L'auteur : gmtrail49
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 24/10/2008
Lieu : ST PHILIPPE (Réunion)
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Distance : 150.1km
Objectif : Pas d'objectif
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Objectif principal de 2008 : l' UTMB... euh non,
finalement ce sera le GRR !
La mort dans l'âme, j'ai cherché un ultra à me mettre sous la dent dans l'année. En consultant le calendrier des trails, je me suis aperçu que cette année, exceptionnellement, le GRR avait lieu juste avant les vacances de la Toussaint, alors qu'il est placé habituellement une semaine plus tôt. Etant enseignant, je m'étais auparavant fait une raison à l'idée de ne jamais participer à cette course avant ... la retraite (vu l'évolution de l'âge de la retraite, autant dire que je ne m'accordais aucune chance de devenir un fou de la diagonale). Mais pour participer au GRR, il fallait que je loupe au minimum deux jours de cours (le jeudi et le vendredi qui précédaient les vacances) et ceci en repoussant au maximum mon départ de métropole. L'inscription au GRR était donc conditionnée par l'autorisation que m'accorderait ou non mon chef d'établissement pour cette absence. Mon proviseur, ancien professeur d'EPS, ne me refusa pas ce privilège à condition bien sûr de rattraper les cours manqués.
Ainsi, j'allais participer à la Diagonale des Fous, cette course qui me faisait rêver depuis mes débuts en jogging dans les années 95. A l'époque je prenais vraiment les types qui se lançaient dans une telle course pour des extra-terrestres ! Et puis, en une douzaine d'années, on court de moins en moins vite, de plus en plus longtemps, de moins en moins sur le bitume, de plus en plus sur des sentiers accidentés et on finit par basculer du côté obscur en s'inscrivant à une course comme le GRR... La question était cependant de savoir si la force allait être suffisamment avec moi pour aller au bout de cette aventure...
Comment planifier ma saison pour être fin prêt fin octobre ?
Ma saison s'est donc articulée autour de deux objectifs majeurs : la CCC fin août et le GRR fin octobre. En préparation j'ai couru deux autres trails :
- En avril le raid de l'Estuaire, entre St-Nazaire et Nantes, course très sympa avec sa particularité d'être courue principalement de nuit (départ à 23 h pour une petite balade de 88 km agrémentée de petits extras comme la traversée de marais et de bourbiers)
- En juin l'Ultra Aubrac, trail de 84 km avec 3500 m de D+.
Après la déception de ne pas prendre le départ du l'UTMB, j'ai été finalement très heureux de participer à la CCC, en particulier car ce fut l'occasion de passer une semaine avec mes potes coureurs et leur famille. Et même si la CCC reste la "petite course" du grand rendez-vous de fin août à Chamonix, celle-ci n'en reste pas moins une course de belle envergure avec ses 98 km et 5600 m de D+.
La CCC s'est déroulée couci-couça avec une bonne place compte tenu de mon niveau mais avec des sensations mitigées et une gestion de course perfectible : je suis d'un naturel prudent et, habituellement, je démarre mes courses avec le frein à main mais ce jour là, désireux de ne pas bouchonner dans la première montée, je suis sans doute parti un "chouia" trop vite ; il faut dire aussi que mon pote Alex (beaucoup plus rapide que moi sur route et trail de moyenne montagne) ayant décidé de progresser à mon rythme, j'avais la sensation de le freiner si je démarrais à mon habituelle vitesse de diesel ; bref, ce départ sans doute trop rapide, combiné à la chaleur, j'ai souffert de troubles gastriques qui m'ont empêché de m'alimenter convenablement. J'ai fini la course "dans le dur", notamment dans la dernière montée de la Tête aux Vents.
Après quelques jours de break début septembre, j'ai repris l'entraînement, doucement d'abord puis en augmentant progressivement le volume. Mes trois plus grosses semaines se sont articulées ainsi : une séance de VMA le mardi, une séance longue de côtes le mercredi (très doucement), une séance de seuil le jeudi et deux sorties vallonnées le week-end avec les copains. Sur les sorties spécifiques, les côtes de mon "pays" ne dépassant pas 30 à 50 m de dénivellation positive, je les alignais telles des perles sur un collier pour cumuler 1600 m de D+ sur ma plus grosse sortie ! Globalement, je n'ai fait qu'entre 2000 m et 2500 m de D+ par semaine ; on peut donc considérer que j'ai cumulé une D+ pendant les deux mois de septembre-octobre inférieure à celle qu'il faudrait gravir sur la course (9200 m).
En plus de l'entraînement physique, j'ai essayé d'optimiser d'autres paramètres concernant le matériel et le parcours. Ainsi, à partir du road-book envoyé par l'organisation et du site Internet Portail IGN, je me suis imprégné du profil de la course jusqu'à en connaître par cœur les distances, les dénivelées positive et négative entre deux points de ravitaillement. À défaut de pouvoir crapahuter sur les chemins empruntés lors de la course ce travail de mémorisation a été une façon pour moi de me rassurer. Car j'avais vraiment besoin de l'être ! Bien qu'ayant un peu d'expérience (un UTMB et un raid du Morbihan), j'étais, encore plus qu'à l'habitude avant une grande course, assailli de doutes ; en plus de ne pouvoir m'entraîner autour de chez moi sur des sentiers véritablement difficiles techniquement, de ne pas pouvoir m'acclimater à l'altitude, deux autres points me préoccupaient et cela encore davantage :
- En montagne, depuis trois ans et ma participation à l'UTMB en 2005, j'avais pris l'habitude de progresser en m'aidant de bâtons ; or, au GRR, ils étaient interdits par l'organisation. Pendant cette période, j'ai suivi sur le forum de la course, le débat très "chaud" entre les pro et les anti bâtons. Je ne comprenais pas à l'époque pourquoi les organisateurs ne les autorisaient pas à partir de Cilaos (à peu près à mi-course). Sur l'Ultra-Aubrac, avec le GRR dans la tête, j'avais bien tenté de ne pas les utiliser, mais, au 50ème km, très entamé physiquement, je les avais détachés de mon sac et utilisés jusqu'à l'arrivée. Tout l'été, je m'étais entrainé avec car j'espérais encore à l'époque que les organisateurs du GRR changeraient d'avis. En septembre il a fallu me rendre à l'évidence : bien qu'ayant fini dans le dur la CCC avec mes bâtons, il allait falloir se farcir 50 % en plus de distance et de dénivelée sans ces béquilles !
