L'auteur : bubulle
La course : Ultra Tour du Beaufortain
Date : 17/7/2021
Lieu : Queige (Savoie)
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Distance : 107km
Objectif : Terminer
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Comment en suis-je arrivé là ? Enchaîner à 2 semaines d'intervalle deux des courses de 100km de montagne les plus difficiles qu'on ait en France, c'est un défi pas totalement innocent.
Bien sûr, en des temps où certains athlètes exceptionnels peuvent enchaîner ce genre de choses, et même bien plus (je commance à écrire ceci le week-end où Claire Bannwarth vient de conclure un enchaînement d'un niveau infiniment supérieur), cela pourrait semble presque banal. Ce récit va essayer de montrer que cela ne l'est pas. Surtout, il faut bien le dire, l'année où je passe mes 60 ans et juste après une année entière totalement blanche.
Elle doit d'ailleurs en être un peu responsable, cette année totalement blanche. Les déceptions s'étaient tellement accumulées depuis cette dernière course effectuée, début mars 2020, le Ceven'Trail.
Citadelles, avril 2020 : annulées. UBS : mai 2020 : annulée. GR73, mais 2020 : annulé. Et mon enchaînement initialement imaginé avec le 70km de la Montagn'hard et le vrai objectif, le 100km du Beaufortain....annulés tous deux. PICaPICA, annulée quelques semaines avant de se dérouler. Puis, alors que les courses semblent reprendre, avec une Echappée Belle suivi à distance avec le Trail de Serre-Ponçon en objectif... ce dernier est annulé 3 semaines avant d'avoir lieu (alors que le Trail de Serre-Chevalier a lieu ce même week-end!).
La fin 2020 verra les derniers espoirs s'éteindre avec un re-confinement qui veut dire "annulation" pour mon cher Puy-Firminy, et pour une Origole où je m'étais pourtant inscrit. Et cela continue en 2021 : Raid 28 dans les choux, Tontorrez Tontor (coup de tête pour courir avec notre famille du Pays Basque) annulé début 2021. Citadelles mêmes pas programmées, UBS annulée une deuxième fois et pour couronner le tout, même pas moyen de faire bénévole au GR73.
C'est, je crois, voyant venir tout cela qu'au lieu de ré-éditer le choix de 2020, je choisis de ne pas renoncer au Beaufortain... mais aussi de revenir enfin conclure à cette Montagn'hard qui se refuse à moi depuis 5 ans. Et me voilà donc avec 2 dossards de plus de 100km, à 2 semaines d'intervalle. Je me dis que ces 16 mois de disette n'ont pas été totalement blancs. Au contraire, j'ai pu accumuler pas mal d'expérience en montagne grâce à nos divers séjours qui ont remplacé les courses grâce à la si grande et belle collaboration de ma Super Suiveuse.
Bref, pourquoi pas? Après tout, sans jouer les pessimistes, c'est un peu maintenant ou jamais pour ce genre de connerie. Le passage M5 est quand même aussi un rappel, que je le veuille ou non, que l'horloge du temps tourne inexorablement. Les amis ont beau me bassiner d'un supposé côté indestructible, je sais que ce n'est pas vrai. Mais il faut que j'essaie, sinon je ne saurai jamais.
La reprise des courses avec la Montagn'hard, je viens de vous la raconter, je ne vais pas le refaire. Si vous avez lu le récit, vous aurez vu que ce fut loin d'être facile, avec un résultat qui n'est pas intrinsèquement mirobolant (même temps qu'en 2016, sur un terrain et dans des conditions plus faciles, à mon avis). Mais je suis fier de ne pas voir flanché un seul instant et d'en avoir été au bout. Mais il est vrai qu'il y avait plusieurs sources de motivation pour cela et je sais que je fonctionne aussi avec les motivations mentales sur les ultras.
La deuxième levée de l'enchaînement, ce sont des conditions très différents : je viens sur une course sur laquelle je voulais venir depuis très longtemps. Une course très proche dans l'état d'esprit et la difficulté, de ma Montagn'hard favorite. Une course que j'ai suivie de multiples fois à distance, avec certains bouzinages d'anthologie. Une course qui traverse des paysages que je connais parfois (Roselend, la Crête des Gittes, la Croix du Bonhomme et le Bonhomme, La Gittaz, le secteur des Roches des Enclaves...) ou que je ne connais pas du tout sinon de loin (Pierra Menta, Grand Fond, Hauteluce, Les Saisies....et le départ à Queige). Une course organisée par une figure du trail, ce cher François Camoin, que je n'ai jamais rencontré (sauf de nuit au Chemin du Curé sur la TDS) bien qu'il soit copain comme cochon avec mes grands amis du GR73. Une course réputée difficile dont le taux de finishers souvent proche de 50% dit à peu près tout.
Conditions très différentes aussi pour l'organisation : après avoir imaginé venir de St-Gervais, j'ai renoncé au vu du trajet compliqué pour un départ à 4h du matin. Je viens donc seul (difficile pour Elisabeth de se libérer 2 week-ends de suite), je n'aurai pas d'assistance (et si vous avez lu mes récits précédents, vous savez que la présence de soutiens, sur les ravitos et bases vie, c'est un plus indéniable). J'ai quand même visé large : j'aime toujours, sur un ultra, avoir la veille de la course comme une journée entre parenthèses, la journée où je vais me "mettre" dans ma course, préparer 10 fois mes affaires, entrer dans la bulle. Je viens donc dès le jeudi soir, en train jusqu'à Albertville où j'ai également réservé un hôtel (les M5...enfin surtout moi... il leur faut plus confortable qu'un camping!).
Et le retour, ce sera pareil : non pas à l'arrache le dimanche après l'arrivée de la course, mais le lundi. Si le Beaufortain est comme la Montagn'hard, le dimanche, c'est le jour où on PROFITE : finishers, non finishers, bénévoles, organisateurs, le jour où on partage le plaisir d'être ensemble réunis par notre passion et l'amour pour ces régions si magnifiques que chaque organisateur aime nous faire découvrir. En fait, peut-être bien le jour le plus important, au final, celui pour lequel on est là.
Le moins facile à gérer, avant la course, c'est finalement le zapping permanent que peut devenir une veille de course. Quand on a la chance d'avoir déjà croisé une grande partie des personnes qui vont la courir, ou leurs accompagnants, ou des organisateurs, ou des bénévoles... on peut vite se retrouver avec un jour "tourbillon" étourdissant et usant. Je sais que j'aurai besoin de vivre cette course dans une bulle, il faut donc que je résiste et que je m'y enferme un peu... mais pas trop quand même.
C'est Soffian ("st ar") qui va m'y aider. Après un rapide échange de messages, et comme il vient tout seul de Paris, je vais le récupérer à la gare et nous "montons" ensemble découvrir ce Queige dont j'entends parler depuis tant d'années (il faut avouer que la notoriété internationale de Queige reste quand même à faire).
Avec Soffian, nous avons notre histoire. Déjà, nous partageons ensemble notre amour pour le "Mordor", ces contrées mystérieuses du Sud-Ouest de Paris, essentiellement les Yvelines. Des souvenirs d'Origole (la course improbable où on adore passer une nuit entière d'hiver dans le froid et la boue, sans rien voir, dans de sombres forêts), des souvenirs d'Auffargis (où Soffian participe à l'organisation d'un des plus beaux trails "parisiens" de début d'année), des souvenirs de Raid 28 où je l'ai emmené se geler 19 heures en janvier 2020 à la recherche de grands carrés de ferraille. Et surtout ce souvenir indélébile d'une folle cavalcade vers le Mont Pelat sur le GR73, à la poursuite d'une barrière horaire. Bref, Soffian, c'est un pote, un vrai : "Le Mordor n'est jamais mort".
On va donc passer notre vendredi après-midi à tournicoter près du départ, le temps qu'il puisse s'installer au camping, d'aller chercher nos dossards, qu'on cherche un bistrot où boire une bière (lequel bistrot est... fermé... car la pause de midi, en Savoie, ça doit être sacré). Juste le temps de s'installer dans la course, de croiser un peu de connaissances (en l'occurrence jano et fildar, des habitués au Beaufortain).
