Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2002, par pap
179 autres récits :
- Les récits de 2024 (1)
- Les récits de 2023 (7)
- Les récits de 2022 (3)
- Les récits de 2021 (5)
- Les récits de 2019 (6)
- Les récits de 2018 (7)
- Les récits de 2017 (8)
- Les récits de 2016 (9)
- Les récits de 2015 (10)
- Les récits de 2014 (9)
- Les récits de 2013 (12)
- Les récits de 2012 (17)
- Les récits de 2011 (12)
- Les récits de 2010 (10)
- Les récits de 2009 (13)
- Les récits de 2008 (16)
- Les récits de 2007 (17)
- Les récits de 2006 (5)
- Les récits de 2005 (4)
- Les récits de 2004 (2)
- Les récits de 2003 (2)
- Les récits de 2002 (2)
- Les récits de 2000 (2)
Le récit
Mes amis riaient gentiment,...
Mes proches pensaient que j’étais devenu dingue,...
Ma femme et mon fils avaient peur,...
Même mon chien doutait de moi,...
Et pourtant...
JE L’AI FAIT !
LE GRAND RAID DE LA REUNION
18, 19, 20 octobre 2002
C’est l’histoire d’un fou...
PREPARATION
L’idée était en tête depuis 2-3 ans au moins, mais sans aller plus loin que la vision de cassettes d’éditions antérieures.
Une bricole m’obsédait et m’empêchait d’envisager autre chose : descendre sous les 3 heures au marathon !
Mes 4 dernières courses étaient sous les 3h 02, et j’étais déjà inscrit pour Paris 2002.
A l’occasion des vœux de nouvel an, mon copain Serge, qui se trouve par ailleurs être notre médecin de famille, me relance sur ce projet.
Déjà bien conditionné par les récits de Joël DELMAS sur le net, je dis banco et ce, quel que soit le résultat de Paris.
Après un nouveau plantage à Paris où en 3h 00’ 31’’ je descends pour la 3ème fois sous les 3h01, sans atteindre mon Everest (si quelqu’un a la recette je suis preneur !), je monte le dossier d’inscription et commence à me documenter sur la préparation d’un trail longue distance et en montagne, ce que je n’ai jamais fait dans ma chère Bretagne.
Pour encore développer le foncier, et sur les acquis du marathon de Paris, j’enchaîne tout de suite, sur une prépa allégée pour le marathon du Mt St Michel que je boucle en restant en dedans en 3h 12.
Dès le lendemain un voyage professionnel à l’étranger sans courir me permet de récupérer une quinzaine de jours.
Après une reprise en douceur, nous partons en vacances 2 semaines dans le Massif central .
C’est l’occasion de découvrir des sentiers et des dénivelés modestes mais déjà importants pour moi.
Je fais ainsi 6 grosses sorties de 3 à 7h de rando-course avec à chaque fois 500 à 1500m de D+.
Au retour entre les infos recueillies de ci de là sur le net et sur Endurance, je me concocte un plan plus spécifique sur 10-12 semaines à raison de 4-5 séances/semaine, avec VMA en côte, endurance aérobie (env.4’30/km), séance montée descente bien rythmée (5x côte 900m à environ 5%), endurance cool, et séance longue sur chemins vallonnés avec alternance course et marche de 3 à 6 h
Pb : Où trouver des dénivelés permettant de se « durcir la couenne » ? Escaliers ? Bof ! Tapis roulant à la maison ? OK pour les montées et surtout la VMA en côte, mais ça reste très loin des conditions réelles de course et ne résout pas le pb des descentes.
Un palliatif a été trouvé en courant en bord de mer sur le sentier des Douaniers, du côté d’Erquy où le terrain est très caillouteux avec de nombreux casses pattes et des passages dans l’herbe, le sable mou, les rochers avec aussi un gué à franchir. Cette boucle de 17km parcourue 1 à 3 fois a été pour Serge et moi notre terrain de jeux pour la sortie longue.
Le 15 septembre a été notre baptême du feu en trail avec une course de 37 km, sur un parcours varié et exigeant bouclé en 3h40 pour serge et 3h12 pour moi avec la surprise à la fin de gagner en VH2 (Nous n’étions que 10 dans cette catégorie... Arf ! )
Rien de plus pour la préparation du GRR 2002.
Parallèlement les modalités de voyages et d’hébergement avaient pu être réglées de longue date.
Des obligations professionnelles de part et d’autre ne nous permettant pas des vacances synchros, Dany, Olivier et moi arrivons 6 jours avant la course, Serge et Monique n’arrivant que la veille, et ne repartant que le 28.
