L'auteur : Filopat
La course : TOR330 Tor des Géants
Date : 10/9/2023
Lieu : Courmayeur (Italie)
Affichage : 1596 vues
Distance : 330km
Objectif : Terminer
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En général, on fait un compte-rendu pour une course que l’on a terminée, mais cette fois ce sera pour avoir participé en grande partie à une aventure grandiose.
Genèse :
De 2010 à 2015 j’ai fait 4 ultras de 160 km et 10000m D+ (GRP, La Diagonale des Fous, UT4M et l’UTMB) et après le dernier, j’avais décidé de ne plus en faire car la préparation est trop contraignante et demande beaucoup trop de sacrifices.
En septembre 2016, je fais étape lors d’une virée moto près de Courmayeur, et j’apprends qu’un ami fait le TOR et prévoit son arrivée ce même soir. Je me suis retrouvé dans l’ambiance de cette course en assistant à l’arrivée d’Eric qui finit 4ème au scratch et premier Français.
Depuis ce jour, j’ai cette course dans un coin de la tête, et à partir de 2017, chaque année je me suis préinscrit pour pouvoir être tiré au sort. C’est chose faite en mars 2022 où je suis pris au repêchage.
Je m’inscris donc malgré mes 65 ans, si je finis tant mieux et sinon, j’aurais participé à cette course mythique.
Préparation :
Pour la préparation, nous sommes partis quelques semaines durant l’été à la montagne dans le Queyras, la Vallée de Névache pour faire des week-ends chocs avec des enchainements de montées de cols à vélo, du trail, du VTT et des randonnées. Et en supplément, quelques sorties Ventoux où j’ai enchainé jusqu’à 3 montées successives. Puis les 2 semaines avant la course je me suis reposé et fait un minimum d’activités pour « faire du jus ».
Nous sommes arrivés dans le Val d’Aoste 2 jours avant la course et nous nous sommes installés dans un mobil-home dans un camping à Sare près d’Aoste, qui servira de base arrière pour ma femme qui m’assistera pendant la course.
Le samedi nous allons à Courmayeur récupérer le dossard, le sac « Bases vie » que je remplis avec tout l’équipement, le matériel et l’alimentation nécessaires pour cet Ultra et le laisse à l’organisation qui s’occupera de l’acheminement.
La course - Départ:
Dimanche 11 septembre peu avant midi, je suis dans le SAS de départ avec la deuxième vague derrière la banderole « Tor des Géants » nous voilà prêts, la 1ère vague de 600 coureurs est partie à 10h.
Sette 7, Sei 6, 5,4,3,2,1 c’est parti. J’essaie de ne pas penser aux 330 kms et 24000m D+ qui nous attendent. Six jours prévus pour moi.
Nous sortons de Courmayeur au milieu d’une foule nombreuse qui nous encourage. Et ces encouragements nous suivront tout le long du parcours. Le TOR c’est La Course de toute une vallée, et l’ensemble des Valdotains vit pendant une semaine au rythme de cet ultra.
Nous rentrons sans tarder dans le vif du sujet. On attaque le Col de l’Alp, le premier des vingt-cinq cols au total, tous les coureurs sont en procession. Derrière nous, on voit la magnifique face Sud du Mt-Blanc. J’arrive après une longue descente dans des alpages, en milieu d’après-midi au ravito de La Thuile où je vois ma femme Annie (et Lulu ma chienne) qui vont m’assister pendant ces six jours. Nous remontons ensuite le long des 3 cascades du Rieutor, où l’on croise tous les Valdotains qui rentrent de leur rando du weekend. Ils nous encouragent tout le long, Bravo, Brava, Bravi et Brave.
Les paysages des sommets et des glaciers sont magnifiques à la tombée de la nuit et les cols s’enchainent, Haut Pas, Crosatie.
En fin de nuit, arrivée à la première Base Vie de Valgrisenche, très beau village en pierre. Tout se passe dans de grandes tentes, à partir de mon sac « Bases vie », Annie me donne mes rechanges, remplit mes flasques et prépare mes barres pour la deuxième partie pendant que je prends une douche froide dans des bungalows. A la sortie, je passe dans une salle pour prendre un repas chaud, pastas. Et c’est reparti. Tout se passe bien pour le moment.
Jour 2 :
Au programme, grosse journée ce lundi avec trois cols Finestre, Entrelor et Loson aux alentours des 3000m avec de gros dénivelés et des descentes très techniques notamment celle de Finestre.
