L'auteur : Francois dArras
La course : Saintélyon
Date : 6/12/2009
Lieu : St étienne (Loire)
Affichage : 4743 vues
Distance : 69km
Matos : Buff Kikourou
ML craft + micro polaire RL + goretex paclite
collant wintertrail RL
guêtres RL + asics gel trail goretex
sac camel bag decat 5L
Objectif : Terminer
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Une nuit d'hiver dans les Monts du Lyonnais, j'ai aperçu quelques lumières.
Je les ai suivies (ou serait-ce elles qui m'ont suivi ?).
Il m'en reste quelques flashs, quelques images.
Un peu plus tôt dans la journée, j'ai bien du mal à trouver des mots pour répondre à un petit garçon de 4 ans 1/2 qui me demande « Mais pourquoi est-ce que tu vas courir toute la nuit ? La nuit on dort. ».
Je lui confirme que la nuit est faite pour dormir et bafouille qu'une fois de temps en temps on a le droit de ne pas dormir et d'aller courir... Pas très convaincant.
Avec un peu plus d'éloquence j'aurais pu lui raconter qu'au mois de novembre il est difficile d'échapper à la Saintélyon sur le forum de Kikourou. Et qu'en novembre 2008 je n'y ai pas échappé, j'ai suivi les préparatifs d'autres kikoureurs, j'ai pensé à eux en m'endormant un samedi soir, je me suis levé plusieurs fois dans la nuit pour envoyer des encouragements à des inconnus et, une fois le jour levé et les kikous arrivés, j'avais une furieuse envie d'y être moi aussi. Le rendez-vous était pris.
Dans le train qui m'emmène à Saint-Etienne je regarde les km défiler et je réalise soudain que ce sont les mêmes qu'il faudra faire à pied dans quelques heures. 1 heure de TER pour l'aller, combien pour le retour ?
L'AABSBOPBEM (AAB super bien organisé par Blob et Mamampat) se déroule calmement. Aussi calmement que l'AEK (attente entre kikous) qui a précédée. Stress, calme avant la bataille, timidité ?
N'étant pas d'un tempérament explosif en milieu inconnu, ce n'est pas moi qui risque de mettre le feu aux poudres et j'adopte un comportement caméléon. Je me contente d'approfondir des connaissances déjà croisées et de ficher quelques nouvelles têtes. Il y a les avatars qui s'incarnent sans hésitation, ceux qui ont un air de ressemblance mais qu'on n'imaginait pas comme ça (j'ai vu le grand grand maître Mathias ! Je le voyais plus grand, sûrement influencé par son talent de coureur et de webMaster) et ceux dont on n'a aucune idée de qui ils peuvent être. Étant avare de mon image sur le forum, je ne doute pas de faire partie de cette dernière catégorie pour les autres.
« Alors t'es prêt ? » : question entendue dix fois au cours des derniers jours.
Réponse unique : « On verra... »
Si l'envie est présente depuis longtemps, la préparation physique fut nettement plus courte. Un peu de sérieux dans l'entraînement depuis mi-août, quelques sorties supplémentaires et d'autres un peu plus courtes. Cela suffira-t-il ? « On verra... ». Et on est plus qu'à quelques heures de voir.
La rubrique « Objectifs » de mon Kivaoù ? mentionne « Terminer » et « 10 heures » comme perspectives. Même si certains me flattent en me prédisant mieux, et que je me laisse aller à prétendre approcher les 9h, la fourchette haute de 10h me conviendrais, même si le temps m'importe peu en vérité. Si j'avais dû développer j'aurais pu préciser « Terminer en courant, sans marcher ailleurs que dans les côtes », voilà mon ambition réelle.
Elle n'a pas changé lorsqu'à l'assaut des premiers côtes j'entends Pégase prononcer cette prophétie : « N'essaye pas de courir dans les côtes, tout à l'heure tu marcheras sur du plat alors autant marcher dans les côtes ». Je sais qu'il a entièrement raison pour ce qui est des côtes mais j'espère encore le faire mentir pour le plat. « Jusqu'ici tout va bien »
Je n'ai pas de stratégie de course. J'ai eu beau lire et relire le profil de la course, j'ai du mal à me projeter dedans. Je sais que la fin, plate et goudronnée, ne m'enchante guère et que cette partie sera dure, mais avant ?