AVANT-COURSE
Samedi 12/10 : Après un voyage sans histoires et location d’un véhicule nous arrivons à St Gilles où nous sommes logés dans un bungalow au confort rudimentaire mais pour des baroudeurs c’est bien bon (Olivier qui ne rentre pas dans cette catégorie est moins d’accord sur le concept du « Ti loft la réunion » )
Dimanche 13/10 : Premier jour, consacré au repérage du départ et des points de passage éventuels où nous pourrions bénéficier du soutien logistique de notre « dream team » . Malgré la longueur des déplacements en voiture nous décidons 4 points de rencontre : Volcan, RN3, Cilaos, Grand Ilet.
Lundi 14, mardi 15/10 :
Entre 2 séances de bronzing et de matage des torses nus et bronzés des demoiselles créoles et z’oreille de Boucan Canot (Arf ! Arf ! ), je prépare des sacs avec barres, gels énergétiques, chaussettes et maillots de rechange, en fonction de la longueur présumée de chacune des 4 étapes décidées.
Les sacs sont identifiés, refermés, rangés.
Après un ultime footing de 30’ et une marche rapide de 20’, je vais au briefing, puis récupère nos 2 dossards. Cette fois ça y est, je rentre vraiment dans la course.
Jeudi 16/10 : Nous récupérons Serge et Monique à l’aéroport. Serge n’a pas dormi dans l’avion et d’autant moins qu’il a dû faire une intervention auprès d’un passager victime d’un malaise.
Après l’installation dans leur bungalow, un repas rapide et la préparation des sacs et de l’équipement, la veillée d’armes commence autour d’un bon plat de pâtes.
Je pars dans l’inconnu mais curieusement je suis beaucoup moins stressé qu’avant un marathon. Serge est également très confiant.
Notre 1er objectif est de finir. Si possible en 35h ou moins.
On décide d’une stratégie de course classique : départ à bloc, ensuite on accélère pendant 100km et on fait les 10 derniers au sprint (Arf !!! )
En fait on choisit de bien se placer au départ et de courir quelques centaines de mètres pour éviter les bouchons inutiles.
Coucher 21h
Vendredi 17/10 : Levée des corps 0h45.
En fait ni l’un ni l’autre n’avons dormi, trop impatients d’en découdre avec ce parcours de folie tant espéré et redouté à la fois.
1h15 : En route pour LANGEVIN où sera donné le départ à 4h00.Nous arrivons vers 2h20, et déjà c’est l’effervescence.
Les formalités de contrôle des sacs et de pointage des dossards se passent très rapidement et dans la bonne humeur. On sent l’organisation parfaitement rôdée.
Une fois dans l’enclos réservé aux coureurs, la pression monte d’un cran et le doute s’installe en voyant tous les autres qui semblent tous au top, super équipés, préparés et motivés.
Qu’est ce que je fous là ? Je ne vais pas tenir 10 bornes ! On va me traiter de va de la gueule !
J’en suis là de mes réflexions quand en allant m’asseoir je croise un visage qui ne m’est pas inconnu. Je regarde le dossard. Joël DELMAS !
« LE » J.Delmas dont les récits m’ont en partie amené ici.
Je le suis pour le saluer et lui souhaiter bonne chance, mais je me retiens car il vient de rejoindre et d’enlacer tendrement sa douce. Je ne veux pas casser la magie de l’instant.
Au fil des minutes les visages se tendent un peu, mais ça reste très bon enfant.
Après les danses traditionnelles que nous ne verrons pas d’où nous sommes, à 4h pile, les 2051 fous sont lâchés.
LA COURSE
Le départ est plutôt rapide et tout le monde ou presque court entre les champs de canne à sucre.
Dans la montée vers le stade de la Crête, le flux s’est un peu décanté et nous alternons marche et course.
Premier point de contrôle au stade : 5h23 ! Plus de 20’ d’avance sur l’horaire prévu !
A cette allure, sur l’ensemble de la course on devrait finir facile 1 et 2 ! Arf !
On repart très vite et la 1ère vraie difficulté arrive avec la montée sur Foc Foc, ses 12 km de sentiers bien gras à flanc de coteau, ses 1600m de D+, et des passages de petites ravines qui occasionnent de gros embouteillages.
Dans l’ensemble ça passe plutôt bien et on gagne pas mal de places, avant d’arriver à Foc Foc à 8h10.
