'humilité par rapport à cette course ? Possible. En tous cas, je l'avais bien préparé. Et j'ai pris du plaisir malgré les apparences... Et 10 jours plus tard, j'apprécie de plus en plus les 100km de Millau. Moralité: J'espère bien te voir au départ l'an prochain !
Commentaire de diegodelavega posté le 11-10-2012 à 10:02:31
Cool !!! Avec plaisir ... et pourquoi pas avec Coco ? Tous les 3 sous les 10h en 2013 ... ce serait beau ça !
Commentaire de Montana posté le 18-10-2012 à 21:41:11
Super récit!! J'adore. D'acc' avec les autres, 10h12 à Millau pour un premier essai avec ces conditions météo, c'est déjà une sacré perf! Tu peux être fier de toi. Encore félicitations à toi et tes suiveurs qu'il ne faut pas oublier (le mien a bien morflé aussi, faut dire qu'on avait qu'une veste pour 2)! Les - de 10h00, c'est tout bon pour la prochaine fois. Bonne récup.
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