L'auteur : ddfutmb
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 22/10/2015
Lieu : st Pierre (Réunion)
Affichage : 2267 vues
Distance : 164km
Objectif : Terminer
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En route pour un rêve de 4 ans...
Comme j'ai déjà pu le mettre en évidence dans d'autres récits, j'ai commencé à courir en août 2011 avec l'idée de pouvoir faire un jour, la Diagonale des fous! L'intérieur sport de Canal + m'avait mis à l'époque, une sacrée claque. Footballeur et un peu chochotte pour pas un euro sur le terrain, je venais de prendre conscience que la douleur pouvait être tout autre en voyant ces coureurs de l'extrême au beau milieu d'une nature qui vous domine de par sa grandeur. C'est donc avec une vrai conviction que je me suis mis au Trail. Et en l'espace d'à peine quelques semaines, j'étais deja accro! Mon premier ultra bouclé en juin 2012 (Ardennes Mega Trail, que je recommande), je remets le couvert l'année suivante sur cette même épreuve pour "solidifier" les acquis et ne pas brûler les étapes. En août 2014, je participe à la grande messe de l'UTMB, après un tirage au sort heureux en janvier. L'expérience est magnifique, je boucle le tour du Mont Blanc en 42h50, ravi et meme aux anges. Il me faudra du temps pour redescendre de mon nuage.
Mais que faire en 2015? Je ne sais pas, donc sur un coup de tête je re-tente l'inscription pour l'UTMB mais cette fois-ci, je prends un stop. Ma femme me glisse en toute tranquillité : et si on allait à la Reunion pour faire la diagonale ? Ma tension double d'un seul coup! Mais pourquoi pas ! Je programme mon année en conséquence, une année chargée, trop chargée? En Mars, j'achève la Transgrancanaria en 29h19, une course très difficile avec des conditions un peu particulières. Il me faudra du temps pour m'en remettre. Après avoir fait le GR20 fin mai - debut juin en randonnée, je me place sur la ligne de départ de la Montagn'hard debut juillet. Une grosse claque dans la tronche avec une alerte canicule. 40c• a 14h, mon corps n'accepte pas et je fais une insolation. Vomissements, léger malaise, l'impression que le corps vous lâche : tout y passe. J'abandonne au 50e km. Mon premier abandon en 4 ans. Moralement difficile mais très salvateur pour la suite. Car c'est avec une rage d'enfer que je suis au départ des 85kms de l'Echappée Belle, une traversée nord de toute beauté. 21h40 après un départ en fanfare, j'arrive à Aiguebelle, très satisfait mais avec déjà les yeux tournés vers La Reunion. Cette fois, ça y est. Il n'y a plus de course avant, juste de l'entraînement, un mois et demi pour ainsi dire avant le grand saut.
Direction la Reunion !
Apres un petit avion Paris-St Denis du jeudi 15 au vendredi 16, me voici en terre promise, à la Reunion. 5 ans que je n'y avais pas mis les pieds. Nous sommes accueillis par quelques bénévoles qui ont déjà la grande forme. Petite sacoche offerte, café, grand sourire, c'est la fête à l'aéroport Roland Garros, 6 jours avant le début des hostilités. Ces 6 jours me sembleront interminables. Ce sont des vacances et j'essaie sincèrement de faire la part des choses mais impossible. Mes yeux sont rivés sur la course. Pas de stress, beaucoup de doutes. Je me sens en grande forme physique mais épuisé mentalement après cette longue saison. Se préparer est une chose, se cramer en est une autre. J'en arrive à un point oú je me demande même comment vont se passer les 6 premiers kilomètres de plat. C'est l'enfer dans ma tête. Il ne me reste plus qu'à attendre le départ et on fera le bilan à ce moment là.
Jeudi 22 octobre, 21h55.
Ca y est, cette fois-ci c'est le grand jour. 4 ans d'attente, 6 jours de souffrance mentale, à faire et refaire le parcours dans ma tête. Je n'arrive cependant pas à visualiser l'arrivée dans ma tête. Trop dur, trop d'embûches bien avant. Quoi qu'il en soit, les sacs d'assistances sont déposés, j'ai reçu les derniers encouragements de ma belle famille, de ma femme. Je suis en compagnie de mes acolytes, Pierre, Guy et Regis. Des machines. Rodés, calibrés et expérimentés comme il se doit à ce genre d'épreuve. Nous visons tous les 50h pour éviter la 3e nuit. Dans quelques instants, le départ va être donné. L'ambiance est exceptionnelle, la pluie nous a rejoint. Tout est magnifique, il n'y a pas de mot.