Ravitaillement en eau, quelques étirements et c’est reparti pour le poste du volcan où Olivier et les femmes doivent nous rejoindre.
On arrive au volcan (K25) à 9h20 avec 40’ d’avance sur nos prévisions.
Personne ! Le GSM ne passe pas.
Ils ne nous attendaient pas sitôt et bien qu’étant sur le site depuis longtemps, ne nous rejoignent que plusieurs minutes après
Un peu étonnés par notre avance, on ne se presse pas et 25’ plus tard nous repartons pour l’Oratoire Ste Thérèse, le point culminant de la course (2411 m )
Je trouve notre allure un peu rapide, mais Serge qui se sent bien préfère courir que marcher. Je le suis mais je dois bientôt faire face à un gros problème intestinal (et c’est peu dire...).Après l’isolement et les formalités d’usage, je repars ventre à terre ( enfin presque ), et double incrédule un gars qui, les chaussures sur l’épaule, trottine pieds nus dans les scories !!!
Un surhomme ? De gros problèmes de chaussures ? Il a déjà pété les plombs ? Autant de questions que je me pose en revenant sur Serge au pied du rempart.
L’ascension vers l’oratoire ( 17% de pente moyenne ), sur un sentier très étroit et caillouteux est faite bien en rythme.
C’est dans la montée que je m’aperçois que ma poche à eau fuit. Je commets l’erreur de ne pas m’arrêter tout de suite et le contenu de la poche qui dégouline goutte à goutte dans le bas du dos va me causer de beaux échauffements.
Nous basculons dans la descente vers Piton Textor. Sur un mauvais appui je fais un grand écart qui me cisaille la cuisse gauche au niveau des adducteurs. J’ai mal sur le coup, mais ça se tasse et je continue en suivant Serge qui tourne bien.
On arrive à 11h au Piton Textor. Je me maudis en voyant que la fuite vient du bouchon mal vissé.
C’est trop con !
On refait le plein, on avale une barre et 5’ plus tard on repart.
Très vite ma cuisse me fait mal et je n’arrive pas à suivre Serge qui est en pleine bourre. Bientôt c’est une douleur sur l’arrière du genou gauche qui m’empêche de fléchir correctement la jambe.
Venant après, un départ trop rapide, la ch..., la fuite, les échauffements, et une cuisse en vrac, alors que j’ai fait à peine plus de 30 bornes, ça me déglingue complètement.
Le moral à zéro, je ne cours presque plus. La descente vers RN3 qui n’est pourtant pas très technique, est un calvaire et notamment les passages de clôture.
Quel est le c.. qui a dit que la course commence à Cilaos ? Moi j’ai à peine fait 40 bornes et je suis rincé !
Les passages sur route ne me permettent pas de relancer, et je me fais beaucoup doubler.
J’arrive enfin sur RN3 et, en voyant Dany et Olivier qui m’attendent, je craque, prenant conscience que je ne pourrai pas aller beaucoup plus loin dans cet état et en tout cas pas au bout.
Serge qui m’a mis 20’ dans la vue en 5 km est prêt à repartir.
Je pense à toute la préparation, à ceux à qui j’en ai parlé, qui m’ont encouragé et même qui me suivent, et je me sens minable, nul. Blaireau.com !
Je suis prêt à abandonner.
Tout le monde est aux petits soins. Serge qui refuse de partir seul, reprend sa casquette de toubib et me propose une séance de mésothérapie avant de décider quoi que ce soit. Je finis par me laisser convaincre. Monique va chercher le matériel de campagne dans la voiture et il me fait 5 micro-injections à l’insertion des adducteurs, qui me font gueuler comme quoi il cherche à m’achever !
Je me lave un peu, me change complètement, mange une grosse part de gâteau.
Toutes ces attentions m’ont remis les idées en place. Il est impossible d’en rester là, je dois au moins rallier Cilaos.
Après avoir été secoué une dernière fois par Olivier, c’est avec un moral tout neuf que je repars vers Kervéguen et Cilaos à 12h45.
Le passage de Mare à Boue et la montée de Coteau Maigre se font tranquillement en marchant. Serge dit qu’il est moins en jambes, l’arrêt prolongé que je lui ai imposé lui a sans doute cassé le rythme.
J’ai toujours mal mais j’arrive à composer avec la douleur, à l’accepter. J’accompagne chaque appui prononcé avec la main sur la cuisse.
Ma baisse de régime et de moral n’étant peut être pas seulement le fait de ma cuisse mais aussi la conséquence d’une possible hypoglycémie (dixit Doc Serge), je gère les ravitaillements avec plus de rigueur : Au minimum je bois toutes les 10’ et un gel toutes les 40’.
