Récit de la course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous 2012, par Bikoon

L'auteur : Bikoon

La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous

Date : 18/10/2012

Lieu : St Philippe (Réunion)

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Distance : 176km

Objectif : Terminer

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GRR 2012 : au bout de la souffrance

Au bout de la souffrance.

Je n’en mène pas large. Je dirais même que j’ai une pétoche de tous les diables. Ce n’est pourtant pas dans mes habitudes d’avoir la trouille au moment du départ d’une course, juste ce qu’il faut d’appréhension, mêlée à de la concentration. Mais là, c’est différent…

 Petit retour arrière. Je suis plutôt un garçon raisonnable (nous parlons ici de trail hein ?), et depuis mes débuts dans cette discipline, j’ai observé consciencieusement une progressivité dans les épreuves courues ; progressivité qui m’a amené en août 2011 à une CCC plutôt rondement menée. Puis un jour, à l’occasion d’une divagation sur un petit voyage en amoureux est arrivée l’idée de la Réunion. Ah oui, mais entre les 95 km de la CCC et les 170 km annoncés du Grand Raid anniversaire 2012 il y a un sacré fossé… Décision est prise par conséquent de me mesurer à la Montagn’hard pour aller titiller je l’espère les 30h de course et ainsi ne pas avoir un trop gros gap en temps de course entre CCC et GRR.

Oui, sauf que cette année 2012 n’est pas à proprement parler une réussite d’un point de vue ultra. 2 courses et 2 abandons : Ecotrail de Paris et donc Montagn’hard où je bifurque sur le 60 totalement vidé. Avec cet échec à St Nicolas de Véroce, je prends un gros coup sur la tête, et décide de ne pas me rendre à la Réunion, certain d’aller au casse-pipe. C’est seulement grâce à la persuasion de certains Kikoureurs parmi lesquels Olivier91, PhilippeG94 ou MiniFranck (qui visiblement croyaient plus en mes capacités que moi-même), que j’ai finalement décidé de m’aligner au départ de ce Grand Raid de la Réunion 2012. Un grand merci à eux, à qui je dois cette immense satisfaction d’être finisher de la diagonale des fous 2012.

Me voilà donc sur l’île Bourbon, et maintenant que j’ai pris la décision d’être présent, je suis remonté comme un coucou ! Un coucou solitaire, car ma tendre épouse n’a malheureusement pas eu la possibilité de prendre les congés qui nous auraient permis de passer de bons moments tous les 2 après la course.

Je suis installé dans la zone de départ près d’1h30 avant le coup d’envoi, et j’adresse un SMS à mes proches « je suis prêt » qui signifie « voilà j’y suis, après tant d’interrogations, d’heures d’entraînements, de sacrifices sur le temps familial, de préparation psychologique… », l’heure n’est plus aux questionnements mais au plaisir de prendre part à cette immense fête de l’ultra, d’essayer de savourer chaque instant, et de réaliser qu’elle est ma chance d’être ici à cet instant !

22h pétantes le top départ est donné par le fantasque Robert Chicaud, il fait sec, mais ça ne va pas durer…  je dois être dans le 1er quart, l’ambiance est survoltée le long de cette route longeant le bord de mer, les groupes de musique créoles se succèdent ainsi que les vapeurs de rhum arrangé et autres volutes prohibées…

22h05 il commence à pleuvoir et le vent se lève ; d’abord une pluie fine puis ça devient franchement mouillant, mais la température est très clémente alors c’est plutôt bien venu ce petit rafraîchissement Clin d'œil Je remonte pas mal de monde sur cette route côtière, et j’ai hâte de me retrouver seul pour profiter de ces sentiers tellement attendus.

Dans les champs de canne à sucre le rythme est bon, sans être trop rapide, et ça mouille maintenant très fort, mais je reste avec le t-shirt du GRR en attendant que le fond de l’air se rafraîchisse. Arrive le 1er pointage, et on attaque une descente tranquille mais assez longue sur une route bitumée pour les exploitations agricoles. Je ne m’affole pas, mais c’est assez plaisant de pouvoir courir à +/- 13 à l’heure en remontant du monde, tout en restant très souple et relâché. Puis de nouveau les champs en zigue et en zag avant d’entrer dans le vif du sujet au niveau du kiosque des camphriers où l’on attaque le single track en pleine forêt tropicale. Le changement est brutal et spectaculaire : c’est tout à coup très raide, et l’impression de densité de cette forêt, malgré la nuit, est saisissante.  Je prends mon rythme de croisière car l’ascension va être longue. Je vis mon 1er grand moment sur cette diagonale 2012, quand je me retrouve seul pour la 1ère fois au beau milieu de cette forêt sauvage, ultra humide, avec pour seuls compagnons le halo de ma frontale, les bruits des habitants des lieux et les odeurs sauvages de cette végétation luxuriante. C’est magique Sourire Ce moment de plénitude ne dure malheureusement pas, car je rejoins une longue procession de raiders qui montent à la queue-leu-leu sans possibilité de doubler.