5,4,3,2,1, c'est parti!!!!
St Pierre ---> Domaine Vidot : 14,6 kms / + 518 / - 40
Ca y est ! Nous sommes lancés sur l'avenue centrale de St Pierre avec un public en délire de part et d'autre de la route! Ca crie, ça chante, il y a de la musique, un feu d'artifice! C'est un grand moment pour les coureurs! Tout le monde est fou de joie! Je regarde à droite, à gauche, j'essaie d'emmagasiner un maximum de souvenirs. Je ne perds cependant pas de vue l'objectif qui est la course. Je regarde très régulièrement ma montre : je vise le 10km/h sur cette longue portion bitumée. Pas plus, pas moins. Je sais que je risque d'avoir des bouchons mais en me plaçant dans les 100 premiers, je devrais les avoir minimisés. On verra. En tout cas, une foule de coureurs me double à une vitesse déjà ahurissante. Je trouve ça dingue de courir à cette vitesse alors que l'on est dans les 2-3 premiers kilomètres. Je garde la tête froide, ma vitesse de base. Je sais que je vais retrouver tout ce beau monde au fil de la course. Certains seront partis trop vite me dis-je. J'aurais raison. Quoi qu'il en soit, je reste serein et achève ces 7 premiers kms en toute tranquillité. Même pas essoufflé. Je me sens en forme, il fait bon, c'est maintenant que la course commence vraiment avec la pente qui s'élève légèrement en direction du domaine Vidot. Je marche dès le moindre faux plat, je cours lorsque c'est possible mais toujours en toute décontraction. Nous passons par les champs de canne, c'est assez sympathique. Les terrains ne sont pas trop gras, ce qui aident nos appuis et nous permets de ne pas consommer trop d'énergie. L'ambiance est toujours exceptionnelle même si nous approchons du 14e km. Plus irrégulière bien sûr mais toujours aussi extraordinaire.Dans les 100 premiers au départ, je pointe à la 958e place au Domaine Vidot (WTF!). En 1h49' alors qu'initialement, j'avais prévu 2h06. Tout va bien physiquement, ma tête va mieux qu'au départ, bien aidée par cette ambiance extraordinaire!
Domaine Vidot ---> Notre Dame de la Paix : 24,3 kms / + 1727 / - 60
Pas trop le temps de traîner au ravitaillement. Je veux profiter de ma bonne forme et garder le rythme jusque Piton Textor (40e km), au point haut de cette première longue montée. J'emboite ainsi le pas des coureurs devant moi et entreprends de courir très régulièrement. Quelques bouchons viennent ralentir ma progression mais je prends mon mal en patience. On aura tout le temps de s'énerver sur la course mais pour le moment, je suis relativement serein. Je profite donc des parties plates pour relancer la machine. Rien à signaler sur ce tronçon, mes jambes répondent bien. Le dos tire un peu mais au fur et à mesure des ajustements sur mon sac, je parviens à rééquilibrer son poids. Seul petit souci mais il est de taille pour moi, je sens déjà que mon estomac est fragile. J'arrive encore à m'alimenter normalement mais je sens que ça ne va pas être une escapade gastronomique sur cette diagonale. Moi qui me réjouissait de manger du rougail-saucisse sur le parcours. Je crois que c'est rappé. Il va falloir être vigilant.
Quoi qu'il en soit, je garde le train avec quelques terrains propices à la relance. Du plat sur de l'herbe et des sentiers monotraces, il faut en profiter. Je reprends Régis puis Pierre que j'entraîne jusqu'au ravitaillement de Notre-Dame. Tout le monde à la forme. En ce qui me concerne, j'ai gardé ma bonne dynamique, sans forcer. Je pointe 960e en 4h32', pour 4h26' prévu. Je suis presque parfait sur mon temps prévu. La fête continue.