La descente du coteau Maigre est délicate et je laisse filer Serge beaucoup plus à l’aise dans cet exercice.
Cela ne m’empêche pas de me vautrer copieusement à 3 reprises. Deux fois la boucle d’un lacet s’est prise dans une racine et à la 3ème je me suis retrouvé après une glissade, accroché aux branches, les 2 jambes dans le vide.
Drôle d’impression même si a cet endroit, le sentier faisant des lacets et la végétation étant abondante il y avait peu de danger. Deux gars qui venaient de me doubler s’inquiètent. Je les rassure et repars.
La montée du coteau de Kervéguen est interminable, mais relativement sèche cette année( dixit les anciens), je grimpe d’un bon pas, et reviens très progressivement sur Serge que je rejoins peu avant le bivouac.
Super ambiance au bivouac, au son des djembés. Les bénévoles sont toujours aussi sympas et dévoués.
Tout le monde est heureux d’être là et reprend des forces avant d’affronter la terrible descente du coteau de Kervéguen avec plus de 800 m de D- en 3 km, et des passages d’échelles rendues plus ou moins glissantes.
On fait le plein en eau, on avale quelques fruits secs, un bout de gâteau et on repart. J’engage prudemment la descente que Serge, le « cabri breton » attaque goulûment !
Je descends à mon rythme sans m’arrêter, si ce n’est pour laisser passer de plus rapides (au moins une trentaine)
Il y a des types qui sont vraiment impressionnants. Très sûrs d’eux, ils déboulent plein pot. Respect !
La descente en elle-même me prend une heure. Arrivée à Mare à Joseph. Pas de Serge.
Le croyant devant et me sentant bien après cette descente, je ne m’attarde pas et essaye de trottiner. A ma grande surprise les jambes répondent et je retrouve des sensations et une foulée marathon qui me permet de revenir sur la plupart de ceux qui m’avaient passé dans la descente.
Une dernière ravine sous les encouragements de toute une famille applaudissant et scandant le prénom de chaque coureur et j’entre dans Cilaos où Olivier me fait le plus beau cadeau qui soit en m’attendant à l’entrée et en faisant les derniers 500m à mes côtés.
Je m’inquiète de l’absence de Serge, qui doit peut être m’attendre encore à Mare à Joseph. Au moment où, avec une gentillesse extrême le chef de poste de Cilaos tente de joindre Mare à J. pour faire un appel, le gaillard arrive s’étant fait dorloter là bas par une kiné experte ( dixit l’intéressé... )
Malgré la fatigue et la douleur encore très présente je me sens gonflé à bloc. L’abandon n’est plus à l’ordre du jour d’autant qu’un repas ( chaud ), une douche (froide), et un massage (expert) nous attendent et devraient finir de nous requinquer.
Après tout ça je m’équipe pour la nuit avec un T-shirt manches longues, un collant, des chaussures sèches et la veste en tissu respirant MP+ de RAIDLIGHT, achetée pour la circonstance.
Je refais aussi mon sac pour la nuit. Mais au lieu de prendre tel que le sac prévu, je le vide, veux faire le tri et au bout du compte j’oublie les piles de rechange et les gels.
Manque de lucidité.
Heureusement que je suis parti avec 2 lampes et qu’il me restait 3 gels et 2 barres dans une poche...
Nous repartons à la nuit tombée après 1h25 d’arrêt, comme prévu.
La longue nuit commence par la descente et la remontée de Bassin Fouquet avant l’entame du Taïbit.
La progression se fait lentement, en file indienne et par petits groupes se formant et évoluant spontanément au gré des haltes des uns et des autres.
Nous suivons pas à pas un local qui avance sans forcer, d’un pas assuré et régulier quelles que soient la pente et la nature du terrain. Ainsi « tractés » nous arrivons bientôt au pied de la ravine et entamons sans s’arrêter la remontée vers le pied du Taïbit puis son ascension soit en tout 1190 m de D+ en 5,7 km c’est à dire près de 20% de pente moyenne sur un sentier casse pattes !
L’atmosphère est surréaliste.
Une colonne de zombis avance. Personne ne parle.
Le silence est seulement ponctué de quelques jurons, pets, rots, et autres « attention », « faites gaffe ».
La montée n’en finit pas.
A plusieurs reprises on croise des gars qui redescendent sur Cilaos. Abandon ? Repos ?