Par contre, pas de prolongations : chacun rentre vite vers ses pénates locaux, notamment moi en "redescendant" à Albertville très tôt. La Pasta Party se fera donc en mode très solitaire et anonyme et c'est à 20h que je suis de retour dans mon "hôtel de camionneurs", comme Elisabeth a baptisé le luxueux Fasthôtel d'Albertville quand je lui ai envoyé la photo de la chambre de hobbit. Rien de péjoratif à cela : cet hôtel sera au final bien adapté et même les un peu bruyants artisans portugais et polonais qui l'habitent en partie sont au final bien sympathiques et pas envahissants.
Au dodo à 20h après une dernière vérification du sac et réveil calé sur... 2h du matin (départ à 4h). Oui, j'aime prendre mon temps, donc il faut assumer! L'avantage quand tu te lèves à cette heure dans un hôtel un samedi matin, c'est que tu te mets vite dans ta bulle, vu que tu es tout seul... Ou presque, car au final, au moment de prendre la voiture (deuxième luxe du M5, la voiture), deux autres coureurs se préparent aussi.
J'arrive dans les premiers au parking, je suis dans les premiers au dépôt des sacs de base-vie et je vais me poser dans un coin pour... attendre (évidemment, je suis trop en avance). J'aperçois brièvement les Zouaves (JuCB alias "La légende du Môle" et el_numaxx alias "Super Zouave") qui préparent leurs délires à venir (PTL ou Swisspeaks, je ne sais plus trop...en tout cas, une zouaverie). Pas de Soffian en vue, pas d'autres kikous mais ça tombe bien, je veux garder ma bulle.
C'est que l'objectif est clair : "gestion, gestion, gestion". J'ai tellement lu partout qu'on fait toujours un départ trop rapide sur l'UTB, que j'ai recalculé un roadbook avec un temps lent pour la montée initiale de 1450m, avec 600m/h.
Pour respecter cela, facile, je vais me mettre...tout derrière. Plus difficile qu'il n'y paraît, en fait, vu que le sas de départ est très large. Du coup, après le traditionnel tour de lac, je me retrouve dans les 10 derniers sur le chemin qui démarre la montée. Cela va devenir les 20 derniers au bout du chemin un peu large qui fait les 500 premiers mètres, car j'ai beau aller le plus lentement possible, ça ne va vraiment pas vite. Mais le single track de montée, qui va aller de lacet en lacet sur la route qui monte au hameau bien nommé de Molliessoulaz ("mouille souliers", il paraît, en savoyard), nous voit vite former une belle file indienne qui avance aussi lentement que j'aurais osé l'espérer.
Déjà, vu que le chemin est très très gras du fait des pluies intenses de la semaine, on peut difficilement aller très vite sans s'épuiser et donc, le rythme me convient bien. C'est l'avantage d'être dès le départ dans l'état d'esprit que la vitesse n'aura aucune importance : moi qui suis usuellement si compétitif, je n'ai ici qu'un objectif : passer le plus lentement possible devant l'ami Gilbert Codet qui va nous pointer en haut.
Le plus difficile, quasiment, ce sont les petites sections sur la route. Pas simple, ici, de ne pas piqueter un peu plus fort que les coureurs qui m'entourent alors que je suis dans mon élément. Je résiste. La petite musique de l'Echappée Belle est toujours là : "gestion, gestion, gestion". L'avantage c'est que sur la route, nous sommes gênés...par les voitures! Une noria de voitures de suiveurs qui tentent de monter voir leurs coureurs plus haut, ce qu'ils auront beaucoup de mal à faire car la course traverse sans cesse la route, en une procession ininterrompue de frontales.
Cette montée initiale est finalement très régulière : raide, mais régulière. Nous avançons donc sagement les uns derrière les autres jusqu'à finir par abandonner cette route. Les coureurs se sont, là, plus espacés, et de petits paquets se forment. A partir de là, je vais accélérer insensiblement et avancer progressivement de paquet en paquet pour quand même monter plus à mon rythme plutôt que celui des autres.
Première heure de montée : 570m/h. Si ce n'est pas respecter le plan, je me demande ce que c'est !
Pendant ce temps, le jour se lève lentement : la journée promet d'être belle, le ciel est largement dégagé et on distingue bien les sommets alentours, pour commencer ceux des Bauges et des Aravis, dans notre dos, la vallée avec Albertville, juste en dessous de nous, et les sommets entre Maurienne et Tarentaise sur notre droite. Une bonne façon de me ralentir, c'est de faire des photos, avec mon inséparable webcam à 40 euros de chez D4 (qui fait certes des photos un peu floues quand la lumière est faible).
Mont-Blanc au loin
La deuxième partie de cette montée nous voit progressivement entrer dans un domaine plus montagnard, avec d'abord une traversée d'alpage, vers 1400m, dans un bourbier... innomable, puis une montée en forêt dont on sort vers 1700m et enfin, les 350 derniers mètres de dénivelé dans un paysage plus alpin, mais sur un sentier qui reste assez facile et régulier. Je suis entré un peu plus en mode pacman, sans guère forcer, mais je sais que je suis largement plus loin qu'à mon habitude, probablement aux 4/5 du peloton.
Nous avons déjà été pointés deux fois en montant, cela m'impressionnera durant toute la course : il y a des pointages partout (31 en tout), volonté, comme le dit François, que les coureurs "voient du monde" régulièrement. Le système de pointage est d'ailleurs désormais d'une belle efficacité, réalisé très simplement par les bénévoles avec de simples smartphones dédiés qui scannent à distance les 4 lettres-code inscrites sur notre dossard. Ce système performant (et pas très cher), LiveTrack, a été créé par un habitant de Queige et est réellement impressionnant et bien adapté à des courses de taille moyenne. Il faut que j'en parle à Olivier pour la Montagn'hard. Par contre, il causera des soucis à Jacques pour le Bouzin : résultats difficiles à décoder correctement ce qui fait que nous ne serons finalement pas suivis par Bouzin, sur Kikourou.
Côté suivi, justement, j'ai assuré. J'ai emporté ma balise Capturs : le fonctionnement est encore toujours un peu délicat en montagne, en raison du manque de relais suffisants du réseau Sigfox, mais s'avérera ici utile pour ceux qui me suivent à distance. J'ai particulièrement la volonté qu'Elisabeth qui suit tout cela à distance et s'inquiète évidemment pour son foufou de "Kiki", puisse savoir où j'en suis et comment je vais. J'ai donc prévu, en complément du pointage officiel, de tenter de donner des nouvelles de temps en temps par messages vocaux Whatsapp.
Dans les derniers 100 mètres, je dépasse un coureur avec un petit nounours accroché sur le sac. Il s'agit de Yienyien73, mais nous ne remarquons cela ni l'un ni l'autre... mais n'avons pas fini de nous voir!
Depuis Frette Basse, Albertville, les Bauges, les Aravis
Finalement, Frêtte Basse, 2060m, fin des 1527m de montée. 2h22, 281ème/344. Vitesse de montée : 623m/h. La deuxième heure s'est faite à 713m/h et la fin à 611m/h (j'ai fini par m'ordonner d'arrêter d'essayer de dépasser). Un petit bonjour à l'indestructible Gilbert et nous redescendons rapidement sur le petit ravito de l'Aulp de Tours, simple ravitaillement en eau.
Aulp de Tours, 2h28 pour 2h37 prévues.
Je suis interpelé "Tiens, Monsieur Bubulle". Eh oui, c'est Yienyien73, Aurélien, qui m'a reconnu (ou a bien lu le pseudo sur la casquette). Yienyien, l'an dernier, ce sont des dizaines de SMS échangés alors qu'il était bénévole à la Pierre du Carré sur l'Echappée Belle et où il m'a annoncé quasiment tous les passages des kikous. On ne se connaissait pas jusqu'ici et, eh bien je crois pouvoir dire qu'on se connaît (et qu'on s'apprécie), maintenant.
Nous repartons ensemble... pas pour très longtemps car j'ai en fait froid aux mains et m'arrête pour mettre des gants (nous sommes en fait à l'ombre et il ne fait vraiment pas chaud), avant d'attaquer la montée au Col des Lacs (la descente sur le ravito a été très courte).