J'ai donc décidé de partir avec les pensionnaires de l'Estaminet des géants du Nord (ArnaudP59, Fidji et Pégase) qui partagent leur zinc avec l'helvète le plus célèbre de Kikourou. Leurs objectifs sont compatibles avec ma fourchette, comme le sont aussi ceux d'autres connaissances (l'Ourson, Astrophytum), de la mascotte de cette STL 2009 Badgone ou encore de DJ Gombert dont je viens de faire la connaissance. Je me dis que dans le lot je trouverais donc bien quelques compagnons de route jusqu'à Lyon.
Notre petite troupe est une étoile filante : Epitaphe qui doit composer avec une jambe douloureuse puis Fidji qui préfère être prudent nous laissent filer avant d'être sortis de l'agglomération. Nous sommes partis plutôt dans les derniers et nous remontons tranquillement le peloton. Arnaud est le plus ambitieux (9h) et mène le train, Pégase est plus réservé et attend de voir.
Pégase nous raisonne donc dans les premières côtes qu'Arnaud et moi rechignons un peu à faire au ralenti après si peu de temps de course. Quelques kilomètres plus loin, il nous laisse partir à son tour. Nous ne reproduirons donc pas l'épopée à huit pieds des quatre mousquetaires (Arnaud, Epi, Chtigrincheux et Grandware) dont le récit m'avait tant plu l'an dernier.
Rapidement je sens que les côtes me mettent dans le rouge et je change de tactique, quitte à marcher dans les côtes autant marcher lentement et en profiter pour me reposer plutôt que de marcher vite. J'expérimente même un peu la marche afghane pour faire redescendre le palpitant ce qui me permet de repartir de l'avant sitôt que le relief s'aplatit. Je regagne alors dans les descentes les hectomètres perdus dans les montée. Ce qui me permet de garder le contact avec Arnaud même si nous ne courons plus toujours ensemble.
St-Christo est atteint avec un temps minable mais en bon état physique. Nous sommes obligés d'enjamber des barrières pour contourner la tente du ravito qu'un bouchon empêche de traverser. « Jusqu'ici tout va bien »
Arrivé à Moreau je m'arrête quelques secondes le temps de vérifier le niveau de mon camel et de refaire mes lacets. Cela suffit pour que je perde le contact avec Arnaud. Par contre j'ai rattrapé l'Ourson et Badgone qui seront mes nouveaux repères. Badgone apprend que Martine l'attend un peu plus loin, je suis content pour lui et je les aperçois réunis à Ste-Catherine, je repars avant eux mais ne je ne les verrais pas me doubler ensuite alors que je terminerais 15 mn derrière eux.
A ce moment de la course je pense à tous les kikous qui sont derrière et surtout devant moi. J'imagine les couettes de Mamampat danser loin devant, Maud se battre un peu plus loin encore, Mathias en train de twitter tout en courant, Dj Gombert avec Suzette sur son dos et tous ceux qui ont fait part de leurs objectifs et de leurs doutes sur le forum et qui sont là quelque part... J'ai beau être seul, je ne le suis pas complètement grâce à tous les Kikous.
Ayant l'habitude de boire comme un trou je cherche désespérément à recharger mon camel à Ste-Catherine sans trouver le robinet. Je perds là 3 ou 4 mn bêtement et repart bredouille et seul. Nous approchons les 30 km et les jambes le sentent. Ne pas penser qu'il reste encore un marathon à faire. « Jusqu'ici tout va bien ».
Une deuxième course commence pour moi. Et j'envisage sereinement de la faire seul. L'urgence est maintenant de gérer mes ressources pour aller au bout. Fini les prétentions chronométriques. Pour penser à autre chose je sors le lecteur mp3 et décide de m'isoler un peu.
La foule des coureurs est grisante et motivante. Mais elle est aussi fatigante (mais je ne vais pas me plaindre : si je ne voulais pas voir la foule, fallait pas venir). Le bruit du martèlement des pas sur le sol autour de moi me saoule, d'autant plus que les relais nous dépassent maintenant continuellement et je me surprend par moment à souhaiter déjà être au raid normand hivernal pour me retrouver (presque) seul dans la nuit au milieu d'une forêt et profiter du silence. A défaut, je trouve de l'intimité dans mes écouteurs.
« ... you don't have to speak - I feel, emotional landscapes ... » Björk
« ... this is really happening, happening ... » Radiohead
« .. ready to make sense of anyone anything ... » Archive
Cette bande son donne un relief différent à la course.