Notre-Dame de la Paix ---> Piton sec : 34 kms / + 2281 / - 260
Au même titre que lors du ravitaillement précédent, je ne perds pas de temps. Je remplis mon sac, mange un peu de sucré, un peu de salé et je remets la machine en route. Pierre prends son temps. Il me dit de partir. Je m'exécute. Je ne veux pas perdre trop de temps et il est encore tôt pour se mettre en route ensemble. Au 160e kms, si on est tous en course mes amis et moi-même, nous nous attendrons. Mais ce n'est pas encore le moment.
Ce qui est par contre choquant, c'est de voir déjà autant de personnes allongées sur les lits de camp, avec leur couverture de survie. Nous sommes encore à une altitude respectable (1565m) et il n'est que 2h30 du matin. Après, les coups de fatigues ne s'improvisent pas forcément, autant que les coups de froid. J'espère simplement que la majeure partie des coureurs en difficulté pourra repartir.
En ce qui me concerne, c'est le départ vers Piton Sec, avant-dernière étape de cette longue ascension. Tout se passe bien pour moi. La température reste agréable, je suis couvert correctement. Mon moral est à bloc. Les terrains, qui plus est, permettent par moment la relance ce qui donne réellement l'impression de progresser dans la course. Aux sentiers monotraces et petites échelles succèdent quelques portions bitumées. Pas forcément la joie pour nos genoux mais on relance encore et toujours. Je suis dans le rythme et rejoins Piton Sec en 6h39', en 933e position. Un classement dont je me moque mais qui tant à confirmer ma régularité sur ce premier quart de course. J'ai cependant une grosse demi-heure de retard sur mes prévisions. Je ne m'inquiète pas. Je sais que tous mes calculs ont été fait manuellement et que je gagnerais du temps probablement à d'autres moments. Je reste tout à fait confiant.
Piton Sec ---> Piton Textor : 40 kms / + 2589 / - 315
Je ne m'arrête presque pas à Piton Sec. Je sais qu'il y a un ravitaillement à Piton Textor. Je ne remplis pas mon sac, seulement mes deux petites bouteilles d'eau ; parfait complément de ma poche d'1,5 L dans mon dos. Je repars à l'assaut de cette fin d'ascension qui marquera la fin du premier quart de la course. On va encore « morfler », mais c'est toujours ça en moins. La fin de cette montée est tout simplement magnifique. Le levée du soleil sur le Piton de la Fournaise et les montagnes environnantes est un spectacle d'une beauté à couper le souffle. Quelques nuages viennent caresser le haut des sommets. On a l'impression d'être au paradis, d'être déconnecté du monde. Ca restera un magnifique souvenir à vie. Pas trop le temps de gamberger cependant. Il faut rester concentré car le terrain devient technique par moment. Pas mal de pierres aux sols qui peuvent vous arracher une cheville et vous enlever votre rêve de finisher. Mais je suis toujours dans le ton en ce début de journée. Je cours sur une nouvelle courte portion bitumée pour arriver au ravitaillement de Piton Textor. Il est 5h43' après 7h43' de course. Je suis 820e. Un « petit » 100 places grapillés, probablement dû à mon arrêt bref au ravitaillement précédent. Un premier « bon » arrêt s'impose.
Piton Textor ---> Mare à Boue ---> Coteau Kerveguen ---> Cilaos : 66kms / + 3474 / - 2158
Le jour est levé, le ciel est clair, le soleil radieux. La journée s'annonce magnifique. Je me découvre rapidement pour éviter le coup de chaud. Petit maillot technique manche longue, casquette saharienne qui vous donne un air de … rien du tout...Et c'est reparti. Je ne ressens pas de fatigue et par conséquent, je veux mettre cette forme à bon escient pour rejoindre Cilaos au plus tôt.
Mais avant ça, direction Mare à boue et Coteau Kerveguen. Première petite descente de cette diagonale et comme prévu, je ne suis pas forcément à mon aise. J'ai fait beaucoup de progrès dans le domaine, mais pas encore de quoi pavoiser. Je me fais doubler régulièrement mais je garde mon approche « petits-pas ». Un à la fois pour garder les chevilles intactes et éviter une chute douloureuse. Je progresse tranquillement et profite de la moindre portion plate pour courir. J'ai encore la force et la capacité à relancer. J'en profite pour rejoindre Mare-à-Boue, sans boue en cette année 2015 ce qui est assez exceptionnelle. Une longue ligne droite est proposée avant d'arriver au ravitallement où l'ambiance est énorme. Des tentes personnelles, matelas pour les coureurs. Ce n'est pas de l'officiel mais de l'aide des familles ou autres sponsors qui donnent envie de s'arrêter. Même si ma famille n'est pas là, je jette un œil pour les apercevoir mais sans succès.