Montée qui aurait été sans histoires, s'il ne m'avait pas pris l'idée saugrenue de sortir le téléphone juste avant le passage au col, pour envoyer un message. Or, pour moi qui cours sans lunettes de vue, avec la presbytie d'un sexagénaire (ça me fait bizarre d'écrire ça, je vous rassure), c'est une manip un peu compliquée. Sortir le téléphone de la poche gauche du short, sortir les "lorgnons" de la poche avant (lunette correctrices de près en plastique, très pratiques), sortir le roadbook, regarder le temps prévu au col des Lacs, passer le téléphone hors mode "avion", cliquer Whatsapp. Le tout...en marchant en montée sur un chemin de montagne (et en y voyant flou avec mes lunettes de près). Initiative totalement idiote, qui va se solder par une magnifique gamelle... en montée. Gamelle d'ailleurs spectaculaire puisque le petit vieux réussit quand même l'exploit de tomber et rouler en contrebas du chemin sur quelques mètres. Certes, ce n'est pas un précipice, mais la pente est quand même costaud à cet endroit, j'aurais vraiment pu me faire mal...très stupidement. Je m'en tire avec des égratignures un peu partout sur les jambes, mais le choix va me freiner ensuite pendant un bon moment.
J'étais en fait en train de rattraper Yienyien qui, du coup, repart à nouveau quelques dizaines de mètres devant. Petit arrêt, du coup, au Col des Lacs, pour reprendre un peu mon souffle et me nutrer histoire de revenir sur du positif.
A 7h15, Elisabeth poste "la Capturs le donne tout près du Col des Lacs" et... à 7h16, j'envoie un message bien optimiste (qui ne parle évidemment pas de la gamelle) qui dit que tout va bien, qu'il fait un temps magnifique et que les paysages sont superbes (ça, c'est vrai).
Col des Lacs, 3h15 pour 3h17 prévues, 286ème sur 342. Nous sommes montés dans une espèce de cirque sous le Mont Mirantin, et perchés au-dessus de la vallée de la Tarentaise, 1900m plus bas. Les sommets alentours s'illuminent progressivement, c'est superbe.
Depuis le Col des Lacs
Depuis le Col, on bascule dans un deuxième grand cirque arrondi, avec le Grand Mont face à nous, cirque qui donne en haut sur le Beaufortain via le Col de la Bâthie, mais où nous allons faire un grand détour pour aller "visiter" les ardoisières de Cevins et La Bâthie (nouveauté du parcours de cette année). Je fais la descente assez tranquillement, en suivant à distance Yienyien73 et également une coureuse que je repère facilement, la plus jeune féminine de la course, dossard numéro 1, la chinoise LI Danyang ("Mountain lover, rookie dancer ", c'est sa fiche ITRA qui le dit). Les positions se stabilisent et, peu à peu, on retrouve un peu toujours les mêmes.
Vallon de La Bâthie
Vue à l'inverse de l'image précédente, à droite Col de la Bâthie
Nous redescendons assez rapidement jusqu'à 1750m (je prends mon temps, je me laisse pas mal dépasser), sous le Chalet du Soufflet où nous laissons le parcours d'origine, qui remontait simplement au Col de la Bâthie à 1890m. Le parcours va aller faire un grand détour, par un chemin assez peu roulant, jusqu'aux ardoisières de Cevins et La Bâthie. Au passage, il faudra y remonter d'abord 200 mètres de dénivelé dans les ardoisières, sur un terrain très glissant où je plafonne allègrement à 600m/h alors que, pourtant je dépasse pas mal (dont Yienyien et LI Danyang). Paysage très propice aux photos, mais terrain pas simple.
Pointage aux Ardoisières de Cevins : 4h15 pour 4h13 prévues, 291ème sur 343.
Au-dessus des Ardoisières
Et cela ne va pas s'arranger. Depuis les dernières ardoisières, nous allons traverser une grande combe sous la Legette de Grand Mont et là....on est dans Belledonne! Il n'y a pas vraiment de sentier, on traverse des champs d'autobus pétrifiés, certes moins minéraux que ceux du Col de la Vache (car il y a de la végétation), mais tout aussi totalement impraticables. On n'avance pas, dans cette traversée, c'est infernal. Sur la carte, elle paraît assez courte, mais dans la pratique, c'est interminable. Et cela se termine par 200 mètres de dénivelé très raides pour arriver au Col de la Grande Combe à 2130m. Je mettrai (et pas que moi : tout le monde autour) 1/2h pour faire 1,2km. Quand je dis que c'est Belledonne (où 2km/h est le tarif)!
Tout le monde est plus que content de débouche enfin à ce Col qui sonne l'arrivée dans l'"intérieur" du Beaufortain. Mais quel pensum que ce crochet !
Depuis le Col de Grande Combe, massif du Mont-Blanc, qu'on ne fait plus que deviner
Un peu mieux...
Col de Grande Combe : 4h52 pour 4h38 prévues. 285ème sur 343. Clairement, le roadbook ne connaissait pas la technicité de ce terrain (coefficient de difficulté calculé a posteriori dans CG : 50%, soit une vitesse moitié de ce qu'elle aurait été sur un terrain normal).
9h03, Elisabeth "Capturs me fait des traces chelou mais il semble bien avoir atteint le Col de Grande Combe". Jacques corrige en "Col des Combettes selon Livetrack" (n'empêche que c'est Elisabeth qui a raison, y'a pas de Col des Combettes sur la carte)
LI Danyang demande où est le prochain ravito (qui sera le premier!). Les bénévoles lui répondent "à 3,5km". Un jour, il faudra que je pense à briefer les bénévoles : en montagne, les kilomètres, cela ne veut RIEN dire. On parle en heures ou en dénivelé, ou avec les deux. En pratique, ces 3,5km vont être interminables, car sur un terrain qui monte et descend sans cesse, des chemins assez techniques et des zigzags sans fin dans un paysage par contre magnifique. On est au-dessus des pistes de ski d'Arêches-Beaufort, dans un paysage alpin très sauvage. Des Torrents partout, de la bruyère, des vallons, des hauts, des bas.
Juste après le Col, j'ai eu la surprise de me faire interpeler par... Soffian, un peu tout surpris de me voir là, lui qui pensait faire la course assez nettement devant moi. Nous avons un peu de mal à savoir si c'est moi qui suis en avance ou lui en retard (je n'ai pas regardé la montre depuis le Col des Lacs, donc je ne connais pas les écarts ci-dessus). Autre découverte, c'est Alex Forestieri qui nous rattrape. Comme à la Montagn'hard en fait : il est parti avec May, sa compagne, mais il était prévu dès le départ qu'elle arrêterait à Frêtte Basse et, depuis... il remonte les coureurs. Alex, Soffian, Yienyien, que de connaissances! Tellement que je manque de me reprendre une gamelle dans la petite descente initiale qui précède une laborieuse remontée vers la haut du télésiège des Combettes. Nous allons ensuite nous suivre à distance les uns des autres. Y compris LI Danyang qui commence à devenir bien familière et avec qui je fais le yoyo au gré de ses photos... ou de mes arrêts (pour info, dans ce récit, je l’appellerai toujours pas son nom complet et non par son prénom seul, ce qui est une marque de familiarité trop marquée en Asie… je ne voudrais pas qu’elle me trouve impoli si jamais elle lit ce récit un jour).
Un peu avant le ravito des Bonnets Rouges (qu'on aperçoit), Massif du Mont-Blanc et Pierra Menta
Je dois dire quand même que le ravito des Bonnets Rouges est plutôt attendu, surtout pour le besoin de faire un break après plus de 5h de course. Et, évidemment, il se fait désirer, avec un interminable chemin à flanc où, comme pour tout chemin à flanc, on croit que "c'est là" alors qu'en fait c'est jamais là. Si vous venez de lire le récit de la Montagn'hard, vous savez l'amour que j'ai pour ceux qui tracent les chemins où "c'est jamais là", en Haute-Savoie. Eh bien, en Savoie, c'est pareil, il y a les mêmes vicieux! Comme quoi, hein, les antagonismes locaux, quand il s'agit de faire râler les monchus, c'est tous pareil!
Dans l'intervalle, nous sommes revenus sur le parcours "habituel". Le crochet par les ardoisières nous a pris 1h30. Je pense que le parcours précédent devait durer environ 40 minutes. Il y a donc environ 50 minutes de différence pour l'arrière du peloton alors que les BH ont été décalées de 30 minutes. Je ne le sais pas à cet instant, mais le futur problème est un peu là.
