L'auteur : Pierre pfx
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 23/10/2009
Lieu : ST PHILIPPE (Réunion)
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Distance : 150.1km
Objectif : Terminer
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Journée précédant le grand départ. Grande concentration le matin avec mise au point de tout le matériel à emporter. Depuis longtemps ce moment a été préparé. Rien ne devrait être improvisé. L’organisation du grand raid propose d’acheminer des sacs à 2 endroits de parcours : Cilaos à 69 km du départ et Deux-Bras à 122 km.
De quoi aura-t’on besoin, fera t’il froid la nuit, va t’il pleuvoir ? La stratégie n’est pas la même et le poids du sac à dos course sera différent.
Je choisis de prendre ma micro-polaire et le coupe vent Raid Light avec moi. Un litre d’eau suffira et même un demi seulement au départ. La fiche plastifiée avec mes temps de passage aux contrôles. Le matériel obligatoire défini dans le règlement, les gels et barres ravito perso, chaussettes neuves, l’appareil photo !
Un sac trop lourd me dit Emilie qui insiste.
Que poser ? Vais-je le regretter par la suite ?
Le sien fait un bon 2 Kg de moins . C’est vrai que sur 150km aussi durs cela compte certainement....
Mais tant pis, j’ai peur de manquer !
Par contre dans les sacs acheminés à Cilaos et deux Bras on peut charger un max : chaussures, boissons, habits secs, piles, gâteaux de riz, etc.
Petit rappel du programme: 150 km avec 9200m de dénivelé cumulé positif et ... autant de négatif.
Franck nous a rejoint.
Il cumule les fonctions de préparateur, entraîneur, chouchouteur et compagnon d’Emilie.
Il fera son assistance perso tout au long du parcours en la rejoignant à chaque points de contrôles.
Tout est prêt et nous filons en voiture vers Saint Philippe en tout début d’après-midi.
Bien nous en a pris car d’énormes bouchons, dus certainement aux 2600 concurrents plus accompagnateurs qui font le trajet. Franck au volant commence son périple d’entraîneur accompagnateur assistant accès sur le dévouement et la patience.
Saint Philippe paraît finalement assez loin et surtout c’est bien bien long.
Emilie derrière est impatiente de se dégourdir les jambes « on va être tout ramollis, c’est pas bon » grommelle t’elle.
Moi devant, je suis dans un état léthargique qui ressemble à de la concentration mais qui en fait est un mélange d’inquiétude, de semi sommeil, d’isolement volontaire.
Arrivée au Cap Méchant (fait peur le nom !). Le ciel se couvre. Pourvu qu’il ne pleuve pas.
On est pratiquement les premiers. Quelques gouttes. Ce doit être juste un nuage, … bien noir quand même.
On se rapproche du stade où nous allons être concentrés pour le briefing. Désormais il pleut à grosses gouttes.
Repli stratégique dans la voiture. Moi je n’en bouge plus car la pluie s’intensifie .
Franck accompagne Emilie qui a des fourmis dans les jambes. Il faut qu’elle bouge tel un cheval fougueux sur la ligne du départ attendant l’ordre du starter. Je me dit : « elle en veux, c’est une battante, elle veut mettre moins de 35h, la barre est assez haute mais je la crois capable »
Passage du sas d’entrée avec le dossard comme laisser passer. On ne pourra plus ressortir que par devant sous l’ordre du starter. L'émotion s'intensifie.
Une immense toile de tente pour abriter les 2600 fous de l’averse (pas tropicale mais presque lol) qui s’abat maintenant.
Encore près de 2 heures à attendre le cul par terre dans un mélange d’humidité, d’odeur de camphre, de stress, de sons variés venant du micro de l’animateur, de jolies danseuses réunionnaises s’agitant sur les musiques séga très généreusement distillées.
Et la pluie de plus en plus fort !
Petit regard complice avec Emilie : on va en …… !
C’est parti. Des trombes d’eau. On est entièrement trempé en 30 secondes.
La route est un lac sur lequel, comme Jésus, on peut marcher, courir d’ailleurs !
A ce sujet, Pascal Penot, grand performer habitué du parcours, m’a conseillé de ne pas perdre de temps pendant le 16 premiers km qui sont assez roulants. Le risque est de se retrouver au début de la montée du volcan dans le single archi raide avec des bouchons de 10 à 20 mn dus à la moins bonne préparation des derniers qui seront les plus lents.