- Par ailleurs, j'allais devoir débuter la course avec un déficit en sommeil puisque notre départ de Paris-Orly était prévu le mercredi 22 octobre à 21 h (heure de Paris), notre arrivée à Saint Denis le jeudi 23 à 10 h (heure locale) et le départ de la course le soir même à minuit. Avant ce voyage, je n'avais jamais pris l'avion mais on m'avait prévenu qu'il était difficile de s'y reposer. Dans ces conditions ne serai-je pas déjà fatigué avant de commencer à courir ? Robert Chicaud, le directeur de la course n'a, c'est le moins que l'on puisse dire, en rien essayé de me rassurer à ce sujet : en réponse à un mail où je lui expliquais pourquoi je ne pouvais pas arriver avant le jeudi matin à Saint-Denis et où je concluais par un "à bientôt dans votre paradis", sa réponse fut : "je souhaite que votre paradis ne se transforme pas en enfer". Très engageant !
Jeudi 23 octobre à 10 h : nous atterrissons à St Denis de la Réunion. Il pleut mais on se croirait dans une étuve à la sortie de l'avion. Une tempête tropicale est sensée venir tangenter l'ile et les organisateurs craignent de fortes chutes de pluie, ce qui pourrait s'avérer dangereux, vu le nombre de gués à traverser lors de la course. Nous rejoignons notre gite à Manapany au sud de l'ile ; il ne pleut plus. A mes 3 à 4 h de sommeil en pointillés dans l'avion, je parviens malgré l'excitation à en ajouter 1 h dans le gite. A 21 h 30, nous sommes à Cap Méchant, le lieu de départ de la course. Mon arrivée tardive m'a au moins permis de récupérer mon dossard sans faire la queue contrairement à mes petits camarades qui ont pour certains du patienter durant deux heures la veille. Je quitte mon épouse Heidi et mon fils vers 22 h ; je leur ai conseillé d'aller se coucher sans attendre le départ car pour eux aussi, la nuit précédente a été beaucoup trop courte. Ils doivent également se lever assez tôt le lendemain pour venir m'encourager à Cilaos.
Avant l'entrée dans l'enceinte du stade du Cap Méchant
Dans l'enceinte fermée du stade de Cap Méchant, je tombe sur Fredy un traileur rencontré sur le raid de l'estuaire ; bien meilleur coureur que moi, il souhaiterait réaliser une trentaine d'heures sur le raid ce qui le placerait largement dans le top 100. Je ne boxe pas dans la même catégorie que lui : j'ai en effet laissé à mes copains en métropole et à ma famille un tableau avec des temps de passage sur une base de 43 h.
Vendredi 24 octobre à 0 h 00 : c'est enfin le départ. Comme je l'avais lu sur des CR de la course, lors de la sortie du stade, j'ai l'impression de ne pas toucher le sol tellement nous sommes comprimés : imaginez 2300 bestiaux, pleins d'énergie qui ne pensent qu'à cette course depuis des mois et qui ne s'entraînent plus depuis 10 jours pour "faire du jus" ... Heureusement, au bout d'une centaine de mètres, il est possible de courir normalement. N'étant pas du tout chaud, je pars sur un petit rythme d'environ 10 km/h. Après trois km tout plats; nous bifurquons à gauche sur un chemin forestier sensé nous amener à 700 m d'altitude au km 16. Cette mise en bouche est agréable mais bien peu révélatrice de ce qui nous attend. Ensuite commence réellement le grand raid avec 1400 m de D+ en 5 km. Vous pouvez calculer la pente, ça fiche la frousse : 28 % de moyenne. Cette partie étant en single track (chemin monotrace), il faut s'efforcer d'y arriver avec des coureurs de son niveau. Parti trop vite, on risque alors de se mettre dans le rouge pour suivre le petit train et de le payer cher par la suite. Si par contre on y arrive assez loin dans le classement, on doit souvent s'arrêter et faire la queue pour franchir les passages les plus techniques. Aussi, dans cette première partie roulante, je me contente de trottiner tranquillement sans jamais marcher. Je passe en 1 h 55 environ le premier ravitaillement mais j'ignore totalement ma place.
À la sortie de ce ravitaillement, la transition est, comme attendu, très brutale ! On entre dans la forêt et le sentier devient très technique avec des ressauts très raides, des racines... Les transferts de poids doivent se faire en douceur sous peine de glisser. Je me trouve très emprunté dans ma pose de pied alors que j'ai l'impression que mes petits camarades progressent sans effort apparent ; Je maudis l'absence de mes bâtons tout en ayant conscience du danger que présenterait leur utilisation chez des coureurs tous à la queue leu leu : au moindre déséquilibre un coureur pourrait embrocher son voisin. Les coureurs réunionnais me disent pourtant que cette montée est ce jour-là en très bonne condition et qu'ils l'ont déjà vue ressemblant à un torrent de boue ! C'est vrai que nous sommes pour l'instant chanceux avec la météo, car nous pouvons apercevoir les étoiles au dessus des arbres. La météo s'est plantée et c'est tant mieux !
À partir de 1900 m d'altitude, la végétation change, les pierres apparaissent et la pente s'adoucit enfin un peu. J'assiste avec émotion au lever du Soleil sur l'enclos du piton de la Fournaise : je me dis alors que j'ai une chance immense de me trouver là et que, quoiqu'il arrive, je n'aurais pas le droit de me plaindre dans la suite de la course. Quelques heures plus tard j'aurai une "légère" tendance à oublier cette belle promesse formulée à un instant où tout me semblait parfait dans le meilleur des mondes.
J'arrive en 5 h 47 et en 428ème position au ravitaillement du volcan (km 30). Je suis un peu surpris par ma place et je me demande si je ne suis pas parti un peu vite. Nous avons convenu avec mon épouse que je dois lui envoyer un texto au niveau de chaque pointage électronique effectué par l'organisation. Comme je suis un gros nul (une "quiche" diraient les jeunes d'aujourd'hui) en SMS, je suis sensé inscrire seulement "P1" comme message, en référence au numéro du pointage ; l'heure d'envoi du message se charge alors de la renseigner sur mon temps de passage. À la sortie de ce ravito je repars donc en marchant tout en me battant avec le portable de mon fils pour afficher le bon menu me permettant d'écrire le texto. J'y parviens en un temps record (plusieurs minutes !) tout en me retenant de balancer le portable dans le volcan tout proche. Par la suite, je tenterai vainement de prendre quelques photos avec le portable mais une fois sur deux, appuyant sur le mauvais bouton, je les supprimerai au lieu de les sauvegarder. Mon fils m'a pourtant fait subir un stage intensif d'initiation en attendant l'avion l'avant-veille, mais je suis manifestement lent de la comprenette !