Tant pis pour cette béatitude passagère, je me cale sur le rythme imposé, et prends mon mal en patience. Lorsque nous sortons de la forêt, n’étant plus protégés, la pluie me paraît vraiment très forte, et le vent fort est saisissant. Je profite de cet instant pour me livrer à quelques mouvements de contorsion : le but de la manœuvre est d’enfiler mon Gore-Tex qui se trouve dans mon sac, sans retirer ma frontale (avec batterie déportée), sans m’arrêter sur le bord du chemin, et sans perdre de matériel en route J. J’hésite à enfiler mes gants étanches (Mapa roses), et je me dis que le ridicule peut attendre encore un peu, je remonte alors mes mains à l’intérieur des manches.

Je suis surpris de voir des raiders déjà assis au bord du chemin, parfois prostrés, souvent grelottants… mais en t-shirt !!!  Il semble que certains n’aient pas pris la mesure du temps qu’il fait… Il paraît que les pentes du volcan sont superbes, mais à part les scories noires qui roulent sous mes pieds, je n’en vois pas grand-chose : la pluie tombe à l’horizontal, il y a du brouillard, et bien sûr il fait nuit noire ! Je continue néanmoins ma progression, je suis bien à l’abri, contrairement aux cieux le moral est au beau fixe, et quand j’arrive à Foc Foc après 29 km et 2400 D+ en 387ème position, ça ne fait qu’environ 5h30 qu’il pleut… alors tout va bien.

Entre Foc Foc et le volcan, sur cette partie plutôt roulante, je m’adonne à ma 1ère partie de pacman en grappillant 90 places en 40 mn Sourire, il fait un temps exécrable mais je me sens super bien, heureux d’être là. L’arrivée au ravitaillement du volcan est une vision hallucinante : un oasis de chaleur, de lumière et de bon son au milieu d’éléments déchaînés, il y a une ambiance de feu ici ; les bénévoles sont, là encore, comme durant toute l’épreuve, absolument parfaits : gentils, encourageants, dévoués ; et ce, malgré les conditions météo pas optimales…

C’est après avoir traversé la plaine des sables à l’aveugle sans profiter des paysages, que je me dirige maintenant vers piton Textor alors que le jour pointe son nez. Pas le soleil, hein, juste le jour… car oui, lorsque j’arrive à ce ravitaillement après 7h30 de course pour 43 km et 2700 D+ en 222ème position….. il pleut encore J Commence alors des paysages assez déroutants, et probablement peu typiques de ce que l’on peut rencontrer à la Réunion : des champs entourés de barbelés où paissent de paisibles bovins ; avec cette pluie incessante, on se croirait plus en Normandie que dans l’hémisphère sud !

Le comble de l’humidité en cette édition 2012 se trouve probablement à Mare à boue la bien nommée. Cette route bitumée que nous devons emprunter avec le vent très fort de face et la pluie qui tombe drue et à l’horizontal sont un morceau de bravoure pour les quelques supporters qui stationnent sur les bas-côtés !  Les crapauds du cru nous accueillent dans un concert tonitruant Sourire Bien que trempé comme une soupe, je n’ai pas froid, mais la petite pause potage vermicelles est tout de même bienvenue après 8h50 de course pour 52 km (209ème).

Tout va encore très bien, je repars gonflé à bloc pour les 1000 D+ qui vont me conduire au gîte du Piton des neiges ; et par miracle, après pile poile 9h de flotte ininterrompue, le soleil fait enfin son apparition ; j’en profite pour faire une petite photo pour ma fille qui est fan des arcs en ciel Bisou Bon, il faut l’admettre, l’accalmie n’aura été que de courte durée… la pluie refait son apparition mais d’avantage sous forme de bruine fine (et donc rafraîchissante) que de drache mouillante. Dès les 1ères pentes qui vont nous mener au point culminant de la course (2475 m), les chemins sont transformés en ruissellements boueux. Ça monte sévère mais les paysages, que je qualifierais de court terme car la visibilité est encore très réduite, sont superbes. C’est dans ces sentiers très rocheux que j’ai ma 1ère alerte physique au niveau de la face externe du genou droit, je ne peux pas dire que je ralentis le rythme pour autant, car çe n’est déjà pas très rapide… Le gîte du Piton des neiges est en vue, j’y arrive après 12h06 de course pour 64 km en 200ème position. J’avais repéré sur la vue 3D du parcours la fameuse descente du Bloc qui doit nous emmener à Cilaos, et je m’en faisais une montagne…  et bien j’avais raison. Quel enfer quand on n’est pas à 100% de ses capacités de descendeur ! Je n’ai pas couru une seconde de toute la descente, que j’ai faite en boitant bas, et en me faisant passer par exactement 28 coureurs (eux !). Autant dire que j’ai gambergé monstrueusement, en me disant que si je ne tombais pas sur un kiné magicien à Cilaos, je pouvais rendre mon dossard…

