Récit de la course : TOR330 Tor des Géants 2019, par La Crampe

L'auteur : La Crampe

La course : TOR330 Tor des Géants

Date : 8/9/2019

Lieu : Courmayeur (Italie)

Affichage : 1118 vues

Distance : 339km

Matos : La Sportiva Ultra Raptor
Scott Ultra supertrac RC

Objectif : Terminer

2 commentaires

Partager :

75 autres récits :

Bouclette dans le Val d'Aoste

Un mois après la course, me voilà toujours à lorgner un peu mes dossards qui trainent par ci par là ou 2-3 photos, articles sur internet qui remémorent l’aventure. Cela se ponctue finalement toujours pareil : « c’était quand même sympa cette histoire ». Ce sont les vidéos de concurrents, leurs récits qui m’ont donné envie de faire cette course et qui m’ont donné aussi beaucoup d’infos pour ne pas être complètement dans l’inconnu. Si le mien peut aider tant mieux !

 

Déjà le tirage au sort, je m’inscris sans conviction (1ère tentative) et je me dis que j’irai sur le Tot Dret et tenterai le Tor en 2020 sans le tirage au sort si la combine marche toujours. Bim je suis tiré au sort. Ce n’était pas prévu mais ça ne se refuse pas. 

La préparation fut donc légère sachant qu’en 2018 je n’ai pas du tout couru, je me pointe au départ avec 160h de course à pied dont 3 trails (GR73, Aravis, UTB) et 60h de vélo et ski de fond, autrement dit j’ai pas As-Roi avant le flop.Langue tirée

 

Toute la semaine avant la course je regarde la météo, ça s’annonce maussade comme dirait Evelyne Déhliat, je vois les premières photos du Tor des Glaciers où les mecs semblent bien tolérer leur doudoune. Bref il faudra plutôt partir sur un accoutrement type Mike Horn au K2 que Krupicka sur la Western.

 

Dès le premier col (Arp) ça se confirme la neige commence à tomber et tenir bien avant 2000, et on se dit « cool je vais rentabiliser mes crampons !! » (les miens garderont leur étiquette jusqu’à Courmayeur…) Mais finalement cela se passe bien, on y va tranquillement, je mets mon cardio le 1er jour pour ne pas aller trop vite car c’est la belle ambiance et le piège c’est de se laisser griser par tout ça. Je ne dépasse pas les 70% de ma fc max. A La Thuile tout va bien il y a beaucoup de monde c’est très sympa et la pluie s’est arrêtée. 2e col (Haut Pas) c’est une montée assez tranquille jusqu’au Refuge Deffeyes où le froid est sévère, le ravito est exposé je ne traîne pas car ça caille vraiment. La suite du col est très sympa, on peut échanger avec pas mal de coureurs car nous sommes encore assez groupés. Beaucoup sont là, comme moi, pour la première fois. Le ravito de Promoud est en bas de la descente un peu Belledonnienne avec des bonnes caillasses.

La nuit tombe dans la montée vers Crosaties, la fin est rude et la descente demande de l’attention. 

J’arrive à Valgrisenche (50km) à 23h, première base vie, je voulais y arriver avec l’impression de ne pas être encore parti c’est le cas, il vaut mieux il en reste 290. Une bonne bière avec des pâtes et on y retourne. 

 

La nuit est glaciale, on passe les cols aux environs de 3000m il devait facilement faire -10 à l’Entrelor. Gants bonnets doudoune pantalon. J’aurai pas été contre un coup de génépi. Le pauvre gars au sommet de l’Entrelor ne peut même plus proposer son coca les boutanches ont gelé… Pour info la descente du col Fenêtre est infâme, je n’imagine pas le chantier s’il y avait de la neige. Je retrouve le jour en descendant à Eaux Rousse, cela se réchauffe, un beau soleil et ça fait grand bien de voir enfin le paysage qui est merveilleux.

La montée vers le Loson est très longue, 1600m de D+ mieux vaut profiter des marmottes et des sommets environnants que regarder son altimètre !