Alors je donne le max et double à tour de bras tant que je peux et avec mes petits moyens.
Pascal m’a dit « tu fais comme pour une course de 16 km ». => Efficio is ere feci fectum.
On tourne à gauche dans le sentier botanique qui s’apparente à un torrent boueux. Ce sont des trombes d’eau continues qui s’abattent. Le moral est bon, tout le monde en bave autant et cela fera des souvenirs inoubliables.
Et floc, floc, floc, floc. Chaussures étanches, connais pas.
La pluie faiblit au bout de 30 mn.
Premier ravito au kioske de basse vallée. De l’eau (c’est original !) J'ai une bonne avance sur mon timing.
Arrive la très rude et très longue montée au volcan (5km entre 700 et 2100m d’altitude soit une moyenne de 28 %) .
On ne peut pas doubler. Racines, boue, roches à escalader où il faut mettre les mains. Merci Pascal, pas de bouchon significatifs, un bon rythme d’ensemble que je peux suivre mais c’est dur.
Cela jusqu’à 2400 m d’altitude à Foc Foc, d’une seule traite ..la vache ! lol
La pluie a finalement cessé. Passage au contrôle de Foc Foc, il fait jour.
J’ai plein d’avance sur mes prévisions. Cela calme mon angoisse de ces derniers jours d’être rattrapé par les barrières horaires.
La vue sur le volcan est grandiose.
On domine l’enclos Fouqué et plus loin on devine le cratère Dolomieu qui actuellement est agité de plus 1000 tremblements quotidiens ce qui annonce une éruption imminente. Officiellement alerte niveau 1.
Vas y, la Fournaise ! fais nous un beau spectacle pendant que l’on est au balcon...... Pas de réponse !
Une splendide plaine des sables et ses multiples couleurs, un paysage lunaire mythique que l’on traverse sous les rayons du soleil. C’est plat et réconfortant, il fait soleil. Ce n’est pas le terrain de jeu habituel de nos entraînements provençaux. Dépaysement. Ça vaut le voyage.
Arrivée à 6h34 route forestière du Volcan. Premier point de contrôle et ravito complet.
Le Volcan-Plaine des Sables | 23/10 06:34 | 6h34mn19s | 30km | 2320m | 896ème | 9ème |
J’ai 2h d’avance sur mon prévisionnel. C’est chaud, cool, géant. Bon début me dis-je. A moi La Redoute !!!!!
Belle remontée (240m) vers l’oratoire Sainte Thérèse qui domine à 2400m puis descente vers Piton Textor. Mine de rien on vient de passer les 40 km marathon avec 3000 m D+ . Je m'esbaudis, une broutille au vu de ce qui nous attend.
La file de coureurs est toujours ininterrompue. J’apprendrai plus tard par Akuna que je suis dans les 860 et 5ème VH3. Ouah, ça le fait!
Emilie doit être déjà loin…. Pour moi c'est à fond la caisse ( plus cotée à l’argus d'ailleurs lol ).
C’est de la descente jusqu’à Mare à Boue.
Autre paysage. C’est beau, vert, plein de vaches, pas de boue du tout (la pas plu !).
Tout va bien . Comme d’hab on finit par retrouver un peu les mêmes coureurs que l’on a repérés. Moral au beau fixe.
Pas de bobos, pieds tout neufs dans mes 48 fillette (2 pointures de mieux et mes orteils sont en vacance).
Beaucoup de monde pour encourager sur le parcours. Cette course est événement national pour la Réunion. Elle fait partie de l’image de marque de l’île et les réunionnais qui sont très majoritaires comme participants, se font un point d’honneur de la gagner absolument.
Les encouragements sont pour tous et les ‘peis’ (j’essaie de parler créole !) sont là nombreux jour et nuit et nous lancent de sympathiques « allez … bon courage ! » et certains en musique.
Point de contrôle Mare à boue à 9h40, 5ème VH3, 856ème scratch.
Mare à Boue | 23/10 09:40 | 9h40mn57s | 50km | 1594m | 856ème | 5ème |
Carry poulet, yaourt, chaussettes neuves, T shirt sec, buff kikourou. Voilà le menu.
