Récit de la course : TOR330 Tor des Géants 2013, par Fironman

L'auteur : Fironman

La course : TOR330 Tor des Géants

Date : 8/9/2013

Lieu : Courmayeur (Italie)

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Distance : 336km

Matos : Hoka, Leki, Raidlight 12 L

Objectif : Terminer

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Tor des Géants 2013, la boucle enfin bouclée !

L’édition 2012 de cette merveilleuse épreuve (j’ai toujours du mal à l’appeler « course ») m’avait laissé un goût d’inachevé car nous avions été brutalement stoppés à St-Rhémy nous privant du col Malatra et, surtout, d’une arrivée à Courmayeur. J’avais terminé en 124h48 au terme d’un parcours un peu brouillon, j’avais découvert cette épreuve sans aucune préparation, ni acclimatation à l’altitude, ni tactique de progression, ni connaissance du terrain. Bref, ce qui restait quand même un excellent souvenir devait être transformé en une vraie réussite à tous points de vue. C’est pour cette raison que j’ai postulé, par une candidature commune avec mon frère, pour être participant à cette édition 2013.

Deux autres collègues étaient également repris, ce qui amenait à 15, le nombre de Belges participant au Tor. Belgique, pays de montagnes, s’il en est ! J’habite, moi-même, à 62 m. d’altitude donc j’avais décidé de me préparer un peu plus sérieusement à l’objectif de l’année, c'est-à-dire faire un Tor un peu sérieux sachant très bien que la vérité d’une minute n’est pas celle de la suivante sur cette épreuve ! Suite à une prise de tête assez sérieuse avec mon frangin, l’année dernière, nous avons décidé de ne pas faire course commune et de suivre chacun son rythme sans s’occuper de l’autre, ce qui ne se vérifiera pas finalement. J’avais aussi décidé de m’arrêter beaucoup moins que les 38 heures de 2012 et, surtout, moins inutilement, ce qui ne s’avérera pas non plus du moins pour la durée. Je me suis préparé en faisant la « Ronda del Cims » fin juin à Andorre puis j’y ai passé 10 jours, fin août, en famille en me réservant 4 trails avec du dénivelé, bien sûr !

Après un voyage sans histoire, nous avons rejoint Courmayeur le vendredi soir pour un resto avec les collègues. Le samedi se passe doucettement avec les formalités d’inscription et la préparation des sacs, je n’ai pas d’assistance mais j’ai 3 numéros de téléphone que je pourrais utiliser en cas de besoins urgents. Après une très mauvaise nuit pré-compétition, comme dab, un petit-déjeuner léger, nous nous dirigeons vers le départ alors que le ciel se couvre déjà.

Courmayeur – Valgrisenche

Après une cérémonie protocolaire un peu longue sous une pluie battante, il est 10h17, quand nous nous élançons dans les ruelles étroites de Courmayeur. Je suis parti en première ligne et en courant car je veux éviter le bouchon dans le col d’Arp (2557m.). Je déploie les bâtons et je m’engage sur le sentier à une bonne allure, Grégoire Millet est juste derrière moi, il me prévient mais je n’ai pas le temps d’esquiver un arbre tombé et je me le déguste en plein front, ça commence bien ! Le reste de l’ascension se passe sans encombre, je suis bien dans le rythme et après 2h05’, je m’engage en courant vers La Thuile. Je zappe Youlaz mais je m’arrête un peu plus loin car la pluie a cessé et j’enlève quelques couches, je reprends ma course vers le ravito, j’ai de bonnes jambes, tout roule !

J’entame la montée vers le refuge Deffeyes toujours à bonne allure quand arrivé à 500 mètres de ce dernier, j’entends l’orage résonner dans la vallée et je m’essuie une bonne averse de grêle ! Je sprinte jusqu’au refuge et m’équipe contre les intempéries avant de reprendre ma marche vers le Passo Alto(2855m.). Une légère pluie nous accompagne encore quand j’entame la descente vers Promoud, cette descente étant assez boueuse, je la fais tranquillement car je n’ai aucune confiance dans mes Hoka sur terrain glissant, il est 17h00 quand je fais un ravitaillement express alors que mon frère me rejoint déjà !

