L'auteur : laurentclem
La course : Le Grand Raid des Pyrénées
Date : 28/8/2009
Lieu : Vielle Aure (Hautes-Pyrénées)
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Distance : 150km
Objectif : Pas d'objectif
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Mon récit du Grand Raid des Pyrénées 2009
Nous sommes le mercredi 26 août 2009. Cette fois-ci c’est parti. Je viens de quitter Carry le Rouet pour partir faire le GRP. Ce matin, j’ai couru 40 minutes tranquillement. Depuis presque deux semaines, je n’ai pas bu une goutte d’alcool. Il faut dire que j’avais fait des réserves les deux premières semaines d’août. C’est marrant mais j’ai toujours eu des potes plus rapides à déboucher une bouteille qu’à enfiler des baskets…
J’arrive à Toulouse en fin d’après-midi chez Hervé et Christel, chez qui je vais passer la nuit.
Le lendemain, je repars vers 10h00 après une bonne nuit. A partir de maintenant, je suis seul et à fond dans « le truc ». Je prends la route tranquillement. Alors que je suis sur l’autoroute, d’un seul coup, les nuages se lèvent et les montagnes apparaissent sur ma gauche. En les regardant, de loin, j’ai un moment de stress. Mais qu’est-ce que je vais aller faire là-haut ?
Je me rassure en me disant que je me suis bien préparé. J’ai fait le trail de la Sainte-Victoire sans forcer et la Merrell Oxygen Challenge à Super Lioran En guise de montagne, je me suis fais deux fois le Mont Ventoux et trois fois la Sainte-Victoire. Je n’ai pas fait de sorties longues depuis un mois car je voulais refaire du « jus ».
J’arrive à Vielle-Aure vers 11h30. C’est petit, sympa et ça me plait tout de suite. Je vais directement sous le chapiteau pour récupérer mon dossard. Moins de 10 mn plus tard, j’ai tout : mon dossard, une bouteille de Madiran, un saucisson, une boite de grattons et plein d’autres cadeaux. Le restaurant du village a fait un menu soupe + entrée + lasagnes + dessert + ¼ de vin + café pour 11 €. Elle est pas belle la vie ? Je m’attable et me fait un super déjeuner même si dans ma grande sagesse je renonce au ¼ de vin.
Je me sens un peu seul. Normalement, nous devrions être trois, avec Pascal et Richard. Ils ont malheureusement étés obligés de déclarer forfait tous les deux. Je sais qu’ils sont à fond derrière moi mais j’aurai préféré qu’ils puissent être là. Je penserai à vous les gars ! Après le repas, je me rends 200 mètres plus loin au centre de vacances l’Estibère où j’ai réservé une chambre. Je discute avec le directeur qui non seulement est très sympa mais en plus va faire le 75 kms samedi. Petite sieste et je suis au briefing à 17h00. Je ne sais pas si c’est moi qui suis particulièrement zen ou si tout est parfait mais j’apprécie vraiment l’ambiance. Tout le monde s’est spontanément assis par terre et écoute attentivement le briefing. Il se confirme que la météo ne sera pas trop mauvaise, même si on risque d’avoir un peu de pluie et surtout un plafond nuageux assez bas. On applaudit Mme le Maire et les organisateurs et je retourne à pied à ma chambre par un petit chemin qui longe la rivière. Cinq minutes montre en main.
J’attendais le briefing pour finir mes deux sacs pour les bases vies mais finalement je les emmène sans rien modifier. Dans chaque sac, j’ai mis un change complet, une paire de chaussures, de la nourriture et plein d’autres choses qui ne me serviront à rien. J’ai essayé de penser à tout. Par exemple pour la tête, j’ai mis un bonnet dans le sac de Villelongue en prévision de la nuit à suivre, j’ai décidé de partir avec le buff « université d’Evry » que m’a donné Pascal et j’ai mis ma casquette « ville de Marseille » dans le sac à dos pour plus tard, si on a du soleil.
Vers 19h00, je me rends à la pasta party, toujours à pied. L’unité de lieu, c’est un truc à retenir ! A table, je me retrouve à côté d’un concurrent qui vient de Martigues, à dix minutes de chez moi ! On discute un peu du pays. Evidemment, on a fait à peu près les mêmes trails. Il est comme moi, il n’a jamais fait une distance pareille. Je lui explique que mon record de distance c’est 70 kms à la CCC l’an dernier où j’ai abandonné les pieds en sang et épuisé. Ce n’est pas franchement un bon souvenir. C’est la seule fois où j’ai abandonné une course. Je comprends vite que Didier est nettement au dessus de moi et que nous ne devrions pas nous voir beaucoup. Je rentre ensuite à ma chambre et m’endors vers 22h00, réveil réglé à 3h45.