Regonflé à bloc direction le célèbre Piton des Neiges, un 3000.
Aie, ça remonte, et très beaucoup ! (1150m D+ et 250 m D-) d’un coup en 11,5 km.
Sacré pente, technique et éprouvante . Quatre heures pour le refuge du Piton des neiges, point culminant de la course à 2484 m. Fait froid ! Mon avance s’accentue. Moral au beau fixe.
J’y crois de plus en plus. Au passage, bravo les bénévoles qui, tout sourires, nous réconfortent et encouragent alors que leur situation est très inconfortable..
Quantité de coureurs sont sur la touche enveloppés dans leur couverture de survie, hypoglycémie , blessures, épuisement.
Une évacuation en direct durant ma halte.
Il est 13h 50. Presque 4h de mieux que prévu. Environ 900ème me dit-on .
Gîte du Piton des Neiges | 23/10 13:50 | 13h50mn40s | 62km | 2484m | 909ème | 8ème |
Plus de soleil, on est dans les nuages. Je repars très vite vu la température plutôt glaciale .
Curieusement il faut rebrousser chemin car l’accès au refuge est à l’écart du tracé GR. C’est pour 300m max mais ce n’est jamais agréable de revenir en arrière, … bien qu’en croisant ceux qui arrivent ça réconforte d’être mieux placé.
De l’avant ! par Toutatis.
Les bâtons sont interdits sur cette course sauf un en bois sans pointe métallique et un seul.
A mon avis inutile et encombrant. Jusqu’à présent je n’ai vu personne avec. C’est vrai que dans certains passages où il faut ’’mettre les mains’’ les bâtons sont plutôt un handicap et un danger.
Totalement adepte de cette aide, si cela avait été autorisé, je n’aurai pas hésité à les prendre quitte à ne les utiliser que dans certaines portions. Pourquoi oui à l’UTMB et non au Grand Raid.
L’UTMB est beaucoup plus roulant et de ce fait plus facile.
L’UTMB ? .. un circuit pour touristes à côté de la Diagonale.. Je plaisante encore .. quoique ? lol
Annoncé : descente sur le Bloc avant d’atteindre Cilaos. Tenez vous bien, un non stop de … 1097 m de D- en 4 km.
Oui, oui, j’ai vérifié, c’est bien ça !!! J’te dis pas les chocs répétés. Succession d’échelles, de mains courantes.
Descente raide agrémentée, comme toujours ici, de remontées plus courtes mais éprouvantes aussi.
Attention les chevilles. C’est du costaud. Faut pas être distrait, concentration maximum. J'en oublie l'APN.
Maintenant 200m D- encore et c’est Cilaos. Il en a fallu du temps pour descendre, 3heures.
Pas fatigué ? Faut pas exagérer mais je sens mon avance progresser et mon enthousiasme grimper.
Fait, la moitié du chemin environ : 69 km et 4260 m D+.
Entrée Cilaos à 15h 45 et 900ème sur 2600. J’ai 4h d’avance sur mon prévisionnel.
Cilaos Entrée | 23/10 15:45 | 15h45mn07s | 69km | 1224m | 900ème | 8ème |
Il est beau le Pierrot !! Petit calcul basique et naïf ... mi parcours en 16h environ ... donc l’arrivée en 32h.
Il est toléré jusqu’à 64h. OK, ça ne fonctionne pas comme ça, pas du tout, mais cette vue onirique libère l’esprit,
vu la marge confortable.
Cilaos, ville thermale au centre d’un cirque né de l’effondrement du volcan du Piton des Neiges.
Son nom malgache « Tsilaosa» signifie « lieu que l’on ne quitte pas »
C’est du n’importe quoi ! Pas question d’arrêter bien sur.
La base de vie au stade avec le sac perso qui attend est une halte bien méritée. Une heure d’arrêt prévue.
Je regarde les notes et c’est 8h d’avance sur la barrière horaire officielle qui me faisait tant peur. Une pression de moins mais faut pas mollir, on est très très loin de l’arrivée.
Slip, chaussettes, barres énergétiques, tenue haut et bas. L’homme est tout neuf.
Peut-être dormir ? Pff, quelle idée ! Pas sommeil, on continue, on verra bien plus tard à Marla peut être,13 km plus loin.