Nous décidons de faire la montée du col de la Crosatie (2816m.) ensemble, je me mets dans ces pas car ce col me laisse un mauvais souvenir, la fin est difficile avec de grosses dalles placées comme des marches d’un escalier immense. Dur dur, en cette fin d’étape ! Nous dépassons Claude Lambin, (ça ne s’invente pas !), Belge, 22ème en 2012 et qui est malade comme à chaque début de course, ça ne l’inquiète outre mesure, il nous dépassera comme un boulet de canon dans la descente vers Donnas. Nous basculons vers Planaval à 18h15, nous faisons une descente sérieuse jusqu’au ravito où je laisse mon frangin se changer car il a froid.

A 20h22, je pénètre dans la 1ère base de vie à Valgrisenche (22h26 en 2012), je me change, je mets quelques affaires à sécher et je mange un plat de pâtes au thon. Les bénévoles nous signalent que de la neige est probable au col suivant et qu’il est indispensable de s’équiper en conséquence. Je signale à Jeff que je vais repartir, il me dit qu’il préfère se décaler par rapport à la météo car on annonce la fin des intempéries vers 4h00, ce qui se vérifiera. La pluie redouble et n’invite pas à la reprise de ma marche, mais je suis motivé à bloc et j’attaque cette monstrueuse succession de 3 cols hauts perchés à 21h37.

 Valgrisenche – Cogne

Je repars donc seul dans la « drache » mais après quelques minutes dans la forêt en direction du chalet de l’Epée, je rejoins Georges « big moustaches » et je me cale sur son allure jusqu’au ravito où on déguste un bon café bien serré. Hésitations sur la tenue à enfiler pour le reste de la montée, neige ou pas neige, car on a peur d’avoir trop chaud avec la tenue imperméable que nous enfilons finalement par prudence. Il est 23h30, quand nous repartons à l’assaut du col fenêtre (2838m.), un concurrent Chinois perd la vie dans la descente de la Crosatie, évidemment nous n’en savons rien encore, mais à ce moment précis du récit, j’ai une pensée pour lui, victime d’un effroyable accident en réalisant sa passion.

Nous passons le col et effectuons la descente super raide ensemble et à bonne allure, Georges m’apprend qu’il se reposera à Rhêmes tandis que moi, après un bref arrêt, je préfère enchaîner avec le col Entrelor et essayer de laisser le plus dur derrière moi le plus vite possible. Je pars sur une stratégie des deux premières nuits blanches, encore une fois, ce ne sera pas le cas. Je vais dormir beaucoup sur ce Tor, peut-être un peu de trop, mais je vais bien dormir ! Après une montée régulière, je passe l’Entrelor (3010 m.) à 3h45, dans la descente de 10 km vers Eaux-Rousses, je marche car j’ai décidé de ne pas courir la nuit, je me méfie des chutes avec une blessure qui m’empêcherait de continuer, ce qui serait une catastrophe pour moi.

A Eaux-Rousses, endroit assez froid, j’ai mon premier coup de pompe alors que je dois m’attaquer au toit de la course : le col Loson (3299 m.) sur 12,3 km d’une montée assez raide sur la fin. Après ¾ d’heure à attendre le lever du jour, je me mets péniblement en route sur un rythme assez lent, l’ampleur de la tâche et la fatigue font que je progresse trop lentement, je me fais dépasser mais je m’en tiens à mon petit rythme, histoire de ne pas me mettre en difficulté. Les mauvais moments succèdent aux bons et je le sais. Je commence à avoir quelques douleurs musculaires et je m’inquiète mais finalement, je sais aussi que quand une douleur apparaît à un endroit, elle fait disparaître la précédente instantanément !

No panic, ça roule, et plutôt pas mal. J’en ai fini avec le col au bout de 3h45 d’ascension et j’entame souplement ma descente vers le refuge Sella. Je rencontre un journaliste Belge qui m’apprend l’abandon de deux compatriotes au refuge ce qui fait de moi, provisoirement, le premier Belge dans la course. Allez dis ! Il prend quelques photos, je lui raconte mon histoire et je reprends ma route vers Cogne, content d’en avoir presque fini de cette difficile étape ! Je rencontre ma belle-sœur qui m’apprend que Jeff est aussi dans la descente du Loson, je le verrai à Cogne. Descente un peu éprouvante et technique puis un peu de faux plat descendant et j’arrive à cette 2ème base de vie, sous le soleil, à 13h17 (17h33 en 2012).