Nous arrivons donc enfin au ravito des Bonnets Rouges. J'ai prévu un assez gros arrêt ici (17 minutes) car je pense nécessaire de me ravitailler de façon notable, surtout en salé : bouillon, jambon ou saucisson, fromage. Là, je dois dire que c'est un peu la déception. Le ravito est quand même relativement peu fourni, il n'y a pas de chaud, le salé est réduit à la portion congrue... et le protocole sanitaire assez strict (et respecté) de ne pas se servir soi-même n'arrange rien. Pour cette dernière partie, je ne peux en vouloir à l'organisation, on applique les consignes générales (pour moi d'un autre âge vu qu'on sait que le satané virus qui nous pourrit la vie se transmet peu par les contacts, mais plutôt par aérosols).
Du coup, je vais effectivement passer 17 minutes sur le ravito, mais je ne suis pas certain d'être d'une grande efficacité. Je regarde le roadbook et là, je découvre la surprise du chef, comme je le dis sur mon message Whatsapp : "Bon, ravito Bonnets rouges et.....bin je suis vachement en retard sur le roadbook, j'ai au moins 30-35 minutes de retard. Parce que le terrain est beaucoup plus technique que prévu, donc j'ai été beaucoup ralenti, mais pas parce que ça va pas bien. Je suis devant Alex, j'arrête pas de le traîner ce type, ça devient pénible... Les barrières horaires sont encore derrière, donc tout va bien".
Chrono officiel à l'entrée : 5h50 pour 5h20 prévues, 280ème sur 343. Le retard sur le roadbook a notablement augmenté depuis Grand Combe. Je pense que le terrain peu roulant, malgré des pentes pas très prononcées, explique pas mal cela.
Pierra Menta, Roc de la Charbonnière, Cormet d'Arêches (où nous allons)
En tout cas, j'en repars avec la même 1/2h de retard pour une descente annoncée compliquée sur le Lac de Saint-Guèrin. Yienyien est reparti un peu devant et LI Danyang est repartie juste devant. Alex Forestieri aussi, accompagné d'un coureur M5 (je le sais grâce à son dossard), que je ne connais pas mais qu'Alex a l'air de bien connaître. En pratique, il s'agit de Claude Schneider, organisateur de la 6000D, je ne l'apprendrai que bien après. Je vais tout simplement les suivre toute la descente. Bon, pour être franc, je serais bien passé devant, ils ne vont pas super vite et surtout bavardent tout le temps. Ce n'est pas que je n'aime pas ce que raconte Alex (il en a tellement à raconter), mais ce n'est pas trop moi, ça de courir en papotant sans cesse. Mon côté ours. Mais la descente est compliquée, c'est pas simple de dépasser et je me fais une raison : après tout, il faut sûrement s'économiser, alors soyons zen!
La descente est effectivement très boueuse et parfois délicate donc nous ne sommes pas très rapides, au final. 6h54 à la passerelle, pour 6h26 prévues, la 1/2h est toujours là. 274ème sur 323. Je vois au pointage que je passe juste derrière Pierre LEBRETON qui... est effectivement breton et sera l'ultime finisher de la course. Lequel Pierre s'avérera plus tard être "barraux" sur Kikouroù. Si on avait su....
Lac de Saint-Guérin
Je dois avouer que j'ai quand même envie de mettre un peu de distance entre le papotage d'Alex et Claude et moi...:-). Ne vous méprenez pas : j'adore Alex et ce qu'il va faire sur la suite de la course est énorme, à l'image de son coeur et de sa simplicité. Mais j'en envie d'être un peu plus dans ma bulle. Donc, je mets un petit "taquet" sur la montée au Lac des Fées qui suit le Lac de Saint-Guérin. En plus, il y a pas mal de randonneurs (le coin est accessible en voiture), ça motive d'avancer un peu plus vite, donc je me sors un peu les bâtons des tripes et j'avance un peu plus vite pendant qu'Alex et Claude s'éloignent derrière.
Taquet tout relatif puisque la vitesse ascensionnelle finale s'avérera être de... 470m/h. Pour ma défense, ça monte en fait avec une pente assez faible.
Bref, en gros, et en dépassant quelques coureurs, me voici rendu au Lac des Fées, deuxième ravito.
Lac des Fées
En bas, d'où nous venons (le Lac de Saint-Guérin est caché)
J'y retrouve Yienyien73 et sa petite famille, d'ailleurs. Ainsi évidemment que notre amie chinoise, barraux, Alex, Claude....bref toujours un peu les mêmes!
Lac des Fées : 7h35 pour… 7h05 prévues. Bref, retard... encore 1/2h! 277ème sur 333 (pourquoi 10 coureurs de plus? Allez savoir...).
Par contre, ce ravito (guère plus fourni que le précédent, j'en ai bien peur : je vais me bâfrer de chips, faute de mieux), j'y passe plus de 20 minutes. Besoin fort de s'hydrater car, en effet, il fait très chaud. La montée est en plein cagnard, sans ombre et le soleil tape fort (c'est un peu la dernière fois, mais ça on ne le sait pas). Je fais donc un raid sur le sirop de menthe (le sirop de menthe m'aide en général à bien engloutir des litres d'eau, ce que je fais moins en course).
Surtout, le souci, c'est que je regarde, par curiosité, où sont les BH. Et là c'est un peu la douche froide : je ressors en 7h55 alors que la BH est en 8h25! Je n'ai plus que 30 minutes d'avance sur la BH, ce n'est pas énorme. Bon, me dis-je, en général, les BH se détendent peu à peu dans les courses, on va gérer et ça va le faire.... Or, il faut noter que les BH sont appliquées très strictement sur l'UTB. Au Lac des Fées, 3 coureurs se feront avoir, dont une arrivée en 8h28. Nous sommes quand même presque 60 à avoir la BH à moins de 30 minutes.
La suite de la montée, vers le Cormet d'Arêches, est du même acabit que le début : un sentier relativement facile avec une pente soutenue, mais pas énorme. Ce serait très confortable et simple... si ce n'était pas par endroits ultra boueux. Ce n'est pas impraticable, mais, sans surprise, cela rend la montée plus difficile, avec une marche moins efficace.
Entretemps, le ciel s'est un peu couvert, ce n'est plus le grand beau. En un certain sens, c'est plutôt bien pour courir car la chaleur était lourde jusque-là, avec le soleil qui tapait fort. Il fait toujours chaud en arrivant au Cormet d'Arêches, mais c'est supportable. On prend les encouragements des quelques promeneurs qui sont là, montés en voiture pas la route empierrée, avant de partir, plus solitaires sur le sentier en direction du Col du Coin. Yientien73 est reparti quelques minutes avant moi après que nous ayons partagés le ravito avec sa petite famille. Alex est à quelques encablures derrière, toujours avec Claude Schneider. Et un peu toujours les mêmes coureurs autour de moi. On dépasse peu, on est peu dépassés, c'est très régulier.
Encore un bout de massif du Mont-Blanc dans la montée au Col du Coin
La montée au Col du Coin se fait malheureusement dans un temps qui est en train de se boucher. Les nuages ont maintenant couvert les sommets. Il y a de temps en temps quelques échappées ça et là, soit du côté Beaufortain, soit du côté Tarentaise, mais on ne peut que deviner la beauté du paysage.
Col du Coin, devant sur la gauche
J'ai assez peu de souvenirs de cette montée finale aux 2390m du Col du Coin, où je passe 276ème sur 325, en 9h01, juste derrière Yienyien et juste devant LI Danyang. Retard sur le roadbook : 36 minutes. Je suis donc monté un peu plus lentement que prévu, mais guère.
La "vue" depuis le Col du Coin. La traversée sur la droite part vers le Lac d'Amour
La descente sur le Lac d'Amour est normalement un bonheur pour les yeux, avec la Pierra Menta qui se dévoile et doit nous dominer de ses 2714m. Mais ce qui domine, maintenant, ce sont les nuages. Descente courte, plutôt en traversée, dans du pierrier, donc pas très rapide.
Arrivée sur le Lac d'Amour
Et, juste au Lac d'Amour, qui est-ce que je retrouve : eh oui, c'est Soffian qui est là, qui m'indique un petit coup de moins bien (il était 5-10 minutes devant depuis que nous nous sommes aperçus au Col de Grande Combe). Nous pointons ensemble au Lac d'Amour, 275 et 275èmes juste derrière LI Danyang et pas très loin de Yienyien. 9h22 pour 8h39 prévues, le retard sur le roadbook est passé à 43 minutes sans que, pourtant, je n'aie vraiment l'impression d'avoir été lent. Il est probable que le road book surestimait un peu la vitesse sur un terrain globalement pas super roulant. Nous ne le savons pas, mais nous sommes toujours 33 minutes devant les BH.