Le secteur qui suit jusqu'à l'oratoire Ste Thérèse reste aussi un grand souvenir et cela pour deux raisons : d'abord c'est la traversée magique de la plaine des Sables, chaos désertique avec ces couleurs allant du jaune à l'ocre ; par ailleurs, dans la montée vers l'oratoire, je crois soudain me retrouver devant ma télé au mois de juillet en entendant derrière une voix reconnaissable entre mille "avé" un délicieux accent du sud : notre JAJA national monte tranquillement et sans effort apparent en discutant avec son pote. Il semble alors très facile avec notamment un bon pied (meilleur que le mien !) dans les parties techniques descendantes. La suite du parcours fut pour lui sans doute douloureuse et un peu longue à son goût, mais il faut lui tirer un grand coup de chapeau d'avoir trouvé l'humilité, comme il l'avait promis, de rallier le stade de la Redoute et cela dans un temps bien supérieur à ce qu'il escomptait ; nul doute que si l'envie lui reprenait de retenter l'aventure ce sacré bonhomme, avec son énorme moteur, mais aussi avec l'expérience emmagasinée et une préparation plus ciblée, aurait le potentiel de descendre sous les 30 h. Depuis ce moment-là j'écris sur ma carte de visite : "ai battu JAJA en compét » ! Pourvu que celui-ci ne veuille pas prendre sa revanche à l'Iron man d'Hawaï !
Plaine des Sables et au fond le rempart des Basaltes
Vallée de la Rivière de l'est vue depuis l'Oratoire Ste Thérèse
Après le ravitaillement du piton Textor, au km 40, la vue s'ouvre sur la suite du parcours : au loin on peut distinguer le fameux Piton des Neiges (3069 m), que l'on aura à gravir partiellement quelques heures plus tard. Le temps est encore magnifique mais on aperçoit un peu plus bas une "superbe" mer de nuages. Il me revient alors à l'esprit une réflexion entendue au ravito du volcan, une heure plus tôt : "les nuages remontent et il va pleuvoir à Mare à Boue". A cet instant là je n'y croyais absolument pas, ne voyant aucun nuage à l'horizon. Pourtant, il a fallu se rendre à l'évidence : en une poignée de kilomètres et après avoir descendu quelques centaines de mètres, nous nous retrouvons dans la purée et sous la farine (bruine en créole). En métro que je suis, les changements de temps de l'île de la Réunion ont de quoi surprendre ! Accompagnant ce bouleversement des conditions météo, le changement de végétation est tout aussi spectaculaire : nous sommes passés en deux heures de la Lune à l'Irlande (avec le temps qui va avec).
Comment va la machine ? Je sais que cette partie descendante doit être la plus roulante de tout le GRR et je m'applique à ne surtout pas accélérer ; à vrai dire, tout en ayant conscience de ne pas avoir tiré sur la machine, je commence (déjà !) à ressentir un zeste de fatigue et cela m'inquiète. Il ne s'agit pas de douleurs ciblées mais plutôt d'une fatigue générale (tête lourde et jambes dures). Au ravitaillement de Mare à Boue (km 50) atteint en 8 h 31 et en 420ème position, je me masse, je graisse mes pieds, j'ai aussi l'impression de bien m'alimenter ; alors que je m'occupe de mes petits petons, je remarque tout à coup que c'est l'effervescence chez de jeunes demoiselles bénévoles s'occupant du ravito : "il" arrive ! Je les vois alors sortir leur appareil photo et mitrailler notre JAJA national !
Je crains particulièrement le secteur suivant qui doit nous amener au gite du Piton de Neiges sur 11,6 km avec une D+ de 1140 m (et une D- de 250 m) ; le début est plutôt cool en faux plat montant et je m'applique à trottiner dès que je repère un petit replat. Mais la pente se redresse ensuite jusqu'au lieu dit "Coteau Maigre", passage joliment aérien comme son nom l'indique. Ensuite survient une partie très technique (avec des échelles) de profil plutôt descendant ce qui n'interdit pas quelques menues grimpettes ; j'ai le sentiment que jamais, dans ma petite vie de trailer, je n'ai dû pour progresser faire preuve d'une telle concentration afin d'éviter les pièges (racines, dévers hyper glissants ...). Est-ce que j'oublie alors de m'alimenter pendant trop longtemps ? En tout cas c'est peu après ce secteur que le méga coup de bambou me tombe dessus : jusqu'au gite du piton des Neiges c'est l'enfer, je n'avance plus, je titube, je tombe même à un endroit sans difficulté. Je pense avoir cumulé à cet instant manque de sommeil, grosse fatigue et hypoglycémie. J'avale un gel, essaie d'hyperventiler, de réduire encore la longueur de mes pas et de retrouver de la fréquence mais rien n'y fait. Dans cette montée j'envisage même de mettre le clignotant à mon arrivée à Cilaos. On a beau avoir de l'expérience et savoir que réussir dans un l'ultra-trail c'est avant tout savoir gérer ces moments galères en se persuadant que "ça va revenir", quand on est dedans, il est très difficile d'avoir des pensées positives ! Le scepticisme de Robert Chicaud, le directeur de la course me revient alors en mémoire.
Enfin, je parviens à me traîner jusqu'à à la caverne Dufour (62 km, 11 h 56 et 399ème) où je m'accorde une pause conséquente ; je repars le moral dans les chaussettes à l'idée de la descente interminable de 1200 m qui doit nous amener au gros ravitaillement de Cilaos. Dans la partie supérieure de cette descente je me fais déposer par une bonne quinzaine de coureurs, des réunionnais pour la plupart, qui volent de marche en marche dans cette descente hyper raide, glissante à souhait avec ses rondins trempés ; on a beau savoir qu'il ne faut courir qu'en fonction de ses propres sensations, se faire dépasser par des avions ne contribue pas à remonter le moral. Cependant, au fur et à mesure de la descente, de meilleures sensations reviennent peu à peu, et je double même quelques coureurs ; sur la partie bitumée qui précède Cilaos, je suis sidéré de redoubler (en courant tranquillement) un certain nombre des coureurs qui m'ont dépassé dans la partie technique de la descente : je comprends alors que les réunionnais volent dans les descentes techniques mais détestent les descentes larges et roulantes !!! Arrivé à Cilaos (km 69, 13 h 42, 390ème), je retrouve mon épouse, mon fiston et un semblant de moral ; ma tendre me recadre gentiment mais fermement en me disant que j'ai 1 h 30 d'avance sur le temps prévu, que je ne suis pas blessé et donc qu'il n'y a aucune raison de ne pas repartir après m'être reposé. Je pense que sans eux je serais sans doute reparti, mais dans ces moments où la motivation a une fâcheuse tendance à s'étioler, il est certain que l'on a besoin d'entendre certaines vérités ! Je prends une douche, dors une dizaine de minutes, me masse puis je mange avec appétit (carry poulet + pâtes + Yop = miam-miam). Ma pause est sans doute trop longue (1 h 35) mais me rebooste. Je repars à 15 h 17, en 502ème position : 112 places tout de même perdues pendant l'arrêt. Mes suiveurs en métropole branchés sur le net commencent à s'inquiéter de ne pas me voir au contrôle de sortie et m'ont dit ensuite avoir cru que j'avais un gros pépin. Dans mon planning j'avais prévu un départ à 16 h 30, j'ai donc presque une heure un quart d'avance encore.