On m’a dit qu’il y faisait froid (1600m alt) et qu’il n’y avait rien pour dormir.
Mais j’y pense, mon téléphone !!
Sur ON et je consulte mes SMS. Akuna me confirme ma bonne place et est étonné que je sois là si tôt.
Un bon dopant pour repartir tout de suite. Il m'écrit qu'Emilie est déjà à Marla et se place 2ème féminine.
Phénoménal !!!!! J’ai une avalanche de texto des amis qui m ‘encouragent et cela fait un bien immense.
Mon moteur interne piloté par mon mental me dit de repartir. Ce que je fais illico.
Je me sens des ailes (c’est une image ! lol)
Cilaos Sortie | 23/10 17:20 | 17h20mn48s | 69km | 1224m | 961ème | 8ème VH3 |
Cilaos est aussi l’endroit du départ du semi-raid (80 km avec 4700m de D+). Damned, mais c’est ce qu’il nous reste à faire nous aussi ! Les demi-fous s’élanceront à 6h du matin donc dans 12h environ. On va les voir (les premiers) nous doubler dans la journée, enfin on va plutôt sentir le courant d’air au passage !
Rejoindre le pied du col du Taibit, c’est l’objectif.
Descente jusqu’à la cascade du Bras Rouge avec remontées successives de près de 400m de D+.
Il faut tout d’abord passer de 920m de Cilaos à 1260m. Interminable et démoralisant.
La nuit ne va pas tarder à tomber (boum !). Des bruits bizarres se rapprochent. C’est le moteur des groupes électrogènes. du ravito , route d’Ilet à Corde.
Musique, ambiance créole, bénévoles dévoués et sympathiques.
Pose miam miam, glou glou et chaussettes neuves relaxantes.
Pied du Taïbit | 23/10 19:25 | 19h25mn32s | 76km | 1260m | 878ème | 7èmeVH3 |
On traverse la route et voici le début du célèbre col du Taibit qui permet de sortir du cirque de Cilaos. Il est redouté de tous. Et pour cause. Une grosse pente surprenante dès le départ. Pourtant c'est pas la première.
La nuit est tombée, (rien entendu ! lol), et pour un bon moment je crois. C’est la deuxième et j’ai pas du tout sommeil.
Me connaissant (si,si !), je m’en doutais un peu. Par contre plus de photos car le flash ne porte qu’à 3 m environ et qu’il faut rester concentré sur le faisceau de la frontale.
J’en avais pris deux. J’utilise en même temps les deux sur mon front, une qui éclaire devant mes pieds et l’autre à quatre, cinq mètres au delà. Le grand confort. A renouveler, c’est trop bon.
Raide de chez raide. Mille mètres en 4 km soit 25 % en moyenne . Les jambes répondent mal. Serait ce la fatigue ?
Au quart du chemin un groupe de réunionnais nous offrent des tisanes locales bien chaudes en promettant que cela va nous booster jusqu’en haut en un rien de temps. C’est la traditionnelle et localement célèbre « tisane ascenseur».
Je prends un verre avec mi-liquide, mi-sucre ! Par Toutatis ! On verra bien l’effet de la potion magique.
Je rencontre une charmante concurrente qui monte à ma vitesse. On papote, s’attend, s’encourage.
Le sommet se rapproche. Chantal, de son petit nom, a du mal à rester éveillée. Elle lutte pour ne pas s’endormir en marchant. Habituée des grands trails, c’est la première fois me dit-elle qu’elle s’endort debout comme ça.
On croise bons nombres de concurrents.
- Trop dur annoncent-ils, on arrête. Déchirant.
Descente commune jusqu’au point contrôle de Marla dans une forêt d’acacias.
Chantal file instantanément sous une tente pour dormir un tantinet.
Marla | 23/10 22:34 | 22h34mn28s | 82km | 1580m | 873ème | 8ème |
Quant à moi, le plus costaud des costaud lol, pas question de dormir ! Je prends un peu de quoi manger (pas très faim) et m’assieds à table sur un tabouret… Pas le grand confort ...… et c‘est tout tordu que je me réveille un quart d’heure plus tard, fourmis dans les jambes, la tête en compote, affalé sur le plateau, refroidi, sans avoir compris comment j’en étais arrivé à cet état de déchéance. Mon premier quart d’heure de sommeil. Mauvaises conditions et pas trop récupérateur.