La magnifique vue de la Pierra Menta depuis le Lac d'Amour!
Début de la montée au Col à Tutu. Engageant, hein ?
La montée au Col à Tutu, c'est du plus costaud. Elle est assez courte (300D+), mais bien raide. Soffian va y avoir un gros coup de moins bien et va s'arrêter un moment. Je continue vaille que vaille, pas à une très grande vitesse, mais toujours avec l'idée de gérer la course sans me mettre trop dans le rouge. On le voit en principe depuis le bas, le Col, mais là, il ne va se découvrir que brièvement lorsque nous y arrivons à ce "Passeur de la Mintaz". Alors en fait, il faut savoir que, dans le coin, quand on appelle un col un "Passeur", c'est que, en gros, on peut passer....mais qu'il faut s'attendre à du pas simple. En fait, en savoyard, "passeur" ça doit vouloir dire "pas simple" ou bien "passage où c'est rigolo de voir la tête des monchus".
Passage de monchus
Le fait est que, alors de du côté de la montée, c'est certes rustique mais à peu près civilisé, du côté de la descente c'est... eh bien en fait tout, sauf un sentier. En gros, il y a un passage un peu moins vertical que tout le reste, on a piochouillé un genre de trace là-dedans, on a appelé ça "sentier", on a dit aux Messieurs de l'IGN de mettre des pointillés sur le carte et hop, voilà, ça nous fera un col que, plus tard, on y donnera le nom d'un certain Tutu qui, paraît-il y est passé un jour alors que ce n'était pas vraiment un chamois des montagnes.
Bref, déjà, les chiffres qui vont bien, vu que même là, on est pointés par deux bénévoles perchés sur les quelques cailloux qui servent de col : 9h53, 265ème sur... 269! Non, je n'ai pas les serre-file aux fesses, mais en fait les pointages ont été arrêtés juste après nous. En effet, un peu avant moi, un coureur s'est gravement blessé dans la descente et les bénévoles sont plus occupés à essayer de faire venir l'hélico des secours qu'à pointer les coureurs qui passent. Il faudra au final pas loin d'une heure, je crois, pour arriver à faire monter un hélico dans le brouillard et évacuer le pauvre blessé.
La descente est vraiment très acrobatique. L'organisation l'a équipée de cordes fixes qui sécurisent quand même bien car, sans elles, elle serait vraiment très difficile, largement en désescalade et, surtout, sur un sol encore très humide. Il va me falloir 10 minutes pour descendre les 100 premiers mètres de dénivelé. Et je ne me suis pas arrêté pour regarder le paysage vu qu'on ne voit rien du tout (dommage, la Pierra Menta est juste 150m au-dessus de nous).
Le Col à Tutu, c'est par là-haut
La pression monte, aussi, juste en passant en haut, on entend la radio "les serre-file au Lac d'Amour". Euuuuuuh, mais c'est le truc juste en bas, là, ça. On commence à sérieusement avoir les BH aux fesses, il n'y a pas à dire.
Pourtant, 9h51 pour 9h08 prévues, le retard sur le roadbook est toujours le même qu'au Lac d'Amour.
Mais la pression augmente et je commence à essayer de me "dépêcher". Le seul problème, c'est que, eh bien, ce n'est pas simple. La liaison vers le Refuge de Presset est plus ou moins à niveau une fois descendus les 100m acrobatiques du Col à Tutu. Mais c'est tout sauf roulant. Donc, en gros, on "marche-court" plus qu'on ne court réellement. Le tout dans un bruit d'hélico permanent puisque les secours sont toujours en train de chercher le passage dans les nuages pour atteindre le blessé là-haut.
Le Refuge de Presset, c'est en face....enfin, je crois
Le Refuge de Presset, nouveau ravito (le troisième, seulement : les distances entre ravitos sont assez longues) se dessine enfin et nous y arrivons après un dernier petit raidillon. Soulagement.
J'ai très soif mais n'avait plus guère l'envie de tirer sur la St-Yorre tiédasse des gourdes. Je vais donc faire un raid à nouveau sur le sirop de menthe. Je dois avoir les intestins barbouillés de vert. Ce qui doit faire un drôle de mélange avec le jambon et le fromage que j'engloutis avidement en me disant que j'ai certainement besoin de salé. Je crois que j'essaie d'envoyer un message, mais bien évidemment, ici, de réseau il n'y a point. Donc, à la maison, il faudra qu'Elisabeth se fie à la balise Capturs ou bien aux pointages. En pratique, elle arrivera très bien à me suivre avec les pointages de grande qualité qui sont réalisés sur la course.
Le pointage, justement. Je suis entré sur le ravito en 10h23, j'en ressors en 10h35. 266ème sur 321. Yienyien est 10 minutes devant, et mon autre repère, LI Danyang, est 3 minutes devant. Elle repart d'ailleurs juste devant moi. Le tout fait 51 minutes de retard à l'entrée, 46 en sortie (un des rares ravitos où je suis resté moins longtemps que prévu). C'est que la pression a monté environ d'un cran. Je sais que la BH au Cormet de Roselend, où j'ai prévu de passer 45 minutes, est en 12h45. Donc, si je veux tenir ma durée prévue d'arrêt, je dois y être avant 12h de course. Ce qui laisse... 1h25 pour faire les 8km qui m'en séparent....mais 8km avec 170D+ très raides et une descente de Grand Fond que je sais être très très longue.
Bref, là j'ai carrément la pression pour les BH. Donc je me dis qu'il n'y a qu'une solution : faire une grosse descente (car je ne m'attends pas à des miracles sur la montée au Col). Effectivement, je crois me rappeler d'une montée du Col plutôt pénible et poussive. Je pense que c'est là que je commence à ressentir la fatigue héritée de la Montagn'hard car, malgré l'envie d'avancer plus vite, je ne reprends guère de terrain sur les autres coureurs (très éloignés les uns des autres) et il me semble même me rappeler m'être plutôt fait dépasser.
Il faut dire que ça monte quand même un peu, ce Col de Grand Fond
Col de Grand Fond, sommet de la course. Là aussi, la vue doit être superbe, mais tout ce qu'on y voit... c'est l'immense étendue de neige de la descente!
Je pointe en 10h57, 263ème sur 318 (les places gagnées le sont probablement autant à cause d'abandons que de progrès réels). Toujours 1 minute derrière ma finalement fidèle compagne de course, LI Danyang (avec qui je n'ai en fait pas échangé un mot) et, par contre, plus de 1/4h derrière Yienyien73 (mais 20 minutes devant Soffian). Le roadbook disait 10h07, donc ma montée a bien été un peu plus lente que prévu : 475m/h, pas super glorieux (en fait en général ma vitesse sur les toutes fins de course).
Mais c'est dans la descente que j'ai prévu de "tout donner". Descente qui commence... à skis! En effet, depuis les 2664m du Col jusqu'à environ 2300m, tout est enneigé. Normalement, on devrait pouvoir gagner pas mal de temps là-dessus car le terrain doit être normalement très minéral et très peu roulant. Je tente un peu de ramasse au départ, mais le succès n'est pas énorme, à part sur les 2 premiers lacets où il est possible de descendre tout droit dans la pente. Le temps que j'y gagne est par contre perdu en prenant le temps de mettre les gants aux mains pour les protéger un peu.
Par la suite, c'est beaucoup plus difficile car la trace est largement en dévers descendant, donc avec trop peu de pente pour faire de la ramasse. Et, surtout, la trace a tellement été creusée par les coureurs précédents qu'on descend en fait dans deux rails séparés par une arête de neige parfois tellement haute qu'elle remonte au genou voire... juste sous l'entrejambe. Bref, si on glisse, on perd sur le dos et on s'écrase les parties non prévues pour cela dans la neige.
Donc, la seule solution est une espèce de descente en "coulé-glissé" plus ou moins efficace, en suivant le rail. Et, dès que la pente devient plus raide, en s'agrippant un peu aux bâtons pour éviter les gamelles. Cela me prendra 25 minutes pour descendre les 300m enneigés, environ.
Le col, il est là-haut !