A 4h00, je suis au petit déjeuner. Les gens du centre de vacances où nous sommes une dizaine de coureurs à être hébergés nous ont tout mis en self-service. Ils sont supers sympa.
Je regarde encore une fois le super road-book que je me suis adapté à partir de celui de Daloan que j’ai récupéré sur le forum. Merci Daloan ! Je l’ai quasiment appris par cœur et cela va beaucoup m’aider pendant la course. Ah oui, un autre truc qui m’a aidé pour ma préparation, c’est le récit du GRP 2008 de « l’agneau ». Je l’ai lu plusieurs fois et je crois qu’il m’a aidé à « comprendre » la distance.
A 4h45, je suis sur la ligne. Je n’en mène pas large et me demande une fois de plus ce que je fais ici. Je suis seul, j’ai l’impression qu’il n’y a que des cadors autour de moi. Je sais que ma seule chance de finir est de bien respecter mon tableau de marche, c'est-à-dire de partir le plus lentement possible en essayant d’avoir toujours une à deux heures d’avance sur les barrières horaires. Sur mon road-book, j’en ai mis une en orange car je pense que ce sera la plus dure à atteindre : Cauterets. L’avenir me donnera raison !
Dans mon esprit les choses sont claires. Sauf blessure, je suis certain d’aller jusqu’à Villelongue. Un arrêt avant Cauterets serait un gros échec. Je pense avoir une bonne chance d’arriver jusqu’à Luz. Au-delà, je n’en sais rien. Je sais que j’ai objectivement peu de chances de terminer mais je suis déterminé à aller le plus loin possible.
Le départ est donné à 5h05. Je trottine pour sortir de Vielle-Aure. Il y a du monde pour nous encourager. J’ai des frissons. Cette fois-ci c’est parti…
La première montée me semble tranquille. Je me retrouve assez vite dans la dernière partie du peloton. Je monte au cardio en essayant de ne pas dépasser 130 pulsations/minute. Plusieurs fois, je me surprends à rigoler tout seul en pensant à l’énormité de ce qui m’attend.
Le jour commence à se lever lorsque nous traversons Espiaube. J’ai l’impression d’être un peu en avance. La dernière partie de la montée au col de Portet est effectivement assez raide. J’arrive au col un peu avant 8h00 (12 kms). J’ai ½ heure d’avance sur mon temps de passage estimé. Il commence à faire beau. Tout va bien. Je fais le plein d’eau, mange un peu et repars…sans mes bâtons ! Heureusement, je m’en rends compte presque tout de suite et reviens sur mes pas.
Je garde un souvenir extraordinaire de la portion Col de Portet/Col de Bastanet. Les lacs se succèdent avec quelques nuages posés à leur surface. Quelques randonneurs campent à droite à gauche. Il fait de plus en plus beau et les paysages sont magnifiques. Dans la dernière partie de la montée au col de Bastanet, un concurrent me double en m’expliquant que les sifflements qui m’intriguent depuis un moment sont des cris de marmotte. J’ai appris quelque chose !
Didier, le collègue marseillais rencontré la veille à la pasta party me double.
Ensuite, jusqu’à Artigues, c’est quand même très technique. Je prends mes deux premières gamelles. Moi qui suis un très mauvais descendeur, je vais à peu près à la même vitesse dans ce type de descentes qu’en montée. Le plafond nuageux est très bas et, autant il faisait très beau « en haut », autant ça se gâte en descendant et j’arrive à Artigues dans une vraie purée de poix. Il est 12h00. J’ai fait 30 kms. Je suis pile-poil dans les temps. Mais j’ai quand même perdu dans la descente l’avance que j’avais prise dans la montée. Ce sera d’ailleurs une tendance générale par rapport à mes estimations.
La montée vers le col de Sencours est rude mais je monte facilement. Je double quelques concurrents. Un peu avant le col, je croise mes premiers moutons bleus. Des moutons schtroumfs ? Pourtant je suis encore tout à fait lucide. Tout le long du parcours, je croiserai des moutons marqués à la peinture (ok, j’ai compris, c’est pour que les bergers les repèrent plus facilement), mais ceux-là sont carrément peints ! Leur berger devait avoir un vieux stock de peinture à écouler…
Je suis surpris en arrivant au col de Sencours de constater qu’il y a déjà des abandons. Nous ne sommes qu’au 37ème kilomètre. Je suis très bien (j’ai repris un peu d’avance) et je me conditionne pour me dire que rien n’a encore commencé. L’enchainement des petits cols qui suit se fait gentiment. Le seul problème est qu’on n’y voit plus grand-chose. J’ai bien fait de profiter du paysage ce matin. Dans la montée du col de Bareilles, alors que je suis seul depuis un bon moment, un concurrent me rattrape à une allure « anormalement » rapide. En fait, il m’explique qu’il était premier au col de Portet mais est parti à l’envers sur la route du retour. Il a pris le col de Bareges pour Bastanet et s’est rendu compte de son erreur après 15 kms ! Le temps de revenir sur ses pas (donc 30 kms en trop au total) et il est déjà en train de me doubler ! Il est donc parti pour faire plus de 180 kms et a décidé de finir quand même. Chapeaux bas mon gars !