Me voilà donc à Cilaos après cette interminable descente faite d’innombrables marches en bas desquelles, même en marchant, j’avais l’impression de tabasser mon squelette dans son entièreté ! Cilaos, 72ème km, 13h48 de course et 228ème.  J’arrive au stade en me disant que c’est la révision des 72 : je passe d’abord au stand podologue où je découvre avec effroi mes pauvres petits petons qui semblent tout droit sortis de bocaux en verre… puis c’est au tour du kiné pour le genou droit et de l’ostéopathe pour le psoas gauche qui commence à couiner (on en reparlera). J’ai eu la grande chance de tomber effectivement sur un kiné magicien qui me remet d’aplomb en un petit ¼ d’heure. Vient ensuite le stand vêtements secs + chaussures et chaussettes secs et propres. Un véritable bonheur ! Je termine par le ravitaillement du bonhomme avec un carri poulet et ses petites coquillettes Langue tirée  Je repars avec le moral au beau fixe, il fait beau, je suis sec, ça descend ; et même les marches passent facilement ! Je m’étais dit qu’il faudrait arriver à Cilaos le plus frais possible ; ça n’a pas franchement été le cas, mais c’est encore mieux : j’en repars frais comme la rosée du matin Cool C’est bon ça !

Dans la montée qui suit le franchissement de la rivière « Bras de Cilaos » je peux enfin filmer un peu, car je me trimballe ma GoPro depuis le début pour pas grand-chose…  J’en profite pour me prendre une suée qui n’a rien à envier aux hammams, quel taux d’humidité incroyable, et en ce début d’après-midi il fait vraiment chaud sur ces pentes. Le temps me paraît court jusqu’au ravitaillement au pied du Taïbit où je bois un café en prévision de la 2ème nuit qui m’attend et où je discute un peu avec UltraSteph qui arrête ici sa ballade Réunionnaise après 80 km par manque de volume en préparation. J’ai peut-être commis une erreur par excès d’optimisme en laissant mon Gore-Tex à Cilaos et en ne gardant que ma RLight très légère… car devinez quoi ? il se remet à tomber des cordes dans cette ascension du Taïbit ! Dommage encore une fois pour les paysages qui semblaient superbes et tellement sauvages Déçu L’arrivée au sommet annonce une belle descente assez technique (pour changer) et recouverte d’innombrables marches (pour changer bis). Mais ce qui change réellement c’est le recouvrement de mes capacités physiques et pour la 1ère fois je m’en donne à cœur joie dans cette descente que j’aurais trouvé monstrueuse à faire en marchant ! Je pacmanise de plus belle et reprends 31 coureurs jusqu’à Marla.

Marla, Marla, 5 mn d’arrêt ; 18h18 de course pour 85km, 198ème. Encore un bon bol de potage vermicelles ; les bénévoles sont tellement aux petits soins que je me fais quasi engueuler quand je veux remplir moi-même mon bidon bretelle Sourire La portion qui suit est une pure merveille ; les sensations sont encore excellentes, et courir dans cette plaine des Tamarins, forêt primaire où pendent quantité de cheveux d’anges et de lianes gorgées de lichens est jubilatoire. L’ascension du col de Fourche qui suit se fait à bon rythme, bien avant la tombée de la nuit ; j’apprendrais le lendemain que c’est ici que le trailer marseillais a trouvé la mort bêtement En pleurs Puis vient la descente ultra humide et très sauvage qui me mène jusqu’au ravitaillement de sentier scout. J’ai repris 44 places dans sur cette portion (154ème), il est un peu plus de 18h (20h18 de course pour 95 km), et comme il commence à faire nuit et que la pluie refait son apparition, je m’accorde une bonne pause repas sous cette tente tenue par des gendarme (un peu moins aux petits soins, mais néanmoins très pro Clin d'œil

 

C’est parti pour la 2ème nuit ! Et ça commence sur les chapeaux de roue, j’ai une patate d’enfer, et la partie de pacman qui suit sur ce sentier Scout est trop bon ! Tous les signaux sont au vert, je prends un pied énorme à courir seul de nuit sur ce chemin technique. Je me sens vraiment bien, les odeurs sont enivrantes, les sensations nocturnes sont aiguisées, je profite à fond du moment présent ! Plus on descend vers Îlet à Bourse, plus la température monte car nous passons sous les 900m d’altitude, mais les jambes continuent à bien répondre, je descend en souplesse tout en aillant du rythme, et je double je double je double Sourire. Ecole d’îlet à Bourse 22h14 de course pour 105 km 129ème. Je repars du ravitaillement avec un coureur local qui connaît bien le tracé et qui m’apprend que le gros morceau qui arrive se décompose en 3 phases ascensionnelles : Grand Place les hauts en guise d’amuse gueule, montée à Roche Plate en hors d’œuvre, puis le Maïdo en plat de résistance… à entendre ce menu, je crains un peu l’indigestion !

