A 4h45 du matin je quitte la Kangoo et me dirige dans un froid vif (3-5 °C) vers le parcours je ne veux rater pour rien au monde le soleil se lever sur ce paysage volcanique. Je ne suis pas le seul de sortie, les photographes sportifs et
autres passionnes sont là. Peu à peu, au loin, le soleil se lève, projetant sur ce paysage minéral et silencieux, une lumière très particulière.
On prend progressivement conscience de la beauté lunaire du site, d'une fraiche bulle d'obscurité se revèle un chaleureux décor immense parsemé de roches et monts colorés.
Déjà les premières frontales à l'horizon, l'image fantasmagorique de coureurs déboulant dans cet univers si immobile, éternel reste gravée sur ma rétine.
copyright: grand raid reunion - diagonale des fous 2005
Si les premiers ne s'attardent pas trop au ravitaillement, à partir du 10ème concurrent la lutte pour la gagne s'estompe. Chacun, conscient de l'exceptionnelle longueur de la course, prend le temps de discuter avec son assistance personnelle, se restaurer, s'hydrater.
Encore une fois, cela tranche avec les courses au format route. J'ai quelques heures à tuer en attendant Jacqueline, autant se reposer dans le Kangoo, d'autant que le rôle d'assistant-accompagnateur est loin d'etre de tout repos! Après un somme réparateur mais toujours à demi réveillé, une envie pressante me force à sortir par la porte arrière du Kangoo Express, au retour la porte arrière s'est refermée et.............
Bon, l'alternative est simple: Briser une vitre ou téléphoner à
St Denis pour récupérer le double des clés. Deux heures plus tard (et un gros coup de soleil en prime), Marc et Alexandre débarquent avec les clés, par chance Jacqueline a du retard sur le plan de marche et ouf! je peux lui tendre son ravito et fringues perso.
Beaucoup de concurrents, à l'instar de Jacqueline, ont été
dans le rouge dans la montée du volcan, l'effet combiné d'une pluie l'avant veille et d'un froid rigoureux a décuplé la difficulté, de surcroit les derniers ont subi une pénurie de nourriture au niveau des ravitaillements dans la montée (eh oui le froid a creusé l'appétit des précédents).
Une premiere mise dans le rouge qui aura sans doute des conséquences pour la suite, notamment dans le cirque de Mafate le jour suivant. Dans l'immédiat, Jacqueline n'a plus de marge libre au niveau des délais, nous l'encourageons sans cesse pour qu'elle reste dans les délais au postes de contrôle. Et cela marche! Sur un poste critique arrivée à 10 minutes du temps limite elle gagne 20 mn puis 30 mn sur les suivants.
Les concurrents qui arrivent légèrement en retard sont repechés gracieusement aux postes de contrôle (l'organisation a su reconnaitre la difficulté inhabituelle de la montée du volcan cette année pour les derniers), mais la hantise des marcheurs est incarnée par les serre-files, se faire rattraper et doubler est synonyme d'élimination. Des lors Un petit jeu s'installe entre la "proie" et les "chasseurs", en terrain neutre tels que les postes de ravitaillement on discute courtoisement avec les serre-fils, mais gare à ne pas trop s'attarder et repartir un peu avant eux. Félicitations à tous ces anonymes qui se sont battus pour conserver leur dossard jusqu'à la ligne salvatrice de l'arrivée avec une
épée de Damoclès suspendue au dessus de leur tête.
Toutefois il faut rester réaliste, Jacqueline est arrivée au volcan 1869eme (merci SFR et son système de pointage SMS en temps réel) et en restant à la limite de temps elle arrive à Cilaos (le cirque de Cilaos, qui signifie en Malgache "qu'on ne quitte pas") le soir en 1735ème position. Déjà, l'ogre serre file a dévoré l'ame et l'espoir de 160 marcheurs! Je quitte à regret le site magnifique du volcan pour retrouver Jacqueline tout au long du parcours de piton textor à mare à boue (plaine des caffres), tout va bien elle gagne un peu de temps sur les serre-file.
Je redescend sur Saint Pierre afin de récupérer Jean-Luc (le beau frère) qui voudrait suivre la course samedi et dimanche. A 16h15 un SMS tombe sur nos portables: Abandon Jacqueline a
Mare a boue 16h12! Je ne comprends pas, je l'ai lachée à 15h45 de mare à boue, elle semblait ok (pour quelqu'un qui avait 50 km dans les pattes). Je suis circonspect sur la véracité de ce message.