Par contre, après, je lâche tout. Là où usuellement je veillerais à l'accorder des répits en marchant rapidement dans cette descente peu prononcée, là je cours, cours, cours, Forrest. L'objectif est clairement de gagner un maximum de temps pour le ravito. Je ne regarde pas la montre, juste devant et essayer de ne pas tomber sur ce sentier, certes assez facile, mais parfois piégeux.
Vallon de la Neuva
Et surtout boueux. Ce n'est pas peu dire. C'est parfois un cloaque. Il reste souvent de la neige ça et là, qui a fondu. Surtout un nombre incalculable de traversées de torrents, tous plus en crue les uns que les autres, des morceaux d'alpages complètement détrempés, c'est le royaume de l'eau.
On passe où? Droit dedans !
Et Forrest Bubulle, là dedans, il fonce, il avale les coureurs un à un. LI danyang était parmi les premiers, mais il y en a beaucoup d'autres. Et je ne m'accorde aucun répit. J'essaie juste de penser un peu à boire car je sais que le piège est de se déshydrater sur ce type d'effort, même si le soleil ne tape pas.
J'ai rangé les bâtons dans le dos, pour ne pas être tenté de les utiliser pour m'équilibrer et, au final, me freiner. Je pense que je vais vite, vraiment vite. Ce n'est pas le "flow" habituel qui arrive souvent sur une course (avant, en général, un gros coup de massue). Non, là, j'ai juste, non pas le feu... mais les barrières horaires, au cul. J'espère juste qu'ils les décaleront peut-être un peu (car je sens bien quand même qu'il y a quelque chose de pas normal : je sais qu'il y a encore beaucoup de coureurs derrière).
Cette Combe de la Neuva est vraiment très très longue, je le savais. Mais le fait d'aller aussi rapidement me le cache un peu...du moins jusqu'à la jonction avec le sentier du Passeur de Pralognan où on retrouve le parcours de la TDS, donc une terre connue. Je me rappelais de cela, je me rappelle de Ponpon avec sa cloche, à cet endroit. Par contre, ce dont je ne me rappelle pas, c'est que cette section de chemin de 4x4 fait 2 kilomètres et demi.
Plats. Désespérément plats, ou presque. Là, ce n'est plus la même affaire. Courir sans cesse serait possible, mais suicidaire : "ne jamais se battre contre le terrain, c'est toujours lui qui gagne". Je passe donc en mode Cyrano, avec la bonne vieille marche nordique entre les deux sections courues. Et de la belle marche nordique, je dois dire. J'ai beau ne pas avoir pratiqué sérieusement depuis un moment (la seule fois où j'ai voulu le faire, en juin, je me suis pris une énorme gamelle suite à une erreur de planté de bâton entre les jambes et un superbe auto-croc en jambes), la technique est toujours là. Je m'applique même à marcher sans *jamais* reprendre la poignée des bâtons en mains : travail entièrement à la dragonne, y compris le planté de bâton. C'est en général très efficace mais pas trop facile à tenir longtemps car cela demande pas mal de concentration. Mais là ça marche parfaitement. Du coup, les sections marchés sont à 7-7,5km/h et les sections courues (je vise les légères descentes pour cela) le sont à 9-10 environ.
C'est très long, du moins ça me paraît une éternité, mais les 2,5km sont finalement parcourus en 19 minutes, donc une moyenne de 8km/h. Si seulement on pouvait tenir cela tout le temps...:-)
Entrée au ravito du Cormet de Roselend (là je regarde la montre car c'est primordial de savoir) : 12h07. 262ème sur 323. J'ai donc gagné... euh, eh bien 1 place! Là, il faudra m'expliquer.
L'ennui, surtout, c'est que je n'ai rien gagné sur le roadbook. Je n'ai pas eu la lucidité de le calculer, mais me voilà désormais avec 1 heure de retard.
Et donc, de toute façon, j'ai toujours autant les barrières horaires au cul. Je suis toujours persuadé que la BH de 12h45 est en sortie, donc que je dois sortir avant 12h45 de course. Donc, autant dire que le temps que je voulais m'accorder, je ne l'ai pas. Je vais donc m'organiser méthodiquement pour faire ce que je pense indispensable : me changer car je sais que cela fait toujours du bien, puis manger, de préférence chaud. Et m'hydrater autant que possible avec du salé, du salé et encore du salé.
Cela fonctionne pas mal jusqu'à malheureusement découvrir qu'à cette base-vie, eh bien il n'y a malheureusement pas vraiment autre chose que sur les autres ravitos : les sempiternelles assiettes de chips, fromage, jambon, du pain où, à chaque fois, il faut demander d'en mettre quelques morceaux dans notre récipient en vertu d'un protocole sanitaire . Aussi divers trucs sucrés que je néglige toujours, à part mon rituel morceau de banane et 1 ou 2 quartiers d'oranges.
Mais surtout, j'attendais de la soupe, des pâtes, au moins du bouillon, que sais-je encore ? Mais là, rien. La soupe, il n'y en a plus. Eh oui, je vis ce que vivent souvent, j'en ai peur, les "roulettes de queue". Et donc, au final, ma grosse pause s'écourte un peu d'elle-même, il n'y a plus rien d'autre à faire que de repartir.
Je rends le sac de base vie...toujours pas de Soffian, j'ai vraiment peur pour lui que ça ne le fasse pas (en fait, ça le fera : il arrivera juste à la BH et sera le dernier autorisé à repartir d'extrême justesse pour, malheureusement, devoir abandonner au Col de la Sauce, totalement vidé car il n'aura pas eu le temps de se restaurer correctement). 22 coureurs seront arrêtés ici par les BH (7 d'entre eux étaient déjà hors BH au Lac d'Amour, mais la BH ne semble pas y avoir été appliquée). Ajoutez à cela les 3 hors BH au Lac des Fées et les 5 aux Bonnets Rouges. Moi je trouve que ça fait trop.
En pointant en sortie, je vois LI Danyang qui... abandonne. Et nous échangeons nos premiers mots de la course, elle avec qui j'ai quasiment partagé à peu de distance toute cette course. En fait, je n'étais pas sûr qu'elle parle français (mais on aurait sûrement pu s'en sortir en anglais mais, en fait, je suis assez réservé avec les personnes que je ne connais pas et elle doit l'être aussi), mais c'est bien le cas et elle m'explique qu'elle préfère arrêter là car elle a le genou qui ne va pas très fort et que son objectif est plutôt l'UTMB. On se souhaite bonne chance, moi à elle pour cette future course et elle à moi pour le reste de l'UTB. Bon, j'espère que mes souhaits à moi sont plus efficaces que les siens, vous allez vite voir pourquoi.
Bref, je ressors en 12h38, donc... 7 minutes avant la BH officielle. Car, même si cette BH est en fait en entrée du ravito, en pratique il fallait aussi être sorti du ravito immédiatement! Retard sur le roadbook : 46 minutes.
Nous ne sommes plus que 257 en course. Je suis aux alentours de la 230ème place (nous sommes pointés en sortie mais ce n'est pas publié), ayant gagné une trentaine de places....par le jeu des abandons!
J'ai déjà regardé que la prochaine BH est à La Gittaz, en 17h30 de course. Cela me laisse 5 heures, or le roadbook en a calculé 4. Donc, logiquement, si tout va bien, la pression devrait se détendre. Je repars donc confiant et avec moins de pression. Tout le monde m'a dit que le plus dur sur l'UTB, c'est 1) ne pas abandonner à Roselend et 2) ne pas se faire prendre par les BH à Roselend et qu'après ça se détend. Donc, je gomme un peu ces fameuses BH de mon esprit.
Je me suis fait une image mentale de la section à venir, que je connais mal... tout en sachant à peu près à quoi m'attendre : une petite descente au niveau du Plan de la Lai, remontée assez raide au Tunnel du Roc du Vent, section de crête en deux parties, coupée par le Col de la Sauce, via la superbe Crête des Gittes. Partie plutôt montante mais pas très raide. Traversée Croix du Bonhomme-Col du Bonhomme que je connais déjà mieux (bin oui, je l'ai parcourue...deux fois) et qui est un peu piégeuse, puis longue descentes Col du Bonhomme-Chemin du Curé-La Gittaz, qu'on m'a annoncée très boueuse.