En début d’après-midi j’arrive au ravito des Eaux Rousses où je fais une petite sieste d’un quart d’heure. Je repars sous les encouragements d’Annie et Lulu. Devant moi 1600m de D+ pour passer le col du Loson à 3300m d’altitude. Nous sommes entourés de sommets imposants du Parc du Gran Paradisio qui lui culmine à 4061m, c’est splendide. La nuit tombe.
Je m’arrête au Refuge Stella dans la descente vers Cogne pour me ravitailler. A côte de moi il y a une coureuse américaine blessée au visage, elle abandonnera un peu plus tard... Après, le chemin en lacets est construit avec de grandes et épaisses dalles. Dans la vallée, j’arrive dans un village avec un autre coureur nous cherchons difficilement le balisage pour aller vers Cogne. Arrivée à la base vie dans le centre du village, après le rituel douche, repas pâtes, je pars pour dormir dans le gymnase qui fait office de dortoir. Cela n’est pas possible pour moi avec le bruit de fond dû aux ronflements, aux va et vient incessants des coureurs qui arrivent et d’autres qui partent. Je repars au bout d’une demi-heure.
Jour 3 :
Le balisage pour sortir du village est aussi limite qu’à l’entrée. J’attaque la montée de la Fenêtre de Champorcher. Avant d’arriver au refuge de Sogno, j’ai le sentiment d’être déjà venu, ça me rappelle La Plagne. Je m’assois contre le refuge face au soleil qui s’élève dans le ciel et je mange mon petit sachet de chips et mes petits saucissons. Au basculement du col, c’est parti pour une descente de 30 km. Au début je suis bien, je cours à un bon rythme, un premier ravito dans un refuge à 5km, puis une partie technique. Avant d’arriver à la station de Chardonnay/Champorcher, une traileuse Finlandaise a chuté et a été bien amochée notamment au visage. Deux personnes l'ont prise en charge en attendant l'arrivée des secours. Plus tard on a entendu un hélicoptère qui est certainement venu la chercher ? Il reste encore 18 km de descente avant la prochaine base vie Donnas. Cette descente est interminable le long de la rivière et chaque fois qu’il y a un village, j’espère que c’est le ravito intermédiaire, mais non.
Enfin le ravito de Pontboset, après j’attaque 7 km de chemins ludiques où je me suis éclaté, et doublé quelques coureurs avant d'arriver à Bard, bourg médiéval avec sa forteresse imposante. Juste après, on arrive à Donnas en passant par l'ancienne voie romaine et une porte taillée dans la roche.
A la base vie, douche, rechange, repas pâtes et première intervention du podologue. J’ai fait une erreur (de débutant) avec la dernière de mes trois paires de chaussures qui n’était pas assez rodée.
C’est reparti pour la 3ème nuit. Traversée de Donnas, après le pont romain, montée et arrivée au ravito de Perloz. Avec le passage du TOR, c'est la fête au village, musique avec orchestre et pâtisseries maisons, raisin…ravito vraiment sympa.
Je fais un bout de chemin avec un coureur italien. Physiquement et moralement je suis toujours bien, mais le sommeil me gagne. Arrivé à Tour d'Hereraz, à la sortie du village je me couche dans un champ et je dors une heure dans l’herbe à côté d’un hangar. Je repars, mais là j’accuse le coup moralement et c’est difficile de se motiver pour avancer.
Passé le ravito de Sassa on attaque la montée très difficile vers le refuge Coda, dalles, rochers et recherche permanente du passage, brouillard et humidité sont de la partie.
Au refuge Coda, le cuistot m’a préparé un plat de pâtes sauce Carbonara, un régal. J’ai pris le temps de me réchauffer à coté d'un poêle.
Je suis exactement à la mi-course avec un Ultra « dans les pattes » de 165 km et un D+ de 12000m.
Jour 4 :
La descente suivante est très technique au lever du jour. J'ai lutté contre le sommeil continuellement, je me suis arrêté et assis plusieurs fois pour relâcher mon attention en fermant les yeux quelques minutes à chaque fois. Puis remontée vers le refuge suivant après avoir longé un lac sous la pluie, mis le « Poncho ».
Les bénévoles de Della Barma ont été aux petits soins pour moi. Je me suis bien restauré et j’ai dormi une demi-heure.
Poursuite des dalles et rochers jusqu'au col de la Vecchia, puis descente vers Niel. Le ravito est au dortoir de la Gruba à Niel, dans un joli hameau.
C’est reparti et la nuit tombe pour la 4ème fois, j’attaque la montée vers le col Lasoney, puis descente vers Gressoney, la pluie recommence et sur le chemin les galets/dalles sont très glissants je suis sur la défensive, les autres coureurs sont plus à l'aise et me doublent, je finis par me « casser la gueule ». J’arrive enfin à une route à 1 km de la BV qui se situe dans un gymnase.