Qu’importe, il faut repartir. Tiens, j’ai un peu mal au dos, ça va passer. Ce doit être la mauvaise position sur le tabouret.
J’attends un réunionnais qui me propose de faire chemin commun et, surprise, voici Chantal qui nous rejoint. Elle n’a pas pu vraiment dormir. Trop froid. On part à trois, avec André le réunionnais, collègue prof dans le civil, en tête.
Traversée par la passerelle Joset, réputée vertigineuse. M’en fous, je n’ai plus le vertige et de toute façon on ne voit pas dessous avec la nuit. Nous sommes dans la Plaine aux Sables.
Suivent les contrôles de Trois Roches
Trois Roches | 24/10 01:46 | 25h46mn41s | 89km | 1220m | 840ème | 8ème |
et Roche Plate.
Roche Plate | 24/10 04:11 | 28h11mn45s | 95km | 1110m | 858ème | 8ème |
Un parcours de nombreuses marches en montées et descentes. Dur mais pas vraiment dans l’extrême. Il paraît que les points de vue sont magnifiques avec entre autres une grande cascade. Il faudra revenir en rando de jour !!
Un bruit de marteaux piqueurs dans la nuit ? à cet endroit isolé de partout ? (aucune route dans le cirque de Mafate).
Les bruits se rapprochent et viennent de la rivière des galets.
Ce sont moultes crapauds qui harcèlent leurs femelles en rut. Impressionnant le niveau sonore. Je me dis chanceux de ne pas être grenouille, ce doit être une ''drôle'' de vie.
André connaît parfaitement le parcours et il n’y a plus qu’à le suivre. Le petit groupe progresse laborieusement mais sûrement.
Mon dos me fait de plus en plus souffrir et quelques tendons dans les chevilles deviennent douloureux dans les innombrables montées. Plus de jambes. On affiche quand même 95 km au compteur avec 6200m de D+ .
Ça doit y faire !
A Roche Plate, bon nombre de coureurs enveloppés dans les bruyantes couvertures de survie cherchent le sommeil.
La cour de l’école semble une infirmerie de campagne. Ravito solide. Café(s). Faut alimenter la machine.
Rester assis provoque un endormissement quasi instantané. Il faut bouger.
Il est 3h20 du matin, 28h de course et 858ème . Toujours 8ème VH3.
J’ai réussi à garder ma place et mon avance reste considérable.
Direction Cayenne. 800m D + nous attendent.
En fait, comme à l’habitude dans Mafate, il faut monter pour redescendre et descendre pour remonter. Rien n’est plat.
Je me dis qu'Il y a du boulot pour la voirie du 974 pour niveler tout ça lol.
Chantal ne veut pas traîner pour arriver samedi soir à Saint Denis. Le rythme s’accélère.
J’ai trop mal aux jambes et très mal au dos. Je ne peux pas suivre à cette vitesse.
Magnanime, je lâche « - Allez y, je préfère prendre mon temps ». Tu parles, je ne peux plus suivre.
Je ne la reverrai qu’à St Denis le dimanche après midi ….. sur le podium 3ème VF2 en 44h.
J’apprends par un SMS d’Akuna qu’Emilie est passée première . Chapeau Emy. Elle va faire exploser son ‘'moins de 35h’'. Elle va gagner ?? . Incroyable, fantastique !!!
Toujours les nombreux SMS des amis à l’écoute sur internet, même la nuit !!). Du baume au cœur. Merci.
Voici Cayenne. C’était dur Cayenne... (pas vrai Papillon ? lol). Prochaine étape Grand Place.
Il fait maintenant bien jour. La fatigue se lit sur les visages. Je dois avoir mauvaise mine car plusieurs fois on me demande mon âge, ....pour savoir si j’approche les 100 ans ? Je réponds à un grand gaillard athlétique sur le chemin, «J‘ai 65 » .. je rajoute 6mois pour épater.
Il se met à crier, (textuellement véridique, il se reconnaîtra ..): « - si je réussis à faire le grand raid à 65 ans, je me ballade tout nu pendant une semaine dans toute la Réunion » !!