 J’ai prévu une douche, un repas, puis un départ vers Donnas. Trop de bruit, d’agitation sur les 2 premières bases de vie pour me reposer valablement. Je fais part à mon frère que je compte être à Donnas vers 2h30 et me faire une vraie nuit de sommeil pour repartir au petit jour pour l’étape hyper dure de Gressoney. Il me dit qu’il me rejoindra en partant dans une heure car cette tactique lui convient aussi, faut dire que 3h30 de sommeil à Donnas, c’est alléchant !

Cogne - Donnas

Je repars donc vers 15h00 en direction du seul col de la journée, Fenêtre de Champorcher (2826 m.), 10 minutes d’arrêt pour discuter avec un collègue pompier qui fait l’assistance pour les deux autres puis 5 minutes d’arrêt pour déguster un café chez une habitante qui a dressé un stand devant chez elle. Les bénévoles et la population sont fantastiques, l’accueil, le soutien, l’aide qu’ils nous apportent sont incroyables, il est très important qu’on prenne quelques minutes sur notre « chrono » pour témoigner notre reconnaissance. Il se passe quelque chose de beau, de magique sur  cette course, c’est génial d’être là, au milieu de ces paysages et de ces gens.

Je retrouve Georges dans l’ascension vers le refuge Sogno, la route est changée à cause d’un éboulement mais la vue sur la vallée est magnifique sous ce beau soleil ! Je discute avec Thierry le sénateur, je lui fais part de mon plan de bien me reposer à Donnas, il a l’air surpris qu’on puisse être si tôt à Donnas, je lui confirme vu que j’ai tous mes temps de progression de 2012. Ensuite, je fais route avec David que son pote vient de laisser car il veut finir en sub 120 h. David a mal aux adducteurs, je lui refile un anti-douleur et j’apprends que mon frère lui en a déjà filé un dans le Loson, je décide de faire route avec lui, son rythme est lent mais comme ça, mon frangin pourra revenir sur moi et ça me permettra d’économiser mon physique car le voyage est très loin d’être fini.

Après un bref ravitaillement au refuge Sogno, et le passage au col, nous entamons la descente à 18h50 vers le refuge Dondena. Là, je m’équiperai pour la nuit et dégusterai une bonne assiette de pâtes, le chemin est assez long vers Donnas avec des passages un peu techniques et quelques montées courtes mais sèches ! Je continue la descente vers Chardonney alors que j’attrape une petite douleur sur le coup de pied droit à hauteur de mon lacet, je ne m’en inquiète pas mais, erreur, je viens de déclencher une tendinite au niveau de mon tendon releveur.

A Chardonney, un accueil triomphal est réservé à chaque concurrent malgré l’heure tardive, après un bref ravitaillement, je repars avec David, qui a de plus en plus de mal. Je reprends ma progression vers Pontboset, lentement mais sûrement, il fait fort noir et le sentier qui suit le cours d’eau est assez piégeux et glissant. Il est minuit quand j’arrive à Pontboset quand mon frangin surgit de l’obscurité. Il a chuté deux fois dans cette descente et est assez éprouvé, il veut continuer sur le même rythme mais j’ai du mal à laisser David, blessé, seul sur le parcours.

 En vue de Donnas, mon frère a froid et veut qu’on accélère, on laisse finalement notre compagnon en vue des lumières de Bard et on rejoint Donnas à 2h46 (10h55 en 2012). Thierry est déjà en train de ronfler comme un marcassin, le dortoir est bien rempli mais je m’endors du sommeil du juste en quelques minutes. Après une très longue nuit de 3h30, je me réveille, je me change, je prends un super petit déjeuner et à 7h00, je suis prêt pour attaquer cette étape très dure. Mon plan est d’arriver à Gressoney vers 2 h00 et de me refaire une nuit royale ! Tout va bien sauf cette petite douleur au coup de pied qui ne passe pas malgré la glace. Pas d’ampoule, pas mal aux jambes, tout va bien.