L’amuse gueule n’est pas désagréable et passe plutôt bien, même si la descente est trop technique et trop raide pour se faire plaisir (apparemment considérée comme une des plus engagées de l’île…). Je pense que c’est cette partie très technique et cassante qui est à l’origine de ma longue dégénérescence physique ! La traversée du ruisseau à la Roche Ancrée est jolie comme tout, et annonce l’attaque de la 1ère partie du gros morceau de la course : le Maïdo. Je passe immédiatement en mode coooooooooool et prends mon mal en patience en espérant voir arriver rapidement le ravitaillement de Roche Plate. Hélas, 3 fois hélas, la succession de ces multiples hautes marches (mais bon sang, c’est le géant vert qui les a planté là ou quoi ? je ne suis pourtant pas petit, j’ai l’impression que certaines m’arrivent à la taille !!) me minent physiquement à vitesse grand V. Je commence à vivre un cauchemar en ne parvenant plus à plier suffisamment ma jambe gauche pour la monter sur les marches… la face interne du genou gauche et le psoas gauche (le voilà qui revient) me tiraillent de douleur. Je me fais reprendre par 3 raiders et je parviens à prendre le wagon pour ne pas finir en mode limace jusqu’au ravitaillement. Je prie intérieurement pour retomber sur un kiné magicien à Roche Plate qui me fera repartir comme un cabri dans l’ascension finale du Maïdo. J’arrive enfin à l’école primaire de Roche Plate, il est un peu plus de minuit soit 26h et quelques de course pour 120 km (position : 113ème), et je me rends directement auprès d’un kiné. Il me soigne d’abord une énorme ampoule au talon droit puis s’attaque à mon genou gauche. J’ai un énorme coup de fatigue et me dis que je profiterais bien d’être sur un lit pour me reposer un peu ; je règle alors mon téléphone pour sonner 30mn plus tard (pas envie de partir dans un sommeil profond, et de me refroidir trop). Mais la musique à fond qui a probablement pour fonction autant de motiver les raiders que de maintenir éveillés les bénévoles, ne me permet pas de m’assoupir.

Je décide alors de repartir. Mais lorsque je me lève, bien sûr je ne me suis pas reposé, mais je me suis refroidi ! Je tremble comme une feuille, et me sens vraiment très fatigué. Machinalement, j’enfile mon cuissard mi-long, mon haut manche longue, mon bonnet, mes gants, et je file dehors où l’impression de froid et d’humidité me glace le sang. Sans aucun appétit, je me rempli tout de même l’estomac avec un mélange de potage, bananes séchées, coca, raisins secs ; et je quitte les lieux. En repassant devant le bureau de pointage, j’entends un trailer qui se fait pointer 172ème, j’ai donc perdu 59 places avec ce long arrêt au stand. Mais je me dis que si le genou est de nouveau opérationnel (le psoas n’ayant pas été traité car trop difficile « d’accès »), cet arrêt n’aura pas été vain. Malheureusement, je déchante assez vite, en constatant amèrement que le 2ème miracle de la journée n’a pas eu lieu Déçu Je sers alors les dents, je sais que cette ascension va faire très mal, mode cerveau débranché de rigueur ! Et en effet, elle fait mal ; je me traîne, je me larve, je m’incruste dans cette montée interminable. Cette terrible bavante est en revanche à l’origine d’un grand moment : je n’en peux tellement plus que je m’assoie sur une marche ( !), et j’éteins ma frontale. Et là : je suis submergé par une tempête d’étoiles comme je n’en ai jamais vu. C’est absolument féérique ; j’essaie de relativiser ma souffrance physique en me disant que j’ai tout de même une chance immense d’être ici, au beau milieu de cette île magique, sur ce Maïdo seul en pleine nuit à contempler ce spectacle onirique.