Je m'arrête ainsi au ravitaillement officiel de Mare-à-Boue pour manger un peu de pâtes et du poulet en j'enchaine vers la montée du Coteau Kerveguen.
Très technique par moment, cette montée me donne mes premières alertes. Rien de grave pour le moment mais un peu de fatigue. Je rame sévère par moment, j'ai le souffle court et le soleil commence à taper. Je m'hydrate bien et reste assis quelques secondes sur des rochers dans les moments faibles. Autant psychologiquement que physiquement, ces petites coupures font du bien. Mais cette montée reste interminable. Quand tu vois un point haut, un autre se cache derrière et tu as l'impression de ne jamais en finir. Je râle pour la première fois de la course mais c'est bien normal. Le manque de sommeil commence à guetter même je m'interdis la moindre sieste. Ce n'est pas encore le moment. J'atteins enfin le sommet et le Coteau Kerveguen. Je ne connais pas l'heure et le temps que j'ai pris mais ca ne restera pas comme une partie de plaisir. Place désormais à la descente vers Cilaos : un morceau de 6,4 kms pour -1200 M. J'ai déjà mal d'avance !
Le début de cette descente est juste une torture. On a l'impression de descendre à pic avec des ravins gigantesques à côté de soi. Je ne suis absolument pas serein. Je me fais doubler par un nombre incalculable de personnes. Petits virages sur petits virages avec racines, pierres, échelles ; bref, une torture pour les nordistes. Je commence à avoir mal au genou gauche. Bien à l'intérieur histoire de te faire mal à chaque pose de pied. Je serre les dents sur cette première partie et rejoins Mare à Joseph, bien abîmé. J'enchaine cependant en direction de Cilaos avec un tracé toujours descendant mais plus régulier. Malheureusement, la douleur à mon genou gauche ne s'estompe pas. C'est sur, je vais la traîner jusqu'à l'arrivée. Si je tiens le coup...J'entreprends de compenser avec l'autre jambe, c'est pas gagné mais ca vaut le coup d'essayer. Je poursuis ma route et rejoins Cilaos, avec ma conpagne sur le dernier kilomètre, à 11h28' avec 30' d'avance sur mon temps prévu. Je suis 757e. J'ai gardé le rythme finalement. Maintenant, c'est le moment d'une première longue pause.
Cilaos --- > Marla : 78,6 kms / + 4756 / - 3328
Changement de vêtements, chaussettes, mp3, montre. Je fais le contrôle technique avant d'aller manger et de repartir vers Marla et ma deuxième nuit dans le Cirque de Mafate. Pendant mon moment « restauration », je tombe sur Guy, un des collègues également sur la course. On entreprend de redémarrer ensemble sur quelques kilomètres. C'est avec plaisir que j'accepte. Car les prochaines étapes seront difficiles :Taïbit, Maïdo. Les deux plus gros morceaux de la course.
Mais ce qui ne devait être qu'une aide de 2 ou 3 kilomètres se transforme en une vrai complémentarité. Très rapidement, nos rythmes bien calés nous font progresser très correctement et on décide de tenter un bon bout d'aventure ensemble. Un moment « esprit trail » comme on les adore. Après une descente rapide vers Bras rouge, nous remontons vers le Taïbit. Un morceau qui va nous « sécher ». Car même si elle présente un profil « progressif », cette montée propose par périodes des pentes bien raides et longues. Les marches dont j'ai tant entendu parler font leurs apparitions. C'est dur mais par chance, le ciel est nuageux. La chaleur ne nous accable pas. Des locaux nous proposent un thé à mi-parcours pour recharger les batteries. En difficulté en ce début d'après-midi, cette petite boisson et son sucre de canne vont me donner un bon coup de bambou. Je retrouve la forme. Guy, un ton au dessus, enchaîne également et nous arrivons en sommet avec le sourire. Une petite section descendante dans la foulée et nous voilà à Marla. Il est 16h06' après donc 18h06' de course. Nous sommes en avance de presque 2h sur notre plan de marche commun de 50 heures. Nous sommes bien heureux. Tout en sachant que nous passerons la nuit ensemble. La course se profile bien. J'ai un très bon sentiment.