Donnas – Gressoney-St-Jean

Le parcours descend entre les jardins pour traverser la localité de Pont-St-Martin avant de remonter gentiment  vers Perloz où nous effectuons un bref ravitaillement. Après le charmant petit pont de la Tour d’Hereraz, nous entamons la longue montée vers Sassa, dans un premier temps, puis du refuge Coda dans un second. Nous avançons sur un rythme assez lent et pas mal de monde nous dépasse, nous sommes tous les deux fatigués et l’allure s’en ressent.  10 minutes d’arrêt à Sasssa et encore 20 au refuge Coda (2264 m.), enveloppé par les nuages.

Comme dab, il fait froid à Coda mais dès qu’on descend vers Lago Vargno, nous sommes obligés de nous découvrir, car on a chaud. Notre rythme reste lent jusqu’au ravitaillement de Lago Vargno puis, vu que notre objectif est de descendre vers Niel avant la nuit, on décide de mettre un coup. Les deux montées suivantes, Marmontana et Crena du Ley, sont avalées à un rythme bien plus soutenu. Nous repassons des concurrents Parisiens qui nous gratifient d’un : « Alors ? Ca va mieux les frangins ? » Oui, ça va mieux, on a retrouvé la pêche, on est ressorti de notre torpeur et après le ravito du col de la Vecchia, nous entamons la descente boueuse et technique vers Niel. Après 6 km toujours aussi longs et difficiles, nous arrivons à Niel à 21h15. Nous dégustons une polenta et du bœuf pour dîner au milieu d’un gentil brouhaha et d’une chaleur incitant au repos. Je suis partisan de ne pas s’attarder ici et de faire directement les 4 heures qui nous séparent de Gressoney. Jeff n’est pas d’accord, il veut qu’on dorme deux heures ici, je ne suis pas de cet avis mais je n’ai pas envie de continuer seul donc je me plie. Le copain de David qui l’a laissé tomber pour faire sub 120 abandonne, ma belle-sœur le ramènera à Gressoney ! On s’installe dans la tente, j’enlève mes pompes, il fait froid, humide, il y a plein de boucan, mais je finis par m’endormir.

Au bout d’une ½ heure, j’entends que mon frère m’appelle, il ne parvient pas à dormir et veut qu’on reparte. J’émerge difficilement, je râle un peu d’avoir perdu ce temps pour rien, je bois un café puis nous nous remettons en route vers le col Loozoney (2387 m.)à 22h50. Après une montée régulière et avoir dégusté quelques cuillérées de pastèque au sommet nous nous dirigeons vers le ravitaillement de Loo, je me souviens d’un plateau en faux plat plein de trous et balayé par le vent. Nous avons le vent de face et il fait glacial, je remonte mon buff jusqu’en dessous de mes yeux, je suis frigorifié et Jeff aussi, nous devons nous mettre à trottiner pour nous réchauffer tout en veillant à ne pas tomber car une blessure ici et c’est l’hypothermie en quelques minutes. De plus, ma tendinite se développe et j’ai de plus en plus de mal à courir. Nous prenons un sérieux coup de froid mais nous somme heureux d’atteindre le ravitaillement tellement chaleureux de Loo, on se réchauffe, on partage nos impressions avec les bénévoles et bien motivés par les heures de sommeil promises à Gressoney, nous nous enfonçons déjà dans la nuit pour cette interminable et difficile descente vers cette base de vie, nous y pénétrons à 3h18 (12h39 en 2012).

Une bonne douche, Thierry est là aussi, et à 3h30, je dors déjà. J’ai décidé de dormir 4 heures, je suis en avance sur mon planning et j’essaye de profiter au max des heures de clarté pour progresser, je pose de la glace sur mon releveur mais rien n’y fait ça ne dégonfle pas et ça devient vraiment douloureux, dommage, mais il va falloir faire avec. Abandonner n’est pas une option…