Après 3h d’ascension depuis Roche Plate, j’arrive enfin sur la crête et le spectacle est assez saisissant : il est presque 4h du matin, et le sol est jonché de trailers ! il n’y a pourtant pas de ravitaillement à cet endroit là, mais la montée a fait des dégâts. Je ne préfère pas m’attarder, et continue mon bonhomme de chemin, sans savourer la vue des paysages, encore plongés dans les ténèbres. Le changement de configuration fait du bien à mes articulations, et je réussis à trottiner jusqu’au  ravitaillement de Maïdo tête dure où j’arrive après 30h22 de course pour 125km en 136ème position (il y avait donc plus de 30 trailers affalés sur la crête !!). Ici encore les bénévoles sont parfaits, prévenants, souriants et attentionnés malgré les 4h du matin passés. Me plaignant du genou, on me propose une tartine de Synthol que j’accepte volontiers ! Et là, mini miracle, je peux de nouveau dérouler la foulée dans la descente qui s’annonce très longue jusqu’à Sans Souci (13 km et 1700D-). Les trailers se font plus rares à ce stade de la course, mais je m’adonne encore avec jubilation à mon jeu préféré quand tout va bien : Pacman bien sûr ! Le terrain est souple [il y a très peu de marches] la forêt est profonde et sauvage, et j’assiste au lever du jour sur le cirque de Mafate ; c’est une merveille Bisou La suite de la ballade est beaucoup plus laborieuse : nous retrouvons les marches dans les champs de canne à sucre, puis plus bas avant de sortir de la forêt. Je discute avec une traileuse, kiné sur l’île, qui en est à son 2ème Grand Raid à 28 ans… et qui paraît vraiment facile, alors que je me traîne de nouveau de plus en plus avec la succession de marches qui ruinent ma pauvre jambe gauche.

Sans-Souci (tu parles) pointe enfin le bout de son nez après 33h19 de course pour 138 km en 118ème position. Il y a des crêpes maison avec confiture de goyave au ravitaillement !! ça change des bananes qui commencent à me sortir par les yeux. Malheureusement pas de kiné ici, il faut que je me traîne jusqu’à Halte-là (la bien nommée). Et en effet, je me traîne incroyablement, enfin je marche quoi. Et ça me paraît long, mais long, cette rivière des galets à descendre côté gauche puis remonter côté droit ! J’arrive enfin à ce stade tant attendu après 34h30 pour 140km en 121ème position. Ça devient rituel maintenant : direction table des kinés / podologue, où on me soigne ma méga ampoule qui a repoussé, et j’ai droit à un joli strap du genou gauche. Le changement de vêtement fait du bien, et je repars saharienne vissée sur la tête car ça commence à cogner fort à 9h du matin quasiment au niveau de la mer. Je ne suis d’ailleurs pas long à me prendre un coup de chaud, et lorsque je vois 2 personnes discuter devant un portail, je demande l’hospitalité du tuyau d’arrosage pour m’asperger Sourire. Je comprends malheureusement assez vite dans ces sentiers peu pentus et manquant de charme, que l’on est arrivé au bout de ce que l’on peut faire pour mon genou, et que le strap n’a quasiment aucun effet Déçu.

Le chemin de Cala qui mène à la Possession, va être un véritable chemin de croix sous une chaleur accablante, et à me ranger sur le bas côté sans arrêt pour laisser passer les coureurs de la Mascareignes, avec une jambe gauche que je ne parviens quasiment plus à plier. J’étouffe, je n’ai pas de crème solaire car laissée dans le sac à Cilaos, et craignant les coups de soleil, je passe mes manchons de bras (noirs et chauds) que j’asperge d’eau pour essayer de me rafraîchir. Je paie cruellement mon manque de lucidité lorsqu’au bout d’un moment je réalise que je n’ai plus mon dossard !! Je me suis arrêté plus haut pour soulager un besoin naturel, et sans raison j’ai posé mon dossard à terre… Facilement ¼ d’heure perdu. Je m’accroche à la perspective d’une rencontre un peu plus bas avec un couple d’amis vivant à la Réunion qui vient à ma rencontre depuis la Possession. Je ne suis guère loquace, mais cet accompagnement jusqu’au ravitaillement m’aide indéniablement. Ça y est, la Possession : 39h28 de course, 154 km et 161ème (ah oui j’ai bien craqué là…).

Il a fait tellement chaud dans cette descente infernale, que j’appréhende énormément le chemin des anglais, où on m’a raconté que les vomissements d’insolation mêlés à la fatigue extrême n’étaient pas rares… Chic ! vivement ! Pied de nez Le bout le long de la route manque singulièrement d’intérêt, comme la majeure partie du parcours depuis Sans Souci d’ailleurs (sans souci et sans intérêt ;o)). Fort heureusement, les cieux ont été cléments car des nuages salutaires sont apparus dans l’ascension pavée n’importe comment ;o) mais cette partie ne s’est pas faite dans la facilité pour autant… Je n’en peux plus, je suis mort, j’ai terriblement mal au genou, incapable de le plier. A cet instant de la course d’ailleurs, et pour la 1ère fois depuis que je cours en compétition, cette sensation de « me faire du mal » m’a beaucoup gêné, et aurait pu être à l’origine d’un abandon. La souffrance, nous le savons tous, fait partie intégrante de notre sport, mais dans une certaine limite, et elle se situe généralement dans un registre musculaire ; mais à ce moment là, j’ai le sentiment désagréable que je suis volontairement en train de porter atteinte à mon intégrité physique… (et ça se confirme, car au moment où j’écris ce compte rendu près de 2 semaines après la course, mes douleurs sont toujours aussi présentes Criant).