A t-elle fait demi tour? Est elle blessée? Maintenant comment faire pour la récupérer? Nous épluchons le road book pour savoir ce que le règlement prévoit,...rien on ne trouve rien, pas de téléphone non plus de l'organisation. Il y a des cars à chaque point de ravitaillement accessible de la route pour les abandons mais nous ne savons pas ou ils emmènent les coureurs (Saint Denis, Saint Philippe?).
Nous décidons de repartir à Mare à Boue depuis Saint Pierre (1 h de route), il fait nuit noire et nous constatons sur place que le camp de ravitaillement a été nettoyé illico presto. Après un moment de réflexion, nous décidons d 'aller quand même à Cilaos, si nous la trouvons tant mieux sinon on se fera une randonnée au
piton des neiges. A 22h00 nous arrivons a Cilaos après 2h de route sinueuses au possible. Au nord de l'ile, cela fait 10 minutes que le vainqueur
Charles Fontaine a franchi la ligne d'arrivée é la Redoute (Saint Denis)!!!!
Nous nous garons près d'une fête foraine et trouvons le stade non loin de là. Nous remontons à pied le flot des quelques coureurs qui repartent déjà à l'assaut du col du Taibit, nous voyons ainsi deux mondes habituellement séparés se cotoyant: de jeunes fêtards urbains au relents de "
zamal" (marijuana en créole) et des "moins jeunes" raideurs bourres de vitamine C dans les rues de Cilaos ce vendredi soir: stupéfiante vision ;)))
Au stade, la vue de concurrents, éprouvés après 20 h d'effort, dormant parfois sur des matelas sur la piste d'athlétisme, est impressionnante. La longueur de la queue pour les kinés l'est toute autante. On se rend compte à cet instant qu'une assistance personnelle est vitale pour bien récupérer (certain n'hésitent pas à louer une chambre d'hôtel sur place pour la nuit!). Nous demandons aux responsables où se trouve les abandons/disqualifiés de Mare à boue a l'heure actuelle, on nous répond qu'ils sont au coteau Kerveguen au km 59 non loin d'ici (km 67) et qu'ils devraient y passer la nuit. Par acquis de conscience je demande de vérifier si les serre file ont avec eux le dossard 256, miracle il n'y a pas de N° 256!
L'espoir revient, La Jacq n'a pas abandonné, il s'agit simplement d'une erreur de pointage. Vite, il faut rapprocher la voiture du stade et récupérer ses affaires perso car elle devrait arriver d'un instant a l'autre. Nous débouchons d'une ruelle obscure vers la fête, apparemment plusieurs jeunes forment des groupes et se préparent à faire un "
ralé-poussé" (bagarre en Créole), nous essayons de nous faufiler discrètement mais à ce moment un jeune émeché se met à brailler et bouger de facon vindicative, ses "dalons" (copains) essayent de le calmer non sans mal car il m'envoit valdinguer involontairemement sur une voiture à l'arrêt. Juste à l'instant je vois un gendarme, menottes aux mains, se précipitant vers les jeunes pour une arrestationn manu militari. Un gros attroupement de badauds se forme, nous en profitons pour nous éclipser et regagner le Kangoo. Qui a dit que l'assistance était de tout repos?
De retour au stade vers 22h45 nous faisons le guet, un coup de téléphone de Saint Denis nous averti de l'arrivée de Jacqueline 10 minutes auparavant. Nous retrouvons une Jacqueline furax au point restaurant, que faisiez vous? Je me caille ici en vous attendant!....pffff, restons zen, je comprends le sentiment des bénévoles quand ils se font enguirlander par les compétiteurs (Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font...).
Bref, tout rentre dans l'ordre quand Jean-Luc annonce une bonne nouvelle: mes collègues de l'hôpital de Cilaos t'offre une chambre et kines (en effet, ils ont beaucoup de collègues qui font le raid). Jacq a droit à un kiné presque perso et 2 bonnes heures de sommeil dans un vrai lit! le bonheur tient à peu de chose...