Annie est là et m’aide pour préparer mon sac, barres et flasques. Je me restaure après ma douche, puis c’est visite au podologue qui me remet les pieds en état de marche et il a de plus en plus de travail.
Jour 5:
Montée du col Pinter, j’ai des hallucinations, j’ai déjà vécu cette montée alors que je ne suis jamais venu ici !!! Au sommet, on bascule dans la descente à 3, une Norvégienne et un Français. A Cuneaz, mi-parcours vers le prochain ravito, je ne peux plus les suivre par rapport au mal aux pieds. L’idée d’abandonner se fait grandissante à Champoluc. Mais je prends le temps de manger et je passe entre les mains d’un infirmier qui fait des miracles sur mes pieds.
Et c’est reparti pour la montée vers le col di Nana. Je fais un arrêt près d’1 chalet et hop une petite sieste de 1h dans l'herbe au soleil. Puis j’arrive au refuge du Grand Tournalin, là je me fais plaisir et je commande une polenta avec un civet, trop bon.
Reparti en pleine bourre je double plusieurs coureurs sur une trace roulante entre deux cols. Pour le moment, je suis toujours en phase avec mes temps de passage prévisionnels depuis le début de la course. Je suis toujours bien physiquement, pourvu que ça dure.
A la base vie de Valtournenche, je m’inscris sur la liste d’attente au podologue, puis douche, rechange, repas pâtes et je retourne chez le podologue pour me faire soigner. Problème, l'infirmière a oublié de me reporter sur sa nouvelle liste d'attente et ils ne veulent rien savoir, je m’énerve jusqu’à me disputer avec le podologue. Du coup, ils me prennent en dernier, après deux heures à ronger mon frein. Les nerfs !!!!
Départ de la base vie à 21h15' pour la 5ème nuit. J'attaque la montée et là je m'aperçois que ce ne sont pas mes bâtons, ils font 10cm de moins. Je tombe plusieurs fois car j'ai perdu mes repères. Arrivée au barrage, du déjà vu, encore une hallucination. Petite halte au refuge de Barmasse.
Dans une descente il me vient une douleur au-dessus du genou droit. Je crains pour la suite.
Ensuite je fais chemin avec 3 hispanophones (un Mexicain, une Guatémaltèque et un Espagnol). Au refuge de Vareton, on me donne un antidouleur pour le genou.
Je suis reparti avec les 3 Espagnols. Je me suis arrêté 2 fois au bord du chemin pour dormir 1/4h en les attendant. Il faisait froid, mis la couverture de survie la 2ème fois. Avant la fenêtre de Tzan sur 2-3 km plus de balisage. J’ai cherché sur les rochers les repères de peinture jaune du parcours Alte via et ouvert le parcours pour une poignée de coureurs derrière moi.
Après le col de Tzan, la descente est très technique dans des rochers, je lutte contre des endormissements intempestifs et je sens qu’il y a danger. Arrivée au refuge Lo Magià, après restauration, les autres coureurs sont repartis. J'ai fait le choix de dormir une heure, ce n’était pas possible autrement.
Jour 6:
Je repars au lever du jour et je rattrape quelques coureurs avant le refuge de Cuney, arrive ensuite le bivouac Rosaire Clermont avec un petit vent frais au sommet. Les bénévoles me disent que la descente suivante était « facile ». Du coup, j’ai malheureusement cru que c’était gagné, que le plus dur était fait, je flâne et m'allonge dans l'herbe au soleil en compagnie d’un asiatique.
Nous rencontrons alors un randonneur qui nous dit que Oyace était encore à 1h30', c’est le temps qu’il nous restait avant la barrière horaire !! Affolement, je repars en courant dans la descente et mets 1h20' à 8-9 km/h pour arriver au pointage. Je commande une assiette de pâtes et remplit mes flasques. A la première bouchée, le commissaire de course vient me dire de repartir de suite par rapport à la barrière horaire.
Durant la partie Oyace/Ollomont j’ai été très perturbé, pensant que j'avais été mal aiguillé par des bénévoles et j’ai donné mes dernières forces pour rejoindre la base vie d’Ollomont où je suis arrivé fracassé.
Douche, podologue, repas. Grosse fatigue. Nous avons la consigne de nous équiper pour le froid et de prendre les crampons pour la neige annoncée.
