De retour au pays du soleil couchant
Vendredi
Quelle belle journée, ce vendredi 18 octobre ! Je quitte l'école en T-shirt pour rejoindre ma Josette qui a préparé notre voyage en Bretagne. La météo est prometteuse et mon humeur primesautière. C'est sûr, ce weekend a des promesses d'été indien. Il va faire beau et, en plus, je vais donner une leçon à mon petit camarade François qui s’enorgueillit de son temps de 3h29 au marathon de la Liberté. Oh, pas une correction, non ; il est trop mignon, mon François. Juste une petite minute d'avance pour lui montrer qui est le Lutin. C'est vrai, il a douze ans de moins que moi et je ne me suis pas entraîné sur un objectif de 3h30, préparant les filles pour 4h00 au marathon de La Rochelle mais quand même, je suis sûr de moi : le gamin, il va me cirer les pompes dimanche soir.
François nous a trouvé un petit cabanon confortable sur une hauteur à 150m du départ du marathon :
Le chafouin veut faire son modeste et cherche à nous faire croire qu'il s'agit d'une location effectuée par ses soins mais je finis par m'apercevoir à l'extrême déférence du personnel envers mon compagnon et son épouse qu'il s'agit en réalité de sa propre résidence de vacances en Bretagne. Je ne me laisse pas impressionner, j'ai moi-même une caravane Sterckeman dans un hangar près de Soulac, et c'est une quatre places !
Vicomte François-Pierre de Séez
Cela dit, le service et l'accueil sont remarquables en tous points et nous nous apprêtons à passer d'excellents moments avec François et Murielle.
Samedi
Vannes est vraiment une très jolie ville et nous décidons de passer la matinée à la visiter entre deux légères averses.
Pas de panique, je me dis, il faut mieux que ça tombe aujourd'hui que lors du marathon, et puis en Bretagne, c'est bien connu, il fait beau plusieurs fois par jour.
Et l'après-midi me donne raison lors de la balade dans le Golfe aux 365 îles :
Vraiment, la Bretagne est une terre de contrastes à la beauté toujours renouvelée qui m'inspire constamment un sentiment de reconnaissance pour sa générosité.
C'est sûr, tout va bien se passer demain et mon petit François aura sa leçon ...
Dimanche
La chose est convenue : je m'abreuverai à chaque station alors que François se fera ravitailler en vol par son épouse.
Nous ne courrons pas vraiment ensemble mais nous allons nous croiser régulièrement au moment des ravitos. Hi hi, je me gausse car, évidemment, ma stratégie est la meilleure mais laissons la jeunesse faire ses expériences ...
Le départ :
Damned ! Le François part sec et je m'évertue à le suivre à un bon 12,3 km/h de moyenne. Dès après le cinquième kilomètre, nous nous retrouvons à courir parmi les chemins du Golfe poursuivis par un hélicoptère qui nous assourdit de longues minutes. Le terrain n'est pas facile car constitué de sable stabilisé, surface qui a l'inconvénient d'absorber une bonne partie du rebond de la foulée. Heureusement qu'il ne pleut pas car ce revêtement pourrait alors se transformer en crève-marathonien au deuxième tour, pensè-je en voyant le panneau du trentième kilomètre qu'il faudra bientôt recroiser.
Retour dans le port pour un dixième kilomètre en 48 minutes. C'est raisonnable. Jusqu'au semi en 1h43 minutes, tout se passe comme je l’avais prévu. François et moi nous jouons au yoyo et je suis sûr que je vais le poutrer gravement en lui montrant ce qu'est un negative split.
Dix et semi :
C'est peu de temps après le semi que la météo nous rappelle que nous sommes en bord de mer ...
La vache ! Ils appellent ça des embruns ? Moi, j'appelle ça une claque ! Quand je suis atteint par la première averse, je ne puis m'empêcher de pousser un cri de saisissement. Je suis instantanément transformé en serpillière à l'instar des coureurs de mon entourage. Les bretons rigolent et je serre les dents. Les chemins sont devenus spongieux et je pioche pour garder le rythme qui s'avachit progressivement à partir du vingt-cinquième kilomètre. Vais-je partir comme une bouse délavée ou vais-je tenir ? A chaque passage devant les épouses, j'essaie de faire bonne figure mais je me suis fait sèchement reprendre par la météo ... si je puis dire.
Allez Lutin, dis-toi bien que le François, il en bave autant que toi. Le gamin n'est pas plus étanche que toi, non ?
Au trentième, la pluie redouble pour nous accompagner jusqu'à la fin. J'ai l'impression de courir sur des éponges et je ne sais où je trouve l'énergie de pousser sur les quilles pour maintenir une moyenne de 11,8 km/h. Il n'est pas vaillant le Lutin mais il survit, ce n'est pas si mal ...
