L'auteur : Guillaume2S
La course : SaintéLyon
Date : 30/11/2019
Lieu : St étienne (Loire)
Affichage : 2772 vues
Distance : 76km
Objectif : Terminer
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Je n’ai jamais fait le récit d’un abandon, et pour cause, je n’avais abandonné qu’une seule fois jusqu’ici, un trail de montagne où mon manque de préparation était le seul en cause. Mais pour cette SaintéLyon, les ingrédients sont plus complexes, certains sautent aux yeux, d’autres sont plus enfouis, ils m’interrogent encore…
Les prémices
Cette année 2019 est mon année, en termes de course à pied. Au moment de prendre le départ de cette SaintéLyon, j’affiche 2054 km au compteur et je viens de battre mon record au marathon de Lyon, j’ai aussi participé à un 100 km. Pourtant je suis tout sauf serein, six jours avant le départ, je ne savais pas si j’allais m’aligner à ma quatrième SaintéLyon. Un mois plus tôt, le 27 octobre exactement, alors que je faisais un footing appuyé, une douleur que je ne connais que trop est venu me tirailler mon ischiojambier gauche. Ce jour-là je termine péniblement mon footing pour rejoindre ma voiture avec de bien mauvaises pensées qui tournent en boucle. Une déchirure ? Une contracture ? Dans le premier cas, c’est trois semaines de cicatrisation, dans le deuxième quelques jours peuvent suffirent. Alors, je m’y remets prudemment, les médecins m’ont toujours dit que tant que la douleur n’apparaît pas, il est possible de courir avec progressivité. C’est ce que je fais quatre jours plus tard, 8 km en 6’10 au mille, pas de douleur, mais une sensation que la machine est grippée. J’enchaîne les footings et ça semble aller de mieux en mieux, le 3 novembre, je me fais une grosse sortie nocturne dans les Monts d’Or, 21 km avec du dénivelé. Pas de souci au niveau de ma cuisse. Le 15 novembre, je fais une dernière sortie longue, 25 km à environ 11 km/h, un footing symbolique qui me fait franchir pour la première fois de ma vie les 2000 km sur une année, ce jour-là, pas de douleur non plus. Mais le lendemain sur un footing presque anodin, je sens ma cuisse qui lâche à nouveau après seulement 3 km… dans deux semaines je dois être au départ de la SaintéLyon. Je viens de prendre un gros coup au moral et je commence à envisager de ne pas prendre le départ. Les deux semaines qui suivent vont être remplies de doutes et de questionnements. Cette fois-ci, je coupe presque complètement, je teste ma cuisse une première fois à Copenhague pour faire coucou à la petite sirène, un footing de 12 km où ma cuisse ne me dit rien, mais je me traîne, j’ai l’impression d’avoir pris dix ans d’un seul coup ! Je ne suis qu’à demi rassuré et je me programme un ultime test le dimanche qui suit, soit six jours avant le départ. Je pars à la frontale avec mon fils Arthur qui me suit à vélo, nous parcourons 18 km, le test est à demi concluant, car bien que mon ischio gauche me laisse tranquille, je n’ai aucune sensation et j’ai dû réduire le rythme au bout de 10 km comme si je manquais d’entraînement. En rentrant, je prends la décision, je serai au départ de cette SaintéLyon et advienne que pourra.