En sortant d'Ollomont, pour attaquer la 6ème nuit, les hallucinations reprennent, est-ce que je suis sur le bon chemin ? Je vois s'éloigner le dernier coureur qui était avec moi. A mi-chemin vers le refuge Champillon, je suis rattrapé par l’équipe de dé-baliseurs et serre-files. Je délire et leur dis : « J'ai déjà descendu ce chemin enneigé un hiver sur des cartons… il y a un chalet dans le bois où on peut allumer un feu… la route passe à coté laissez-moi là je rentre en stop (à 2300m d’altitude !!!) » J’ai mal aux pieds, froid et les bénévoles me persuadent de poursuivre jusqu'au refuge Champillon.
Fin de course :
N’ayant plus ma tête, j’abandonne au refuge à 1h30’du matin au bout de 133h28' de course.
A ce moment là j'étais 595ème et dernier. J’avais parcouru 282km avec 22500m de D+, sur les 330km et 24000m de D+ prévus. Il ne me restait plus qu’un col à monter.
La course a ensuite été arrêtée car dans la nuit il a neigé 20 cm au sommet du col Malatra.
Il y a eu 590 finishers, 408 à l’arrivée à Courmayeur et 182 autres qui ont été déclarés finishers après avoir été arrêtés au pied et dans le col de Malatra par sécurité.
Les bénévoles du refuge ont été aux petits soins pour moi. J’ai dormi une nuit complète, petit déjeuner, repas à midi avec Annie qu’ils avaient jointe auparavant et qui est venue me récupérer. Ils m’ont descendu en 4X4 jusqu’à la voiture sur un parking en bout de route.
Débriefing :
Physiquement et mentalement j’ai bien « encaissé », donc ma préparation a été bien adaptée.
Par contre, j’ai fait deux erreurs :
- La première et principale dans la gestion de course, a été de ne pas dormir suffisamment : 5 heures en 5 jours ! Si j’avais été lucide au refuge de Champillon, j’y aurais dormi 2 heures et j’aurais pu repartir. J’avais le temps car la barrière horaire suivante à 17km, principalement de la descente, était à 10h du matin. Et dans le cas de cette édition j’aurai été finisher.
- La deuxième avec l’équipement, ma troisième paire de chaussures n’était pas assez rodée, ce qui a accéléré l’apparition des ampoules.
Remerciements :
L’organisation du TOR est au top et je remercie tous les bénévoles des Bases vie et des refuges qui sont toujours attentionnés et qui nous motivent pendant toute l’épreuve, ainsi que tous les Valdortains que l’on a rencontrés et qui ont toujours eu un mot d’encouragement.
Je remercie aussi Nono, Nadine, Natacha, Stéphane, Charlie (mon gendre English) et Houari qui ont fait différentes sorties avec moi pour ma préparation.
Et je vous remercie tous, famille, amis, pour vos messages de soutien et d’encouragement avant, pendant et après la course et qui m’ont été d’une grande aide.
L’après TOR :
J’ai dormi pendant une semaine, dès que je m’asseyais, je m’endormais.
D’habitude après un ultra, je m’impose un repos de 10 jours, puis je reprends progressivement une activité avec du vélo puis la course à pied.
Cette fois, je n’ai eu envie et pu commencer à courir qu’au bout de 20 jours, quand les pieds et le genou sont redevenus bien.
Peut-être que cette année je referai un ultra pour ne pas rester sur un échec.
Si dans le futur, Henri, Damien, Natacha, Sylvain.G, Pascal.A vous voulez le faire, Annie et moi nous nous ferons une joie de vous assister lors de ce challenge.
Et pour ma part pourquoi pas le retenter pour mes 70 ans !! (Mdr)
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4 commentaires
Commentaire de Grego On The Run posté le 19-04-2023 à 17:35:06
Formidable récit. Si près du but... on a envie de dire. Mais cela dit c'est quoi qu'il en soit une formidable aventure que tu as vécue. Et je ne peux que t'encourager à t'inscrire pour tes 80 ans !
Commentaire de Grego On The Run posté le 19-04-2023 à 17:35:08
Formidable récit. Si près du but... on a envie de dire. Mais cela dit c'est quoi qu'il en soit une formidable aventure que tu as vécue. Et je ne peux que t'encourager à t'inscrire pour tes 80 ans !
Commentaire de Lécureuil posté le 19-04-2023 à 20:57:42
Joli récit
Effectivement tes dernières hallucinations sont sympas :D
Qui sait tu seras plus préparé et plus facile pour tes 70 ans,tes 75 ans tes 80 ans etc ;-)
Apparemment tu as aussi été contaminé :D
Commentaire de Bacchus posté le 19-04-2023 à 22:55:38
"j’ai déjà vécu cette montée alors que je ne suis jamais venu ici !!" j'ai vécu ça en 2015 sur le Tor et c'était dans la descente vers Greysonnet, et en 2013 sur l'Ut4m, tu n'es pas le seul, merci pour ce récit
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