Je suis seul au milieu de la nuit, entouré d'une caravane d'étranges lucioles, et j'avance.
Fini les calculs je cours à l'instinct. Ça monte : je marche sans complexe. Ça descend : je dévale les chemins sans plus de complexe, redoublant tous ceux qui viennent de me passer. Et je prends un plaisir fou. Une belle balade au clair de lune.
Descendre dans les chemins à cette vitesse représente peut-être une débauche d'énergie mais peu importe. Je marche déjà dans les côtes, je vais pas en plus marcher dans les descentes pour ne pas glisser, à ce rythme ce ne serait plus de la course mais de la randonnée. J'adopte donc la technique des petits pas rapides et souples qui permet, lorsque le pied ne trouve pas un appui suffisamment stable, de ne pas y faire reposer tout le poids du corps car il est déjà en mouvement vers l'appui suivant. Le principal risque reste donc de butter sur une pierre donc, pour avoir la meilleure visibilité, je double sans cesse, pas pour faire le malin ni par esprit de compétition, mais simplement parce que c'est la technique qui me va le mieux et que je m'amuse comme un gosse.
En voilà une réponse à la question du « Pourquoi ? » : « Parce que ça m'amuse !!! »
Et je pourrais rajouter : « Parce que c'est beau une file indienne en mouvement de 7000 frontales qui serpentent dans la nuit à travers les collines. » Je sais que j'arriverais bien trop tard à Lyon pour y voir les lumières de la fête mais j'aurais eu ma part d'illuminations et je m'arrête régulièrement pour les contempler et, si regarder ainsi le chemin qu'il reste à parcourir est parfois décourageant, se retourner sur celui déjà parcouru réconforte.
L'arrivée à St Genoux, ou plutôt le fait de ne pas y arriver pendant longtemps, me désoriente. Je sais que je suis lent mais là ça prend des proportions inquiétantes. Il semblerait en fait qu'un chemin non praticable amène un détour de quelques kilomètres par rapport au road-book.
La grange dans lequel le ravito est installé est très accueillante. La foule s'y fait moins dense. Les coureurs sont moins pressés, même si atteindre les tables reste une épreuve. Un rapide calcul me fait renoncer à la longue file d'attente pour remplir le camel. Les regards hagards de certains coureurs recroquevillés sous leur couverture de survie me rappellent à la prudence. Ne pas penser que nous n'en sommes qu'à la moitié. « Jusqu'ici tout va bien »
Le passage sur la playlist Métal & Co est un signe qui ne trompe pas : ça devient dur et il faut se pousser un peu au cul pour garder le rythme. Les descentes sur le bitume m'inspirent beaucoup moins mais je cours toujours.
« ... exit light, enter night ... » Metallica
« ... we'll go at it alone ... » Arcade fire
« ... run to the hill, run for your lives ... » Iron Maiden
« ... ich will, ich will, ich will, ich will, ich will, ich will, ich will ... » Rammstein
« ... It's a long way to the top... » AC/DC
C'est devenu comme un réflexe, un regard sur le dossard devant moi : un numéro noir (solo) c'est un point de confiance de gagné lorsque je dépasse et un de perdu si je suis dépassé ; un numéro rouge (relais) qui passe devant me laisse de marbre mais si j'en passe un : là c'est bingo pour le moral !
Cette météo des dossards permet de se situer.
Une côte droit devant ? De fortes averses de dossards rouges à prévoir en provenance de l'arrière.
Une descente technique ? Vous pourrez rencontrer ça et là quelques dossards noirs isolés.
Etc...
On entend souvent parler de l'ours des Pyrénées, on ne parlera bientôt plus l'ours polaire mais on ignore trop souvent l'Ourson des monts du lyonnais. Il existe pourtant. Je n‘ai cessé de le voir me dépasser dans les côtes, de le rattraper dans les descentes, de le rejoindre aux ravitos... Et ça fait du bien au moral. Juste quelques mots échangés, un regard complice et ça repart.
De la boue ? Quelle boue ? Grand sujet de débats et de prospectives sur le forum, la boue sur le parcours était annoncée comme une variable essentielle de la course.
Quelles chaussures pour l'affronter ?
Est-il ou n'est-il pas vain de vouloir éviter les flaques ?
Comment la décrocher des semelles ?
D'après la légende elle serait terrible dans la descente du bois d'Arfeuille qui pourrait se transformer en descente aux enfers...