Je me fais remonter à qui mieux-mieux, mais le classement n’a plus aucune importance (si tant est qu’il en ait eu un moment donné), seul le fait de franchir la ligne d’arrivée compte désormais. Je suis à bout de force, et je passe un coup de fil à mes parents qui vont s’inquiéter encore un peu plus pour moi… désolé pour ce coup de fil pas très opportun ! (je n’ai pas voulu appeler ma petite femme que je savais déjà très inquiète…). Comportement égoïste de ma part, conséquence du manque de lucidité et de discernement lié à mon état de très grande fatigue. J’en bave tellement, que je crains un moment que cette grande souffrance me prive du plaisir de franchir la ligne d’arrivée !

Peu de temps avant de rejoindre la Grande Chaloupe, un gentil raider, me voyant assez mal en point, me propose un comprimé d’Ibuprofène que j’accepte immédiatement ; et je dois dire que cela a eu un effet assez significatif sur le genou (bizarrement pas sur le psoas ?). Je parviens donc à trottiner de nouveau jusqu’au ravitaillement que j’atteins après 41h42 de course pour 161km en 154ème position. Je n’ai plus le goût à m’alimenter, sachant que la délivrance est (relativement) proche, mais je parviens néanmoins à ingurgiter un morceau de banane, et à remplir mon bidon bretelle d’un mélange eau-coca. J’enfile également le débardeur des sponsors de l’organisation, et en repartant, je me révolte : j’en ai tellement marre de me trainer, que je décide malgré la souffrance d’adopter un bon rythme (relatif) dans l’ascension finale, en serrant les dents. Je repars en même temps que 2 trailers qui visiblement font course commune depuis un moment (Romain et Akim) avec qui je vais rester jusqu’à l’arrivée. On discute un peu, et cela me permet de penser à autre chose qu’à mon chemin de croix.

Là encore, le parcours manque cruellement d’intérêt, et je maudis le traceur de nous faire emprunter une route (qui plus est en descente !!) pour rallonger encore un peu le plaisir. Je boîte vraiment fort, et ma jambe gauche est presque toute raide, mais le rythme imprimé à 3 est plutôt bon, et sans le vouloir réellement, nous prenons quelques relais pour ne pas faiblir J, mais bon sang que cette boule blanche du radar météo du Colorado est longue à arriver ! Puis après presque 3h d’ascension, voilà enfin le dernier point de contrôle et le dernier ravitaillement, atteint après 44h26 pour 171 km en 169ème position. Nous avions espéré ne pas avoir à chausser nos lampes frontales pour la descente finale, mais le jour tombe tellement vite que c’est peine perdu. D’ailleurs un bénévole nous oblige à la mettre, et contrôle son fonctionnement. Mes piles ont 18h d’utilisation dans les dents, et le faisceau est vraiment très faiblard, mais je n’ai aucune envie de chercher les piles de rechange au fonds de mon sac, ni de prendre ma frontale de secours, alors on fera avec ! Avant d’arriver au Colorado, mes acolytes et moi devisions sur le temps de descente pour ces derniers 5 km : « OK on est morts, mais à ce stade là on peut tout lâcher et mettre 30 mn… » Oui, sauf qu’ici comme pour TOUS les sentiers parcourus depuis St Philippe, la technicité est telle qu’un cheminement au ralenti est obligatoire : nous mettrons finalement 1h20 pour rejoindre le stade d’arrivée…

Le stade de la Redoute. Combien de fois dans les heures qui viennent de s’écouler ai-je visionné cette arrivée ? Combien de fois me suis-je dit que je devais la franchir ? Au non des multiples sacrifices que ma présence ici a nécessité ? Et voilà, j’y suis, je trottine sur le ¼ de tour de piste qui reste, malgré mes craintes, je savoure ces applaudissements, ces félicitations, et une fois la ligne franchie après 45h47 mn pour 176 km et 11400 mètres de dénivelé positif en 180ème position ;  accepté le t-shirt et la médaille qu’on m’a présentés, je craque totalement, je fonds en larme, je pleure à en sangloter. Trop de douleurs, trop d’émotions, trop de souffrances, trop de joie, trop de fatigue. Mais je l’ai fait, et personne ne pourra jamais me le retirer.