La descente jusqu'à la cascade de Bras Rouge me fait d'abord penser que j'ai effectivement récupéré mais je déchante vite : la portion suivante jusqu'à la traversée de la départementale d'Ilet à Cordes me semble interminable ; le profil s'annonce montant mais, entre deux montées, on ne cesse de redescendre de quelques dizaines de mètres ; je me fais notamment déposer par une jeune traileuse dans une pente bien raide ; la charmante semble monter sans effort alors que moi je me traîne tout en respirant comme une machine à vapeur ! Dur pour le moral !
Puis commence la fameuse montée au col du Taïbit avec ses marches toujours aussi hautes, toujours aussi nombreuses. J'ai la sensation d'avancer toujours très lentement et j'ai surtout encore très envie de dormir ; dès que s'amorce une portion d'une vingtaine de mètres sans marche, j'en profite tout en marchant pour fermer les yeux et je m'endors quelques instants ; je suis aussi toujours très essoufflé ce qui chez moi est normalement signe de méforme ! J'essaie de comprendre pourquoi je le suis autant depuis le début de la course ! J'ai pensé au départ que c'était à cause de l'altitude car c'est vrai que ma maison à Saumur se situe à 27 m d'altitude et que j'ai du mal à y faire des globules rouges ! Mais sur la course, que je sois à 2500 m ou à 1200 m, dès que la pente s'élève je me sens en dette d'oxygène. Je pense que l'explication tient plutôt au type de chemin rencontré sur ce raid et auquel je ne suis pas du tout habitué. Que ce soit sur mes chemins d'entraînement autour de chez moi ou même ceux que l'on rencontre souvent en montagne en France (par exemple la montée du Grand-col Ferret), on a affaire à des sentiers sans aspérités où le tendon d'Achille est certes constamment tendu mais où l'on peut régler la longueur et la fréquence de ses pas en fonction de sa morphologie. Je ne suis pas vraiment puissant et j'ai donc pour habitude de monter par petits pas mais assez fréquents. Sur les sentiers du Grand Raid les marches en rondins à gravir vous imposent une certaine longueur de pas ; si cette longueur ne vous convient pas, vous êtes sans cesse contraints de forcer en un mouvement contre nature et votre machine en souffre. Je ne suis pas du tout sûr d'avoir été clair mais...
Dans cette montée au col du Taïbit, à mi-pente, je m'arrête à un petit ravitaillement "sauvage" tenu par des gens charmants qui offrent une tisane parfumée qu'ils appellent la tisane « ascenseur » ; je ne sais pas ce que contient réellement ce doux breuvage, mais il s'est avéré par la suite que je venais de vivre mes derniers instants très difficiles ! Quelles mystérieuses herbes ont-ils fait infuser dans leur tisane ?
La fin de la montée du col du Taïbit se fait cependant encore dans la douleur ; j'arrive au col à la tombée de la nuit alors qu'il "farine" dru. Je sais en basculant derrière le col, que je m'approche de la mi-course (en temps et non en distance) mais aussi qu'en pénétrant dans le fameux cirque de Mafate j'atteins la partie de course que j'attends le plus. Ce cirque, le plus sauvage des trois cirques de l'île (Cilaos, Mafate, Salazie) n'est desservi par aucune route. C'est donc un point de quasi-non retour, car descendre dans Mafate signifie en ressortir sur ses gambettes.
Cirque de Mafate et col du Taïbit (au fond à droite) vus depuis le Maïdo
Après 500 m de D-, sur des sentiers méritant encore un maximum de concentration, j'arrive de nuit à Marla (km 85), petit ilet (prononcez ilette), où les bénévoles du ravito sont, comme partout ailleurs, charmants. Je pointe en 18 h 50 en 400ème position. J'ai maintenant deux heures d'avance sur mon planning. Un massage des cuissots et un graissage des petons plus tard, je repars dans le brouillard ; après quelques centaines de mètres, je rattrape un coureur manifestement très malheureux dans cette purée ; il se cale dans mes pas ; ma frontale pourtant réglée au maximum, je n'y vois pas grand chose non plus ; en effet, dans ces conditions, une bonne partie de l'énergie lumineuse est interceptée par les gouttelettes d'eau très fines et on a la sensation d'être ébloui sans pour autant distinguer le relief au sol. Le fait pour moi de porter des lunettes n'est pas fait pour arranger les choses (buée). Malgré cela, au fur et à mesure de notre progression, nous rattrapons des coureurs qui se mettent alors dans notre sillage ; après une heure ainsi, alors que nous approchons de la plaine aux sables, un réunionnais passe devant en me remerciant d'avoir fait la trace et en m'expliquant que la partie qu'on aborde correspond à ses terrains d'entraînement ; tout en continuant à discuter, il se débrouille pour éclairer avec une loupiote tenue à la main tous les pièges du chemin (comme le ferait un guide avec ses clients). La grande classe ! Juste avant de basculer dans la descente menant à la rivière des Galets et au site de Trois Roches, il me propose de repasser devant car il veut descendre au rythme d'un de ses copains. Je ne peux m'empêcher de penser que dans notre sport préféré on rencontre vraiment des gens très chouettes ! Dans la descente qui suit, toujours très raide, technique et rendue glissante par la bruine, je commence à percevoir un bruit bizarre provenant de la rivière des Galets en contrebas , je crois pendant plusieurs minutes qu'il s'agit d'un ou plusieurs groupes électrogènes permettant d'alimenter le prochain poste de ravitaillement de Trois Roches ; mais au fur et à mesure de la descente, je me rends compte que je n'y suis pas du tout : il s'agit en fait d'un concert orchestré sans doute par des crapauds ; je ne peux alors m'empêcher de repenser aux articles lus dans Ultrafondus sur les hallucinations dont on peut être victime lors de la seconde nuit d'un ultra-trail ; cependant, dans les jours qui ont suivi la course, j'ai rencontré sur un sentier réunionnais un traileur qui m'a dit avoir également pris le concert de ces charmants amphibiens pour des bruits de moteurs. Si quelqu'un pouvait me renseigner sur le nom exact des gentilles bébêtes...