Comme une première fois
Pour cette édition, rien ne se fait comme d’habitude et j’ai la sérénité d’une vache qui part à l’abattoir. Ça commence bien ! Lors de mes trois premières participations, je suis toujours parti à Saint-Étienne en voiture et entouré d’une petite équipe. Cette fois-ci, je suis seul dans mon métro en direction de la halle Tony Garnier. Heureusement, le vendredi qui précède, j’ai croisé Christophe qui la fait aussi et nous convenons de nous retrouver à Lyon pour prendre ensemble la navette pour la cité stéphanoise. Il est 18 heures et c’est la première fois que je serai si tôt au départ, une autre gestion. Nous rejoignons aussi Stéphane, un autre collègue de course à pied, le bus est déjà bondé et nous sommes éclatés sur les quelques places qui restent. Je m’assois à côté d’un jeune homme qui me salue immédiatement et avec qui rapidement la discussion s’installe. C’est Laurent, originaire du Gard qui s’est replié sur la SaintéLyon après l’annulation de la course des templiers un mois plus tôt. Je lui parle de mes expériences sur cette course atypique, et comme c’est sa première fois, à la fois sur cette course, mais aussi sur une telle distance, il m’écoute attentivement et nous échangeons sur tout ce qui a trait à la course à pied. À l’arrivée à Saint-Étienne, je lui propose de se joindre à notre petit groupe pour qu’il se sente moins seul. Il est 19 heures, il va falloir patienter trois heures trente avant le départ. Nous entrons dans le parc expo de Saint-Étienne où déjà de nombreux coureurs sont installés par terre et dans les tribunes. C’est un spectacle unique de voir tous ces coureurs et coureuses, allongés à même le sol ou sur un tapis, bien souvent emmitouflés dans un duvet, qui attendent le moment fatidique. Nous trouvons un petit espace pour quatre et nous installons, nous sommes ensemble et en même temps chacun est dans sa bulle. Il ne pleut pas encore et nous nous demandons si la météo ne s’est pas plantée. Cela relève plus de l’espoir naïf que de la réalité implacable de la nuit qui nous attend. Nous mangeons, nous nous changeons, le temps passe vite finalement, nous décidons de nous rendre sur la ligne à 22 heures pour partir dans la première vague, cela signifie une heure trente à attendre debout sur place. Mais là encore à quatre, cela passe plus vite, nous échangeons, nous blaguons, nous savons que nous vivons un moment rare, nous apprécions et profitons. Les minutes s’égrènent puis c’est le moment du départ, le speaker prononce sa phrase habituelle alors que le morceau de U2 nous accompagne comme chaque année « N’oubliez pas, on court tous pour quelqu’un ou pour quelque chose ». Bien évidemment je pense à mon père dans ce moment, mais je me demande déjà si je vais être à la hauteur de ce défi et de cette figure paternelle qui, fort comme un roc, n’a jamais abandonné en quatorze participations.
La pluie comme compagnon
Le départ est donné, Stéphane disparaît immédiatement, mais avec Christophe et Laurent, nous nous élançons ensemble. Je suis parti avec trois couches et rapidement, j’ai chaud, j’en enlève une sans m’arrêter, mes compagnons me distancent un peu, je vois Laurent qui se retourne pour voir où je suis. Je sens qu’il a envie que je reste avec eux, j’accélère légèrement pour revenir à leur hauteur. Nous parcourons quelques kilomètres ensemble puis je les laisse s’éloigner, j’ai trop peur pour ma cuisse, je veux tout faire pour finir cette course, même si je mets dix heures. Désormais je suis seul, mais sur la SaintéLyon, nous ne sommes jamais seuls avec ces milliers de participants. Cela ne fait pas cinq kilomètres que nous courrons que la pluie arrive, elle ne nous lâchera plus. Je passe à Saint-Christo au 17ème en 1h58, je ne suis pas aussi facile que d’habitude, mais je me dis que ça peut le faire, à mon rythme sans se mettre dans le rouge. Les premiers chemins sont un échantillon de ce qui nous attend, de l’eau et de la boue. Peu après le ravitaillement, je mets mon vêtement imperméable, car je commence à avoir froid, je sens que la pluie commence à tout traverser et en plus mon ventre me dit que je n’ai pas bien digéré mon repas d’avant course, j’ai déjà ce sentiment d’écœurement qui d’habitude arrive plutôt en fin de course. J’essaie de ne pas me focaliser là-dessus et de temps en temps je double des dossards jaunes, ils font la LyonSaintéLyon, respect. Je pense à Philippe qui la court et je me dis que je vais peut-être le voir.
Comme un parfum de fin du monde
Nous sommes dans la partie la plus montante de la course, je ne suis pas encore arrivé à Sainte-Catherine et je sens que mes jambes sont déjà un peu trop dures. Je pense à cette phrase de mon père « il faut arriver frais à Sainte-Catherine » et je comprends que je ne suis déjà plus tout frais, mais j’ai froid par contre. Et puis il y a cette cuisse qui occupe toutes mes pensées, c’est comme si j’étais à l’intérieur de moi même. J’ai la sensation d’être un équilibriste, le fil de mon muscle peut rompre à tout moment, je le sais, j’ai même une légère alerte à un moment dans une courte descente en bitume. Le moindre faux-pas peut faire ressurgir ma blessure, une descente abrupte, une glissade… et la boue omniprésente ne fait que renforcer mon appréhension. Nous ne courrons plus sur des chemins, mais sur des torrents de boue. Pas un chemin n’est épargné, c’est en permanence de gros splash splash qui accompagnent nos foulées, dans les descentes notre avancée relève parfois plus du ski que de la course à pied. Ce soir nous vivons une scène de l’Ancien Testament, le ciel a décidé de nous punir et si ça continue c’est l’arche de Noé qui va débarquer. Dans les zones descendantes très difficiles, je suis quand même plus rapide que la plupart et je gagne des places. Ma technique des bordures fonctionne à plein,j’arrive même à me faire plaisir. Mais à ce stade de la course, je suis déjà un peu atteint physiquement, j’essaie de me convaincre que je vais aller au bout, je passe à Sainte-Catherine en 3h51, je suis 1304ème, j’ai gagné 350 places depuis Saint-Christo, je poste un petit message sur Facebook en disant « ça va », mais au fond je sais que cela ne va pas si bien.