Terribles montées avec du 25 % de moyenne. Douleurs et fatigue. Le mental prend le dessus. Mon corps est un outil et je dois m’adapter à ses problèmes et faire en sorte que ce soit mon esprit (il y en a qui disent que j’en ai pas ???) qui commande. JE VEUX arriver coûte que coûte à La Redoute. Il me reste pas mal de temps.
Point de contrôle de Grand Place à 9h 20 soit 33h 20 de ballade. 970ème .
Grand Place | 24/10 09:20 | 33h20mn16s | 103km | 540m | 970ème | 9ème VH3 |
J’ai perdu 78 places à cause de mon dos.
Mes 100 ans apparents attirent les caméramans de Canal + , rien que ça ! J’ai droit à des interviews en tant que doyen de la course. « - C’est pas moi je crois .. !». Monsieur C+ ne veut rien entendre. Celui-là fera l’affaire pense-t’il.
Deux autres caméras arrivent, attirées du coup comme des mouches sur de la confiture.
De toute façon, je suis sûr qu’on ne verra jamais les images.
Entre nous j’ai totalement oublié d’utiliser mon appareil photo. Même pas la présence d’esprit (encore lui ) d’immortaliser la scène.
Il est temps de partir. En courant (150m !!!) pour faire bonne figure devant la caméra.
Après quelques virages en montée un autre caméraman, ce coup ci de télé réunionnaise, placé stratégiquement m’attendait pour me questionner. La célébrité sans passer par la Star Ac !! Je ne sens plus la fatigue.
Montées descentes. Mon dos me fait horriblement souffrir. Je me serre en permanence pour laisser passer.
Tout le monde me double avec aisance.
Passant près de l’école d' Ilet à Bourse, un groupe de kinés m’interpelle. C’est vrai que j’ai le profil de Quasimodo dans ses plus mauvais jours.
Massage savant et venue providentielle d’un ostéopathe qui me manipule car j’apprends que j’ai une vertèbre déplacée. Peut-être deux. Erotique position, l’Ostéo me prend par derrière (en tout bien tout honneur lol) .
Cela provoque une érection de ma colonne vertébrale et CLAC, elle se remet en place. Je suis sauvé.
J’ai toujours mal, mais je me tiens enfin droit. Merci à l’équipe sympa et compétente.
Moi repartir regonflé et, damned, 2mn après, la douleur revient, la vertèbre s’est encore barrée.
Faudra faire avec car JE VEUX la médaille à l’arrivée. Pas fait 10 000 km pour abandonner.
Je passe la difficulté du parcours, la douleur omniprésente, la débauche de volonté . Je m’arrête tout les 200m pour m’étirer. La position courbée qui revient immédiatement est la plus douloureuse. Je mets les mains dans le dos bien tendues en arrière pour essayer de rester droit. « Tu t’es cassé le bras ? …. Tu es parti comme ça ? … On peut t’aider ? … » - « Non merci, j’ai mal au dos ..»
Quelle galère !!!
Pour ceux qui n'en croient pas un mot, Maindru Photos m'a envoyé quelques clichés pris sur le parcours.
Là c'est vers Mare à Boue avant Cilaos.
Après Grand Place, puis avant Deux Bras..
Aurère l’école : une montée interminable de 250m agrémentée de 170m de descentes.
Coin des kinés. Massages jugés inutiles . Cachet 1g doliprane . Un quart d’heure de sommeil, miam miam, glou glou et c’est reparti avec mon dos en vrac.
Solitude du coureur blessé. Pas de compagnon de route. Je vais trop lentement.
Heureusement mon avance confortable, bien entamée quand même, reste toujours pleine d’espoir. Faut tenir !
Aurère | 24/10 13:26 | 37h26mn12s | 112km | 750m | 1075ème | 11ème VH3 |
Prochain centre de vie : Deux Bras ; Ensuite ce sera la sortie du cirque de Mafate.
Deux Bras Entrée | 24/10 16:42 | 40h42mn26s | 121km | 255m | 1153ème | 16ème |
Ici l’armée a pris la direction des opérations. Aucune route n’a jamais accédé au cirque de Mafate, seuls des véhicules 4x4 peuvent remonter la rivière des galets pour se cantonner à cet endroit (Deux Bras).
La logistique est impressionnante avec camions cantine, dortoirs, infirmerie. Médecins.