Marla ---> Rivière des Galets : 102,2 kms / + 6018 / - 5663
Nouvel arrêt, cette fois-ci à Marla. Nous nous ravitaillons bien car la suite s'annonce rude. En effet, après une montée au Col des Boeufs, nous plongerons dans le Cirque de Mafate. Une étape d'une trentaine de kilomètres où tu rentres et tu ressors à pied. Pas de route. Si tu abandonnes en étant blessé, c'est l 'hélicoptère et rien d'autres.
Pour le moment, tout va bien. Même si la douleur à mon genou gauche est toujours présente. Mon genou droit, sur lequel je m'appuis beaucoup plus commence également à montrer des signes de fatigue sur l'extérieur. Une petite inflammation probablement. Je passe au Doliprane tous les 4 heures. Ce n'est pas forcément raisonnable mais j'assume quand je dis que je veux aller au bout à tout prix.
Après une montée toute en tranquilité vers le Col des bœufs, nous amorçons notre descente vers Rivière des galets, point bas du Cirque à 500 mètres d'altitude. Le chemin est technique par moment, je me tords d'ailleurs une bonne fois la cheville droite. Mais je garde la tête haute et enchaîne avec mon collègue Guy. Lui, il reste droit comme un I. On a l'impression qu'il domine la course. Je suis assez subjugué par sa facilité. Il n'a pas l'air de puiser en tout cas. Moi, je sens que je suis en retrait mais notre rythme reste bon. La nuit est tombée depuis bien longtemps sur l'île lorsque nous débarquons à Rivière des Galets. Il est peut être 00h30 dans cette deuxième nuit. Nous avons déjà dormi quelques 20 minutes à Grand Place qui nous ont fait le plus grand bien. Nous gardons la dynamique.
Rivière des galets ---> Roche Plate ---> Maïdo tête dure : 112 kms / +7747 / -5848
Cette fois-ci, ca y est. La montée vers le Maïdo est devant nos yeux, plus précisemment notre frontale. Et elle nous fait un grand sourire. Avec Guy, nous voyons les coureurs très hauts dans le ciel. On ne pleure pas mais on sent que cela va être un moment difficile. Moi je suis assez inquiet. Mes deux genoux me font très mal par moments et je ressens très fort la fatigue. Nous entreprenons de découper la montée en 25 000 morceaux. En gros, on s'assoit 30 secondes à une minute tous les 4-5 virages. C'est très découpé mais finalement, le ryhme est « régulier ». Je suis clairement à la peine. J'ai du mal à m'alimenter depuis quelqus heures et c'est la sanction qui tombe. Je souffre, j'ai mal, ja suis fatigué. C'est beaucoup pour une deuxième nuit et en plein milieu de la plus grosse difficulté du parcours. Pour la première fois, je demande à Guy de partir si il se sent mieux mais il ne veut pas. Il est plus rapide que moi mais notre méthode lui va bien. Il ne puise pas dans les réserves.
A mi-parcours, à Roche-Plate, nous décidons de nous arrêter un petit moment. Lui pour dormir, moi pour voir les médecins. Mais ils ne peuvent rien pour mes genoux. Tendinite probable sur les deux. Et bien on va faire avec comme dirait l'autre. Je finirais en rempant s'il le faut. Après cette course séance d'oscultation, je m'assis sur un banc pour dormir en position « jai trop bu et je tangue ». Je ne dors pas mais je me repose. Une bénévole semble avoir pitié de moi et vient me voir à 5 reprises en 4 minutes pour me proposer du thé, de l'eau, des gâteaux... J'accepte le thé qui m'avait fait le plus grand bien dans le Taïbit. Et nous repartons à l'assaut du sommet.