Gressoney-St-Jean - Valtournenche

 A 7h30, je me fais réveiller par Jeff, on prépare nos affaires, un bon café, un bon petit déjeuner et nous revoilà repartis. Je ne sais pas pourquoi, mais je mets mes speedtrail de Lafuma, l’étape est abordable et elles me feront peut-être moins mal à ma tendinite. A 8h10, nous suivons le cours d’eau vers le début du col Pinter (2776 m.), il fait frais et cette portion de 4 km est assez monotone même si traverser la bourgade en marchant sur le plat est parfaite pour démarrer la journée, dès les premiers lacets vers le refuge Alpenzu, jeff a du mal à se mettre en route mais, finalement, il s’accroche. Je prends un café avant de reprendre l’ascension, je me cale sur l’allure de mon frère mais il ne parvient pas à trouver un rythme plus rapide, je prends la tête et il se cale dans mon allure jusqu’au sommet que nous franchissons de concert à 11h20, quand même !

Ce sera parfait pour déjeuner au restaurant  l’Aroula à Cunéaz, nous mangeons une bonne assiette de pâtes et nous profitons de cet accueil vraiment chaleureux durant une ½ heure. Extraordinaire ! Au refuge de Crest, nous devons décliner le ravitaillement de la gardienne car je lui dis que nous venons du ravitaillement « pirate », elle nous sourit en comprenant. Nous poursuivons notre périple sous le soleil et en suivant la courbe de niveau en direction de St Jacques. Après être passé la station de ski, nous plongeons sur le village par une descente assez raide. Marianne est là, je change de chaussures pour reprendre des Hoka mais à ma pointure (erreur !) car mes Lafuma ne sont pas assez confortables, ma tendinite m’empêche de courir sur le plat et est très douloureuse en descente, ça commence à influer sur mon moral, mais je n’ai pas d’autre alternative que de continuer vaille que vaille.

Nous repartons vers le grand Tournalin vers 15h00 et nous faisons une montée pas très rapide mais régulière jusqu’à ce refuge où nous nous posons quelques minutes. Nous discutons avec des concurrents Suisses, déjà croisés à Niel, et avec des randonneurs Belges en vacances dans le coin. Il ne nous reste plus qu’à finir la montée vers le col Nanaz (2775 m.) que nous passons à 17h45, je laisse filer Jeff dans la descente car je ne peux plus trop suivre le rythme car mon pied est vraiment trop douloureux et mes chaussures trop justes, coincent mes doigts de pieds. Je descends vraiment tranquillement en profitant du paysage magnifique qui m’entoure, les habitants me font des signes de la main en me voyant passer, je leur réponds, bien-sûr, en levant mes deux pouces.

 Je rejoins Jeff à Valtournenche à 19h35 (12h21 en 2012 après neutralisation de 5 heures durant la nuit). Plus question de faire une longue nuit, on n’est pas en vacances, quand même, le but, maintenant, est d’arriver à Courmayeur vendredi dans la journée. On va dormir 2 heures ici, avant d’attaquer cette étape difficile sur les crêtes. Nous recevons un avis où il est écrit que la météo sera froide cette nuit avec une température ressentie à -10° autour des 2500 m. Je prends une bonne douche et dors deux bonnes heures, tout est prêt pour les deux dernières étapes, c’est bien parti mais rien n’est acquis, sur le Tor, il faut garder ça en mémoire et rester vigilant.

Valtournenche – Ollomont

Les étapes impaires sont difficiles sur le Tor, celle-ci n’échappe pas à la règle. Nous partons à 23h00 dans une nuit déjà froide à l’assaut du Refuge Barmasse (2165 m.), situé au bord d’un barrage. Nous montons à nouveau sur un rythme lent, Jeff a du mal, à nouveau. Je le laisse mener jusqu’au refuge et il m’annonce qu’il veut prendre du repos, pour se refaire la patate. Comme nous avons décidé de terminer cette aventure ensemble, je décide de continuer sur un rythme lent et qu’on verra demain matin où on en est, je repars donc dans un petit groupe, en espérant rejoindre Cuney au petit matin. La fenêtre d’Ersa (2298 m.) est passée sans difficulté, je suis assez en forme et sur les montées, je ne ressens aucune douleur à ma tendinite.