La descente jusqu’à Cogne fait 23 km, un passage au refuge Sella requinque et les encouragements des randonneurs croisés aussi.
A Cogne (106 km), ma femme m’accueille à la BV avec une pizza qui sort du four, quel bonheur pour les papilles et pour le moral. Je m’arrose le gosier avec une bière et direction le massage suivi d’un petit dodo. L’arrêt durera 2h30, je repars aux environs de la 150e place, je m’arrête au célèbre stand expresso à la sortie du village où je bois un petit café et cause un peu avec ces gens d’une sympathie qui fait vraiment plaisir (s’il y’avait un guide du RouTor, ce stand serait un passage obligé, avec 3 « sacs à dos »).

 

La 2e nuit tombe en montant à la Fenêtre de Champorcher où il fait encore un froid pas possible. La suite est une interminable « descente » (ne jamais faire confiance au profil sur le Tor) de 30 km jusqu’à Donnas. C’est pour moi le passage le plus ennuyeux de la course mais il faut bien passer de l’autre côté de la vallée !

J’arrive à Donnas (151 km) dans la nuit, je ressens sérieusement la fatigue et le manque de sommeil. Je retrouve ma copine la tireuse à bière que je soulage un peu. J’ai de l’appétit, on a sauvé les meubles.

Je viens de dépasser les 40h de course, c’est désormais l’inconnu pour moi qui ne suis jamais allé au delà. Un arrêt de 3h30, je repars au lever du jour je suis toujours autour de la 150e place. Je garde un rythme qui me semble régulier et « durable ». Le début des ennuis arrivent très vite, j’ai les pieds qui enflent vraiment et mes tendons d’Achille sont comprimés par mes baskets ca devient rapidement insupportable. J’en viens à découper aux ciseaux l’arrière de mes pompes dans la montée vers Coda. Des trombes d’eau se mettent à tomber après le refuge Coda, je croise une italienne qui est sur le Tor des Glaciers. Gros gros Respect, elle me raconte sa course et reste finalement lucide « c’est un truc de fou ». 

Cet échange me remet en place : moi je suis des fanions jaunes sans me poser de questions, tous les 10 km je peux m’empifrer de pâtes et de charcute pendant qu’eux ont que dalle pas de balisage, des ravitos peu nombreux, un parcours imbuvable alors j’en arrive à la conclusion suivante : «t’es un rigolo à côté alors avance !».

 

La portion jusqu’à Niel est assez difficile mais heureusement on y trouve 2 ravitos exceptionnels : Lago Chiaro et son jambon braisé dressé sur pain toasté, et le col de la Vache avec sa polenta et son service 3 étoiles. On est au milieu de la pampa et ces gens se plient en quatre pour t’apporter du réconfort et c’est un régal. Cela fera partie des plus beaux souvenirs de la course.

Il n’empêche sur ces belles paroles que la descente jusqu’à Niel m’achèvera, j’y arrive en piteux état mais ma belle soeur me fait la surprise d’être là alors qu’on est au fin fond du val d’Aoste en pleine nuit ! Je me retape un peu, je dors 15min sur une table comme un passager d’XL Airways sur un bar de Roissy en attente d’une solution. On fera un arrêt plus confort à Gressoney 13 km plus loin.

Le col Lasoney est facile mais en haut c’est le marécage, impossible de pas se tremper les pieds. Un passage au chalet de Loo s’impose. Petite cabane de chasse, bel accueil garanti !

La BV de Gressoney (206 km), je suis éclaté, il est 5h du matin, 145e donc j’avance toujours à un rythme correct mais il faut dormir. Je me mets mes 2 binouses et vais dormir avec boules Quies et loup au calme dans un terrain de squash du gymnase. Presque 4h de pause mais c’était nécessaire.

 

La portion Gressoney - Valtournenche est top, il fait un temps magnifique, des paysages superbes : Monts Rose, Cervin. J’ai toujours autant mal aux panards mais j’avance… La vue en arrivant au col des Fontaines vaut largement ça. 

 

A Valtournenche (239 km) je retrouve Madame, cela booste le moral car la fatigue est bien là. Je m’enfile mon 12e kilo de pâtes et mon 4e litron de bière en sa compagnie. Les messages des copains, sa femme, c’est un sacré plus quand on est cramés. Beaucoup de coureurs étaient seuls, un grand bravo à eux car il faut être solide pour ne pas tout envoyer bouler quand personne n’est là pour vous secouer. Cela fera encore une trop longue pause de 4h30 mais ma dette de sommeil devient abyssale moi qui dort 9h par nuit… Je quitte la BV 144e, je suis globalement toujours avec les mêmes coureurs depuis 2 jours.

