Récit de la course : No Finish Line Paris 2018, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : No Finish Line Paris

Date : 2/5/2018

Lieu : Paris 07 (Paris)

Affichage : 1778 vues

Distance : 186km

Objectif : Pas d'objectif

5 commentaires

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Cours, camarade !

Souviens-toi, l’été dernier. Pour ma première participation au 24h de la NFL, je découvrais un format de course extraordinaire, exigeant d’aller au bout de soi tout en permettant d'aller vers les autres. J’avais adoré. D’un point de vue sportif, j’avais fini 4ème, à moins d’un kilomètre du podium. Sans vouloir jouer la revanche, je reviens cette année pour parcourir ce petit kilomètre supplémentaire, bien décidé à lever le pied au moindre bobo, ultramarin oblige. Bref, s’appuyer sur l’expérience de l’an dernier sans revivre la même course, pas simple à appréhender. S'appuyer sur le passé, mais pas trop. Il y a 50 ans, mai 68 : Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi.

Même lieu, mêmes acteurs. Comme l’an dernier, mon frère Laurent et mon fils sont au départ, mais cette fois avec un dossard open pour me tenir compagnie. L’ambiance est à la fête. Après deux tours parcourus ensemble, je vois sur l’écran leur nom et pas le mien, un problème de puce ? On va se renseigner, pas de problème de chronométrage. Retour à la course. C’est parti vite, bien trop vite. Alors que je suis sur les bases inconscientes de l’an dernier (qui me conduiront à franchir le marathon en 4h), je suis 25ème après une demi-heure, puis 13ème après une heure. Infos données par mon frangin, j’ai rangé mon téléphone au fond de mon sac. Pas question de me laisser distraire par le classement. D’abord trouver les bonnes sensations, qui mettent du temps à arriver. Petite pointe à l’aine, gêne à la cheville, comme je dis à mon fils « tant que j’ai mal, c’est que je suis vivant », mais au fond de moi je me pose des questions. Heureusement, au lieu de s’aggraver, ces gênes disparaitront sans bruit.


Mes compères me laissent après 15 kms. Le temps est magnifique, l’ambiance festive. De nombreux coureurs à deux voire à quatre pattes sont là, heureux de tourner sous le soleil. Le speaker annonce le classement provisoire : le premier a 34 km. Je regarde ma montre GPS : 35 km ! Inquiet, je retourne voir le chronométreur, qui me rassure : il a transmis les temps il y quelques minutes, mes tours ont tous été comptés. Je note quand même le décalage progressif de ma montre avec la distance officielle (déjà 800 m, écart qui ne fera que s’accentuer pour atteindre 6 kms à l'arrivée). J’essaie de retrouver le rythme régulier de l’an dernier : ¼ de tour marché, ¾ courus, un ravito tous les deux tours. A l’un de ces arrêts, le chronométreur me chambre : « alors ca y est, tu es premier ? ». C’est de bonne guerre, c’est surtout bienvenu. L’esprit de cette course, c’est d’abord le partage, la convivialité, pas la performance à tout prix. A partir de ce moment, j’oublierai l’aspect compétition pour me concentrer sur le cœur de la course : ouvrir son cœur, et avancer. 

Et il y a beaucoup à faire ! D’abord, trouver des ravitaillements qui me conviennent. Sous la chaleur de la tente, je n’ai envie de rien. Je me force à prendre amandes et pommes, mais les boissons ne parviennent pas à me rafraichir. Heureusement que je trouverai sur le parcours une fontaine d’eau fraiche ! Je commence aussi à plus échanger avec d’autres coureurs : Cédric, avec qui j’avais bien sympathisé l’an dernier, est revenu de Toulon pour participer à la course. Une collègue de la Ville de Paris, avec qui je fais un tour en marchant car elle a le même tee-shirt que moi, me fait remarquer la joie des enfants qui sont si heureux de récolter quelques euros. Je plaisante avec elle : ce qui est sympa, en course à pied, c'est de franchir la ligne d'arrivée, avec ce format de course ça arrive tous les 1,3 kms ! Et les coureurs du 24h, Hugo, qui a l’air très à l’aise pour sa première course au-dessus du marathon, Samuel, tant d’autres. Parfois nous courrons ensemble, parfois nous échangeons deux mots ou un regard, c’est suffisant pour se comprendre. J’attends le bon moment pour discuter avec les kikous Bert’ ou le lutin mais il ne se présente pas.

Les visites s’enchainent, à croire qu'elles sont planifiées. Mon frère ainé vient, nous partageons un tour à la marche (deuxième et dernier tour effectué complètement à la marche), dès qu’il part je retrouve Laurent et mon fils, qui aura couru plus d’un semi (de la graine de champion, je vous dis !), puis mon père pour sa deuxième visite, et notre copain Laurent l’ultrataileur. Le temps passe vite !


C’est déjà le soir, il y a un peu moins de circulation sur la piste, la chaleur retombe et fait place à une douceur bienvenue. Je passe le double marathon dans les mêmes temps que l’an dernier, mais en ayant l’impression d’avoir déjà pas mal pioché. Retour de Laurent qui vient courir 15 km de plus avec moi (plus d’un marathon, ca compte), avec notre ami Eddie, un authentique champion de triathlon. Ce soutien est plus que bienvenue, d’autant qu’Eddie me donne de précieux conseils sur ma foulée (qu’il trouve encore trop rapide) et le ravitaillement. Celui-ci est de plus en plus difficile, je n’en peux plus de manger des amandes et des pommes ! Nous passons ensemble les 100 kms. Quand il repart, Laurent m’informe : au fait, tu es 5ème. Ca me convient, je n’ai pas envie de revivre la course au podium de l’an dernier, d’autant que ce n’est pas la grande forme, à ce moment.

D’ailleurs, dès leur départ je fais une pause technique. C’est l’heure du Nok ! Surprise, je retrouve dans le village mon père (troisième visite !). Nouvelle bonne surprise : une bénévole m’informe : « vous avez de la soupe sous la tente restauration ». Quel bonheur ! Ce bol de soupe allié au salut paternel et aux 10 min de pause me revigorent à un point incroyable. Je repars de plus belle.


J’adore courir de nuit. L’ambiance a changé sur le circuit, aux bus de touriste ont succédé les Ferrari puis maintenant les bus discothèque. A l’immense foule qui profitait du soleil sur la pelouse du Champs de Mars succède une foule tout aussi bruyante, qui accueille avec des cris et des applaudissements les scintillements de la Tour Eiffel. Puis ce sera des fêtards sur la pelouse, de moins en moins nombreux, avant le calme de la nuit.

Vers 2h du matin, je fais un bout de chemin avec Hugo, qui regarde le classement sur son téléphone. Il est premier et m’informe que je suis 3ème. Je lui demande à quelle distance est le 4ème, il me répond : « à trois tours de toi, mais c’est une femme, comme la seconde et la 5eme (à 8 tours), d’ailleurs ». D’un coup, le podium masculin me semble un objectif plus qu' accessible, c’est un véritable coup de fouet (et j’enchaine deux tours complets à 12km/h pour fêter ça)

Il reste 8h de course, j’ai au moins 8 tours d’avance, je suis en forme. Tant que je pourrais maintenir un bon tempo, rien ne pourra m’arriver. Mais il faut rester lucide. J’ai oublié depuis longtemps le rythme régulier des ravitaillements, m’arrêtant moins souvent que l’an dernier, mangeant encore moins. Pas envie. L'expérience de l'an dernier me profite cependant, je sais que dans peu de temps les oiseaux vont se remettre à piallier, puis la nuit va s'éclaircir, et le plus dur sera passé. Je vois peu de concurrents courir, ceux que je vois marchent, ceux que je ne vois pas doivent se reposer, ou au contraire avancent à la même vitesse que moi, quelque part sur le circuit.

Comme souvent, je repense aux entrainements qui ont précédé la course. Aux sorties avec ma Puce en vélo, aux sorties sous la pluie, aux sorties sur la neige. Je repense à ma dernière sortie longue : un couple de canards traversait imprudement la rue, le long de l'Yvette, la femelle s'était faite écraser par une voiture. Quand j'étais repassé, une heure plus tard, son corps avait disparu, mais le mâle était encore là, à l'appeler déséspérément. Désolé pour ceux qui pensaient lire ici le récit héroïque d'un combat contre la douleur, à ce moment je repense à la peine d'un canard.

Et les oiseaux se mettent à piailler. Et la nuit s'éclairci, et le plus dur est passé. J'ai réussi à alterner course et marche toute la nuit. Un concurrent me dit que je suis premier avec trois tours d'avance, Hugo m'affirme que c'est lui le premier, avec deux tours d'avance, mais qu'il ne peut plus courir. Il est 8h.

Hugo ne peut plus courir, mais il marche vite. Il me faut une demi-heure pour lui reprendre un tour. A 8h45, j'ai atteint les 175 kms réalisés l'an dernier, avec 1h15 d'avance. A 9h, je reprends un deuxième tour à Hugo. Je lui fais une tape amicale en le dépassant, en espérant qu'il ne l'interprète pas mal, il m'encourage : « va chercher la victoire ».

Les fantômes de l'an dernier ressurgissent, et s'il y avait un tour non bipé ? Je poursuis mon effort. A 9h30, je prends enfin un tour d'avance à Hugo (qui marche décidément très vite). Dix minutes plus tard, ma famille arrive, la vue de ces visages aimés et joyeux m'arrache quelques authentiques larmes. A 9h55, juste après les 185 kms, je prends un deuxième tour à Hugo, je respire enfin.


Et puis...

Et puis c'est la fin. Je m'arrête au même niveau que trois concurrents du 24h, dont Carole, triple vainqueur ici. Nous nous félicitons mutuellement. Bob-bubulle nous tape dans la main en passant. Embrassades avec ma famille, le téléphone de mon épouse sonne immédiatement : je pense que c'est Macron mais c'est mon frère (qui est parti pour 200 kms de vélo), puis appel de ma mère, toute la famille a vécu la course sur internet.

Et puis j'ai envie de féliciter tout le monde. Hugo, un vrai champion, Cédric, les filles qui ont eu des résultats formidables (3 dans les 5 premiers, bravo Karine, Magali, Kathia!), Cyrille, Samuel, les marcheurs Thierry, Josette, Bert'... tous les concurrents du 24h, les équipages des Joëlettes, je veux prendre tout le monde dans mes bras !

Et puis j'ai gagné et j'ai envie de faire ressurgir sur les murs les slogans de mai 68 : Sous les pavés, la plage ! Prenez vos désirs pour la réalité ! Soyez réalistes, demandez l'impossible !


5 commentaires

Commentaire de DavidSMFC posté le 12-05-2018 à 21:00:28

Un grand bravo Yann, belle revanche et victoire ! Tu as été solide jusqu'au bout.

Je suis déçu de ne pas avoir su que tu étais un kikoureur, j'aurais bien fait quelques mètres avec toi pendant la nuit. Félicitations pour cette jolie performance et ce récit très sympa. Très cool l'aspect "partage" avec la famille, les amis, ...

Commentaire de marathon-Yann posté le 14-05-2018 à 11:02:26

Merci David. J'ai effectivement laissé mes attributs kikourou au vestiaire : trop chaud ! J'aurais bien aimé discuter avec toi, moi aussi, mais tu étais en grande discussion avec Luca une grande partie de la nuit !

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 12-05-2018 à 21:02:56

Bravo pour ta performance et surtout merci d'avoir bien voulu marcher un moment avec moi, ça m'a vraiment fait plaisir !
Je crois que tu risques de revoir une certaine K... à l'ultramarin.

Commentaire de marathon-Yann posté le 14-05-2018 à 11:04:55

Non c'est moi qui te remercie. Sans flagornerie, sans ton récit de l'an dernier (ainsi que d'autres, c'est vrai), je n'aurais jamais goûté à ce format de course. Cette année les circonstances de course ont fait que nous avons moins discuté que l'an dernier, dommage.
J'espère aussi revoir K à l'ultramarin.

Commentaire de Bert' posté le 28-06-2021 à 15:27:08

Il n'est jamais trop tard pour découvrir ton récit et une superbe victoire, qui m'avait bien fait plaisir pour toi !
Tu avait été parfait : cool d'abord, mais aussi bien concentré et discret, pour ne pas dire prudent dans tes intentions.
Une gestion parfaite.
Tout ca me donne envie de retenter l'expérience des 24h !

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