A Trois Roches le ravitaillement est aussi sympa que les autres ; dans ces cas-là, j'ai une fâcheuse tendance à prolonger mes temps de pause à discuter avec les bénévoles ; c'est à ce ravito que l'un d'entre eux me fait remarquer que les premiers n'y restent pas plus de 30 secondes !
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Trois Roches est l'un des sites les plus réputés du cirque de Mafate : la rivière des Galets s'engouffre sous terre en y formant une belle cascade ; en traversant cette rivière je me dis qu'on est vraiment barjots de traverser Mafate de nuit ; aujourd'hui encore, après pourtant être passé à quelques mètres de cette cascade, je ne la connais seulement que par les photos consultées sur le net avant la course !
Le secteur suivant jusqu'à Roche Plate, je l'avais imaginé assez facile, eh bien c'est gras, raide, technique et ... interminable. La visibilité, quoiqu'un peu meilleure, est toujours problématique. Je remercie aujourd'hui le jeune traileur qui m'a amené sur son porte-bagages pendant une bonne demi-heure ; je m'accroche à lui en ayant parfois la sensation de monter un peu au dessus de mon rythme et puis, bizarrement, au moment où je me dis que je vais le laisser filer, il me laisse passer devant, et en quelques minutes, sans forcer l'allure, je me retrouve seul ! Les coups de moins bien en trail sont vraiment terribles !
J'arrive à Roche Plate au km 95 en 22 h 31 en 353ème position. Depuis Marla, j'ai mis exactement le temps que j'avais prévu. C'est à Roche Plate que je prends conscience de l'envergure de cette course ; les visages de mes collègues sont très marqués (je ne peux heureusement voir le mien) ; je rentre dans l'école qui sert d'infirmerie pour me soigner une ampoule sous le gros orteil ; des coureurs y sont allongés dans un état d'épuisement avancé ; dehors une bâche a été tendue et une dizaine de traileurs essaient de trouver le sommeil sous leur couverture de survie. Et dire qu'à cette heure-là, le vainqueur et son suivant sont déjà arrivés à Saint Denis !
Après m'être bien nourri (soupe avec pates puis café), je repars. Je me sens bizarrement plutôt bien et, ce qui n'est pas le moins étonnant, de mieux en mieux ! Mais je crains particulièrement le secteur suivant jusqu'à Grand Place les Bas : le topo annonce 8,1 km pour 540 m de D+ et 1440 m de D- , soit une pente moyenne de 24 % (soit montante soit descendante) ! Après un premier km relativement plat, c'est la dégringolade avec toujours des marches, encore des marches ! Je double beaucoup de coureurs qui boitent bas ; à chaque fois, en quelques mots échangés, ils m'expliquent qu'ils ont une douleur du type tendinite au genou. Moi, qui ai régulièrement souffert de ce type de douleur sur plusieurs courses il y a quelques années, je compatis et je me félicite d'avoir modifié ma position de course en descente ; depuis ce moment là, je suis toujours aussi peu rapide en descente, mais je me blesse moins ! Après deux traversées à gué se profile une pente terrible. Dans le dernier mois avant la course j'ai tellement passé de temps à étudier le parcours qu'au fur et à mesure de mon avancée, je vois exactement la carte défiler sous mes yeux. Le topo annonce pour cette côte 500 m de D+ en 1,9 km. Au moment de l'aborder je lève les yeux et j'aperçois haut dans le ciel une lueur ; après quelques instants je comprends qu'il ne s'agit pas d'une étoile mais bel et bien d'une frontale ! Il faut monter tout là haut ! Je décide de ne surtout plus lever la tête jusqu'en haut de ce col. Je m'applique à simplement bien respirer, bien boire, à me persuader que je suis bien... Sur cette portion je suis tout à coup inquiet de ne plus voir de rubalise. Aurai-je quitté le chemin ? Je me raisonne, mais après 24 h de course on n'est plus forcément très lucide et on peut de nuit facilement louper une bifurcation. Heureusement, après une centaine de mètres, j'aperçois par terre une enveloppe de gel énergétique : JE NE SUIS PAS PERDU ! J'en profite pour ouvrir une petite parenthèse sur un sujet qui me tient à cœur : tous les organisateurs de courses nature tentent de rendre plus responsable les traileurs quant au respect de l'environnement ; on peut dire que sur le Grand Raid, il reste beaucoup de chemin à parcourir, à mon sens beaucoup plus que sur des courses en métropole du type Templiers ou UTMB. Quelques jours après la course j'ai eu l'occasion (lors d'une randonnée au Maïdo dans le cirque de Mafate) de discuter de ce point avec des responsables de l'association de coureurs "Déniv" basée à la Réunion. Conscients du problème, ils avaient décidé de faire porter par chaque coureur sur le GRR un bracelet sur lequel figure la mention "je cours propre". Bravo pour cette initiative, mais manifestement "c'est pas gagné" !!!
Moi qui me considère honnête grimpeur mais piètre descendeur, c'est le monde à l'envers : il me semble ne jamais voir personne dans les montées, par contre je ne cesse de doubler lors des descentes. Après une descente plutôt facile, j'arrive à l'ilet de Grand Place les Bas (km 103) en 25 h 40 (309ème). Encore une fois, à 5 minutes près, j'avais, depuis mon ordinateur, bien évalué le temps mis sur le dernier secteur. Au ravitaillement je patiente quelques minutes que les bénévoles aient fini de refaire du café avant d'en ingurgiter un gobelet. Aujourd'hui, de mon fauteuil, je ne peux m'empêcher de penser que je ne pourrais optimiser mes performances en ultra-trail qu'en gérant mieux ces "arrêts au stand".
Le secteur suivant est plutôt montant (10 km pour 610 m de D+ et 220 m de D-). J'y progresse toujours seul mais j'apprécie de l'être. De temps à autre j'entends un bruit de plastique sur le côté du sentier et, tournant la tête, ma frontale éclaire un traileur allongé sous sa couverture de survie. Je me demande comment ils parviennent à trouver le sommeil tellement ces feuilles aluminées déclenchent de bruit au moindre mouvement. Après Ilet à Bourse j'aborde la descente vertigineuse équipée de câbles vers la Grande Ravine. J'y double un groupe de traileurs dont certains semblent peu rassurés. Je trouve dommage de ne rien voir mais d'autres sont manifestement contents de passer cette partie aérienne de nuit. Ensuite c'est une succession de bosses jusqu'à Aurère. Je remarque quelque chose de nouveau : moi qui ne me faisais plus dépasser depuis belle lurette, eh bien à nouveau des coureurs me doublent en progressant beaucoup plus rapidement que moi. Alors que je les félicite de leur facilité, ils m'expliquent qu'ils ont dormi et qu'ils se sentent comme neufs.
J'arrive à Aurère (km 112) en 28 h 13 en 269ème position. J'ai mis presque une heure de moins que prévu sur le dernier secteur ce qui porte à 3 h mon avance par rapport à mon planning. Je commence à me dire que les 40 h sont envisageables à condition de ne pas flancher, de ne pas me blesser... 43 h signifiait arriver de nuit à Saint-Denis (arrivée à 19 h pour une nuit qui tombe à 18 h 30) alors que 40 h me permettrait d'arriver de jour. Dans la tête ça change tout car on n'a pas à aborder une troisième nuit.
Cependant, j'ai eu un léger coup de "moins bien" dans la dernière montée et j'ai à nouveau envie de dormir. Un bénévole me dit qu'il vaut mieux se reposer au moment où on a effectivement envie de dormir plutôt qu'à l'endroit où on l'avait prévu. Il est un peu plus de 4 h du matin, le jour se lève dans moins de 2 h, c'est effectivement une bonne idée de faire un petit break. J'entre dans un petit dortoir garni de lits de camp, mets ma montre à sonner 20 minutes plus tard et m'allonge. Je perds conscience trois fois sans vraiment m'endormir profondément. Je me relève après 10 minutes, refais le plein de boissons et repars. Cet arrêt prolongé m'a refroidi, et je grelotte. J'ai du mal à envoyer mon SMS "P9" à mon épouse tellement je tremble. Heureusement, au départ d'Aurère, la traversée d'une prairie toute plate (ce doit être la seule dans le cirque de Mafate !) me réchauffe les abatis puisqu'il est facile d'y trottiner. La progression y est agrémentée d'un gymkhana pour éviter les dizaines de petites grenouilles surprises au milieu du sentier par le faisceau de la frontale. Ensuite, c'est la bascule dans une descente à nouveau très technique jusqu'à la rivière des Galets. C'est là que le jour se lève et que je peux pour la première fois découvrir Mafate de mes propres yeux. En métropole on ne peut voir nulle part quelque chose qui ressemble au relief de Mafate, un ensemble de crêtes acérées surplombant des parois abruptes mais recouvertes néanmoins de végétation. C'est sublime !
J'arrive à la base de vie de Deux Bras (km 121) en 30 h 10 et en 267ème position, bien décidé à ne pas m'y attarder. Il (ne) reste (plus que) 27 km avec 1600 m de D+ jusqu'à Saint Denis. Deux Bras n'est pas un village mais seulement un ravitaillement monté de toutes pièces pour la course par l'armée. Ils ont en particulier apporté en camion nos sacs contenant des vêtements secs. Je récupère le mien, me change, et apercevant la tente des podologues, me dis que je pourrais (pour la première fois) faire appel à eux pour soigner mon ampoule sous le gros orteil. Le compeed et l'élastoplaste posés à Roche Plate se sont tirebouchonnés dans la chaussette et j'ai à nouveau mal. Malheureusement je n'arrive pas au bon moment puisque tous les podologues sont occupés. Sur les trois coureurs allongés dans cette tente, l'un a les pieds particulièrement amochés ; plus exactement on a du mal à y trouver des endroits non abimés ; la podologue entame le second pied après avoir passé une demi-heure sur le premier ! Je suis particulièrement content de ma stratégie de m'arrêter quasiment à chaque ravitaillement pour m'enduire les pieds de crème anti-échauffement. Avec mon unique ampoule sous l'orteil je passe vraiment pour un pisse-menu ! Par contre, stratégiquement, ces 20 minutes à attendre mon tour, ce n'est pas du tout bien joué ! Enfin je sors de la tente avec des pieds tout neufs mais plutôt en colère après moi-même. Le temps de prendre un repas, de refaire le plein de ma poche à eau, je me suis arrêté en tout plus d'une heure ! Belle perf pour un gars qui devait faire vite sur ce ravito ! Je quitte Deux Bras après un temps de course de 31 h 13 en 292ème position (15 places perdues dans l'affaire). Pour couronner le tout, à la sortie du ravitaillement, occupé à rattacher mon sac à dos, je reste sur le grand chemin au lieu de bifurquer à droite. Je fais quelques centaines de mètres avant de croiser des gens qui m'apostrophent : "vous avez abandonné ? Ah non, vous avez encore votre dossard. Eh bien, vous vous êtes planté de chemin !" Je fais demi-tour et retrouve l'embranchement où j'ai omis de tourner. Un spectateur rasta est assis par terre et me regarde visiblement amusé de ma mésaventure... Je me retiens de l'engueuler car il est vrai qu'il aurait pu évidemment me remettre sur le bon chemin au moment où je suis passé près de lui, mais il n'est pas moins vrai que tout cela est de ma faute !
Dans ces cas-là on a évidemment une fâcheuse tendance à repartir pied au plancher pour rattraper cette double erreur ! Pied au plancher, c'est tout relatif après plus de 30 heures d'efforts car on n'a pas grand-chose à voir avec une F40 ! Surtout que se mettre dans le rouge (couleur Ferrari !) au moment d'aborder ce secteur serait une nouvelle erreur ! En effet la montée vers le village de Dos d'Ane est devenue quasi-mythique sur le GRR. J'en ai lu bon nombre, des récits de GRR où les coureurs coulaient une bielle dans cette rampe. En fait, jusqu'à l'église du village, il n'y a que 735 m de D+ pour 4,5 km ! Mais comme certaines portions sont plates ou même descendantes, ceci laisse imaginer le pourcentage des parties ascendantes. De surcroît, lorsque j'aborde cette pente, il est près de 7 h 30 du matin et à la Réunion, à cette heure-là, il fait déjà très chaud ! Malgré tout, je monte à une allure convenable ; mon altimètre m'indique le plus souvent +10 à + 11 m par minute soit un peu plus de 600 m à l'heure. Dire que mon allure d'entraînement est normalement 50 % supérieure à cette valeur ! Je double tout de même quelques collègues en très grosse difficulté mais me fais également dépasser par quelques avions ! Je suis tout heureux d'atteindre l'église de Dos d'Ane. Ce village est tout en pente et il reste encore 2,5 km sur route ou chemin facile (mais en côte) pour atteindre le stade. J'en profite pour consulter mes SMS. Mon pote Thierry, branché sur le net, m'indique qu'au denier pointage (sortie de Deux-Bras), j'avais trente coureurs dans les 25 minutes devant moi. Même très fatigué, ce genre d'info me rebooste et je parviens à courir sur les parties plates.