Rien de vraiment effrayant et je pars vraiment très confiant. Le message vocal enregistré à Roselend le dit d'ailleurs sauf qu’il ne sera reçu que bien bien bien plus tard, faute de réseau "ça va bien, mais alors les barrières horaires, c'est hyper chaud. Là, je les ai au cul, le temps de faire le ravito. Le temps de faire le changement, je vais repartir avec les barrières au cul, carrément. Ça va le faire, je pense que je vais bourriner un peu jusqu'à la Gittaz, si j'y arrive et puis, après, c'est plus lâche. En fait, ils ont rallongé le truc (NDLR : le parcours avant Roselend), mais ils ont pas changé les barrières horaires (NDLR : en fait si, de 30 minutes) donc y'a plein de gens qui vont se faire choper. Soffian, j'ai un peu peur, parce que là, je l'ai laissé en route. "
Donc, je repars, apparemment avec l'intention de "bourriner". Marrant, je ne m'en rappelais pas...:-)
Totalement seul. Du moins le crois-je jusqu'à ce qu'on coureur me dépasse sur le chemin de 4x4 en faux plat montant qui est commun avec le début du Col de la Sauce (souvenir TDS), en trottinant, le gars. WHAT? Il est dingue, lui.
On apreçoit "un peu" l'Aiguille de Grand Fond, avec un peu d'imagination
Deux autres me rattrapent dont un me "reconnaît" avec la casquette. Il est apparemment lecteur de Kikourou sans être contributeur très régulier. On papote quelques minutes ensemble dans la montée. C'est lui qui m'apprend que le gars qui vient de nous dépasser est juste un relayeur qui démarre son relais, en fait. Je comprends mieux!
Mes deux compagnons provisoires sont par contre assez bavards et, vous me connaissez, ce n'est pas trop ma tasse de thé, surtout à ces moments de la course, donc dans la petite descente qui suit, vers un alpage, je m'échappe "discrètement" en dévalant allègrement comme un gros cochon dans des tonnes de boue. Ce chemin est totalement immonde, on ne sait plus si c'est un ruisseau ou un sentier. Un cloaque total. Mais je me lâche un peu, histoire d'aborder la montée suivante dans ma bulle.
Le Roc du Vent, c'est là haut, dans les nuages
La Montée du Roc du Vent, je ne la connais pas, donc je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Bon, en regardant vers le haut, ça ne semble pas si simple, et plutôt raide. On commence quand même par une partie de route 4x4 où je m'efforce de mettre de la distance avec l'arrière... et essayer de "viser" les coureurs devant... qui sont assez loin. Cette route de 4x4 va laisser largement la place à un sentier très raide qui en coupe les lacets (en fait, elle monte où nous allons). Un vrai mur par endroits. J'y monte plutôt bien même si je sens que c'est un poil poussif. En tout cas, je prends un peu de distance avec mes suivants, et je rattrape peu à peu des coureurs devant (2 ou 3, je ne sais plus). En fait, la partie raide fait "seulement" 220D+, montés à un peu moins de 600m/h ce qui est très honorable à ce stade.
S'ensuit une traversée légèrement montant jusqu'au "fameux" tunnel du Roc du Vent, la curiosité locale, qui sert en fait à passer du versant S au versant N du Roc du Vent, qui surplombe les Lacs de la Gittaz et de Roselend. Certainement un très bel endroit... quand on y voit quelque chose. Là, eh bien... on est dans la purée de pois. Donc, la vue différente.
Tunnel du Roc du Vent
Encore 2 bénévoles perdus au milieu de nulle part. Hallucinant de voir que cette course en mobilise autant. Bien sûr nous sommes pointés... et on nous prévient de faire attention à notre tête dans le tunnel, surtout à la sortie. Conseil qu'apparemment un coureur n'a pas suivi et s'y est un peu ouvert le crâne, je crois dans les coureurs de tête.
Le tunnel est carrément éclairé. J'imagine que ce n'est pas en permanence et que c'est un aménagement de la course. De toute façon, j'ai sorti la frontale.
Roc du Vent, 13h41 pour 12h46 prévues. J'ai donc 1h05 de retard. Même maintenant, je ne sais trop qu'en penser. Je pense avoir fait une bonne ascension et, pourtant, j'ai "perdu" près de 20 minutes. Allez comprendre. Je ne le sais pas, cependant, et je reste confiant.
Normalement, la vue à la sortie du tunnel est superbe, avec le Mont-Blanc qui doit sembler "tout près", le lac et le hameau de la Gittaz tout au fond de leur vallon, 700m plus bas, probablement l'Aiguille Croche et le Joly visibles au loin, bref, un arrêt photo en théorie. Donc, je fais la photo.
La vue à la sortie du tunnel
Ce qu'il se passe ensuite, j'ai du mal à m'en rappeler. Je pense que c'est là que quelque chose s'est cassé. Je sais que nous sommes à 2200m et que nous allons monter à 2400 d'abord sous la crête puis sur celle-ci. Le terrain n'est pas très facile, donc normalement on marche et ça avance. Mais, en pratique, je me dérègle petit à petit. Au début, je ne m'en rends pas vraiment compte. Simplement, j'ai arrêté de remonter des coureurs et je me fais même un peu lentement rattraper. Sur la gauche, c'est très raide et sûrement un peu impressionnant, mais on n'y voit pas grand-chose, donc je ne suis même pas tétanisé. J'avance juste lentement.
Le vent est très fort et balaie les nuages, il ne fait pas très chaud, mais étant en montée, je préfère rester en débardeur et j'avance... vaille que vaille.
Ce qui est un bon coup de massue, c'est la montée très très raide qui va nous amener du versant N de la crête sur la crête elle-même. Un peu plus de 100D+, 3 lacets et 11 minutes. Ce n'est pas grand-chose mais je m'y traîne... ou du moins est-ce que je pense vu que je monte à 600m/h.
Et ça ne s'arrange pas trop ensuite, jusqu'aux 2450m au-dessus du Col de la Sauce, puis dans la descente qui nous ramène aux 2300m dudit Col. Je me sens lent.
Ambiance entre le Roc du Vent et le Col de la Sauce
Arrivée au Col de la Sauce
Col de la Sauce. Toujours la purée de pois et ce vent frais. Un merci rapide à la bénévole qui nous pointe dans cette ambiance un peu de fin du monde.
241ème. 10 places de perdues. Quand je vous dis que quelque chose s'est cassé ici. 14h34 pour 13h41, je suis par contre resté presque à la vitesse prévue par le roadbook. Finalement, je devrais parfois le regarder, ce roadbook, ne serait-ce que pour corriger mes impressions du terrain car ce que je sais, c'est que je repars du Col avec l'impression d'avoir une énorme montagne à grimper pour atteindre le Refuge de la Croix du Bonhomme, sur cette Crête des Gittes, si belle... mais actuellement si inhospitalière.
En fait de crête, c'est quand même une montée continue de près de 200D+ jusqu'à plus de 2500m. Ce sera très franchement un chemin de croix. J'ai fini par remettre le coupe-vent pour ne pas prendre froid, mais bien que je n'avance plus trop, j'ai trop chaud. En plus, moi qui croyais avoir laissé Alex et Claude Schneider loin derrière...je les vois me reprendre...et me dépasser inexorablement. Je ne profite même pas trop des petites échappées dans les nuages, qui nous font voir par moment le vallon des Chapieux ou même pendant un petit moment de la belle vue vers les environs du Col de la Seigne.
L'arrivée à la Croix du Bonhomme est un peu une délivrance, même si toujours très pénible. Je suis content de revenir en terrain de connaissance et cela me rend un peu d'optimisme. J'y suis pointé 250ème (encore 9 places de perdues!), il n'y a plus que 20 coureurs derrière (ça, évidemment, je ne le sais pas). 15h27 pour 14h20. Là aussi, très près de la vitesse prévue par le roadbook.
J'en repars confiant. C'est maintenant globalement descendant jusqu'à la Gittaz, il faut juste gérer. En plus, le début jusqu'au Col du Bonhomme, je "connais" (bin oui, je l'ai monté à la TDS et descendu une fois sur un tour Enclaves-Tête des Fours depuis les Contas). Donc, ça va le faire tranquillement.