Je ne sais pas. Je m’en fous. Tout ce qui me préoccupe c’est le pas suivant, la marche de plus qui me rapprochera de ce putain de col.
On monte toujours et on voit de plus en plus de gars s’enrouler dans leur couverture de survie pour passer la nuit quand ils ne dorment pas déjà. On dépasse un poste croix rouge .Les gars déjà bien affairés à réchauffer 2 concurrents nous encouragent au passage. Vu le boulot qu’ils font et le soutien matériel et moral qu’ils donnent, ils méritent tout autant nos encouragements et nos remerciements.
La brume s’épaissit et on y voit de moins en moins.
On double un type, allongé sur un rocher dans la pente. Serge, en bon doc. lui demande si tout est OK, mais ça va, le gars est lucide, simplement un gros coup de pompe.
Impressionnant quand même...
La fraîcheur nous indique le sommet. Sans attendre nous basculons vers Marla et le « Cabri Breton » saute dans la roue de 2 locaux. La visibilité est de plus en plus réduite et les lunettes n’arrangent pas les choses.
Certaines portions sont très pentues et rendues casse gueules par les gravillons qui roulent sous les pieds.Le changement de chaussures à Cilaos n’a pas été très judicieux et je manque d’accroche.
Je ne compte plus les fois où je me vautre, mais à l’énergie j’arrive à suivre le groupe jusqu’à Marla où nous arrivons vers 22h20.
Au poste de ravitaillement l’ambiance est très chaleureuse. Les musiciens de Kervéguen sont arrivés là et ponctuent l’arrivée de chaque coureur de solos de djembé.
On prend notre temps pour se ravitailler. Je refais le plein de la poche en rajoutant un sachet d’hydrixir et comme je n’ai plus de gels, je me sers en fruits secs et en soupe.
Ah ! la soupe de Marla !... Un grand moment.
Une soupe pareille je ne voudrais pas la servir à mon cocker. Trop peur qu’il me morde ou qu’il me dénonce à la SPA !...
Et pourtant... Servie dans des gobelets plastiques d’occase, tiède, sur-salée, avec des pâtes hyper cuites, je ne me souviens pas d’en avoir mangé de meilleure ou en tout cas qui m’a fait plus de bien ; Que du bonheur !
Les Bocuse, TroisGros, Ducasse et autres Loiseau peuvent toujours s’aligner. Enfoncés !
Et toujours les bénévoles qui, comme partout sont toujours pleins d’attention pour les zombis
qui arrivent et s’apprêtent déjà à repartir.
Morceaux choisis :
- Alors ça va mieux mon gars, tu vas aller au bout maintenant !
- Si, mi lé bien, la pri soup’ chod’, bon poulé, ti café, mi lé bien, va tenir a Grand Ilet !
Je resterais bien encore un peu là, mais Serge après une « escale technique » bien venue, grelotte un peu et est impatient de repartir .
Nous démarrons avec un petit groupe la descente, très rocailleuse et rendue délicate depuis le passage du cyclone. Là encore je descends prudemment, autant sur le cul et les mains que sur les pieds. Je me félicite au passage d’avoir les mitaines de vélo qui protègent bien la paume des mains.
La traversée de la rivière des galets est plus que laborieuse. Les locaux sautent de roche en roche avec plus ou moins de réussite, Serge se plante au milieu du gué et du coup je préfère marcher franco dans l’eau.
Après ce passage, moi qui avais tant potassé le road book, je suis complètement à la rue, et pensant arriver directement au col de Fourches à chaque montée je demande si on y est.
Tout faux !
J’ai complètement oublié, le col des 3 roches, le coteau la Nouvelle, et la plaine des Tamarins, autant de montées et de descentes sévères, en terrains variés et instables et dans la brume.
On arrive à grand peine à La Nouvelle où on se restaure vite avant d’entamer la montée vers la plaine des Tamarins.
Le train s’est considérablement ralenti.
Le terrain est très cassant et avec le brouillard on voit que dalle. On manque de se paumer dans la plaine, mais on retrouve vite le bon sentier. ,
On attaque enfin le col de Fourches tant attendu. Tu parles !
Une saleté de sentier pourri, à gravir dans le brouillard et sur des rondins glissants, disjoints où à chaque pas on risque de se foutre une cheville en vrac !
L’horreur. Pour tout le monde.
La fatigue aidant, les coureurs (surtout ceux qui n’en sont pas à leur 1er GRR ) commencent à critiquer et à déplorer le sadisme des organisateurs (sic) pour cette portion jugée inutile et dangereuse.