Je pointe donc au stade de Dos d'Ane (km 128) après 33 h 12 de course et en 275ème position. J'ai maintenant plus de 4 heures d'avance sur mon planning ! Fan de chiffres, je me fais des petits calculs. Pour arriver avant la nuit, il me faut parcourir les 20 derniers km en moins de 9 h soit une vitesse guère supérieure à 2 km/h. Bon, il faut que je sois un peu plus ambitieux. Pour arriver en moins de 40 h, il faudrait faire ces 20 bornes en 6 h 45 soit une vitesse de l'ordre de 3 km /h. Ce doit être envisageable ! Pour accrocher les 38 heures, 4 h 45 pour 20 km soit plus de 4 km/h. Faut pas rêver ! Mon planning prévoyait 5 h 30, si je m'y tiens, ce sera très bien !
Je repars de ce ravitaillement gonflé à bloc, je sais que je vais finir, il fait beau ; les récits racontent que dans une vingtaine de minutes, après une bonne grimpette, on a une vue géniale sur Mafate, en bref j'ai la patate !!! Effectivement on rejoint rapidement le lieu dit "Roche Verre Bouteille" (en raison d'un rocher de forme caractéristique) puis le sentier grimpe une arête qui devient joliment aérienne. A droite, 1000 m d'à pic nous séparent du fond de Mafate avec sa rivière des Galets et à gauche nous sommes 200 à 300 m au dessus du village de Dos d'Ane. Je pense à mon pote Marcel qui serait bien malheureux sur cette arête tellement il a peur du vide (il a pourtant fait l'UTMB !). En tout cas la vue sur Mafate est grandiose et je me promets d'y revenir avec ma petite famille (ce que je ferai effectivement).
Cirque de Mafate et rivière des Galets vus depuis la crête du Piton Fougères
Randonnée sur la crête du Piton Fougères
Puis, après le sommet du Piton Fougères à 1470 m, on enchaîne les montagnes russes. En haut d'une des côtes, je me dis qu'on doit être au sommet du dernier point haut, le Piton Batard (1500 m) à partir duquel doit s'effectuer la bascule vers Saint-Denis. J'aperçois bien un sommet un peu plus loin et plus haut, mais je me dis qu'il n'est pas pour nous. Badaboum ! Il fallait bien y grimper ! 100 m de D+ sur des marches et un sentier bien boueux. Enfin la descente, la vraie, débute et j'atteins le ravitaillement du kiosque d'Affouches. Pour une fois je n'y traine pas. On aborde ensuite 2 à 3 km de route forestière descendant à 4-5 %. J'y cours allègrement et je double encore des coureurs. Mon épouse parvient pour la première fois à me contacter sur le portable et me signale qu'ils viennent à ma rencontre au dessus de Colorado. L'émotion de les revoir bientôt est énorme et j'en ai presque les larmes aux yeux. Mais je me reprends car le sentier redevient à nouveau technique. On traverse une forêt de goyaviers dans laquelle on a tracé un sentier d'à peine 50 cm de large. C'est glissant mais beaucoup moins que ce ne le sera dans la soirée au moment où la farine recommencera à tomber : beaucoup de récits témoignent alors d'une progression très difficile obligeant les coureurs à s'accrocher aux branches pour ne pas être sans arrêt sur les fesses ! Dans cette descente un coureur me rattrape et j'engage la conversation. Jean-Bernard est d'origine réunionnaise mais expatrié en Bretagne. En bon réunionnais il dévale dans la descente et je m'accroche pour le suivre. J'ai mal aux cuisses, mais ça tiendra bien encore un peu ! Enfin nous arrivons à la hauteur d'Heidi et de mon fils. Je les embrasse et nous repartons immédiatement à la poursuite de mon nouveau guide. Heureusement que ma petite famille est également sportive car nous ne chômons pas.
Nous arrivons à Colorado (km 142) après 36 h 28 de course. Nous sommes 241ème et 242ème. Mes proches me laissent pour redescendre en voiture au stade de La Redoute. Il reste seulement 5 km et 630 m de D-. Je suis obligé de me déchirer pour ne pas me laisser distancer par mon collègue. Le début de cette descente est peu technique et nous dévalons le sentier à plus de 13 à l'heure. Je sais, pour l'avoir lu, que ça ne va pas durer ; on retrouve un sentier pierreux à souhait qui par endroit se refuse à descendre. On aperçoit le stade mais il ne s'approche pas bien vite ! Enfin nous atteignons la route, nous la longeons en courant comme des dératés. Puis c'est le stade ! Jean-Bernard qui connaît bien les lieux prend le dernier virage bien à la corde alors que je vire beaucoup plus large : je fais l'effort et nous finissons ensemble hilares ! Je suis fou de joie. Je souris comme un gamin devant un sapin de Noël entouré de cadeaux au moment où on me passe la fameuse breloque de finisher autour du cou.
Je suis sorti un peu large du dernier virage, et mon compagnon de route me fait l'intérieur !
Elle est pas belle la vie ?
Je finis finalement en 37 h 24 en 237ème position avec plus de 5 h 30 d'avance sur mon planning (mais plus de 16 h de retard sur le premier) ! Je croise Robert Chicaud, sur la ligne d'arrivée ; il me reconnait et m'avoue ne pas avoir cru que je serais un finisher.
Pour ceux qui peuvent s'offrir le voyage, n'hésitez pas à tenter votre chance sur la diagonale des fous. Cette course est envoutante et mon exemple prouve que l'on peut la terminer sans même habiter en montagne. Par ailleurs, les barrières horaires sont très souples par rapport à celles de l'UTMB, ce qui évite de progresser avec ce couperet au dessus de la tête.