Je l'attendais donc de guêtres fermes cette boue. Je l'attends encore.
Certes les chemins étaient humides, les pierres glissantes et nous pataugions parfois dans 1 cm d'un liquide marronâtre, mais de la boue je n'en ai pas vue.
De deux choses l'une, soit c'était une édition sèche et la boue annoncée est restée dans son lit, soit nous n'avons pas la même définition de la boue. Celle que je connais, c'est la gadoue qui transforme un chemin en vasière, qui t'oblige à t'accrocher aux racines pour monter un talus et qui s'agglutine sous tes semelles en une grosse galette de plusieurs kilos. Et ici, de gadoue il n'y en avait point. Et tant mieux.
Du coup, j'ai guetté l'imminence du bois d'Arfeuille et de sa terrible descente jusqu'à Lyon car j'ai dû le passer sans m'en rendre compte.
Autre inconnue : le dénivelé. Le D+ total de la course n'étant pas si important, je l'avais un peu minimisé. Le profil de la course en dents de scie était pourtant clair mais je ne m'étais pas imaginé ce que cela représentait. La vidéo du parcours sous googlemaps m'avait bien effrayée quelques jours avant le départ mais j'avais vite évacué ce détail de mon esprit. Et parfois certains détails se rappellent à vous de façon cruelle. Je ne vais pas me plaindre car j'aime les côtes et les descentes mais je ne pensais pas en avoir autant à disposition.
J'arrive à Soucieu à l'aube et, pour la première fois, j'ai hâte d'arriver au ravito. Quelques spectateurs tombés du lit attendent un coureur et nous encouragent. Chaque applaudissement ou encouragement déclenche en moi une bouffée d'émotion qui me serre la gorge et me fait monter les larmes aux yeux. L'arrivée est pourtant encore loin, qu'est-ce que ça va donner à Lyon ? Des sanglots, des violons, des anges tombant du ciel ?
Il y a cette fois moins de bousculade pour atteindre les tables (où est passée la foule ? devant ou derrière moi ?) et j'en profite enfin pour remplir mon camel. Puis la tactique est rodée : j'avale un gobelet de coca pour faire le ménage dans l'estomac puis j'en emporte un autre rempli de boisson chaude que je bois doucement en marchant en m'éloignant du ravito et de son lot de coureurs prostrés dans un coin de la tente.
J'aperçois au loin l'Ourson (qui vient d'avaler un potage qui d'après lui « fait du bien ») qui marche devant moi. J'essaye de le rattraper pour marcher à ses côtés lorsqu'il se remet en course et disparaît au coin d'une rue. Je garderais jusqu'à l'arrivée l'idée qu'il est devant moi et l'espoir de le rattraper... en vain. Et pour cause : à la lecture de son récit un autre épisode m'est revenu en mémoire, celui où je vois son potage « qui ne fait pas tant de bien que ça » repasser en sens inverse, ne lui étant pas d'un grand secours je le laisse derrière moi certain qu'il va me rattraper prochainement, sauf que non.
Le passage de la pancarte « Arrivée : 20 km » est un cap avec double effet Kiss cool.
Premier effet : le plus dur est fait, il ne reste plus à parcourir qu'une distance raisonnable, un petit semi et c'est la quille. Maintenant, à part un accident, rien ne m'empêchera d'arriver à Lyon. En résumé, c'est gagné, c'est fini quoi. « Jusqu'ici tout va bien »
Deuxième effet : calculons un peu à quelle heure on peut arriver sachant qu'il est 7h.
20 km = au minimum 1h36' (meilleur temps sur semi), enfin plutôt 2h compte tenu du dénivelé qui reste x un énorme coefficient de ralentissement car je cours avec deux jambes de bois = 3h voir plus !!! Boordeeel !!! C'est encore vachement long. Adieu le mythe des 9h, pas gagné pour l'objectif de 10h. C'est encore une autre course qui commence. « A partir d'ici, ça va beaucoup moins bien »
20 km d'une longue déchéance.
Depuis un moment j'en suis réduit à attendre désespérément les côtes pour marcher mais dorénavant les côtes me fatiguent même en marchant.
La seule question qui reste est : quand vais-je me mettre à marcher sans une bonne excuse ?
La liste des bonnes excuses pour marcher s'allonge donc : ça monte fort, ça monte un peu, c'est un faux plat montant, je sors du ravito en marchant ce qui est mieux que de rester au ravito, je mange, j'envoie un SMS, je m'arrête pour pisser, je range ma frontale, oulala ça glisse...
Au final je ne me souvient plus quand cela c'est produit mais cela c'est produit. La prophétie du Pégase était donc vraie, je marche... sur du plat.
Pas longtemps pour l'instant mais la course n'est pas finie.
Mais je le vis bien.
Bien sûr, chaque coureur qui me dépasse dans ces moments là est une petite pointe qui pique mon orgueil mais globalement cela ne m'atteint pas. Je pourrais déployer des mégawatts de force mentale pour me forcer à courir mais je n'en ai pas envie.
Je suis venu pour finir. Je finirais mais pas en martyr.
De toutes façons, pour le commun des mortels je passerais pour un héros quel que soit le chrono et je ne risque pas d'impressionner grand monde chez les connaisseurs avec une heure de plus ou de moins.
Je ne suis pas là pour me mesurer aux autres, j'ai fais ma course, je suis claqué, je marche si je veux et pis c'est tout.
Dans ces conditions c'est plutôt une bonne surprise que d'arriver enfin au ravito de Beaunant. J'en repars aussitôt après le même cérémonial.
On m'a beaucoup parlé de cette fameuse côte de Ste-Foy-les-Lyon comme d'un ultime supplice. Elle se dresse devant moi sous le viaduc et tient toutes ces promesses telle que je l'avais imaginée. Je grimpe. Un virage. Un autre et... boordeeel ! Je ne l'avais pas du tout imaginée aussi longue : encore une ligne droite ont on ne voit pas la fin à monter, 1 km de côte lorsque j'en attendais 300 mètres ça fait beaucoup.
Je laisse mes derniers fragments d'orgueil dans le faux plat qui la prolonge : une famille (le père, la mère et une fillette qui semble à peine sortie de l'adolescence, dossards noirs) m'a rattrapé. Ils se remettent à courir. Je tente de les suivre et capitule après 10 m.
Je parviens néanmoins à rester au contact d'un vaste agrégat de coureurs à la faveur des descentes dans lesquelles je laisse la gravité m'attirer et je déroule une longue foulée débridée accompagnée de longs gémissements à chaque fois que mes pieds touchent le sol et que mes cuisses se tendent. Le paroxysme de ce style non académique étant atteint dans l'ultime descente de Fourvière qui me permet de repasser devant bon nombre de coureurs.
C'est avec une nouvelle résolution (et une gorgée de coca dans le ventre) que je franchi le Rhône : en centre ville tu ne marcheras point. Pas question de passer pour un guignol devant tout le monde (et à Lyon ils s'y connaissent en guignols). Je sais que je ne trouverais plus aucune montée comme prétexte ni aucune descente pour me relancer.
C'est un défi entre moi et la ville qui me regarde.
Malheureusement après deux brillants kilomètres, nous descendons sur les quais de Saône et la ville se fait plus discrète. C'est désormais un défi entre moi et la monotonie des quais, les eaux gris du fleuve, les bambous pour bobos qui les bordent et les joggeurs du dimanche qui me narguent.
Si je vous dis que sur ces 4 km interminables de quais je me suis fais doubler par 85 personnes vous comprendrez que mon défi à fini à l'eau. J'ai bien essayé régulièrement de courir d'une foulée pachydermique mais je vais plus vite en marchant, je marche donc, encore.
Je guette les coureurs devant et derrière moi à la recherche d'une tête connue qui pourrait m'entraîner. J'espère voir réapparaître l'Ourson, me faire rattraper par Fidji ou Epi. Et paradoxalement en même temps je prie pour qu'il n'en soit rien car je ne suis pas sur d'avoir le courage de les suivre si c'était le cas. Le plus démoralisant est de croiser des finishers qui repartent douchés et repus ou qui rentrent tranquillement en trottinant.
Seule la vue du palais des sports me redonne de l'allant, et encore je dois me forcer à courir.
Dernière ligne droite, un petit frisson grisant en passant devant les applaudissements de quelques spectateurs postés derrière des barrières, dernier virage, l'arche, bip, 10h11mn à ma montre et puis rien.
Aucune émotion particulière.
En fait, ma course est finie depuis ce panneau « 20 km ».
Je cherche des yeux autour de moi un regard connu pouvant me sortir de ma léthargie. Je n'en trouve pas. La salle est pleine de coureur en train de manger ou de dormir dans les gradins, il y a belle lurette que l'arrivée d'un finisher de plus n'intéresse plus personne. Je ne suis ni surpris ni déçu de ce manque d'émotion car je commence à me connaître et je sais à quel point tout s'évapore à l'instant où je passe la ligne d'arrivée.
Mon (fort beau pour une fois) tee-shirt de finisher en main, j'erre dans les couloirs. Je réalise que je dois maintenant avoir l'air hagard que j'ai vu chez ces coureurs stoppés à chaque ravito.
Que faire ? Récupérer mon sac ? Où est a douche ? Quand est-ce qu'on mange ?
Et puis non, c'est trop con de sortir aussi vite de la course. Je me fraye un passage jusque dans la salle, trouve un coin tranquille et je m'allonge de tout mon long, le regard scotché au plafond et je souris béatement.
I DID IT !
Je reste dans cette position de longues minutes. Je savoure.
Deux heures plus tard je retrouve le petit garçon de mes amis. « Alors ? Tu as vraiment couru toute la nuit ? » Lui a bien dormi et a passé une bonne nuit. Moi j'ai couru et j'ai passé une belle nuit, c'est peut-être là la différence...
Et après une bonne nuit de sommeil,
une bonne frite de récompense
on regrette que cela soit déjà fini.
Alors on repense à sa course, on calcule, on dissèque, on analyse.
Si j'avais fais ci, j'aurais pu faire ça...
J'aurais bien sur aimé avoir plus de fraîcheur sur la fin.
A 11 mn près j'aurais aussi aimé mettre moins de 10h (mais s'il y avait 61 secondes dans 1 minutes plutôt que 60 j'aurais mis 10h et je serais très content donc ça ne veut pas dire grand-chose).
Bref je suis très content d'avoir fait cette course et de l'avoir faite comme ça, j'ai pris un énooorme plaisir sur les 50 premiers km puis les 20 derniers ont été lamentables mais pas désagréables.
Le seul intérêt de spéculer ainsi c'est de se préparer pour la prochaine fois, donc :
La prochaine fois ce ne sera pas la Saintélyon.
La prochaine fois il y aura moins de monde.
La prochaine fois je ne ferais pas une course de 50 km + une rando de 20 km.
Donc la prochaine fois ce sera plus court comme ça je pourrais courir aussi vite (ou plus) et prendre mon pied jusqu'au bout.
Et la prochaine fois que je ferais 69 km j'aurais plus d'entraînement.
La prochaine fois que je ferais la Saintélyon ce sera pour la courir et pas seulement pour la finir.
Ce jour là je ne mettrais pas des chaussures de trail ou j'en changerais à Soucieu.
Et peut-être que je ferais mon CR plus vite pour ne pas être le 50e CR de la Saintélyon de l'année.
Il y a une prochaine fois bientôt, c'est le raid normand hivernal.
Il y aura moins de monde.
Il y aura que 55 km si on ne se perd pas.
Il y aura des amis donc ce n'est pas grave si on se perd.
La prochaine fois c'est dans trois semaines... et j'ai pas encore récupéré de celle là.
Ça promet...
PS : j'ai déjà dit ailleurs à quel point je suis admiratif devant l'organisation de la course, un niveau de perfection bluffant vu le défi que cela représente. BRAVO et MERCI aux organisateurs et aux bénévoles dévoués toute la nuit (et la matinée pour m'attendre).
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17 commentaires
Commentaire de arthurbaldur posté le 12-01-2010 à 23:40:00
C'est un régal de te lire. J'ai lu ton cr rapidement car il se fait tard mais je vais le relire demain avec plaisir.
Pour la boue, c'était plutôt une année sans ...
Commentaire de Astro(phytum) posté le 12-01-2010 à 23:42:00
François ,merci de nous faire partager ta course avec ce superbe récit .
Je suis bien content de t'avoir revu .
A la prochaine ;-)
Commentaire de Mustang posté le 12-01-2010 à 23:57:00
Sacré François!!! un bon récit de ce qui demeure une grande aventure! "terminer "était ton objectif, il a été rempli!
Commentaire de Yann78 posté le 13-01-2010 à 00:33:00
Merci beaucoup pour ton CR de cette belle course!
Ayant fini à peu près dans les mêmes temps que toi (9h55), et dans la mesure où comme toi c'était une première sur cette distance, j'ai retrouvé beaucoup de mes sensations et à peu près d'ailleurs aux mêmes moments que toi.