Samedi 2h15 du mat: réveil, le temps limite pour quitter Cilaos est fixé à 3h00. Jacqueline est pointée à 2h52 1610ème soit 125 places de mieux qu'hier soir (donc autant de coureurs qui jettent l'éponge à mi-course). Faut pas trainer, Jean-Luc et moi avons décider d'accompagner plutôt Jacqueline jusqu'en haut du
col du Taibit km 78 (+1300 dénivelée) au lieu de faire l'ascension du piton des neiges.
C'est donc à trois que nous arpentons, à bonne allure de marche, le chemin de randonnée
vers Mafate. Marcher la nuit est toujours étrange:
les bruits de grillons, de nos respirations, les couleurs altérées par la lune renforcent le sentiment d'évoluer dans une bulle d'introspection.
Nous arrivons rapidement en bas du sentier Taibit, point de ravitaillement, dortoir et fin de parcours pour certains.
Peu à peu, les bruits nocturnes cèdent le pas au chant des coqs et autres oiseaux, les couleurs reviennent, je peux enfin prendre plus de photos et redécouvrir le paysage fantastique du cirque de Cilaos.
Nous avons aussi fait des rencontres inoubliables avec des benevoles survoltes, chantant, nous offrant le thé pour le coup c'etait plus eux les fous que nous! Oté, Quelle ambiance!
Voici le
col du Taibit atteint a peu pres en 6h et ma foi Jacqueline a bien passe le cap, nous nous donnons rendez vous
à deux bras / dos d'ânes à la limite du
cirque de Mafate (celui ci n'est pas accessible en voiture).
Jean-Luc et moi devons redescendre à Cilaos et reprendre la route pour aller à Dos d'ânes, il ne faut pas lambiner car cela nous fait 3h30 de descente plus la moitié de l'île à retraverser en voiture. Enfin on s'accorde pour faire une pause à St Pierre et dormir 2h. Jacqueline est attendue avant 20h30 (temps limite) à la riviere des galets - deux bras.
Les SMS nous indiquent qu'elle a perdu du temps dans
Mafate sur les serre files, paradoxalement à chaque pointage elle gagne des places: La Nouvelle 1476eme a 11h42,Roche plate 1332eme a 15h04 (temps limite 15h30). Beaucoup d'abandons se feront dans le cirque de Mafate, ceux qui atteindront deux bras seront pratiquement tiré d'affaire et sûrs de terminer car (de même qu'à Cilaos) les organisateurs laisse le temps aux coureurs de dormir (ici à deux bras arrivée limite à 20h30, départ limite: dimanche matin 2h00).
Nous voila arrivés au village de dos d'anes avec le Kangoo Express a 18h00, il nous faut rejoindre à présent le ravitaillement à rivieres des galets/deux bras dans Mafate (735m dénivelée pour 4,5km), nous estimons à 1h20 le temps de descente... nous mettrons pres de 2h00! l'obscurité (eh oui la nuit tombe dès 18h30 sous ces latitudes) et la difficulté technique de la descente nous a fortement compliqué la tâche (échelle, filin de sécurité). Heureusement que le beau temps nous a suivi tout au long du raid, je n'imagine pas ce tracé sous la pluie. Nous croisons de nombreux raiders que nous encourageons, ils prennent tous, sans exception, le temps de nous répondre. C'est ça l'esprit raid.
Jacqueline nous rejoint a 20h09 1248ème km 108, le premier mot qu'elle me dit est "Kiné", le parcours de Mafate s'est révelé beaucoup plus difficile que les autres années (nouveau tracé). Et Jacq, apathique (comme d'autres), en a patit..
Le camp à dos d'anes est une grosse étape (coucher, resto, kine & podologue) l'armée fait la logistique (groupe electrogène etc..), c'est assez carré. Les quelques abandons sont acheminés en 4x4 mais à ce stade les raiders sont trop près du but pour abandonner! D'autant que la direction de la course, magnanime, accorde une heure d'assouplissement au temps limite.
Jacqueline peste de devoir attendre 1h le kiné mais c'est autant de temps de pause de gagné. Nous avons décidé de ne pas dormir ici mais à Dos d'ânes dans le Kangoo.
Nous repartons à 22h53 (1203eme) de deux bras, Jacqueline s'est bien fait massée (c'est normale pour une kiné!) toutefois elle est rapidement à la peine surtout mentalement, le sommeil l'envahit. C'est là que l'assistance prend tout son sens, il faut savoir motiver et tenir éveillé, nous mettrons près de 3h à gravir cette cote! Dans dos d'ânes il reste encore 1km à faire, et jacq n'en peut plus.