En plus, il prend le temps de discuter avec moi et de me donner des conseils de matériels, trouvant manifestement que mon sac est beaucoup trop chargé. Cet épisode me permet de me rendre compte que nous n’avons pas une trop grande différence de vitesse en montée. Par contre, quand j’arrive au col de Bareilles quelques minutes après lui, j’aperçois un point en bas très loin ! Sans exagérer, il doit aller au moins trois fois plus vite que moi en descente. Je me dis donc qu’il faut quand même que je fasse un petit effort en descente et j’accélère. Cinq minutes plus tard, je prends ma troisième gamelle de la journée. Celle-là est vraiment belle ! Je suis un peu inquiet quelques secondes pour ma cheville fragile mais comme je n’ai pas entendu « crac » je suis assez vite rassuré.
Je récupère mes bâtons qui sont partis valdinguer un peu plus loin (jamais les dragonnes en descente) et je repars…calmé. Je me souviens également que c’est dans ce secteur (avant ou après Bareilles, je ne sais plus) que j’ai passé un endroit un peu vertigineux. Une descente sur de la roche très glissante avec une main courante à plusieurs reprises. J’étais seul et j’ai pris mon temps.
Un peu avant Hautacam, je me décide à enfiler ma polaire et ma veste en goretex. J’aurai dû le faire depuis longtemps. Ça fait du bien d’avoir chaud. Je ne m’attarde pas au ravitaillement (55 kms) où je retrouve quelques concurrents et j’entame la descente vers Villelongue. Il est déjà 19h30 et je ne suis pas trop tranquille avec la barrière horaire. J’aimerai bien avoir le temps de me changer et de manger tranquillement. Le début de la descente est pentu et glissant avec des parties dans l’herbe trempée mais oh bonheur, il n’y a pas de pierres. Je décide « d’envoyer » et de courir un moment. Je trottine environ une heure, le temps de me rendre compte que je serai à Villelongue avec une bonne marge sur la barrière horaire. Je recommence donc à marcher tranquillement. La fin de la descente est souvent facile. Je récupère !
J’arrive à Villelongue vers 21h30 (65 kms). J’ai droit aux applaudissements d’un groupe qui me semble être installé à une buvette. Merci !!!
En arrivant au ravitaillement, on m’informe que la course est neutralisée pour l’instant et qu’on ne sait pas encore si on va pouvoir repartir. OK. Je prends mon sac vestiaire et je fais tout ce que j’ai à faire comme si j’allais repartir normalement. Je suis très calme. Je prends quand même un peu plus mon temps. Je change une nouvelle fois de chaussettes en me remettant de la Nok (je l’avais déjà fait à Artigues), j’enfile un tee-shirt propre, je prends mon bonnet, je remets quelques barres dans mon Camel Bag, surtout celles à base de miel et de pate d’amandes. J’ai encore presque tous mes gels dont j’ai de moins en moins envie au fur et à mesure que la course avance. En fait, depuis le début, j’ai surtout mangé du salé. Fromage et pain (je repars en général des ravitaillements avec un sandwich, soupe, charcuterie, tucs. Je prends aussi presque à chaque fois un peu de chocolat et de banane. Côté boissons, en plus de la soupe et de l’eau plate, je prends surtout de l’eau pétillante et parfois un verre de coca. Je papote un peu avec les charmantes dames qui servent à manger et au moment où je m’installe avec mon assiette de pates au jambon, un bénévole vient nous informer que ceux qui souhaitent repartir vont pouvoir le faire sous réserve d’un entretien avec le médecin. Inutile de dire que je suis super content ! Je me sens bien. Je sais très bien qu’à part la visibilité et le crachin, il n’y a pas de problème particulier. Je suis donc volontaire pour repartir. A ma table, il y a une bande de copains pour qui l’attente a mis un coup au moral et qui pensent qu’il est plus raisonnable d’abandonner. Pour ma part, je n’ai pas de doutes. Je me dis que les organisateurs sont très pros depuis le départ et que le gros des troupes étant reparti depuis longtemps, il était beaucoup plus facile pour eux d’arrêter la course et de nous bloquer à Villelongue plutôt que de nous autoriser à repartir. Je vais donc voir le médecin pompier pour l’entretien. Au moment où nous commençons à discuter seuls dans une tente, un concurrent vient nous couper la parole pour lui dire qu’il faut arrêter la course, empêcher les furieux qui veulent repartir de le faire, etc.…Là, je me surprends. Le trail rend zen ! Je le laisse me couper la parole, me traiter de furieux irresponsable, gesticuler. J’attends qu’il reparte et je finis tranquillement ma discussion avec le toubib. Il m’explique que si je décide de repartir, je dois me sentir capable d’aller jusqu’à Cauterets par mes propres moyens. En effet, il y a eu pas mal d’abandons à Turon de Bene, le poste est surchargé et il leur est difficile de redescendre tout le monde. Je lui confirme que je suis bien et à 22h00 je repars, exactement dans les temps de mon road-book.