Une lente descente en enfer
Je repars de Sainte-Catherine en évitant de penser à l’abandon, j’essaie plutôt de me mobiliser sur des pensées positives et puis il faut se concentrer sur chaque appui, les rares portions de goudron nous offrent un peu de répit, mais ce sol dur tape dans les jambes, ce n’est guère mieux. Chaque nouveau chemin offre le même spectacle de désolation, je cherche à peine à éviter les grosses flaques tellement je suis déjà trempé jusqu’à l’os. Malgré toutes ces difficultés, je garde le cap, j’imprime un petit rythme, je passe la pancarte « Arrivée 40 km », elles sont terribles ces pancartes, je me rends compte que je n’ai pas encore passé la moitié de la course, ça me met quand même un petit coup de bambou. Je ne veux pas trop voir la réalité en face, je veux croire que j’irai au bout. Le ravitaillement de Saint-Genou est là, c’est le 41ème kilomètre, cette fois, c’est bon, nous avons basculé dans la deuxième moitié, je me dis qu’une fois que je serai à Soucieu ça ira. Mais Soucieu c’est encore loin, ici je passe en 5h16 et malgré ma souffrance, je suis 1204ème, mais contrairement à mes autres SaintéLyon, ma remontée va s’arrêter là. Chaque kilomètre en plus me demande une dépense d’énergie anormale, je commence même à marcher dans des zones pas trop difficiles. Petit à petit et sournoisement, l’idée de l’abandon fait son nid. La première fois, je la repousse violemment « ça va pas non ! Je ne vais pas lâcher, jamais de la vie je n’abandonne, pense à ton père », et je poursuis vaillamment en reprenant par moment du poil de la bête, en me disant que c’est un mauvais passage et que ça va repartir comme en quarante. Mais cela ne repart pas, au contraire, chaque kilomètre qui passe me fait vaciller encore un peu plus. Mon esprit commence à être embrumé, dans une montée un petit groupe encourage bruyamment tous les coureurs. Lorsque j’arrive, j’entends « Guillaume ? », c’est Elea avec un petit groupe de mon ancien club, des visages que je reconnais, elle me dit une phrase bizarre « Qu’est ce que tu fais là ? ». Je m’arrête quelques instants, je lui réponds un peu bêtement « Ben je fais la SaintéLyon ! », j’ai l’impression d’être bourré, mes mots sortent bizarrement, je lui dis « je suis atteint là » et je lui demande quand même où sont Greg et Cédric que ce petit groupe supporte.
La bascule du côté obscure de la force
Ce moment me fait basculer du mauvais côté de la force. Je ne sais plus trop combien de kilomètres il me reste pour rallier Soucieu, cinq, six, sept ? Ces visages de mon ancien club font aussi remonter mes tourments de ces derniers mois, je ne digère pas et c’est peut-être aussi pour ça que la gerbe couve dans mon bide détraqué, pour ça que mon corps m’a lâché, très dur de le savoir. En tout cas, je pense à toutes ces personnes que j’apprécie dans ce club et ça me met encore plus les boules. Je ne regarde même plus ma montre, cela me demande trop d’effort. L’abandon toque à nouveau à ma porte, cette fois-ci, je ne le repousse pas vigoureusement, je tente de l’écarter, mais je me laisse apprivoiser par ses caresses qui se font de plus en plus pressantes, il s’insinue en moi comme un lent venin dans mon sang, déguisé en un doux liquide sucré. En même temps, je commence à avoir vraiment froid, très froid, cette foutue pluie me glace partout des pieds à la tête. Quand je pense qu’avant la course on se disait, « il ne va pas faire froid ». « Mon cul oui ! », je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie, surtout ce froid humide qui vous transperce de toute part. Je tente de me remobiliser, mais dans un faux plat descendant, je me vois marcher, il me reste encore vingt-sept kilomètres… Avec ces conditions, je dois me rendre à l’évidence, ce sera un calvaire, c’est certainement possible, mais à quel prix pour mon corps ? Depuis quelques kilomètres, les coureurs me doublent par dizaine, c’est aussi un signe.