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Je ne souris pas, j'ai mal. |
François s'est envolé et, malgré mon mauvais esprit, je ne peux m'empêcher d'être content pour lui, preuve que je suis mentalement diminué.
Je n'ai même pas une pensée pour nos héroïques épouses qui supportent comme nous la furie des éléments et qui nous encouragent à chaque point de rendez-vous. Mon esprit est trop détrempé pour cela.
De vingt-cinq à quarante kilomètres :
Mais ça n'en finit pas ces terrains imbibés et tous ces "Floc Floc" ! Par pitié, du goudron ! Enfin, deux petits kilomètres de surface dure, je suis trop épuisé pour retrouver mon rythme et ce n'est que sur le stade d'arrivée que je monte à plus de treize à l'heure, me bottant verbalement les fesses pour m’obliger à accélérer.
3h35'58" dans la douleur : le chrono ne serait pas humiliant si le François ne m'avait poutré de presque six minutes !!! Mais à quoi ça sert d'être vieux et expérimenté ?
Pas moyen d'attendre les épouses dehors, il pleut trop. Nous nous réfugions dans le gymnase où elles finissent par nous apporter des vêtements raisonnablement secs. François ne mesure pas encore la portée de sa perf qui correspondrait à 3h25 dans des conditions normales ; quant à moi, je suis plutôt sonné. A nous voir, on pourrait penser que le marathon nuit gravement au QI :
Lundi
Ce n'est qu'après une nuit réparatrice que nous retrouvons figure humaine. La Bretagne, bonne fille, nous délivre quelques rayons de soleil lors de notre dernière promenade commune. Je retrouve enfin l'esprit Lutin qui m'a manqué la veille.
Raccompagnant François et Murielle à la gare, je rumine la leçon que je viens de prendre, oscillant entre la résignation qui me pousse à ne plus avoir que des objectifs à ma portée et l'envie de m'attaquer à nouveau aux impossibles montagnes du temps qui passe inexorablement.
Bon, pour le moment, le Lutin est petit et François est grand ...
... pour le moment !
Merci à ma Josette pour ses photos et sa patience
Merci à François et Murielle pour l'aventure et l'amitié
Merci à la Bretagne pour être ce qu'elle est
22 commentaires
Commentaire de Jean-Phi posté le 23-10-2013 à 15:08:15
Superbe récit et superbe photos (comme toujours, quel talent de photographe !) ! Qui l'eût cru ? Le lutin se faire poutrer par un François qui n'en demandait peut être pas tant ! Bon, la météo et le terrain ont joué en sa faveur c'est sûr, sinon le lutin fut devant sans problème !
Bravo en tout cas pour avoir bravé les éléments, bravo surtout à ces dames d'avoir supporté et les élément et leurs champions !
Commentaire de totoro posté le 23-10-2013 à 15:38:14
Ben alors mon lutin, tu n'as pas trouvé l'arc-en-ciel consécutif à toute cette pluie ? Merci d'avoir relaté cette déconvenue qui de toute façon, semble d'affecter de moins en moins : début de la sagesse ? Toutefois, tu as encore de bien beaux restes !
Commentaire de Arclusaz posté le 23-10-2013 à 17:01:20
Moi, à ta place, je me serais caché dans une grotte au fin fond d'une forêt sur une ile d'un lac encaissé d'une montagne infranchissable.
Honte sur toi, Lutin.
Tu étais mon idole, tu n'es plus rien. Rien.
Commentaire de Françoise 84 posté le 23-10-2013 à 17:02:55
Bon, c'est quand même très honorable pour un "vieux Lutin sur le retour"!!! Bravo à vous tous d'avoir bravé et vaincu les "embruns" bretons!
Commentaire de Dom 61 posté le 23-10-2013 à 17:16:22
Bravo Francois,belle perf !
Quand à toi Thierry, tu est aussi grand dans la défaite (et l'humour) que dans le poutrage.
Bonne récup à vous deux.
Commentaire de caro.s91 posté le 23-10-2013 à 17:23:04
C'est une belle leçon d'humidité, non humilité, que tu nous donnes là.
En tout cas bravo pour ton humour qui est resté étanche, et félicitations aux coureurs et à leurs accompagnatrices pour cette journée ... très bretonne. Quant aux chronos, chapeau bas à tous les deux dans ces conditions.
Commentaire de philtraverses posté le 23-10-2013 à 19:41:20
ton humour n'est pas soluble dans la pluie et le temps qui passe ne le diminue pas, lui, et c'est bien là l'essentiel. Beaucoup dont je suis aimeraient pouvoir n dire autant.
Commentaire de Mamanpat posté le 23-10-2013 à 21:10:53
Le lutin s'est fait poutrer !!!Mais avec toute son humilité et son humour légendaire !