Malheureusement, la pause n'aura pas été totalement fructueuse. Je traîne toujours ma peine. Je m'endors en marchant. Chaque pause de trente secondes à une minute me permets de fermer les yeux et de m'endormir à la vitesse de Barry Allen. Et à chaque fois, le « Allez Loïc, c'est reparti » de mon ami Guy résonne dûrement dans mes oreilles. Mais je me force. Tout doucement, le jour commence à pointer le bout de son nez. Nous entendons de plus en plus les encouragements de quelques supporters au sommet. Je me mets des claques énormes pour me forcer à rester éveiller. Ca fait du bruit et ça choque quelques coureurs mais ça reste efficace. Au bout d'un effort que j'ai cru insurmontable par moment, j'arrive au sommet du Maïdo. Mes beaux-parents sont là. C'est un moment merveilleux. Les supporters nombreux en cette heure matinale (il est 5h30) nous donne des petites tapes dans le dos, dans la nuque : « Vous avez fait le plus dur ». Cette phrase résonne dans ma tête. Je sais que la route est encore longue mais ils ont raison.
Nous amorçons notre descente en 638e et 639e position, revigorés par cette dernière journée qui débute. Je ne suis plus fatigué. Une nouvelle course commence. Et celle-ci doit me mener à la Redoute et me voir accomplir un rêve vieux de 4 ans.
Maïdo ---> Sans Souci : 126,6 kms / + 7842 / - 7618
Placé un peu plus bas que le sommet, l'assistance du Maïdo est une bénédiction. Changement de chaussette, crème NOK, changement de chaussure. Je (pense) faire ce qu'il faut pour parcourir ce dernier quart de course. Je me restaure, Guy fait de même. Nous sommes sûrs que nous irons au bout ensemble. Nous ne lâcherons pas maintenant.
Nous repartons à bon rythme dans cette descente pas trop technique. Nous alternons marche et course au gré de nos beaux et mauvais moments. Nous faisons aussi une petite sieste sous un arbre à l'ombre. La chaleur est déjà présente en ce samedi matin. Nous mettons de la crème solaire pour nous protéger et nous poursuivons notre descente. J'ai un peu moins mal aux genoux avec mes nouvelles chaussures qui changent mes appuis. Je suis très heureux.
Nous arrivons tout doucement vers sans-souci avec la volonté de profiter de ce grand ravitaillement. Nous nous faisons masser et nous rechargons les batteries avec du riz, du poulet et des lentilles. Un arrêt très revigorant. C'est en tout cas ce que je pense.
Sans-Souci ---> Grande Chaloupe : 151 kms / + 9060 / - 9135
Après cette arrêt d'une bonne demi-heure (il est 10h), nous repartons à l'assaut du dernier quart de la course. Une quarantaine de kilomètres qui vont nous proposer des difficultés mais rien à voir avec le Maïdo ou la descente vers Cilaos. C'est donc très confiant que je sors du ravitaillement. Mais après 100 mètres, je me rends compte que j'ai les genoux explosés. Mon genou droit notamment qui me fait désormais mal, même en marchant. Le kiné a joué avec mon TFL pour le « relâcher ». Il a fini par m'exploser la jambe. Je suis hyper en colère. Surtout contre moi. Sachant que ça tenait pas trop mal, j'aurais du éviter la séance de massage. Je suis très inquiet. J'essaie de m'étirer en marchant, je reprends du doliprane. Je ne suis pas bien mais il va falloir lutter. Guy m'encourage et je décide d'emboiter son pas. Clairement, notre rythme n'est plus le même mais il s'arrête régulièrement pour m'attendre.
Nous empruntons le chemin ratineau qui est une vrai saleté avec des passages où il faut s'accrocher aux arbres pour ne pas se fendre le crâne ou se péter un genou. C'est hyper technique et après 125 kms, c'est extrémement fatiguant. Mais nous enchaînons encore et toujours. Les ravitos de fortunes nous font du bien. Nous voyons les kilomètres et les heures défilés tout en gardant une « forme respectable ». Je suis démoli de partout mais je sais que cela pourrait être bien pire. Je suis encore en course et en avance sur mon plan de marche : je n'ai pas le droit me plaindre. Après un passage rapide à la possession, nous repartons en direction de la Grande Chaloupe en passant par le chemin des anglais. Une cochonnerie aussi ce passage que j'aborde avec une énorme cloque sous le pied droit.
Le mélange cloque sous la voûte plantaire du pied droit + tendinite sur la même jambe est assez sympathique. Ca me donne une démarche crabe tout à fait exquise. Nous continuons cependant notre chemin tout en étant doublé par les coureurs du trail de Bourbon qui sont « aériens ». Nous, on est « aériendutout » et nous marchons pour regagner la Grande Chaloupe.
Il est 16h57 lorsque nous arrivons a cet avant-dernier ravito. Ca sent l'écurie. Encore une montée/descente avant d'arriver au stade de la Redoute.
Grande Caloupe ---> Saint Denis, La Redoute : 164 kms / + 10000 / - 10000
Après un très bon ravitallement, nous partons à l'assaut des dernières embûches de la journée. J'annonce à Guy que nous serons à 20h ou 20h30 à La Redoute. Initialement, nous avions prédu d'y être pour minuit. Guy semble un peu dubitatif mais je maintiens mon estimation. D'ailleurs, nous continuons de monter sur un bon rythme. Mais un bon rythme pour des gens qui sont en route depuis plus de 40h. Donc pas rapide !
Moi je commence progressivement à décrocher et Guy le sens. On décide de faire nos arrivées séparées. Lui avec sa fille et moi, seul. J'aurais aimé que mes parents et ma femme soient là. Mais j'ai commencé à courir pour faire cette course. Et j'ai bien envie d'avoir ma photo franchissant l'arrivée en solo. Rien d'égoïste mais j'ai révé de ce moment. Je finis donc la montée seul, avec Guy quelques minutes devant. Mon genou droit hurle qui plus est et je profite du ravitaillement du Colorado pour me faire poser un strapp. C'est le dernier point haut de la course. J'en profite pour me ravitailler également. Le kiné me pose le strapping rapidement. Il m'indique que c'est une bonne idée car on va morfler dans la dernière descente. En effet, il pleut depuis une bonne heure et le terrain s'est transformé en Mare-à-Boue ! Un beau bordel que j'aborde très inquiet. Il ne reste que 4 kms, 4 ! Mais je tremble devant la difficulté et mon genou qui s'apprête à me lâcher définitivement.
La descente vers la Redoute sera un long chemin de croix. Je vais tomber à plusieurs reprises mais comment pourrait-il en être autrement. Boue + pluie + rochers + racines d'arbres cachés. Tout ceux qui ont fait cette descente vous diront la même chose : c'était dangereux et très risqué. J'avance façon tortue fatigué et je mettrais approximativement 2 h pour faire 4 kilomètres. D'ailleurs, dans la fin de la descente, mon genou droit se dérobera sur le coup de la douleur. Encore 10 kilomètres de course et j'abandonnais. Fort heureusement, le bruit de la foule se rapproche, les lumières du stade brillent de plus en plus. Des larmes commencent à couler.
J'entre dans le stade de La Redoute. C'est un merveilleux moment. J'entame une nouvelle coourse façon crabe et me dirige tout droit vers l'arrivée. Je franchis l'arche en 47h26, les bras en l'air, mon sac dans les mains. Un jour, j'ai rêvé de finir la Diagonale des fous. J'ai simplement mis 4 ans pour matérialiser mon rêve !
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6 commentaires
Commentaire de Françoise 84 posté le 18-11-2015 à 18:23:28
Bravo!! Et merci pour ce récit plein d'optimisme (et ça a marché!). J'espère que ta récup est bonne et que tes douleurs ne sont plus que des souvenirs?
Commentaire de ddfutmb posté le 19-11-2015 à 08:42:48
Merci, les genoux ? A gauche ça va, à droite c'est plus compliqué. Mais repos, ostheo, kiné, étirements et c'est reparti !
Commentaire de Bacchus posté le 18-11-2015 à 21:38:24
Bravo, belle perf !! il en fallait du courage pour aller au bout avec deux tendinites
Merci pour ce CR
Commentaire de Sylvtrail06 posté le 19-11-2015 à 20:35:25
Super récit j'espère faire de même un jour !
Commentaire de teddom posté le 22-11-2015 à 20:00:14
merci pour ce très joli récit,cela fait rèver il fallait ètre très fort pour tenir malgrès la douleur félicitation
Commentaire de Renard Luxo posté le 09-02-2016 à 13:06:14
ô crime de lèse-majesté autoroutière, je viens seulement de tomber sur ton récit. Vraiment génial, tout autant que ta progression d'ailleurs, laquelle donne à croire que tu es capable de relever n'importe quel défi ! Je retiens le savoureux "aériendutout" ! Lol. Dans mes futures galères je penserai aux tiennes en me fendant la poire. Au plaisir de te revoir camarade.
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