Quelle immense fierté d’être allé au bout. Au bout de ce chemin, au bout de la souffrance, au bout de ressources dont j’ignorais l’existence, sans jamais rien lâcher. Je ne pense pas refaire un jour cette course, sauf si éventuellement le format est revu à la baisse, mais une chose est sûre : je reviendrai randonner en famille pour voir enfin à quoi ressemblent ces paysages Réunionnais !

Un immense merci à tous ceux qui m’ont soutenu à distance, par sms, par le suivi internet (même au boulot, et notamment mon boss ! ), vous ne vous imaginez pas à quel point cela fait partie de la réussite d’une épreuve comme celle-ci. Et pardon aussi de vous avoir fait veiller si tard, et d’avoir suscité de l’inquiétude. Récupération collective de rigueur Sourire

 Olivier

 

 

 

 

19 commentaires

Commentaire de Bert' posté le 02-11-2012 à 17:06:33

Fantastique !! A déguster sans modération :-)))
Tu es toujours aussi impressionnant... et en plus tu fais de super photos !!
Merci

Commentaire de Xavhië posté le 02-11-2012 à 17:19:10

Bravo Olivier, une course et un récit captivants... Ça fait mal aux jambes rien qu'en le lisant. Mais l'émotion de l'arrivée reste aussi inoubliable, yapuka soigner un peu les jambes jusqu'à la prochaine fois!
Content aussi d'avoir pu te rencontrer aussi à l'autre bout du monde!

Commentaire de Françoise 84 posté le 02-11-2012 à 18:06:22

Merci pour ce beau récit, plein d'émotions, de douleurs et d'émerveillements!! Tu as raison d'être fier! Soigne toi bien maintenant et au plaisir de te recroiser prochainement!

Commentaire de Arclusaz posté le 02-11-2012 à 18:56:54

Waouh!!!!!!! super récit pour une super course.
Malgré ton succès final, tu n'occultes pas la difficulté : bref, un CR a faire lire à tout candidat au rôle de "survivant".
Bravo.

Commentaire de Japhy posté le 02-11-2012 à 19:34:00

C'est sûr que tes photos te montrent nettement plus fatigué que celles de la CCC! Un grand bravo pour ce périple incroyable. Tu y as sans doute laissé un peu de toi, mais tu as dû beaucoup gagner aussi. J'espère que les douleurs s'en iront bientôt.

(par contre les gars et les filles, vos photos m'exaspèrent, je connais assez bien certains coins de Madagascar, mais je ne suis jamais allée à la Réunion, et là ça démange à force! Sur certaines, avec ces fougères arborescentes, on se croirait dans un monde préhistorique, et on s'attend à voir débouler un tyrannosaure en travers du sentier!)

Commentaire de Jean-Phi posté le 03-11-2012 à 07:21:01

Merci pour xce super cr. Belle perf tout de même au vu de tes douleurs. Chapeau le mental ! A lire et à relire pour ceux qui voudraient se lancer dans l'aventurz.
Bonne récup en espérant que tu retrouves bien ton genou !

Commentaire de PhilippeG-640 posté le 03-11-2012 à 15:45:33

Félicitations Bikoon !
C'est bien de lire ce récit mais il doit faire un peu peur (surtout sur sa 2e moitié) à ceux qui veulent tenter leur chance sur ce GRR ;-)
Belles photos qui donnent envie d'y aller.
A travers ton écriture on se revoit bien dans cette traversée de folie pour ceux qui en reviennent, palpitant.
5 ans après, 25km et 2000m de D en plus, bon sang, c'était déjà dur avant ?
Il fallait le faire et tu l'as fait.
Maintenant Olivier, plus rien ne te résistera...
En tout cas après cette aventure, bonne récupération et soins ;-)
@+
Philippe

Commentaire de philkikou posté le 03-11-2012 à 18:00:11

""" et j’éteins ma frontale. Et là : je suis submergé par une tempête d’étoiles comme je n’en ai jamais vu. C’est absolument féérique ; j’essaie de relativiser ma souffrance physique en me disant que j’ai tout de même une chance immense d’être ici, au beau milieu de cette île magique, sur ce Maïdo seul en pleine nuit à contempler ce spectacle onirique. """

Merci de m'avoir fait partagé ton aventure à travers ce magnifique récit avec des photos du même tonneau..

Bonne récup. physique , mental .. et bonjour au grand psoa ;-)

Commentaire de Mat69 posté le 03-11-2012 à 19:46:26

Salut Bikoon, super récit et belle course de ta part.
Vivement que l'on se retrouve pour un off quelconque pour partager nos expériences respectives. musant pour mio de constater à quel point je n'ai pas ressenti la course de la même façon, pour te donner une idée, j'ai eu plus de mal à me motiver pour finir la CCC...
A dire aussi que le peu d'heures qui nous séparent font que nous n'avons pas eu du tout la même météo.
A bientôt, mon CR devrait arriver assez vite aussi :-)

Commentaire de freddo90 posté le 03-11-2012 à 21:47:19

Merci beaucoup pour ce beau récit, et félicitations pour l'exploit et le mental jusqu'au bout !