On nous a demandé de nous regrouper pour des raisons évidentes de sécurité. Je repars seul mais avec deux concurrents juste derrière moi. Ils me doublent dans Pierrefitte et quand la fameuse montée du Cabaliros démarre, je m’accroche, à quelques mètres derrière eux. Rapidement un couple nous rattrape. Richard et sa femme. Nous effectuons la première partie de la montée à cinq. A un moment, ils ralentissent tous et je prends un peu d’avance. Jusqu’à Turon de Bene, je resterai seul mais en m’arrêtant régulièrement pour vérifier que les quatre frontales sont derrières moi. Pendant un moment, la montée devient assez facile, dans les pâturages. Il pleut et on est dans les nuages mais j’apprécie beaucoup ce passage. Il ne fait pas froid. Malgré la très mauvaise visibilité, le balisage est tip-top et très facile à suivre. On repère les bandes fluo d’assez loin malgré le brouillard et la nuit. Par moment, j’entends des bruits juste à côté de moi. Et si je voyais un ours ? En fait, dans cette partie, je ne verrai que des vaches couchées dans l’herbe. Mais quand on les voit subitement à quelques mètres de soi, ça peut surprendre !
La dernière partie pour accéder à Turon de Bene (75 kms) est raide et glissante. On est très souvent dans la boue. Il y a longtemps que j’en ai plein mes chaussures. J’arrive un peu avant mes quatre compagnons. Comme d’habitude, l’accueil est formidable. Un bénévole me prend directement mon Camel Bag pour me le remplir et m’envoie me mettre au chaud dans une charmante petite cabane en rondins. Il y a plein de monde. Plusieurs concurrents ont abandonné ici et attendent qu’on les redescende. J’apprends qu’un taxi doit arriver (sic !!!). Ça surprend un peu quand on est au milieu de la montagne. Effectivement, pendant que je mange (soupe, pain, fromage,…), on nous annonce qu’un Porsche Cayenne vient d’arriver et va pouvoir emmener sept personnes. C’est là que j’apprends qu’il y a encore d’autres concurrents qui attendent sous une tente à côté. Sur les conseils avisés d’un bénévole, j’enfile mon cuissard long, bien que je n’ai à aucun moment eu froid aux jambes. C’est sûrement plus prudent avant d’attaquer le sommet du Cabaliros.
Je repars avec Richard et sa femme, les deux autres ne nous ayant pas attendus. En partant, nous croisons les deux ou trois derniers concurrents qui arrivent à leur tour (tu t’en souviens Pierre ?). Nous avons monté environ 1000m de D+ depuis Pierrefitte en 8 kms. Il reste 800m de D+ en 5,5 kms. Le début de cette seconde partie est assez surprenant. On monte légèrement, on passe des replats, par moments on descend même un peu. Pendant un moment il n’y a pas de chemin tracé et nous avons un peu de mal à trouver les balises. Rien de méchant.
Je me rends vite compte que la deuxième frontale que j’avais prise à la main (une ancienne, sans leds) est beaucoup plus performante que l’autre pour repérer les marques fluorescentes des balises dans le brouillard. Plus loin, le chemin est à nouveau tracé, mais il faut marcher dans des ornières étroites et dans la boue. Il pleut toujours, pas fort mais…bon.
Je glisse pas mal. J’ai à nouveau pris un peu d’avance sur Richard et sa femme que j’aperçois régulièrement en contrebas. La dernière partie de la montée est très sportive ! Pour résumer, c’est droit dans la pente. Et la pente est sévère !
J’ai toujours au moins une balise en visuel, parfois deux ou trois. Ceux qui sont passés de jour ont dû se demander pourquoi il y en avait autant. A cette heure de la nuit, ce n’est pas du luxe. Au bout d’un moment, j’estime que je dois être proche du sommet. Je commence à être fatigué et m’arrête quelques secondes à chaque balise. Je mets finalement encore 30 minutes de plus pour atteindre le sommet du Cabaliros (81 kms). Le road-book parlait de table d’orientation et de point de vue…avec la nuit, la pluie et le brouillard, ce n’est pas tout à fait ça. Je retrouve un bénévole seul en plein vent et j’aperçois quelqu’un dans un abri de fortune emmitouflé dans une couverture de survie. Je lui donne mon numéro de dossard et lui dit ce que je sais sur ceux qui suivent.
J’attaque immédiatement la descente. Je sais que la première partie jusqu’au col de Contente est dure mais après, il est écrit : « pas de difficulté, vous allez pouvoir vous lâcher ». Dès le début de la descente, j’en bave. C’est très technique, très dur, très glissant. J’ai horreur de ça. Je veux m’assoir sur une pierre pour retirer la boue de mes chaussures. Je glisse et je me retrouve assis dans la boue en train de refaire mes lacets. Je ne m’en rends pas encore bien compte, mais mon moral est en train de flancher. Après le col de Contente, j’attaque la descente « facile ». Là, c’est l’enfer. Je suis bien sorti des blocs de pierres et la pente est moins rude mais il y a beaucoup de boue, souvent en dévers, je glisse sans arrêt et je n’avance pas du tout. En quelques minutes, je suis complètement démoralisé. Je tombe ou plutôt je glisse en arrière plusieurs fois. Je vois des lumières se rapprocher derrière moi. Je me fais doubler. Bientôt Richard et sa femme me rejoignent, puis deux serre-files accompagnés d’un concurrent étranger qui nous largue aussitôt. J’annonce aux serre-files que je vais abandonner à Cauterets et que donc je vais descendre cool car j’ai un vrai coup de barre. Les barrières horaires n’ont plus aucune importance. Je suis totalement démoralisé. L’un des serre-files m’explique que nous sommes sur ses terrains d’entrainement et que cette descente est facile…sur le sec. Je veux bien mais nous ne devons avoir la même définition de « descente facile ». Je suis super déçu et dois me rendre à l’évidence : je ne serai jamais capable de faire une distance pareille. A ce moment, je me jure de ne plus jamais faire de trail, et même de ne plus jamais courir.
Vers la fin de la descente, nous rejoignons une route forestière. Tout le monde discute en marchant tranquillement. La femme de Richard a également décidé d’abandonner, mais lui, qui était sur les freins depuis longtemps, décide de partir en courant pour arriver à Cauterets dans les délais. Je le regarde disparaître sans réagir. Subitement, je réalise que le jour s’est levé. Il fait beau, je ne suis pas blessé. Physiquement, je n’ai mal nulle part. Je commence à me poser des questions. Je demande si la fin de la descente est facile et si en accélérant j’ai une chance d’arriver à Cauterets dans les délais. L’un des deux serre-files me répond que oui mais qu’il ne faut pas trainer.
Je gamberge. Je me dis que je n’ai pas le droit d’abandonner sans avoir au moins essayé……et me voilà parti en courant pour les deux ou trois derniers kilomètres. Plus je cours, mieux je me sens. Le moral remonte un peu. J’arrive à Cauterets à 7h38 (91 kms).
La barrière horaire est à 8h00 et j’avais noté 7h00 avec alerte orange sur mon road-book.
En quelques minutes, j’ai retrouvé un moral d’enfer. Je retrouve Richard qui est content de me voir et m’annonce qu’il m’attend. Je téléphone chez moi pour donner des nouvelles et là, Muriel m’apprend que tout le monde crois que j’ai abandonné car le pointage de sortie de Villelongue n’apparait pas sur Internet. Je préviens les bénévoles présents qui règlent immédiatement le problème. Ma famille et mes amis vont à nouveau pouvoir me suivre. Je change de chaussettes (+Nok), je mange, je bois. Deux bénévoles que j’ai déjà vu plusieurs fois viennent m’encourager. Il s’agit de Pépé et Michel. Ils me disent que quelle que soit mon heure d’arrivée sur la ligne, ils seront là. Je leur réponds que même une arrivée à 6h55 dimanche matin me conviendrait très bien et on repart. Il est 7h55…
Richard a une pêche d’enfer et au bout de cinq minutes je lui annonce que je ne peux pas le suivre et le laisse partir devant. Cela ne me dérange pas. J’ai un moral terrible, je me sens bien et d’ailleurs, plus une seule fois je ne songerai à abandonner. Je sais juste qu’il va falloir que je continue à gérer les barrières horaires qui normalement devraient être un peu plus faciles à partir de maintenant. En plus, j’ai tous les cols en tête et même si j’essaie de ne penser qu’au suivant, j’avais dans un coin de ma tête depuis le début que tout ce que je faisais était le minimum et que les choses sérieuses commenceraient après Cauterets. Il est donc normal que je sois là. Les 91 premiers kilomètres ne comptent pas. C’est maintenant qu’il faut être capable d’y aller.
J’ai un bon souvenir de la montée au col de Riou (100 kms). Pendant plus d’une heure, je monte comme au début de la course, à mon rythme et sans faire de pause. La fin est nettement plus difficile et j’essaie de ne m’arrêter « que » toutes les cinq balises. J’entends du monde derrière moi. En fait, j’apprendrai plus tard que c’est Pépé qui débalise. Au sommet, je me fais rattraper par un randonneur très sympa qui se fait plusieurs jours de randonnée en autonomie. Il fait très beau. On se fait le début de la descente tous les deux en discutant jusqu’au parking de Bederet où j’ai trois bénévoles pour moi tout seul. Nous sommes à nouveau dans les nuages. Depuis Cauterets, je suis dernier. Ils n’attendent donc plus que moi pour aller se reposer. On discute un peu. Je les remercie. Une charmante dame me propose du chocolat qu’elle va chercher dans sa voiture. C’est du perso super bon. Je me souviens encore du plaisir que j’ai eu à le manger. Un régal. Merci !!!
Je repars, descend les escaliers très facilement en me disant qu’après plus de 100 kms c’est un bon test. Je n’ai aucune crampe, aucune douleur musculaire et je peux descendre des escaliers sans problèmes !
La descente coupe plusieurs fois la route et je me fais klaxonner par les bénévoles qui repartent. Plus bas, je retrouve mon randonneur qui fait sécher sa tente au soleil, allongé dans un champ. Le temps s’est à nouveau dégagé. Je n’aime toujours pas les descentes mais j’ai un moral d’enfer.
La fin de la descente entre Sazos et Luz se fait sur la route. Pour moi c’est bien car c’est facile. Je calcule que si je cours, je devrais gratter au moins dix minutes de sommeil, arriver à Luz avant 14h00 et pouvoir dormir une heure (la barrière est à 15h30). Je décide donc de courir jusqu’à l’entrée de Luz.
J’arrive à la base vie, toujours bon dernier à 13h54 (111 kms). J’enlève mes chaussures, je repère un lit de camp et je demande qu’on me réveille vers 14h45.
…quelques secondes plus tard, un jeune homme vient me secouer. Il est 14h40 et j’ai l’impression que je viens de m’allonger. Je me réveille donc très facilement. Nous ne sommes que deux concurrents dans le gymnase et tout est très calme. Je mange un peu mais, pour la première fois, j’ai du mal à m’alimenter et je m’occupe de mes pieds. Je me mets un compeed sur un petit orteil. J’ai une ampoule qui ne me fais pas souffrir mais qui recouvre tout l’orteil !
Sinon, côté pieds ça va à peu près. J’ai la plante des pieds toute blanche et molle. Une secouriste me dit que nous sommes tous pareils. C’est à force de courir avec les pieds mouillés. J’avais prévu de prendre une douche mais finalement je décide de ne pas me changer. L’autre coureur, Pierre, est prêt avant moi et me propose de m’attendre. Je lui dis de partir sans moi et que nous nous retrouverons sûrement plus tard.
Je repars vers 15h00, plutôt en forme (enfin tout est relatif !) et avec un bon moral. Je sais qu’il me reste un marathon et 2300m de D+ mais j’essaie de ne pas y penser. Je n’ai qu’un seul objectif : le col de Barèges. Avant de partir de chez moi, j’ai montré le parcours à mon plus jeune fils, Tanguy, et je lui ai promis que si j’arrivai au col de Barèges, je finirai la course. Je repars de la course avec comme d’habitude un sandwich au fromage que je mange en marchant. Je téléphone à nouveau chez moi pour les rassurer et leur dire que « jusque là, tout va bien ». C’est Antoine, mon ainé qui décroche. Il m’encourage et me dit que j’ai quitté Luz à 15h07 ! Je comprends qu’à la maison, ils me suivent en temps réel sur Internet…
Je suis en course depuis plus de 34 heures et il est clair que je suis entré dans l’inconnu depuis un moment. Jusqu’à maintenant, je n’avais jamais passé plus de 16 heures en course ! J’appréhende un peu la suite même si la petite montée au château Sainte Marie me rassure. Je décide qu’il est temps de sortir ma botte secrète : à Toulouse, j’ai emprunté son I-pod à Hervé. Je ne me suis jamais servi d’un truc comme ça, je n’ai jamais couru avec de la musique sur les oreilles, mais je m’étais dit que ça pourrait m’aider sur la fin. Je monte à un bon rythme en écoutant de la bonne musique. J’aperçois Pierre qui est légèrement devant moi.
Soudain, j’entends des voix derrière moi. Ce sont les deux serre-files partis de Luz qui m’ont rattrapé, bien qu’ils débalisent en même temps. Je range donc la musique qui ne m’aura servie qu’une demi-heure (désolé Hervé) pour pouvoir discuter avec eux. Cinq minutes plus tard, nous rattrapons Pierre. A partir de là, Pierre et moi, nous serons frères de route !
Depuis le début, j’essaie de prendre un rythme qui me permette d’avoir entre une et deux heures de marge sur les barrières horaires. Avec Pierre, nous nous rendons assez vite compte que celle de Tournaboup sera « facile » à atteindre. Par contre, les deux dernières ne seront peut-être pas aussi faciles à passer que je ne le pensais.
Nous arrivons facilement à Tournaboup à 18h30 (123 kms). Nous repartons assez rapidement à trois. Alain, notre nouveau serre-file/débaliseur, Pierre et moi. La montée au col de Barèges, malgré la fatigue, sera un pur moment de bonheur. Le ciel, qui s’était à nouveau chargé de nuages se dégage et plus le jour décline, plus il fait beau. La montée est somptueuse avec des replats, des prairies, des rivières qui serpentent. Il y a même de petites plagettes de sable. A un moment, à la nuit tombée, nous observons en contrebas un serpentin argenté. C’est une rivière dans laquelle la lune se reflète. Le ciel est étoilé, les crêtes se découpent, c’est vraiment magnifique. Il est plus facile de monter dans ce cadre que dans le brouillard. Alain m’incite à me forcer à manger car depuis Tournaboup, je ne peux plus rien avaler. Il me donne des abricots secs régulièrement que je mange du bout des lèvres. Je me force à boire un peu d’eau. A ce moment, je sais que si j’arrive à m’alimenter, à part les barrières horaires, rien ne pourra m’empêcher de finir.
Nous passons rapidement la cabane d’Aygues-Cluses ou nous récupérons un peu d’eau. Comme à chaque fois, j’ai des scrupules à faire attendre les bénévoles aussi longtemps. Même si à chaque fois ils nous ont soutenus sans réserve, je me dis qu’ils doivent quand même être contents de nous voir arriver. Derrière nous, on ferme ! Je trouve la fin du col de Barèges interminable. C’est raide et je suis obligé de faire pas mal de poses. Nous retrouvons encore deux bénévoles, un sur la crête et l’autre au passage du col (131 kms).
Nous attaquons la descente vers le lac de l’Oule. Cette descente est très technique et je vais encore vivre un calvaire. Nous allons mettre 2h30 pour faire six kilomètres de descente ! Dès qu’il y a quelques mètres faciles, j’essaie d’en profiter. Je vois bien que mes pas sont beaucoup moins assurés et, comme on saute de pierre en pierre, je descends au ralenti. Je préviens mes compagnons qu’il m’est impossible d’aller plus vite. En plus, je n’aimerai pas me faire une entorse maintenant.
Aux laquets de Coste Queillere, nous arrivons à un campement sur lequel il y a une ambiance très chaleureuse. Les campeurs nous proposent de prendre l’apéro avec eux et nous disent qu’ils en ont déjà pris d’autres avec les concurrents précédents. On s’en doutait un peu ! Nous déclinons l’invitation avec regrets. Alain, notre serre-file, y retrouve par hasard un pote à lui de Toulouse !
On reprend la descente, toujours aussi dure. Depuis la cabane d’Aygues Cluses, Alain n’a pas pu laisser les balises qu’il ramasse à quelqu’un. Il a maintenant un énorme sac à dos mais il a beau devoir débaliser, charger son sac et le porter, il passe son temps à nous attendre. Ou plutôt à m’attendre car ça fait un moment que Pierre a ralenti à cause de moi.
Je suis un véritable boulet !
Nous finissons par arriver au ravitaillement du lac de l’Oule mais nous avons perdu au moins une heure dans la descente. A ce rythme, nous risquons de nous retrouver hors course. Je suis inquiet. Il est plus d’une heure du matin. Avec Pierre, nous discutons de la situation et nous décidons de mettre un coup de booster. Nous repartons donc très vite, sans prendre le temps de discuter vraiment avec les bénévoles qui nous ont attendus si longtemps. Pardonnez-nous !
La montée vers le col de Portet va se faire au pas de charge. Il reste 400 mètres de D+ (soit une Sainte-Victoire, de la rigolade !) et il n’est pas question d’être mis hors course maintenant.
Nous mettons 1h20 pour faire Lac de l’Oule/Col de Portet. Dans nos souvenirs, nous avons l’impression d’être allé très vite, sans faiblir et sans rien lâcher, même au début de la montée qui est très raide. Je crois qu’après 44h00 de course, nous nous sommes bien débrouillés sur cette portion.
A 2h26 au col de Portet (141 kms), nous savons que sauf accident c’est gagné, mais je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet. C’est ridicule puisqu’il reste 4h30 pour faire 11 kms mais j’ai le souvenir de la descente du col de Barèges encore à l’esprit. La première heure, nous faisons environ 3,5 kms. Alain a un GPS et je lui demande régulièrement où nous en sommes. Nous commençons à être vraiment cuits et notre rythme baisse énormément. Pierre a à son tour un gros coup de moins bien. Il titube un peu et a besoin de s’arrêter souvent. J’essaie de me mettre derrière lui mais je me rends compte que nous allons un peu plus vite quand il me suit. De mon côté, j’ai les yeux qui me brulent de plus en plus et j’ai mal sous la plante des pieds.
La fin de la descente est laborieuse. En même temps, nous avons compris que nous allions finir dans les délais et nous ne sommes pas pressés. A Soulan, nous nous croyons presque arrivés mais lorsque nous replongeons dans le chemin en lacets qui relie Soulan à Vignec, celui-ci nous parait interminable. Soudain, je reconnais le chemin pris à l’aller. Cette fois-ci ça commence à sentir bon ! Nous sommes au-dessus de Vignec. Nous avons mis des heures pour descendre mais on s’en fiche ! Il n’est pas 6h00 et c’est gagné ! Nous retrouvons dans le vieux chemin qui descend sur Vignec la femme de Pierre qui est venue à notre rencontre avec une amie. Malgré la fatigue, nous traversons Vignec encore endormi en discutant et en rigolant.
On est heureux.
Je propose même à Pierre de trainer un peu pour passer la ligne à 6h55…mais il n’en est évidemment pas question. Si on s’arrête…on s’endort ! En plus, ils doivent commencer à en avoir marre de nous attendre sur la ligne d’arrivée.
Nous passons la ligne à 6h37, en demandant que nos deux temps soient identiques. Nous sommes derniers ex aequo mais finishers……..Je suis très très ému.
Pépé et Michel sont là. Ils sont incroyables. Ils ont tenu leur promesse. On me donne mon tee-shirt « finisher ». Celui-là, je vais le garder précieusement. On nous propose d’aller sous le chapiteau où les bénévoles sont encore et toujours là.
Honnêtement, à ce moment, je rêve surtout d’aller me coucher, d’autant que je ne peux plus rien avaler depuis plusieurs heures. Mais nous sommes les derniers, ils nous ont attendus, et je vais quand même les voir avec plaisir. Je discute, j’arrive à boire un demi-verre d’eau, on s’échange les numéros de téléphone avec Pierre, je n’en reviens pas d’avoir fini. Pierre me dis que nous pouvons être fiers de nous. Je crois bien qu’il a raison, même si j’ai l’impression d’avoir vécu une formidable leçon d’humilité.
L’objectif est atteint et de toutes façons, avec mon petit niveau, je ne pouvais pas espérer mieux. Nous n’avons pas le niveau de la plupart des coureurs, mais nous avons un « truc » spécial dans la tête.
En sortant du chapiteau, je me rends compte que le jour s’est levé. Je téléphone à Muriel qui est aussi heureuse que moi. J’espère qu’Antoine, Quentin et Tanguy vont être fiers de leur père. J’appelle ma mère qui va être rassurée et va pouvoir arrêter de m’engueuler. Je croise les organisateurs, les remercie et m’excuse à l’avance de ne pas participer à la remise des récompenses. C’est un moment important et j’aurai vraiment voulu être présent mais je ne me sens pas capable de mettre le réveil à 10h00. J’aurai voulu remercier les bénévoles, les organisateurs, tout le monde ! Tout était parfait. L’ambiance était simple, chaleureuse et authentique.
Je vais récupérer mes deux sacs vestiaires et je rentre tranquillement à pied au centre de vacances l’Estibère. Je me couche à 8h00 du matin après une bonne douche. Ça fait 52 heures que je me suis levé. Je dors quelques heures et il ne me reste plus qu’à rentrer sur Marseille. Avant de partir je discute avec le directeur (désolé je ne connais pas ton prénom !) qui pour son premier long a fini le 75 kms. J’arrive à Carry vers 19h30. Fin de l’épisode.
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2 commentaires
Commentaire de benoitb posté le 06-01-2010 à 12:10:00
Merci pour ce récit détaillé, qui nous fait vraiment vivre ta course.
Commentaire de Yvan11 posté le 15-01-2010 à 10:07:00
très beau récit !!
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