Il est certain que sur le coup on a les boules, mais après tout on est quand même venu là pour en ch.. et pas pour une ballade sur le chemin de halage du canal.
On grimpe depuis déjà longtemps comme des automates. A un moment le gars qui me précède s’arrête pour une pause et je comprends que l’on est enfin au sommet. Pendant quelques instants je bloque la file et me fais engueuler !
Du coup j’entame en tête du groupe la descente, sans bien me rendre compte de ce que je fais. En plein jour et en pleine forme j’aurais sans doute hésité à le faire, mais là, malgré les glissades j’y vais franco.
Un peu plus tard Serge me rappellera qu’à cet endroit le road book annonçait « passage difficile et glissant au bord du vide... » Quand on connaît le drame qui a endeuillé la course le lendemain, il y a de quoi frémir.
Ca descend moins vite par la suite et les conversations reprennent. Quelqu’un annonce la route forestière à 1 /4 h. En fait il nous faudra plus d’une heure pour l’atteindre.
A partir de là une très longue descente de 7 km mène vers Grand Ilet. La plupart des gens court ou trottine dans cette portion, mais Serge préfère marcher et s’attarder sur la beauté des fleurs et sur les parfums qui embaument notre parcours.
Un petit coup de fil à notre dream team, et nous la retrouvons avec plaisir, après le pointage.
Il est 6h08.
Direction la douche et la salle de massage.
Serge s’installe et se fait bien masser et étirer, pendant que j’attends mon tour.
Il me laisse sa place, et à ce moment, il fait un gros malaise et tombe dans les pommes !
Tout le monde s’inquiète et s’affaire autour de lui, mais il reprend très vite conscience, victime dit-il lui-même d’un malaise vagal.
Pouls et tension OK à ce stade d’effort, il se laisse convaincre de se reposer 1h ou 2. Il paye sans doute son arrivée tardive sur l’île et les 3 nuits sans dormir.
Je décide de l’attendre. J’en profite pour me faire soigner la plante des pieds qui est ruinée par la macération. Le passage dans l’eau au gué de la Rivière des galets aura été une belle connerie.
Je me change complètement.
C’est là que j’oublie mon blouson RAIDLIGHT flambant neuf et qui a vaillamment fait toute la nuit (Benoît LAVAL, si tu m’entends.. !)
Je vais faire un petit somme dans la voiture en attendant.
Une petite heure plus tard, Dany me réveille et je me mets à gueuler comme un âne, qu’il ne fallait pas me laisser dormir aussi longtemps, que maintenant j’ai la tête dans le cul, et que je ne peux plus mettre un pied devant l’autre.
Tout ce flot de jérémiades et de mauvaise foi cesse instantanément quand je vois arriver Serge, tête basse, la moustache en berne qui me dit de ne pas l’attendre davantage, qu’il arrête là, se sentant trop faible pour affronter la Roche Ecrite.
Dans ses yeux, toute la détresse du monde. Maladroitement, j’essaye de lui dire que les presque 100 bornes faites représentent déjà une sacré perf, mais tout comme lui je sais que ce n’est pas ça l’objectif et que le but c’est le stade de la Redoute.
Avec le recul et ce qui s’est passé sur la course plus tard, je sais que bien qu’il ait par la suite très vite récupéré, sa décision était la bonne et a peut être évité un autre accident.
Autour de moi tout le monde est abattu. Dany est morte de fatigue, Monique ne vaut guère mieux, et seul Olivier a encore du jus.
Ce coup du sort agit sur moi comme un électrochoc. Je n’ai pas le droit de me plaindre. Je n’oublie pas que sans Serge qui m’a soigné en début de raid je ne serais pas là et je me sens investi d’une mission : finir pour nous deux, et pour tous ceux qui nous suivent, ici comme en Métropole.
Olivier du coup, est remonté comme une pendule et « coache » tout le monde.
Il engueule sa mère qui ne veut pas s’allonger et m’envoie d’autorité manger un morceau avant de récupérer le dossard à 9h50.
Avant de partir, je change les piles de la lampe frontale au cas où, refais mon sac et démarre en oubliant le maillot de l’organisation. Je reviens sur mes pas et le récupère.
Olivier m’encourage une dernière fois :
- Vas-y Pap, encore la Roche Ecrite et c’est gagné
- T’inquiètes fils, je vais me le faire ce putain de caillou !
Il est 10h08 quand je pars pour de bon .
4h pile poil d’arrêt à Grand Ilet.
J’ai une pêche d’enfer, et n’imagine même plus de ne pas arriver au bout.