Ah oui, ... j’ai voulu un cachet antalgique et demande à un docteur. Il me dit « - il vous faut arrêter »
Je réponds effrayé « - gardez votre cachet, je repars tout de suite, pas question d’arrêter »
Il avait le droit de conclure ma course, je me suis échappé.
Le deuxième sac pour se changer est ici.
J’en profite aussi pour décharger mon sac à dos. Je prends le strict minimum. Emilie doit être contente. J’apprends qu’elle aurait terminé en tête. Quelle championne !!!!!!. Je suis très fier d’elle. Elle m’avait dit avant le départ « n’abandonne pas Pierre, sauf si tu es blessé bien sur. » … Je suis blessé Emilie, j'ai mal, mais j’abandonnerai pas . ;-))
Il y une tente dortoir (c’est la 3ème nuit consécutive sans beaucoup de sommeil !)
Les militaires sont là pour nous réveiller à notre convenance. Je choisis donc dans 1h30.
Regonflé par ce somme en somme réparateur lol, nous voilà repartis (bibi et mon mal doesque !) à l’assaut de la montagne. Total, 3h d’arrêt ici. Que le temps passe vite.
Je suis 1199ème . Perdu 230 places. Ca parle tout seul.
Deux bras sortie | 24/10 19:41 | 43h41mn04s | 121km | 255m | 1199ème | 17ème |
Il faut désormais gravir en direction du village de Dos d’Ane, 800m de D+ en 4,5 km avec des plats, des petites descentes et surtout des pentes montantes avec nombreux passages équipés. Moyenne 33 %.
Il faut escalader à flanc de falaise Paraît que c’est très vertigineux. Pas vu, il faisait nuit, mes frontales pourtant réglées au max. Dtout’ façon, j’ai plus le vertige (depuis 6 mois).
Je vais pas faire pleurer dans les chaumières et décrire ma douleur mais le challenge est devenu plus qu'extrême et seul un ‘testar’ peut croire terminer. D’ailleurs le repos m’a régénéré les jambes et de ce coté là, tout va pour le mieux. Je pourrai me remettre à courir si …........... merde ! merde ! merde ! ......... (ça fait du bien lol).
Stade de dos d’âne. 130 km de passés, les 20 qui vont suivre seront interminables. 43 places de perdues.
Dos d'Ane Stade | 24/10 23:12 | 47h12mn07s | 128km | 1064m | 1242ème | 19ème |
Arrêt chaque 5 à 6 mn pour m’allonger n’importe où sur le dos et étirer ma colonne verte et brâle (lente) re-lol.
Il fait nuit et pas froid. L’étroit sentier passe sur une crête (piton Fougères) avec à droite falaise de 1000m de déniv au dessus de Mafate et à gauche 300m au dessus Dos d’Ane.
Le trajet est fait de nuit et en quelque sorte en aveugle, tant mieux. Faut bien rester au milieu.
Je m’allonge régulièrement pour ma colonne sur le côté du chemin. On me met immanquablement en garde du vide
qui est juste à coté. Même pas peur !
Piton Bâtard, le bien nommé car on ne le voit jamais arriver. C’est un point géodésique donc le plus élevé du quartier.
On monte, on monte. Ca y est ? Non, ça redescend. And so one.
Ravito du kiosque d’Affouches , la Fenêtre. Descente très glissante dans une forêt de goyaviers. Accrochez vous aux branches !
Puis la base de loisirs de Colorado.
Le Colorado | 25/10 07:42 | 55h42mn00s | 142km | 680m | 1294ème | 20ème |
Je suis à 55h de course et me retrouve 1294ème . Encore 52 places de lâchées.
M’en fous, je vais y arriver.
Au loin on voit Saint-Denis maintenant.
C’est dimanche aujourd’hui, il fait jour à présent. J’aurais dormi moins de 2 heures en 3 nuits.
Je traîne mon boulet mais la victoire est au bout du tunnel et on voit maintenant la lueur divine qui aveugle
de ses rayons magiques et libérateurs.
STADE de LA REDOUTE , derniers 100m avec toujours ma progression alternant marche rapide et arrêt allongé pour étirements. J’attire la curiosité. On me questionne souvent. Un dévoué coureur m’a même proposé de m’envoyer du secours. Je hurle … NON !!! …de toutes mes forces. J’ai pas fait tout ça pour arrêter la dernière heure.