Arrivée à Vareton, je rejoins Marco Gazzola et sa charmante compagne qui font course ensemble, je m’arrête quelques minutes. La nuit, c’est dur, il fait froid, la course est longue, on ne voit pas bien, et il faut du courage pour s’arracher aux ravitaillements et reprendre sa route mais il faut avancer, garder le moral et avancer. Comme disait Mark Allen (triathlète), ne t’apitoies pas sur ton sort, le seul responsable de la merde dans laquelle tu te trouves, c’est toi ! Tu as payé pour être ici alors assume et profite ! Je continue ma progression seul vers la fenêtre de Tzan (2734 m.), je progresse assez bien et j’ai hâte que la nuit s’achève quand j’arrive dans la chaleur exagérée du Bivouac Reboulaz. Je m’installe sur un banc au milieu des autres, tout le monde est assommé  par la chaleur étouffante et les regards sont vides, je m’endors assis et les minutes passent, je n’entends plus rien, il fait trop chaud, je sombre dans un sommeil peu réparateur. A 6h, je m’enfuis de cet endroit que je trouve finalement peu accueillant et je me mets en route vers Cuney alors qu’Arnaud arrive au bivouac avec Fabien.

J’espère que la clarté va me rendre un peu d’énergie alors qu’il fait toujours aussi froid sur ces crêtes balayées par un vent glacial. Je passe le col de Terray (2775 m.) assez rapidement mais le froid et la fatigue me font perdre mon rythme et je trouve, du coup, le trajet assez long, je me motive en me disant qu’à Cuney, je prendrai un bon p’tit déjeuner et que ça me filera la pêche pour la journée. Rien de tout  ça à Cuney, que j’atteins à 7h37, accueil aussi froid que la météo extérieure et pratiquement rien à se mettre sous la dent, je repars aussitôt vers le bivouac Clermont, ou je sais que la réception est inversement proportionnelle à la taille de l'endroit. Au pied de l’ascension vers le refuge, je rejoins l’équipe de bénévoles qui va prendre le relais, je reconnais la dame de l’année dernière qui m’avait cuisiné des pâtes à 2h du matin. On fait des photos puis je reprends mon chemin. Arrivé au bivouac, je me fais des tartines de Nutella et je me goinfre de sucre alors que mon frangin m’annonce par SMS, qu’il est à mes trousses ! Après un bon moment passé avec ces merveilleuses personnes, je repars vers Oyace.

 Je passe rapidement le col Vessonaz (2788 m.) avant d’entamer la très méchante descente de 2 km vers une bergerie, mon frère me rejoint durant ma pénible évolution vers le bas. Après nous continuons sur un chemin qui descend très peu mais, cette fois, j’ai trop mal et je suis incapable de presser le pas. Je montrerai mon pied à Oyace, en espérant qu’ils puissent faire quelque chose pour me soulager. Nous arrivons péniblement à Oyace à 13h00, je suis affecté par ma blessure mais je ne suis pas abattu, je vais continuer ma route même si le rythme est plus lent que prévu, Jeff est d’accord pour rester avec moi. On se ravitaille avec de la soupe, l’équipe médicale me fait un bandage serrant qui ne me soulagera que très peu, je montrerai cela au médecin à Ollomont. L’infirmier me confirme une grosse tendinite mais il sait bien qu’on n’abandonne pas si près du but, ce serait certainement plus sage de ne pas insister mais est-ce sage de faire une telle course ?

Nous entamons la montée du Col Brison (2508 m.) à 13h40 après s’être délesté de quelques couches superflues par ce beau soleil, je monte à un rythme élevé pour ne pas faire trop attendre Jeff dans la descente, 5 minutes d’arrêt au ravito à la mi-pente puis Jeff, pensant que je veux lui mettre sa race, me revient dessus avant le col, la descente vers Ollomont n’est pas trop pénible, je commence à m’habituer à la douleur et le moral est bon vu que l’écurie approche.

Nous arrivons à la base de vie, la dernière, à 17h57 (10h54 le vendredi en 2012, sachant que la course s’arrêtait à St Rhémy). Nous nous arrêtons une seule heure, le temps de se changer, de manger, de boire. Le médecin me donne des antidouleurs  et me conseille de laisser le bandage en l’état. Nous remettons nos sacs jaunes à Marianne, maintenant c’est vers Courmayeur qu’on va. Avec une partie inconnue, nous allons boucler la boucle mais avant, il y a encore une étape difficile à négocier.