Merci pour ce nouvel excellent récit et bravo tout de même, pour un vieux... ;-)
Commentaire de Mathias posté le 23-10-2013 à 21:40:46
aie aie aie encore un poutrage de Lutin, mais bon sang, prenez en soin un peu ! ;-)
Merci pour le récit !
Commentaire de Free Wheelin' Nat posté le 23-10-2013 à 21:50:18
Détrempé, mais pas encore hydrosoluble, le Lutin...
Si un poutrage vaut deux arrosages, tu es le phoenix des hôtes du François!
Belle perf quand même, tu étais tout de même rodé pour du 4h?
Commentaire de UfoLau posté le 24-10-2013 à 02:19:11
Salut le Lutin,
Je découvre ton CR et que nous nous sommes croisés sans nous reconnaitre, mais c'est un peu normal depuis l'Ourcq en 2009...
Les conditions étaient effectivement très bretonnes !
Bravo pour ta perf en milieu humide, même poutré... et pour ce CR.
Amicalement,
Lau
Commentaire de blob posté le 24-10-2013 à 08:37:40
Je le savais que je tenais un bon concept avec le T-shirt Manches Longues Kikourou floqué "J'ai Poutré Le Lutin" ! J'en fait partir immédiatement une cinquantaine au flocage
Commentaire de chris78 posté le 24-10-2013 à 12:48:41
J'adore !!!! Merci Lutin !! J'ai passé un super moment à lire ce recit !!
Bravo les 2 champions, ca me conforte dans l'idée que François choisit mal ces marathons
Commentaire de la panthère posté le 24-10-2013 à 18:05:11
bah, t'aurais pu souffrir de la chaleur, il aurait pu neiger.... un lutin ça ne craint pas la pluie!
en tous cas un joli chrono dans ces conditions, bravo!
et une revanche à prendre.......
à suivre...........
Commentaire de bubulle posté le 24-10-2013 à 22:43:47
Pfff, vous êtes déprimants, tous les deux! Même si je fais péter un 3h25 à Toulouse (ce qui est loin d'être gagné, cong), ça ne vaudra pas vos deux perfs sur cette caricature de marathon (il faut définitivement interdire aux bretons d'organiser des courses....ou alors entre eux, quoi, en mode consanguin).
3h30 (ou 3h35) dans cette bouillasse et sur ce terrain, oui ça vaut bien bien bien mieux. Chapeau (breton) bas.
Commentaire de JLW posté le 25-10-2013 à 09:18:54
C'est vrai qu'il me semble que François est un peu plus grand que toi le Lutin. Les longues jambes ça peut aider aussi. Bravo à tous les deux.
Commentaire de co14 posté le 25-10-2013 à 15:01:01
vivement la revanche....PUI LA BELLE...pendant ce temps là, nous, on savoure récits et photos :)
Commentaire de Jay posté le 25-10-2013 à 17:07:46
super et merci pour le partage :-)
bonne récup' .. c'est pas beau de vieillir mais c drôle à lire ;-)
Commentaire de Eric Kb posté le 25-10-2013 à 23:15:45
Pour la poutre on va appeler François: le Charpentier.
Merci pour ce récit plein de vannes ;-)
Commentaire de NoNo l'esc@rgot posté le 27-10-2013 à 18:31:45
Longtemps que je n'avais pas lu un récit par ici (trop loin de la CAP en ce moment). Mais je me suis laissée séduire par la recommandation de Jay sur Facebook. Bien m'en a pris, mon Lutin, tu cours/racontes/écris toujours aussi bien ! Et ce poutrage, je suis sure, trouvera sa vengeance. Le François n'a qu'à bien se tenir !!! La bise de l'esc@rgot.
Commentaire de francois 91410 posté le 27-10-2013 à 20:53:31
L'an dernier, j'ai fait la connaissance de L'Dingo dans le Vercors pendant le week end Kikou ... Il m'a de suite reconnu, et s'est empressé de me dire pourquoi : "toi, t'as un super biographe sur Kikouroù !"
Ca m'avait surpris sur le coup, mais cela se révèle encore vrai après ce récit d'anthologie pour une course qui ne le fut pas moins !!
Merci mon bon Lutin de m'avoir supporté - dans tous les sens du terme - pendant ce long week-end de bonheur, et pendant la course. Y compris d'avoir été mon lièvre d'exception pendant les 25 premiers kilomètres.
Le Lutin était tout ratatiné à l'arrivée, mais il reste grand dans mon coeur.
On recommence quand ?!
Commentaire de philkikou posté le 01-11-2013 à 10:18:26
Ouvrez les vannes et "douchez-moi" !! a dit le Lutin au départ du marathon !!!
Tes voeux ont été exaucé .. Bravo pour la course et le récit
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