Quelques larmes dans un océan de pluie
À deux kilomètres de Soucieu, je prends ma décision, je vais abandonner, c’est maintenant clair comme de l’eau de Roche. Je déteste ce sentiment, mais je suis convaincu que c’est aussi ça la sagesse. À partir de ce moment, je ne cours plus, c’est au-dessus de mes forces, mon cerveau a lâché, mon corps ne peut plus suivre, je mets vingt minutes pour parcourir en marchant les deux derniers kilomètres, cela achève de me glacer. Je n’ai plus qu’à attendre l’arche de Noé qui va recueillir le naufragé que je suis. J’arrive à Soucieu, le bip du chrono est anecdotique, j’en suis à 7h14 d’effort et je vais laisser cette SaintéLyon à la 1413ème place, cela ne fait plus l’ombre d’un doute. Je me trouve une petite place dans le gymnase, je sors la couverture de survie dont je vais rapidement comprendre les bienfaits, et je me dirige vers une personne qui semble être la bonne pour déclarer son abandon. « Vous êtes sûr ? » me dit-il avec bienveillance. « Oui, je suis frigorifié, je suis à bout », il me découpe ma puce, une larme vient soudainement, elle se noie dans cet océan de pluie et je me précipite dans le bus surchauffé, mon « arche de Noé », où se tiennent déjà deux dizaines de zombies emmitouflés dans leur couverture de survie. J’ai eu de la chance, le bus démarre aussitôt que je suis rentré, sinon j’étais bon pour une attente interminable. Je prends mon téléphone pour prévenir Karine, ma moitié, j’ai du mal à écrire tellement mes mains tremblent, je lui dis juste l’essentiel, et recroquevillé sur moi même, légèrement réchauffé par l’action de ma couverture de survie doublée du chauffage du bus, je m’endors en essayant de ne plus penser à rien. Un bruit sourd me réveille, c’est un coureur qui vient de se coucher au sol, vomissant proprement dans sa couverture de survie. C’est bien ça, nous sommes des survivants dans cette nuit chaotique. Le bus arrive enfin à la halle Tony Garnier, mais nous pose à 300 mètres. Ces 300 mètres sont trop longs, je tremble de tout mon corps, la couverture de survie saute dans tous les sens, et c’est ainsi que j’entre par la petite porte dans cette halle où l’arche d’arrivée promise va bientôt me faire de l’œil. En franchissant cette porte, une vague d’émotion me submerge, j’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps, mais je me retiens, seules deux ou trois larmes vont couler le long de mes joues. Pour aller récupérer mon sac, je contourne l’arche d’arrivée, je tremble encore comme une feuille et je vois ces coureurs et coureuses qui sont allés au bout. Je ne suis pas jaloux, je suis heureux pour eux et je me dis que je reviendrai. Quand ? Je ne sais pas, il va déjà falloir que je digère cette déception, que je reprenne mes esprits. Là à ce moment, je n’ai plus qu’une envie, me réchauffer et retrouver Karine, ma famille, me reposer, ne plus penser à rien, une petite mort en somme.
(Vous pouvez retrouver mes récits illustrés sur ma page FB dédiée : Guillaume Schroll Running)
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6 commentaires
Commentaire de marathon-Yann posté le 13-12-2019 à 20:21:27
Merci de ton récit, très touchant.
bonne récupération à toi !
Commentaire de Guillaume2S posté le 14-12-2019 à 08:02:23
Merci c'est gentil
Commentaire de JulioK1 posté le 16-12-2019 à 16:33:22
C'est un très beau récit dans lequel on ressent vraiment la souffrance qu'on a tous ressenti durant la course. Désolé pour cet abandon, pourtant tu cavalais bien.
C'est dommage c'est sûr, mais tellement de tout petits paramètres pouvaient mener à une fin comme celle-là dans cette course, qu'il faut pas s'en vouloir. Il faut juste avoir des envies de revanche. C'est aussi comme ça qu'on réalise des défis hors de portée.
Prends le temps de t'en remettre et laisse les mauvais souvenirs de cette course derrière.
Et reviens lui mettre une claque l'an prochain ;)
Commentaire de Guillaume2S posté le 16-12-2019 à 16:39:27
Merci beaucoup
Commentaire de Grego On The Run posté le 20-12-2019 à 20:22:31
Quel récit ! Il me fait tellement penser à ma propre expérience (d'ailleurs on passe à St Christo à la même minute)...et ce froid si glacial qui nous imprègne complètement. Tu relates très bien ce qui nous traverse la tête. Je m'y reconnais totalement... Mais quant à moi la navette c'était à St Genou : et comme j'y étais bien !
Allez on se sert les coudes et on en ressortira que plus fort l'année prochaine.
Bien à toi.
Commentaire de Guillaume2S posté le 21-12-2019 à 10:12:24
Merci c'est sympa! On a dû courir presque côte à côte ! C'est sûr que je reviendrai sur cette course ;)
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