Ollomont – Courmayeur

Nous laissons Ollomont vers 19h00 et  nous nous lançons à l’assaut de l’avant dernier col, celui de Champillon (2709 m.) avec une pause prévue au refuge du même nom afin de recharger les batteries pour la finale. Nous arrivons assez vite au refuge et on se couche au calme pour 2 heures de ronflette. Autant bien se ressourcer puisqu’au vu de notre planning, nous sommes dans les temps pour arriver vendredi à la mi-journée, je propose comme challenge de « casser » les 120 heures mais finalement après 5 secondes de concertation, on s’en fiche. Surtout qu’on n’y est pas encore !

Vers 23 h, on laisse le refuge pour les derniers mètres d’ascension puis on entame la longue et difficile descente vers Ponteilles. Le ravito n’est plus au même endroit mais peu importe, ma douleur au pied est insupportable, les charmants bénévoles nous disent qu’il reste 1h1/4 de descente jusqu’à St-Rhémy, ils ont l’art de nous donner des estimations assez optimistes mais nous savons que la route est longue (11,5 km) jusqu’à St-Rhémy. Le chemin est très roulant en faux plat descendant au milieu d’une forêt mais la nuit, avec ce froid, cela va ressembler à un très long chemin de croix, du moins, en ce qui me concerne. Mon frère me laisse à mi-parcours car il crève de froid et il lui faut courir. Moi, je caille aussi, je m’endors et je suis incapable de courir malgré que j’aie de bonnes jambes. Mon moral coule à pic, j’ai froid à crever, je suis fatigué, ça n’avance pas, je me traîne péniblement jusqu’à St-Rhémy, j’arrive dans cette petite tente, exactement là où la course s’était arrêtée l’année dernière dans un état lamentable, il est 3h25.

Je m’installe à la table de ravito, je bois un bouillon avec des pâtes, machinalement. Je suis complètement à l’ouest, incapable de réagir positivement, j’en veux injustement à mon frangin de m’avoir laissé, j’en deviens même un peu agressif avec la dame bénévole qui me propose des aliments, un lit pour me réconforter. Mon frère part dormir, je reprends du potage, Thierry est en face de moi avec un autre Français, je ne suis plus dans la course, j’en ai plein les bottes. Pourquoi il fait si froid ici ? Que dois-je faire ? Repartir ? Dormir ? Allez, je demande à la dame pour aller me coucher, elle me donne un lit à côté de mon frère en me disant qu’il a demandé à être levé à 4h1/2, je lui dis : « Moi, ce sera 5 heures ! », je me couche en tremblant de tous mes membres, même des dents et finis par sombrer dans le sommeil.

A 4h45, Jeff me réveille : « Allez, on va repartir doucement ! » Je me rhabille, je vais aux toilettes et on part à l’assaut du col Malatra (2925 m.), l’inconnu, directement. Je veux quitter ce patelin qui est un vrai frigo, je repars à bonne allure pour me réchauffer, le jour est en train de se lever, je vais tourner la page sur cette nuit un peu difficile et savourer la fin de notre aventure ! Après 1000 m de D+, 9 km et 2h30 de marche, nous atteignons le très beau refuge Frassati, où nous rejoignons Thierry et l’autre Français, je jette un œil sur le classement, nous sommes à la 117ème place alors que hier soir, nous étions encore 135ème, à peu près. La nuit n’a pas fait de dégâts que sur moi, apparemment ! Allez, nous terminons cette ascension par quelques lacets assez raides et enfin, le passage du col nous ouvre l’horizon vers le refuge Bonatti. Je sais dès ce moment que c’est fini, même s’il me reste 14 km à faire avec de sacrées descentes, je m’en fiche, on touche notre rêve du doigt.

J’essaye de faire la descente et de ne pas trop retarder mon frangin, arrivés dans la vallée, nous jetons un œil vers l’arrière personne en vue. Comme tout le monde, même si c’est ridicule, nous sommes passés du mode « aventure » au mode « course » pour ces derniers kilomètres. A Bonatti, personne, nous faisons un ravito express comme sur un trail de 20 bornes puis nous alternons course et marche rapide vers Bertone. Nous apercevons deux coureurs devant nous, nous dépassons le premier et il me lâche ironiquement : « Hé ben dis-donc, ça va mieux ton pied, on dirait ? » quand au 2ème, il ne veut carrément pas nous laisser passer, il dit à mon frère qu’il ne peut plus descendre car il est blessé. Ben oui, et alors, on ne va pas rester derrière toi, quand même !