 

La portion suivante je la commence de nuit, avec un tracé plutôt tranquille puis un passage par la Fenêtre de Tzan et une descente encore bien compliquée, j’arrive à La Magia vers 5h je dors un peu au chaud jusqu’au lever du jour. La suite est du même calibre mais la journée est belle il fait un beau soleil. Au Bivouac Clermont, je retrouve Diego un italien que je croise depuis 2 jours, dans un français impeccable il me dit « assieds toi tu ne mangeras jamais aussi bon qu’ici ». Un bénévole sort du bivouac avec une poêle et nous sert des pâtes cuisinées avec je ne sais quoi, Diego avait raison c’était la régalade. On finit le col Vessona ensemble puis dans la longue descente (10 km) vers Oyace je commence à avoir mal aux genoux, ça enfle sévèrement d’un coup, en bas de la descente je ne peux plus courir et peine vraiment à marcher. Une infirmière me met des bandages et de la glace mais ça ne change rien. Je repars pour le col Bruson il fait très chaud, pas d’air et rapidement pas d’ombre, la montée passe bien mais dès les premiers mètres de descente ça vire au cauchemar. Même descendre en marchant est insupportable les 2 tendons rotuliens semblent être au bout. Je me ferai avaler par des dizaines de coureurs dans ces 6 km, je descends moins vite qu’un randonneur. Je suis pathétique. Je pense avoir versé plus de larmes dans cette descente que je n’ai versé de bière aux BV car bâcher à 50km de Courmayeur c’est dur. 

 

A Ollomont (287 km), il y a ma femme et des amis qui sont venus jusque là pour voir un mec qui ne peut même plus marcher. Le moral est à zéro, j’enlève les bandages, mes genoux ont doublé de volume. On a passé le stade de l’épanchement de synovie, on est carrément sur un tsunami. Madame va me chercher mon sac Tor mais la bonne blague : il n’y est pas, ils l’ont oublié à Valtournenche. Tu te demandes à ce moment là si tu n’as pas été marabouté. Je suis tellement anéanti que je prends cette situation à la rigolade. Des bénévoles me prêtent des vêtements chauds et me proposent d’aller chercher chez eux tout ce dont j’ai besoin. On peut taper sur l’organisation sur certains points mais les bénévoles j’ai rarement vu des gens aussi dévoués aux coureurs et à faire vivre la course. 

Direction le médecin pour voir si c’est raisonnable de continuer, je suis prêt à en chier dru pendant 50 km mais pas à me bousiller 2 genoux à 31 ans. Le doc : l’Italien type genre Dr Drake Ramore, la grande classe. Manque que 2 infirmières bimbo à côté et on y est. Je lui demande si je peux continuer, il ne se pose même pas la question, avec 3 autres gars ils me déroulent environ 350m de straps autour des cannes. 10 min plus tard je suis momifié des jambes, selon le médecin ce sera toujours l’enfer mais ça évitera d’empirer.

Bonne bouffe, bonne bière, bon dodo. Encore presque 5h d’arrêt à cette BV, à ce moment là le but n’est plus d’arriver à telle heure mais juste de boucler la boucle, ça prendra le temps qu’il faut j’ai plus de 24h d’avance sur la barrière horaire. Je suis rassuré et encouragé par quelques coureurs qui m’ont vu au bout du rouleau dans la descente du Bruson. 

 

Je repars vers Champillon, la montée se passe bien même si j'ai la démarche d'un Stormtrooper en fin de carrière, la descente comme prévu est terrible, j’avance très lentement mais j’avance… La portion jusqu’à St Rhémy est du même acabit que la descente vers Donnas, 12 bornes de plat monotones, de nuit, l’idéal pour s’endormir. Je vois un truc bizarre au bord du chemin je n’hallucine pas c’est bien un mec déguisé en papillote dans sa couverture de survie qui pique un roupillon dans le froid. 

Arrivée à St Rhémy en Bosse (308 km) à l’aube, plus que 30 km c’est peu mais tellement loin en même temps. Je retourne encore dormir 1h30 pour être suffisamment bien pour la fin et arriver avant la nuit à Courmayeur. Les panneaux de rando indiquent 10h pour Courmayeur. Je quitte le ravito à 9h30.