Pour tout ce qui vient d’arriver je n’en ai pas le droit. Pour moi c’est clair.
Sur la route de Mare à Martin qui mène à la Roche Ecrite, je fais une rencontre déterminante, en la personne d’une concurrente originaire du Gers (Ah ! cet accent ! ), implantée de longue date à la Réunion et qui en est à son 3ème GRR.
Elle doit avoir une bonne soixantaine d’années, mais habituée des sentiers réunionnais elle paraît très solide avec son bâton de marche. Elle m’apprend le décès d’une crise cardiaque d’un concurrent à Kervéguen. Je comprends mieux l’inquiétude du kiné lors du malaise de Serge, et me dis qu’il a sans doute eu raison de s’arrêter.
Il est 10h31 quand j’entame les 1ères marches.
Quelques mètres plus loin, passage sur une dalle rendue humide par la brume qui noie le cirque et 1ère gamelle pour moi. Ayant du mal à retrouver mon équilibre, elle me propose d’agripper son bâton. Un restant de fierté me fait décliner son offre, un autre de lucidité fait que je la laisse passer devant.
A partir de là, nous avons monté ensemble et d’une seule traite la Roche Ecrite, elle devant et moi « scotché » à ses pas 2 à 3 m derrière.
Véritable chenille collée à la paroi, elle avançait inexorablement vers le sommet, toujours au même rythme, si possible à petits pas, sans difficulté apparente, maîtresse de son corps et de son art.
Derrière elle, je suivais tant bien que mal, essayant surtout de ne pas me faire décrocher, car sans cet ascenseur je savais que ce serait beaucoup plus long
- Faut continuer comme ça, disait-elle, et surtout ne pas s’arrêter, ça démoralise…
- Ici, on a déjà fait le 1/3 …
- Ca y est on a passé la 1/2, on va arriver au sommet sans s’en rendre compte …
- Vous voulez passer ? Non merci, c’est parfait comme ça
Tout du long on ramasse des gens à la dérive ou qui font une pause. Au moins une trentaine, avec à chaque fois de part et d’autre 2, 3 paroles de réconfort ou d’encouragement.
Il y a dans cette course un super état d’esprit et une vraie solidarité entre les coureurs tous embarqués dans cette galère quel que soit leur niveau.
On arrive à hauteur des câbles. Il doit encore rester 20 bonnes minutes d’ascension.
- Vous sentez l’air frais, vous entendez la musique, on approche…
Quelques mètres avant le sommet elle me fait passer devant et me dit qu’elle continue mais qu ‘elle va s’arrêter un peu au sommet avant de repartir. Elle me souhaite bon courage pour la descente.
- Merci pour tout, et à ce soir à la Redoute.
Il est 12h13 quand je franchis le dernier rocher.
Nous sommes montés d’une traite en 1h42’, alors que sur mon tableau de marche le plus optimiste j’avais prévu 2h30’
Mille fois merci madame, dont j’ignore le nom et le n° de dossard et sans qui la fin de la course n’aurait pas été la même !
Très vite je repars vers le gîte des Chicots. Je connais cette partie jusqu’à la bifurcation du gîte d’Affouches, pour l’avoir parcourue il y a 4 ans en randonnée.
Je pensais pouvoir courir sur les dalles de lave, mais la plante des pieds me brûle et je me contente de marcher à un bon rythme.
Au gîte des chicots où je stoppe 5’, Jean- Claude l’accordéoniste, voyant mon nom et reconnaissant un patronyme Morbihannais, se met à jouer pour moi « le loup, le renard et la belette » Super sympa !
Physiquement je me sens bien et marche d’un bon pas qui me fait gagner pas mal de places.
La montée sur Dos d’âne est plutôt physique mais c’est toujours dans les descentes que je suis le plus mal.
C’est le mental qui prime et je me raccroche à plein de choses pour avancer : Olivier que je ne veux pas décevoir, lui qui a horreur de courir et qui m’a regonflé à Cilaos, Dany qui supporte les sautes d’humeur et les ronchonneries et me soutient toujours, ma petite mère qui a 82 ans aimerait bien avoir tous les jours les jambes dont je me plains aujourd’hui, mon père qui n’est plus là,...
A chaque évocation une bouffée d’émotion m’envahit, me brouille la vue, mais décuple mon énergie.
Même chose au niveau de Piton Fougères, où je double quand même des gens dans un sale état que sincèrement j’encourage au passage.
Sur la crête, mon portable sonne. C’est mon pote Jean-Pierre qui, de la Métropole s’inquiète pour « le blaireau ». Je le rassure, l’insulte un coup pour la forme, et coupe très vite avant qu’il ne vide ma batterie !
Avant d’être en panne j’appelle Dany et lui annonce une arrivée possible vers 18h30.
Poste de contrôle de la RF Affouches : pointé en 819ème position, j’avale une soupe, un coca dilué et repars aussitôt.
Sur la route forestière, j’arrive à courir. J’essaye d’accélérer un peu. Les jambes répondent et très vite je reviens sur plusieurs gars qui trottent à l’économie.
Je me calme et reste avec un local, hyper sympa (un gendarme, comme quoi,... ) et nous faisons ensemble en courant les 3 km de la route forestière.
C’est lui qui m’apprend que quelqu’un a basculé il y a peu de temps dans la Roche Ecrite.
Cette nouvelle me sonne un peu et je frémis rétrospectivement.
Ca pourrait arriver à n’importe qui sur une course comme celle là, où le risque zéro n’existe pas. Pourtant l’encadrement des coureurs et les mesures de sécurité sont optimales. Ce qui est étonnant c’est qu’il n’y ait pas eu de chutes graves lors des autres éditions.
La course continue. Il reste 15 km à faire, à peu près 3h, l’équivalent d’un marathon ! Ca semble énorme et je ne veux pas y penser.
Le sentier devient plus roulant et j’alterne régulièrement course et marche rapide.
J’arrive au Colorado à 17h01. 3’ d’arrêt pour un dernier ravitaillement.
A cet instant je pense même pouvoir finir avant 18 h, car j’ai dans l’idée que la fin du parcours c’est du bitume.
Tu parles ! Encore tout faux !
5 bornes à descendre le coteau, avec un condensé parfait de toutes les difficultés rencontrées pendant plus de 120 km !
Sur le coup, avec la plus parfaite mauvaise foi, je peste contre le sadisme sans bornes des organisateurs.
Survolté, je dévale la pente comme un mort de faim, en doublant encore des gars vraiment « cassés », soutenus par des bénévoles.
Je débouche enfin sur la route.
Le dernier km se passe sur un nuage à 12-13 km/h.
Sur le stade j’aperçois Olivier et j’appuie un peu plus pour passer 3 concurrents.
La dernière ligne droite, les encouragements, les applaudissements, l’arche d’arrivée...
Il est 18h05
JE L’AI FAIT !
On me passe la médaille, le sac avec le t-shirt tant convoité.
Je tombe dans les bras de Serge.
Tout le monde pleure, s’embrasse. Un grand moment.
Je suis champion du monde. Au moins !
L’équipe de France en 98, D.Douillet à Sydney, n’ont pas pu ressentir de choses plus fortes !
C’est vraiment trop !
L’APRES COURSE
18h 30 Je prends, une douche, me fais faire un super massage.
La nuit est tombée. J’ai soif ! « la dodo lé la » et elle est bonne !
Je cherche ma bonne fée de la Roche Ecrite , mais je ne la vois pas . Dommage.
Retour sur Saint-Gilles.
Euphorique, je veux aller au restau. Les autres sont vannés mais n’ont pas le cœur de me refuser ce plaisir.
On se paie une super bouffe, avec le rhum arrangé pour finir.
On se couche à 23h.
Plus de 60h sans dormir, et pourtant j’ai du mal à trouver le sommeil avec le film de la course qui passe en boucle dans la tête.
Dimanche 20/10 : matinée consacrée aux coups de fil à la famille et aux copains.
Après midi, shopping et accompagnement d’Olivier qui repart le soir même sur Paris.
Retour à la Redoute pour la remise des prix.
L’ambiance est bizarre et la joie des vainqueurs et des arrivants est plus que contenue. Chacun semble prendre à ce moment conscience du double drame. Le Grand Raid est sous le choc.
Les festivités prévues initialement ayant été annulées c’est un feu d’artifice, tiré sur un morceau des Queen’s qui termine cette Diagonale des fous.
Il est 21h, le stade se vide, presque silencieusement.
Je reviendrai.
Jacques LE LAN - Dossard n°2027
38 H 05
769ème / 2051 partants et 1512 arrivants
77ème VH2
1 commentaire
Commentaire de pollux posté le 13-02-2008 à 05:32:00
ton recit est bien detaillé,plein d'emotion aussi n'empeche,je me suis retrouvé un peu a traver toi,j'y etais en 2007...bravo a toi quand meme...
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.