Nous continuons ensuite vers Bertone en suivant la courbe de niveau, plus personne devant, Thierry-marcassin a fait le forcing, et plus personne derrière, nous pouvons commencer à savourer pleinement notre aventure. Les 4 derniers km sont en descente, nous descendons souplement puis à mi-pente, nous mettons un peu d’ordre dans nos tenues, nous mettons un t-shirt des pompiers pour faire honneur à notre service des sports qui nous a aidés et nous continuons la descente en mettant au point notre scénario d’arrivée et en discutant de certains épisodes de cette course.

Arrivés à l’entrée de Courmayeur, nous voyons Thierry qui est en train de se déguiser en énorme canari, on le verra à l’arrivée mais cette 115ème place lui revient, normalement. Nos mains se joignent vers le ciel et nous arrivons dans la rue principale de Courmayeur dans l’indifférence générale car tout le monde est parti manger, même le speaker ! Mais on s’en fiche, on savoure pleinement cette centaine de mètres qui nous fait arriver sous cet arche, point final de cette magnifique épreuve.  Nous avons été forts, nous avons pris de bonnes décisions, nous avons fait très peu de fautes pour obtenir un résultat magnifique. 115 et 116èmes en 122h16’, c’était pratiquement inespéré. Je remercie mon frangin, les bénévoles incroyables, une organisation au top, les Valdotains, les Pompiers de Bruxelles, l’hôtel Edelweiss à Courmayeur, ma belle-sœur, les autres collègues et amis, Born to Run à Nivelles pour les pompes et le matos et enfin, à mon épouse qui s'occupe de notre foyer et de nos enfants pendant que je réalise mon rêve. Ce sera un souvenir sportif gravé à jamais dans ma mémoire, quelle belle aventure !

Données Garmin 450 : 338,5 km parcourus, arrêts : 29h49 dont 10h30 de sommeil, alt min :334 m et max : 3304 m, D+ et D- : 25004 m

8 commentaires

Commentaire de Byzance posté le 22-09-2013 à 21:00:06

Magnifique cette aventure en famille.

Commentaire de seapen posté le 23-09-2013 à 11:43:07

Bonjour Fironman. Félicitations à tous deux. C'était bien le trail des 2 géants. Salutations sportives.

Commentaire de arsim25 posté le 23-09-2013 à 14:09:13

Chouette course! Il manque juste un détail que j'ai particulièrement apprécié à Valtournenche...tu m'as dit "Vu les conditions, on a signé un pacte de non-agression avec mon frère"...j'ai trouvé ça très drôle!

Commentaire de Fironman posté le 23-09-2013 à 14:32:46

Bah, oui, ce n'était plus la peine de perdre de l'énergie dans une lutte fraticide qui aurait peut-être laissé des traces... Et puis, je prends quand même une belle 115ème place au sprint devant Jeff et piou-piou :-))))

Commentaire de jihef72 posté le 24-09-2013 à 09:25:43

L'avantage d'être deux c'est que moi je ne devrai pas faire de cr même si je laisserai mes impressions bientôt..
Pour la place au sprint, vu le grand âge de mon frère et qu'apparemment c'était son dernier Tor .. Je n'ai pas jugé opportun de casser le buste..
A l'année prochaine.

Commentaire de sarajevo posté le 27-09-2013 à 18:13:50

Bravoooooo!!!!

Commentaire de Rolexo posté le 12-11-2013 à 00:03:19

Bravo même si cette énorme randonnée reste un défi qui n est pas donne à tout le monde ! félicitations

Commentaire de Bacchus posté le 13-08-2015 à 15:28:43

Merci pour ce magnifique compte rendu bien détaillé. J'y ai appris plein d'information qui me seront utiles dans un mois.
Tu dis à un moment donné que les parties impaires sont difficiles (1, 3, 5) c'est plutôt les parties paires, non ?
En tout cas merci pour les infos

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