Nous avons du mal à lui faire décrocher deux mots, sa tête dodeline et elle ne marche pas droit. Nous la guidons par les épaules sur le chemin en lui disant simplement de marcher, et depuis un petit moment elle ne regarde plus la route et a les yeux fermés. Tel un robot, elle suit les instructions qu'on lui glisse -attention montée- plat tout droit- les raideurs qui nous croisent sont ébahis. Je leur lance << Quoi? Vous n'avez jamais vu de raider somnambule?>>. Arrivée au point de controle, elle n'arrive même pas à ouvrir les yeux mais trouve les ressources pour se tourner et montrer son dossard dans le dos (2h24, 1138ème).
Nous la jetons toute habillée dans le Kangoo et elle ne bougera pas d'un poil jusqu'à 5h du matin où elle nous réveille en disant qu'elle a la forme! Jean-Luc et moi avons pris le temps de discuter un petit moment à la belle étoile au milieu de formes humaines un peu hagardes et "strappées" de partout. Nous avons le sentiment d'avoir fait du bon "boulot", au km 113 Jacqueline a désormais quasiment partie gagnée!
Une fois Jacqueline partie, nous allons enfin rentrer
sur St Denis pour un repos bien mérité, on devrait retrouver notre raider préferée aux alentours de 13h00. Mais pour le moment, une bonne siesta nous attend, tant et si bien qu'on oublie de vérifier la progression de Jacqueline, je lui passe un coup de fil à 11h30 pour m'entendre dire: je suis arrivée au stade de la redoute, ou êtes vous?
Saperlipopette, elle a vraiment gazé sur cette fin de parcours! Dommage j'aurais aimé la voir franchir la ligne, on se retrouve tout de même pour la signature du bandeau géant (57h21'19" temps limite 62h, 1275ème sur 1380 finishers, 2100 inscrits).
Voila maintenant Jacqueline arbore fièrement son maillot finisher, et ma foi elle s'en sort sans gros bobos après ces quelques 140km et 8159m de dénivelée. Du coté de l'assistance, c'etait aussi très passionnant et fatiguant de voir l'envers du décor. Encore un grand bravo aux bénévoles qui aussi réussissent l'exploit de tenir ces trois jours!
7 commentaires
Commentaire de joy posté le 27-10-2005 à 17:50:00
BRAVISSIMO
JACK t la meilleur c vraiment genial cette aventure de plus tu as beneficier d une assistance au top du top.
A bientot pour de nouvelles aventures.
JOY
Commentaire de Geronimo posté le 28-10-2005 à 09:34:00
Bravo, vraiment passionnant d'avoir une vision de cette épopée par un accompagnateur.
La preuve en est faite aujourd'huin: on peut courir en dormant... ce qui doit faire passer le temps plus vite !
Plaisanterie mise à part, c'était vraiment géant !
Commentaire de cigaloun dupuy posté le 28-10-2005 à 12:49:00
ouais, pas très sympa ça :-)
Ces superbes photos, ce très beau récit, ça nous donne envie d'y aller.
Maintenant va falloir trouver les soussous.
:-))
bravo pour la concurrente et l'accompagnateur
Commentaire de golum posté le 29-10-2005 à 18:01:00
Merci pour ce super récit et ces photos qui nous donnent vraiment envie d'essayer (Dans quelques années peu etre).Encore bravo à vous tous en tout cas.
Commentaire de Cyrille posté le 01-11-2005 à 17:23:00
Bazar de bazar, la tête de Jacq c'est quelque chose. Moi qui l'ai toujours vu avec le sourire, là je comprends que ça n'a pas été tout le long une partie de plaisir.
Sincères félicitations d'être parvenue au bout.
Et merci pour ces photos Akuna.
Commentaire de LToro posté le 02-01-2006 à 17:27:00
Bravo.
Total respect Jack
Les mots me manquent.... chapeau bas
Et bravo aussi au accompagnateurs
Encore plein de belles choses à vivre à deux pour vous (Jack et Akuna) pour 2006
Rémi
Commentaire de riri51 posté le 26-02-2006 à 20:46:00
félicitations! super récit, ca donne envie
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