La journée est magnifique, la montée vers le Malatra est plutôt facile, et c’est déjà la grosse émotion en faisant les derniers mètres qui mènent au passage où le Mont Blanc pointe son nez. Quelques photos et un moment pour profiter de ce moment puis c’est la descente, 17 km ce sera long, surtout quand des randonneurs te doublent ! 

Progressivement je sens que ça se termine, il y a beaucoup de monde sur le parcours qui encourage les coureurs, l’adrénaline monte et je débranche les derniers neurones qui étaient encore en fonctionnement. Finalement la descente se fera bien et à une bonne allure, le chemin jusqu’à Bertone ce n’est que du bonheur et cette ultime descente aussi. A ce moment là, je remercie tous ceux qui m’ont poussé à ne pas arrêter, les amis, les bénévoles, les coureurs, ça valait vraiment le coup. 

 

La traversée de la rue piétonne jusqu’à l’arche d’arrivée, c’est dingue, il est 17h30, je croise Arnaud qui m’a secoué à Ollomont pour ne pas abandonner, je retrouve Madame et les amis. Quelle aventure de marteau. On a beau se croire costaud, les larmes sont encore là à l’arrivée. Je noie tout ça dans une énième bière et signe le panneau Tor. Cela se termine en 125h30 et j’ai dégringolé à la 204e place mais vue cette fin de course, passer la ligne n’était vraiment pas gagné.

La suite c’est un énorme bain suivi d’une énorme pizza, une nuit agitée à Courmayeur suivie d’une journée à me refaire la cerise au Spa pour profiter des copains qui sont venus jusque là. 

 

Je retiendrai la gentillesse des Valdotains, la beauté et le coté sauvage de beaucoup de portions, la technicité du parcours sur certains cols.

Concernant la course à proprement parler : 

  • avoir des pompes avec 2 pointures de plus car avec la rétention d’eau j’ai vraiment eu l’impression de ressembler à Pierre Richard dans La Chèvre après sa piqûre de guêpe…
  • ne pas rigoler avec la météo les passages à 3000m il faut avoir le matos pour se couvrir, on peut avoir 25 degrés au départ d’une BV et le déluge avant la suivante qui peut parfois être à 20h de temps.
  • Mieux gérer le sommeil, mais comment..? Difficile quand c’est ta première course aussi longue. Je pense qu’il est préférable de dormir en refuge, certes moins longtemps mais au calme, que sur les BV où c’est souvent bruyant et agité.
  • Plus de 20h d’arrêt en base vie c’est sûrement trop, mais je n’avais aucun plan de course car c’était vraiment l’inconnu.
  • Avoir du soutien, si c’est possible, sur la course aux BV est à mon avis important surtout pour une première
  • Sur le Tor, les ravitos sont énormes et fréquents donc inutile de se charger en bouffe
  • Ne jamais lâcher
  • En profiter dès le début car finalement ce Tor passe très vite et quand c’en est terminé il y a évidemment de la joie mais aussi énormément de nostalgie.
  • Reste à faire digérer tout ça à Madame, pour discrètement se réinscrire…Innocent

2 commentaires

Commentaire de marat 3h00 ? posté le 11-10-2019 à 12:09:53

Félicitations pour ce tor terminé avec bravoure et avec aussi peu d'entrainement, c'est impressionnant !
Bon courage pour l'opération furtive que tu vas tenter en février ...

Commentaire de Grego On The Run posté le 17-10-2019 à 10:22:05

Bravo à toi, cela se lit avec passion d'une traite. Tes conseils en 10 points valent de l'or et me semblent particulièrement pertinent : notamment le conseil sur le sommeil et et sur le fait d'être très prudent sur les vêtements chauds à avoir dans son sac avec soi car effectivement on peut se laisser surprendre et quant à moi qui suis sujet à l'hypothermie c'est absolument crucial.
Énorme ça tu as 31 ans et tu connais les films de Pierre Richard ???? Sacré culture!!

Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.

Votre annonce ici !

Accueil - Haut de page - Aide - Contact - Mentions légales - Version mobile - 0.13 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !