Récit de la course : LyonSaintéLyon 2019, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : LyonSaintéLyon

Date : 30/11/2019

Lieu : Lyon 07 (Rhône)

Affichage : 3190 vues

Distance : 152km

Objectif : Pas d'objectif

6 commentaires

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Le jour et la nuit

C’était écrit ! Si, si, relisez mon émouvant récit de la SaintéLyon 2016 : j’y exprimais mon regret de ne pas voir de jour les Monts du lyonnais traversés, et mon admiration pour les coureurs de la 180 qui avaient fait l’aller-retour. Comment voulez-vous, avec de tels souvenirs, que je résiste à la tentation de m’inscrire à la Lyon-Sainté-Lyon, nouvelle formule proposée cette année ? Par respect pour l’esprit de la 180 originale, l’aller se fera en mode non compétitif (en moins de 14h), le classement n’étant établi que sur le retour. Une gestion de course particulière qui constitue un challenge supplémentaire !

 

J’arrive vers 8h45 le samedi à la Halle Tony Garnier. Nous sommes un peu plus de 350 participants à nous lancer dans l’aventure. Les casquettes kikouroù sont bien représentées, il y a du kikou canal historique. Je fais la connaissance de Raya, xian, tigri, et bien d’autres encore. Des coureurs se présentent comme des meneurs d’allure « 13 h », qui auront une légère avance sur la barrière horaire. Il suffira de rester devant eux pour ne pas être disqualifié. L’ambiance est étonnante : la plupart des coureurs sont assis ou allongés par terre, économisant leurs forces jusqu’au dernier moment, un peu comme à Saint Etienne avant une SaintéLyon.... Sans doute se demandent-ils, comme moi, comment va se passer cette course au format si particulier. Pour ma part, j’aimerais mettre 12h à l’aller, et moins au retour, mais je n’ai aucun repère sur ce type d ‘épreuve, et le time split négatif sur une telle distance semble difficile. Deux bénévoles, qui distribuent le petit déjeuner, discutent : « ils font 180 km ? » « Non, seulement 152, mais ce sont des warriors ».

 

9h30. Départ joyeux et prudent, jusqu’au premier km où un bouchon se forme en haut d’un escalier qui nous emmène le long du Rhône. A ce moment, je suis dans les 10 derniers, j’ai réussi à partir lentement ! Je peux vraiment commencer à courir sur le bord du Rhône, puis après les escaliers qui seront si pénibles demain : c’est vraiment parti. Les derniers kms d’une course semblent souvent interminables, j’essaie de bien mémoriser le parcours pour demain, ça peut être une aide précieuse, si je m'en souviens…

 

Je profite de ce début de course pour faire la connaissance de Raya, avec qui nous resterons un bon moment. La température est idéale, je ne regrette pas de m’être mis en short au dernier moment. La météo est parfaite pour courir, même si la pluie est annoncée pour cette nuit. Le peloton me semble encore assez dense, la plupart d’entre nous ayant choisi un départ prudent. Je suis surpris de reconnaître certains passages du parcours emprunté en 2016, moi qui ne suis pas forcément physionomiste (ou paysagiste?). Discutant de choses et d’autres avec Raya, tantôt restant ensemble, tantôt avançant chacun à notre rythme, nous arrivons à Soucieux. Des enfants nous annoncent : « restaurant ! » Je pense qu’ils nous annoncent le ravitaillement proche, mais ils nous offrent ainsi des fraises Tagada. Merci les enfants, et merci les parents qui nous applaudissent chaleureusement. Le premier ravitaillement n’est pas loin, après 22 km de course. Bonne surprise, pour moi qui ai souvent du mal à manger en course, j’ai faim et trouve nourriture à mon goût, ce qui est bon signe. Autre bonne surprise, cette nourriture est servie par patrovite et l’inimitable Arclusazzz, qui nous assure d’un sourire en coin qu’il fera beau...lundi.

 

Je ressors avec Raya, et nous nous appliquons à marcher au moindre faux plat, avant de nous séparer : il va trop vite pour moi, qui ai vraiment un pied sur le frein à main aujourd’hui (si je peux utiliser cette image). 30 km atteints en 4h, ca fait du 7,5 km de moyenne, c’est encore un poil trop rapide mais moins que ce que je craignais. Je suis en train de me féliciter de ma prudence et de ma bonne gestion de course, quand je suis repris par les fameux meneurs d’allures 13h. Petit moment de doute : c’est eux qui vont trop vite, ou moi qui sous-estime le relief à venir ?  J’accélère un peu, et retrouve Raya un peu avant le ravitaillement de Chaponost (c’est une  particularité de la SaintéLyon : on appelle les ravitaillements par leur nom plutôt que par leur position, moi qui ne suis pas de la région, ça m’a toujours perturbé, mais bon, faisons comme tout le monde !).

 

Chaponost donc. Je retrouve mon appétit de Soucieux, décuplé par la présence de saucisson que je dévore avec plaisir. Mais je ne veux pas trainer sous le chapiteau surchauffé, je me remets en route, sans Raya que j’ai perdu de vue. Avant la nuit qui va tomber, et a fortiori quand elle sera tombée, le jeu sera de ne pas se perdre : le balisage est orienté dans le sens Sainté-Lyon, à chaque intersection il faut se retourner pour vérifier que l’on ne s’est pas trompé. J’ai la trace dans ma montre mais ne souhaite l’utiliser qu’en dernière extrémité, préférant courir la tête levée que l’oeil rivé sur cet écran. Les moments où je suis seul, je ne suis pas forcément serein. Je repense à mon « exploit » de la semaine dernière : participant à la course des lumières, course caritative de près de 4000 participants au profit de l’institut Curie, je m’étais trouvé par un concours de circonstances dans les premières positions. Je me contentais de suivre le coureur qui me précédait, sur les quais de Seine, quand nous nous sommes retrouvés au milieu des touristes sur les Champs-Elysées. Heureusement que les 4000 coureurs ne nous ont pas suivi ! En attendant, je me dis qu’il serait beaucoup plus simple de me perdre aujourd’hui que sur les quais de Seine et redouble de prudence, surtout certains moments où des plaques de brouillard recouvrent le paysage. J’avoue me contenter de faire confiance aux coureurs autour de moi pour ces questions d’orientation, la leçon de la course des Lumières ne m’ayant pas vacciné.

 

Les chemins avant les 30 mm de pluie annoncés


La nuit tombe progressivement, et nous arrivons à Saint Christo. Je suis surpris d’être applaudi par les bénévoles, tellement j’ai l’impression de n’avoir rien fait. Saucissons, chips, et c’est reparti pour une vingtaine de km. Cet aller est particulièrement agréable. Courir en dedans, sans forcer, est bien confortable, et favorise les échanges entre coureurs. La pluie nous a épargnés, et le terrain, bien que gorgé d’eau, était praticable. Je me fais ces réflexions quand j’aperçois les lumières de Saint Etienne. Je n’ai pas l’impression d’être arrivé, mais de me rendre tranquillement au départ de ma course. L’état d’esprit parfait. Dans Saint-Etienne, je fais les deux derniers kilomètres à la marche, téléphonant à mon épouse. L’arche d’arrivée/de départ m’accueille, après 76 km et 11h20, quasiment le temps espéré. Un bénévole bipe ma balise GPS, et m’indique le hall où je pourrai me reposer 2h avant le retour.

 


Quel plaisir d’être traité dans l’espace « élite », même si nous verrons peu d’élite. Un repas chaud nous accueille, je le prends en compagnie de chercheurs qui font une expérience sur les coureurs de cet aller-retour. Cela m’évoque des souvenirs. Je retrouve  mon sac pour prendre des affaires un peu plus chaudes, et vais prendre une douche, qui malheureusement est froide. La plupart des coureurs qui ne sont pas en train de manger sont allongés par terre, je fais comme eux, et je crois bien que je suis assez détendu (ou fatigué) pour dormir quelques instants.

 

Sauras-tu me retrouver sur cette photo du Progrès ?


Remue-ménage vers 23h15 : on vient nous chercher pour nous conduire, avec les élites, au premier rang de la ligne de départ. Je m’étais posé la question en arrivant à Sainté : valait-il mieux se placer dans le premier sas, pour être une heure de moins sous la pluie annoncée mais au risque de se faire dépasser pendant 40 km, ou en fin de peloton, pour garder plus facilement l’esprit balade qui m’a tellement profité à l’aller et profiter d’une heure de plus du jour ? La question ne se pose plus : je suis le mouvement et, après avoir enjambé une barrière, me retrouve dans le sas élite. Sas étrange, où des élites en short et débardeur côtoient des coureurs de la LSTL chaudement habillés. En tout cas, je suis parfaitement placé pour applaudir la demande en mariage d’un coureur, et à 23h30, nous nous élançons.

 

Les premiers kilomètres sont assez pénibles. Je me fais dépasser par des flèches, normal, me fais bousculer par des malotrus, basique, me laisse emporter par l’élan populaire malgré les protestations de mon estomac, prévisible. Après 2 km seulement je m’arrête pour enlever une couche (ce qui n’est pas simple avec ce satané dossard-chasuble), et reprends à mon rythme. J’arrive à avancer à une vitesse raisonnable, même si je suis l’un des seuls à marcher dans les premières montées.

 

Après 7-8 km qui ont servi à étirer le peloton, nous retrouvons les chemins. Les premières gouttes de pluie font leur apparition, sans trop de gêne pour le moment. Je me dis que nous faisons un sport d’extérieur, et qu’il faut accepter les conditions météo. Bizarrement, ce constat suffira à calmer ma petite voix intérieure, et je ne me plaindrai jamais de la météo durant cette nuit qui sera (alerte spoil) arrosée. Au contraire, je me retourne et profite du spectacle attendu et extraordinaire du ruban de lumière. La course des lumières, c’est ce soir !

 

Photo : Le progrès

A ce moment, les chemins sont encore praticables. Je trouve facilement des coureurs qui avancent à mon rythme. Loin de me décourager en me doublant les coureurs de la SaintéLyon m’entrainent et les suivre constitue une véritable motivation. Sans avancer à un rythme incroyable, j’arrive à courir au rythme des coureurs qui m’entourent, et c’est suffisant pour me rendre heureux.

 

Vers 1 ou 2h du matin, j’éprouve une nouvelle sensation, inédite en course : le sommeil. Je ne parle pas de fatigue physique, des jambes dures qui refusent d’avancer, mais d’une authentique envie de dormir, des paupières qui se ferment contre ma volonté. Je pense que sur une course moins humide, j’aurai dormi sous un arbre, mais en décembre sous la pluie évidemment pas question J’avance à la marche, en titubant, espérant un miracle pour sortir de cette situation inconfortable. Saint-Christo, priez pour nous.

 

Le voici le miracle : le premier ravito, où je ne trouve malheureusement pas de café, mais du thé et du coca. Je ne reste pas trop longtemps, je bois, je me prépare de nouveaux sandwichs au saucisson et je me relance dans la nuit. La pluie redouble, ce sont maintenant des seaux d’eau qui nous tombent dessus. On nous a annoncé jusqu’à 10 mm/heure, et on ne nous a visiblement pas menti. Je remets la couche enlevée à Saint Etienne, me reprochant de ne pas y avoir pensé sous la tente. Comme je le craignais en voyant le terrain gorgé d’eau, les chemins se transforment en ruisseaux de boue, les souvenirs de l’Ecotrail 2018 remontent… La boue qui s’infiltre dans les chaussures, le bruit ventouse de nos pas dans la boue, m’avaient longtemps hanté. Ce sera la même chose cette nuit.

 

Mais aujourd’hui, il y a de la boue, et de la pluie. Malgré mes trois couches je suis rapidement trempé, heureusement qu’il ne fait pas trop froid ! Quand j’enlève mes gants, pour prendre quelque chose dans ma poche par exemple, je les essore et suis chaque fois surpris de la quantité d’eau qui en sort. Les chemins que nous avons vu à l’aller sont maintenant  des patinoires, les flaques des trous d’eau, quant aux passages qui étaient glissants je n’en parle pas.

 

Le plus étonnant, c’est que je reste étonnamment positif.  Vraiment surpris de pouvoir continuer à courir après plus de 100 km sur ce terrain accidenté, au moins sur les parties plates ou en descente, j’en retire  un plaisir que j’ai rarement ressenti. Je suis en mode « 24h » : tant que je suis sur la piste, c’est bien, et si je peux courir, quelle que soit l’allure, c’est très bien. De toute façon, je n’ai pas vraiment le choix : il faut avancer pour ne pas avoir (trop) froid.

 

Il y a aussi la magie de la Sainté Lyon. Toute la nuit, nous croiserons des spectateurs, malgré l’heure, malgré l’eau, qui nous encourageront. Je pense à ce gamin qui servait à minuit de bénévole pour nous indiquer la direction à la sortie de Saint Etienne, à ces fêtards rassemblés autour de braseros, sans parler bien sûr des bénévoles de tout âge qui s’occuperont de nous toute la nuit. Ce doit être cela que l’on appelle une institution.

 

Les choses ne sont pourtant pas faciles. Je chute dans une partie glissante, et me retrouve dans la boue glacée. Plus loin, c’est ma frontale qui rend l’âme. Je sais que j’ai quelque part, dans mon sac ou dans une poche, une batterie et un fil, mais qu’elle est difficile à trouver dans le noir ! Je tombe sur ma deuxième lampe, le led du vélo de ma fille que j’avais pris pour respecter le règlement, et décide de m’en contenter, pas le courage de rester immobile plus longtemps. Je saute le ravitaillement suivant, en plein air. Vers 6h, une irrépressible envie de dormir m’assaille de nouveau, cette fois ce n’est pas un thé mais une discussion avec une concurrente qui me permettra de m’en sortir. Vers 7h, il me semble, c’est au tour de mon led de s’éteindre. Heureusement il fait bientôt jour et je peux me passer de lampe.

 

Telle la chèvre de Monsieur Seguin, lorsque le jour paraît, la partie semble gagnée, quels que soient les kilomètres qu’il reste à parcourir. D’ailleurs, la pluie tombe moins drue, et je sais que les derniers kilomètres seront moins boueux. Je m’autorise une projection : il est toujours possible de mettre moins de 11h, soit moins de temps qu’à l’aller. Je fais quelques kilomètres avec un participant de la SaintéLyon, qui me félicite pour mon allure « de relayeur ». Je sais qu’il exagère mais ces mots font plaisir, merci à toi. Quelques kilomètres plus loin c’est xian qui me rattrape, et me décrit les derniers kilomètres. J’essaie de m’accrocher à son rythme, mais il est vraiment pressé d’en finir et me distance progressivement. C’est ensuite un joggeur du dimanche matin qui fait un bout de chemin avec moi en m’encourageant.

 

152 ème kilomètre


Je retrouve les derniers hectomètres repérés hier. Escaliers, bord du Rhône, nouvel escalier du haut duquel xian m’encourage « allez Yann, ne lâche pas ». Galvanisé par un tel soutient, ou vaguement vexé qu’il ne m’ait pas attendu, je fais l’effort sur le dernier kilomètre pour le rattraper. Nous entrons ensemble dans la halle Tony Garnier, après 10h36 de course.

Pari gagné. Je n’ai pas fait une course mais deux, un aller en allure ballade que je ne me  croyais pas assez sage d’adopter, un retour en mode « warrior » dont je me pensais incapable après une journée d’effort. Deux façons de pratiquer la course à pied, le Yin et le Yang qui forment le cercle, ou plutôt la boucle Lyon SaintéLyon, dans lequel je me suis laissé entrainer pour mon plus grand bonheur.



6 commentaires

Commentaire de Arclusaz posté le 09-12-2019 à 15:44:28

Bravo pour ta perf et pour ton récit ! les deux dernières phrases résument bien cette "balade". Leur perfection fait oublier les sympathiques imprécisions sur un pseudo (en az !) et sur l'ordre des ravitos (à l'aller, c'est pas Chaponost après Soucieu mais Ste Catherine). Faut donc que tu reviennes l'année prochaine : et il fera beau !

Commentaire de marathon-Yann posté le 09-12-2019 à 16:55:01

Oups, désolé d'avoir écorché ton pseudo, c'est corrigé (par contre je laisse les imprécisions sur l'ordre des ravitos, sinon les gens vont penser que tu dis n'importe quoi... et je n'aurais plus d'alibi pour revenir l'an prochain !). En espérant t'y croiser, en short (puisqu'il fera beau)

Commentaire de NRT421 posté le 10-12-2019 à 11:37:21

Ah, comme je déteste ces super CRs qui donnent envie d'aller faire une grosse connerie en 2020 :-D
Merci pour ce partage clair et simple d'un sacré morceau, bravo.

Commentaire de marathon-Yann posté le 13-12-2019 à 20:23:11

Même pas sûr qu'il y ait de la pluie l'année prochaine ! Essaie quand même...

Commentaire de Shoto posté le 16-12-2019 à 21:50:19

Impressionnant ton récit et ta course ... sans oublier ton chrono retour pour lequel j'aurais signé comme chrono Aller Simple.

Ce qui m'impressionne encore plus que la distance de la course / chrono est ta capacité à prendre du plaisir au bout de 100 Km sous une pluie tropicale (pour le débit) certainement bien froide en pleine de nuit ! ... ça doit être çà la définition d'un Warrior ;-)

Bravo et respect !

Commentaire de marathon-Yann posté le 23-12-2019 à 15:44:30

Warrior, warrior, c'est une façon de parler ! Le plaisir était celui de continuer à avancer, je pense qu'il aurait été aussi intense (voire plus) sans la pluie !

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