Redoute Ligne d'arrivée | 25/10 10:01 | 58h01mn20s | 147km | 53m | 1335ème | 22ème |
Perdu 40 places en 2km, 1335ème / 2600 mais …. LA MEDAILLE .. que j’embrasse à la ligne d’arrivée.
J’avais calculé sur 60h larges et .. il m’a fallu 58h 00. Tordu mais heureux.
(On me volera 1mn dans les résultats officiels, c’est pas bien ! lol)
Le meilleur pour la fin. Confirmation : EMILIE EST ARRIVEE PREMIERE FEMININE en 28H 58 et 32ème au scratch. Et il y avait du beau monde. BRAVO, BRAVISSIMO !!
C’est ma plus grande joie du moment.
Franck et Emilie, le binôme gagnant.
Curieusement je ne réalise pas encore que j’ai bouclé la plus mythique des courses dont je rêvais depuis plus de 10 ans.
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http://jt.france3.fr/regions/popup.php?id=c45a_1214part1&video_number=5
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C'est finalement la sportive métropolitaine Emilie Lecomte qui est arrivée la première en catégorie femmes. Elle a franchi la ligne d'arrivée samedi au petit matin (4h58). Longtemps deuxième derrière Christine Bénard, elle l'a donc coiffé au poteau dans la dernière partie de la course. La Réunionnaise avait moins d'une heure d'écart sur la gagnante, puisqu'elle a terminé sa course à 5h37 ce matin.
Grand coup de chapeau à ces deux sportives, qui se sont classés au scratch (classement toutes catégories) respectivement 32 et 38e.
Première de la catégorie vétéranes 1 femmes, Hélène Haegel Arpin est arrivée samedi matin à 6h39 (50e au classement scratch).
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10 commentaires
Commentaire de Jay posté le 12-11-2009 à 10:33:00
super récit , plein de détails , vraiment au coeur de ta course ... une belle course .. un rêve de 10 ans couronné par un bel exploit ...
Juste Bravo à toi ,
Jay
Commentaire de Pierre pfx posté le 12-11-2009 à 11:02:00
Merci,
A voir le buff KIKOUROU dans le volet (part 3) du reportage CANAL +
Pierre.
Commentaire de DJ Gombert posté le 12-11-2009 à 13:48:00
Bel et authentique exploit. Sincérement content pour toi. Ceci-dit même cassé en deux, tu ressembles plus à un Sherpa qu'à Quasimodo.
Bonne récup Pierre.
Commentaire de Françoise 84 posté le 12-11-2009 à 14:23:00
J'ai beaucoup aimé ton récit, merci à toi!! Bravo pour cette jolie traversée et ton super mental (à défaut d'avoir un dos en béton...!). Soigne toi bien maintenant!!
Commentaire de the dude posté le 13-11-2009 à 15:18:00
clap clap clap!!!
Un grand bravo, sacré mental et belle course.
Merci pour les photos.
Commentaire de brague spirit posté le 13-11-2009 à 18:04:00
Un joli récit,ou l'on peut bien resentir,les forces mentales qui ont suplantées le pysique.
Elles t'ont pemis d'aller au bout,pour recevoir la médaille.
Commentaire de gmtrail49 posté le 14-11-2009 à 11:16:00
Si comme toi je parviens dans 20 ans à boucler le GRR, je ne promets pas de me balader à poil à travers toute l'ile de la réunion, mais qu'est ce que je serai fier ! Bravo donc pour ton exploit et ton combat pour lutter contre la douleur.
J'ai aussi beaucoup apprécié l'humour et les photos de ton récit.
Chapeau l'artiste.
JP
Commentaire de Sprolls posté le 14-11-2009 à 12:56:00
Ouah ! Grand bravo d'être allé au bout avec ton boulet au dos, on sent que tu étais ultra-déterminé de la finir celle-là ! Merci pour le récit très sympa et plein d'humour et les belles photos.
Et vive la célébrité télévisuelle ;-)
Commentaire de NICO73 posté le 14-11-2009 à 20:30:00
Quel récit, quel exploit, quelles photos. Tu m'as fait passé un excellent moment. Je suis toujours impressioné par ce type de performance.
Commentaire de Gévannes posté le 23-11-2009 à 09:52:00
Super reportage, très complet avec des photos sublimes. Bravo également pour la course.
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