Donc grand merci de m'avoir rappelé ces super souvenirs et cette fin disons "difficile"....
Ma prochaine course fera 50kms (l'Ecotrail)et non pas 69kms pour les mêmes raisons que toi...
A bientôt peut-être sur une prochaine course.
Yann78
Commentaire de golum posté le 13-01-2010 à 01:56:00
Superbe CR François, difficile pour tout le monde cette Saintélyon. ;o) Enfin, ça ira mieux l'année prochaine (du moins faut y croire), je me dis ça tous les ans.
Bravo pour ta course et au plaisir de te croiser
Christophe
Commentaire de millénium posté le 13-01-2010 à 06:46:00
beaucoup de plaisir a te lire. J'imagine bien tes émotions et tes reflexions grâce aux détails fournis. Sympa.
BRAVO
Commentaire de Mamanpat posté le 13-01-2010 à 08:18:00
Quel bonheur de revivre toute cette émotion maintenant !
Dans ta petite liste, merci de rajouter quelques notions de coiffure : des TRESSES, Mamanpat porte des TRESSES ! Et pas des couettes enfin !!!! ;-)
Un grand bravo à toi et j'espère qu'il y aura une prochaine fois et que tu oseras mettre le feu aux poudres à l'AABSBOPBEM !!!
Commentaire de Belet posté le 13-01-2010 à 08:33:00
Bravo François, et merci pour ce récit.
La terminer c'est essentiel, la courir est accessoire, mais quel que soit le mode la STL semble avoir le même effet sur beaucoup de monde passé le 50ème.
En tout cas on a maintenant quelques trombines pour mieux te repérer la prochaine fois.
Bon courage pour le raid normand, sur un terrain probablement neigeux ou boueux à souhait.
Arnaud.
Commentaire de akunamatata posté le 13-01-2010 à 10:03:00
Joli récit bien vivant ;-)
Commentaire de ArnaudP59 posté le 13-01-2010 à 11:55:00
Merci François pour ce récit.
J'en ai encore des frissons et pleins de souvenirs qui reviennent en tête ...
Je suis sûr que ton récit donnera envie à des coureurs de participer à cette belle aventure qu'est la Saintélyon.
Content de t'avoir recu.
Bonne fin de récupération et bon hivernal.
Commentaire de arthurbaldur posté le 13-01-2010 à 11:57:00
Je suis content de voir que je suis ne pas le seul à confondre couettes et tresses ... le mieux Mamanpat serait de passer à l'option couettes. Ce serait plus simple pour nous ... :)))
Commentaire de jean-chris05 posté le 13-01-2010 à 14:05:00
Lumineux récit d'une belle nuit, merci.
Jean-Christophe.
Commentaire de taz28 posté le 13-01-2010 à 14:59:00
Merci François pour ce très joli récit !!!
Je suis certaine que tu as vécu une belle aventure humaine sur une course qui te donnait tant envie ...
Bravo à toi !!
Taz
Commentaire de DJ Gombert posté le 13-01-2010 à 21:56:00
Ravi d'avoir fait ta connaissance, d'avoir partagé le ryhtme dans notre préparation d'avant course, ..., après chacun à fait sa course, cette multitude de trajectoires en un même lieu, ..., pour moi la prochaine sera la CCC, parce que c'est amusant de courir la nuit, ... avec les amis.
Commentaire de Rag' posté le 14-01-2010 à 16:32:00
Bon, je t'ai fait chier pour ton CR et voilà que je mets plus de 48 heures à laisser un commentaire.
C'est plus que positif! Tu analyses ta course très sereinement. Compare avec ton premier TCO et tu verras le chemin parcouru depuis un peu plus d'un an. C'est énorme.
Un beau CR bien mûri qui présage d'une belle aventure dans les forêts normandes!
Bravo!
Commentaire de l'ourson posté le 21-01-2010 à 22:13:00
Superbe récit Ch'Françhois d'Arrache ;-)
Merci de nous avoir fait revivre cette si belle nuit de la Sainté 2009 :-)
A très bientôt au Raid Normand.
L'Ourson_des_Monts_du_Lyonnais_;-)))
Commentaire de la boulette posté le 09-11-2011 à 21:43:24
bon ba se sera pour 2012 ,laj'ai le dossart mais pas possible d'y aller et je peste bravo françois
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.