Pour amortir le voyage, surtout si on décide de venir en famille, il faut également prendre le temps de visiter l'ile. La principale question demeure de savoir s'il faut y arriver très tôt avant la course et quitter l'ile juste après ou procéder comme j'ai été contraint de le faire. Les deux options présentent avantages et inconvénients. Arriver tôt permet de reconnaître éventuellement des portions du parcours, mais je pense qu'il est alors difficile d'avoir l'esprit libéré pour jouer les parfaits touristes car on a forcément la course dans la tête. Si on repousse ses vacances après la course, c'est le GRAND bonheur MAIS à condition d'être finisher ! Je pense que si j'avais été contraint à l'abandon, mes vacances n'auraient sans doute pas été aussi sublimes !! Par contre, il vaut sans aucun doute mieux éviter d'arriver le matin de la course à St-Denis ...
Que ce soit pour y courir ou non, en tout cas, venez à La Réunion !!! Les amateurs de mer et de montagne seront comblés. Une semaine après la course nous sommes allés en famille depuis Dos d'Ane jusqu'à la Roche Ecrite. Cette randonnée fut magnifique, alternant des vues sur Mafate et des passages en forêt. Nous avons marché durant 7 h. Une heure après avoir rejoint notre véhicule, nous nagions dans le lagon parmi les coraux et les poissons. Vous connaissez beaucoup de lieux au monde où on peut s'offrir de tels plaisirs dans la même journée ?
Les réunionnais sont pour la plupart des gens charmants et très accueillants. Certains coureurs se sont émus de ne pas avoir été traités à l'égal des réunionnais pendant la course. Même si c'est tout à fait regrettable, cela concerne seulement l'élite. Pour des coureurs lambda comme moi, les bénévoles se sont montrés ô combien chaleureux et prévenants.
Nous savons que nous retournerons là-bas dans un avenir que nous n'espérons pas trop lointain...
Dans le désordre, de gros mercis à :
E... pour m'avoir préinscrit par erreur à la CCC ; sans toi nous n'aurions pas découvert l'ile de la Réunion.
Mes potes coureurs qui m'ont rassuré les derniers mois avant la course et qui m'ont sans doute envié pendant la course.
Luc, copain traileur retrouvé fortuitement au trail des chevreuils en juillet dernier et qui nous a fait saliver cet été en nous envoyant un CD de photos du grand raid.
Mon père pour m'avoir emmené à la montagne tout petit.
Ma tendre et mon fils, qui me soutiennent, m'encouragent et doivent aussi me supporter la dernière quinzaine avant chaque course, au moment où je suis le plus casse ....
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8 commentaires
Commentaire de taz28 posté le 31-12-2008 à 09:37:00
Alors ça, pour être un superbe récit, c'en est un !!
Tout y est !!! Merci pour ces lignes sur le grand raid qui nous rappelle forcément de superbes souvenirs...
Cette île ne laisse jamais insensible, et l'envie d'y retourner reste tenace.
Bravo pour ta course !!
Taz
Commentaire de canard49 posté le 31-12-2008 à 09:59:00
Salut Jp
Impressionnant, passionnant, je ne regrette pas de t'avoir "emmerdé" pour l'écrire ce CR... Il y a tout, la précision, la rigueur, les photos, le résultat et l'émotion. Bien qu'on en ait parlé, j'ai appris beaucoup de choses et finalement cela parait moins facile que l'impression que tu dégageais à ton retour. ENFIN ! Tu écris que tu en as chié !!Cela fait du bien et puis tu es encore trop humble, c'est un exploit de finir surtout dans les 100 premiers V1 (Merde ! Il ne fallait pas le dire... C'est vrai que tu fais très jeune sur les photos!). On a maintenant deux Everest de retard (UTMB-GRR), il ne reste plus qu'à retourner s'entrainer pour enfin t'accrocher sur grand trail. Je souhaite évidemment participer avec toi au GRR la prochaine fois si c'est possible.
Comme tu écris très bien, tu seras le nouveau rédacteur de l'équipe !!
A très bientôt sur les routes saumuroises
Alexandre
Commentaire de L'Castor Junior posté le 31-12-2008 à 12:42:00
Magnifique récit, vraiment.
Et quelle performance !
Boucler cette course folle en débarquant de l'avion quelques heures seulement avant le départ, ça me semblait à moi aussi, avant de lire ton récit, totalement impossible.
Et le faire d'une aussi belle manière, avec une gestion de course parfaite, c'est un véritable exploit.
Merci de nous faire profiter de cette expérience pourtant probablement difficilement accessible au commun des mortels !
Commentaire de binoclard posté le 06-01-2009 à 17:26:00
Hello JP,
Ta reconversion est toute trouvé, Ecrivain.
Super récit. On sent porter par ton émotion tout au long du parcours. Je n'ai pu lacher la fléche "Descendre" avant la fin du récit tellement je voulais connaître le dénouement.
Super performance avec une gestion du course des plus remarquable.
On se fait sa propre image d'une course. Mais là, l'imagination laisse place à la réalité. Et on se dit que c'est grandiose, mais que cela se mérite.
Ce serait avec plaisir de reparcourir avec toi la forêt d'Allonnes.
Aller JP Bonne récup bien mérité...
Bisosu
Commentaire de Stéphanos posté le 11-01-2009 à 17:31:00
MAGNIFIQUE RECIT!!!
TRES GRAND BRAVO POUR TA SUPERBE COURSE!
Vraiment trés belle performance que ce soit pour ton récit et ton raid géré d'une main de maitre...
Stéphane, un ancien voisin j'avais une petite maison à Aubigné sur Layon, je serai heureux de te croiser,peut être a bientot sur un ultra!
Meilleurs voeux
Commentaire de maï74 posté le 04-11-2009 à 20:07:00
Je découvre ton récit et je suis stupéfaite des points communs avec le mien ! Les sensations, les photos, et même les fleurs en fin de récit, c'est fou !... En tout cas chapeau bas, c'est une très belle perf et tu arrives à sprinter à l'arrivée !!! je comprends que tu ais envie de remettre ça... A+
Commentaire de sonicronan posté le 30-05-2010 à 14:05:00
Je prends enfin le temps de lire ton superbe récit. Que de souvenirs ! Tu fais une superbe course, ce qui ne m'étonne pas.
Je suis content d'avoir fait ta connaissance sur l'Occitane. A bientôt.
Commentaire de marcussio posté le 07-04-2011 à 22:20:00
waouh ! chapeau Môssieur "Couture" ; tu n'as pas fait dans la dentelle, merci pour le récit ! par contre, ce n'est pas très malin de m'avoir dit de lire ton récit car maintenant ça va me travailler ! encore bravo l'Artiste !
Marcus
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