Commentaire de pascalpenot posté le 04-11-2012 à 10:58:34

Bravo. beau recit de finisher.
Certes c'est le premier grand ultra mais attention à la surenchère d'arriver au bout coute que coute. L' Ibuprofène est a éviter... la prise de médocs n'est pas sans risque sur la santé.
Maintenant bonne récup... n'hésites pas a aller chez le kiné pour traiter tes douleurs. ne jamais laisser trainer une blessure.
reviens quand tu veux à la réunion
chapôlapaille

Commentaire de YannC posté le 04-11-2012 à 14:44:43

Bravo Bikoon et merci pour ton récit. Ayant aussi vécu la course de l'intérieur, je me suis reconnu dans beaucoup de chemins et endroits . La fameuse montée Roche Ancrée et Roche Plate ... et ses marches, la descente sur Sans Soucis et sa fin interminable à travers les champs de canne. Le ciel couvert d'étoiles dans la montée du Maïdo. Que ce GRR est dur mais beau de par les paysages traversés et l'ambiance qui y règne. Peut être à bientôt sur une course. En attendant, récupère bien.

Commentaire de poucet posté le 04-11-2012 à 17:48:51

Bravo Bikoon, belle aventure, joliment racontée .... Super que tu ai pu prendre du plaisir à passer la ligne malgré la difficulté du final. Bonne récupération.
Poucet

Commentaire de myrtille posté le 05-11-2012 à 11:10:57

Bravo Olivier pour cette course exceptionnelle et ce récit très émouvant!
Quand nous t'avons rencontré le dimanche nous ne pouvions pas imaginer que ton GRR avait été si éprouvant!
Que d'émotions tu as vécues et combien tu as su nous les transmettre: en plus d'être un grand traileur tu es un super conteur! Et ces photos magnifiques ... que de talents!
Soigne bien ton genou et bonne récup.

Commentaire de maï74 posté le 05-11-2012 à 19:20:43

A mon tour de découvrir ton superbe récit, plein d'émotions et d'introspection...
Il s'en est fallu de peu pour que l'on partage un bon bout de route au vu de ton timing...
J'ai souffert avec toi en lisant la dernière partie, celle que je n'ai pu faire mais dont je sais qu'elle est sans intérêt et sans plaisir.
J'ai souffert avec toi parce que j'ai déjà eu cette tendinite du psoas par 2 fois, notamment sur les sentiers de la Réunion en 2009 et je sais comme chaque pas est horriblement douloureux.
Tu t'es posé les mêmes questions que moi lorsque le corps envoie des signaux "anormaux" : cette impression de se faire plus de mal que de bien... est-ce qu'endurer de telles douleurs a un sens ?
En tous cas tu es allé à la rencontre de toi-même durant ce périple, au bout de ton défi et tu en retireras énormément de choses.
Soigne bien tes blessures, et j'espère à bientôt sur des sentiers... moins longs ;-)

Commentaire de bouh17 posté le 05-11-2012 à 21:42:02

Merci pour ce beau recit. Et bravo pour l'aventure et la perf!
J'ai suivi le live, ça donne envie tout ça... si si :-)

Commentaire de CAPCAP posté le 05-11-2012 à 22:47:34

Bravo! Quelle ténacité!
Jamais je n'aurais su finir avec de telles douleurs...
Je te souhaite de récupérer rapidement genou et psoas.
Si tu avais été un peu plus lent, tu aurais eu la seconde averse à Cilaos, sous les tentes , comme moi ;-)
Moi aussi je me suis assis sur un caillou, éreinté, mais je n'ai pas su lever les yeux pour voir les étoiles. :-(
Belles photos aussi!

Commentaire de gargamel90 posté le 10-11-2012 à 15:17:24

félicitation Olivier, je vois que la souffrance n'épargne personne, devant comme derrière.
Ton récit est un trop plein de rêves et d'émotions.
Dans la nuit noire du maïdo, tu aurais pu toucher les étoiles, si tu l'avais voulu.
content de t'avoir vu sur ce petit îlot ;-)

Commentaire de bubulle posté le 27-10-2014 à 17:38:32

Je n'avais pas souvenir de l'avoir lu, ton CR. Tu as bien fait d'en parler....deux ans après...:-)

Il faudra que je pense à la relire quad je m'y collerai à mon tour (parce que, tu te doutes, je vais bien finir par le faire...;-) )

A un de ces quatre en des lieux plus hospitaliers (quoique, bon, la forêt de Rambouillet une nuit de décembre, faut voir).

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