Malheureusement, pas tant que cela. Le terrain est très cahotique, il y a pas mal de petits névés qui coupent le chemin normal, déjà pas facile à trouver (beaucoup de fausses traces sur cette section très fréquentée du TMB). De plus le balisage est réalisé un peu à l'arrache, avec des rubalises coincées sous des cailloux : on sent que les baliseurs ont manqué de piquets ici. Donc, il faut un peu chercher son chemin et j'y perds en fait pas mal de temps. Je cherche à m'économiser en courant sans courir. Je n'ai pas regardé la montre une seule fois et ai l'impression que, malgré le sentiment d'aller lentement, j'ai un peu de marge. Je me demande a posteriori ce que cela aurait fait si j'avais regardé.
Surtout, je ne me rappelais pas que c'était aussi long, cette partie. Il y a en fait près de 2km et cela va me prendre près de 1/2h. Cela me semble interminable, notamment avec ces incessantes traversées de névés qui ralentissent beaucoup et empêchent de prendre un rythme.
Col du Bonhomme. 244ème (où ai-je doublé ces 6 coureurs, je me le demande bien). 16h01 pour 14h50 prévues. En fait, je perds inexorablement du temps. Le roadbook n'est pas faux, il est juste un poil plus rapide que je ne peux l'être.
Et c'est parti pour la descente sur La Gittaz. En fait, je ne sais pas trop ce qu'il se passe, là. Tout d'un coup, je sens la fatigue monter et la lucidité me quitter. Jusque-là, j'étais lent mais "focus", là je deviens flou. La descente vers le Chemin du Curé est un peu un chemin de croix (oui, elle est facile, celle-là). Normalement facile, elle est détrempée et très glissante, ce qui n'aide pas. Je manque de précision et je vois les coureurs défiler un à un.
Juste un peu de lucidité pour faire une photo du Col du Bonhomme, au-dessus
Pourtant, le paysage de cette fin de journée est superbe car les nuages se sont un peu dissipés et on voit bien le vallon des Sauces.
Tout à l'heure, nous étions là-haut (à gauche, Crête des Gittes)
Mais cela ne change pas grand-chose : quelque chose est en train de casser et, surtout ce gros coup de mou m'inquiète. C'est à peu près là que l'idée d'arrêter commence à poindre.
Et cela, vous savez déjà que c'est rarement une bonne nouvelle. Quand on commence à penser arrêter, on a malheureusement souvent fait la moitié, sinon plus, du chemin. Je ne descends plus que mécaniquement, en marchant. Plus d'énergie pour courir. En fait, dans cette descente, c'est le bilan que je fais : je n'ai manifestement plus d'énergie pour courir, dans une descente certes rendue un peu difficile par la boue, mais que j'aurais certainement courue.
Et plus ça avance, moins ça s'arrange. J'atteins péniblement le Vallon des Sauces, je cherche le pont où on est censés traverser le torrent et dont le me semble de souvenir de la TDS, mais il n'est pas là. Peut-être n'a-t-il jamais été là, d'ailleurs.
Sur le Chemin du Curé, je ne profite pas vraiment de l'étonnant chemin sculpté dans la roche, que je peux enfin voir. Tout juste si je pense à faire une photo.
Le coureur devant moi n'est pas beaucoup mieux. Je le vois d'ailleurs chuter lourdement sur le Chemin du Curé et, après avoir pris de ses nouvelles, je décide de finir la descente avec lui, maintenant certain à 90% que je vais arrêter. J'ai eu le temps d'y réfléchir : je me sens très fatigué. Il ne faut pas se voiler la face, c'est mon enchaînement de courses qui me rattrape. Est-ce vraiment raisonnable de repartir alors de La Gittaz alors que je ne suis pas loin de m'endormir, que je sens la fatigue m'emplir la tête? Est-ce raisonnable pour moi, mais encore plus, est-ce que ça l'est pour Elisabeth? Je l'imagine devant le suivi live, à guetter les chronos, à comparer avec le roadbook, et à voir que j'ai inexorablement pris du retard. Je sais que je ne pourrai pas lui donner des nouvelles à La Gittaz où il n'y a pas de réseau. Est-ce vraiment raisonnable de repartir ainsi? Elle ne connaît pas bien le secteur, mais moi, si. Après La Gittaz, c'est la montée au Col de La Gittaz, le passage sous les Enclaves, le Lac Noir, le Sallestet, le Pas d'Outray. Des endroits loin de tout. Je fais quoi si je me mets à tomber de sommeil à ce moment, ce que je pressens qu'il va se passer après la longue et monotone (et dure) montée depuis La Gittaz ?
Tout cela m'amène à la conclusion simple : ce n'est pas raisonnable. Vidé comme je le suis, repartir serait presque dangereux, et pour moi...et pour les bénévoles. Je fais quoi si je deviens incapable d'avancer au Col de la Gittaz en pleine nuit ?
L'ultime chance que je me donne, c'est d'essayer de dormir au ravito, c'est ce que je dis à mon compagnon qui pense aussi arrêter.
Alex Forestieri (je ne sais plus comment il était repassé derrière) me rattrape une fois de plus, à nouveau devant son grupetto qu'il abandonne à chaque fois peu avant les ravitos pour prévenir qu'ils arrivent. Impossible de le suivre.
S'il fallait me convaincre encore un peu plus, la toute petite remontée depuis le torrent jusqu'au hameau, malgré les encouragements des suiveurs encore présents, va s'en charger. J'y avance tel un escargot, mécaniquement.
Du coup, arrivé au ravito où je pointe en 17h01, donc 35 minutes avant la BH (1h22 de retard sur le roadbook, encore 11 minutes de perdues), je tente l'ultime recours : je demande s'il y a un endroit pour dormir. La responsable du ravito m'amène au seul endroit possible : l'arrière de leur fourgon, où elle a mis un matelas. Je m'y étale vaille que vaille et règle le réveil 20 minutes plus tard (donc avec 10 minutes de marge sur la BH). Mais je pense qu'au fond de moi, j'ai déclaré forfait et, en fait, je ne suis pas assez fatigué pour faire ce mini somme réparateur qui avait si bien marché à la Montagn'hard.
Je crois que je finis par me lever environ 10 minutes plus tard, sans avoir dormi, toujours dans le même état. Et ce n'est définitivement pas raisonnable de "tenter le coup". Je n'ai pas cette motivation et cette envie de terminer à tout prix qui pourraient m'emmener au-delà de cela. Je sais que cela sera un chemin de croix. Et surtout le même chemin de croix pour Elisabeth. Toute la nuit. Je n'ai pas le droit de me faire ça et de lui faire ça.
Alors, je fonce voir le bénévole posté en sortie et je m'empresse de lui faire cliquer sur "abandon" avant de le regretter.
C'est fini. C'est raté, l'UTB. C'était trop difficile et trop ambitieux.
Mais, en me dirigeant vers la navette et même plus tard, et même en écrivant ce récit, aucun regret. C'était juste trop difficile pour moi. Non, les copains qui me donnez parfois de gentils commentaires sur la capacité qu'il peut m'arriver d'avoir à dépasser les moments difficiles, non, je n'en n'ai pas plus que d'autres. Quand c'est trop difficile, c'est juste trop difficile. Il faut l'accepter.
Et, surtout, il faut garder avec moi les images de cette belle journée (même les photos de la purée de pois de la Crête des Gittes sont belles, vous ne trouvez pas ?), des bons moments passés sur le parcours : la rencontre avec Yienyien, la gamelle idiote en montée au Col des Lacs, les échanges silencieux avec LI Danyang, le moment passé en route avec mon ami Soffian, la descente de folie du Col de Grand Fond...allez, même ce fichu Col à Tutu qui n'a de Col que le nom...et même les ravitos, certes un peu légers mais tellement accueillants...et même les paysages cachés par les nuages...ou cette arrivée au Refuge de la Croix du Bonhomme avec les randonneurs qui font leur popote dans leurs tentes.
Une grande et très belle journée... sans une nuit de galère à se battre contre les BH. Evidemment aussi, sans le passage de la mythique arche d'arrivée avec les derniers coureurs. Mais, malgré tout une journée et un souvenir magnifiques, qui ne donnent évidemment qu'une envie : revenir terminer le chantier l'an prochain.
Et, s'il fallait finalement me convaincre que c'était un bien beau week-end, la journée qui suit le prouvera, avec l'arrivée des derniers finishers, dont le désormais ami Aurélien, qui est plus Aurélien que Yienyien, maintenant. Avec bien sûr l'ami Soffian. Et aussi l'ami Alex qui aura fini par ramener son grupetto à bon port, après une épopée de ravito en ravito et de BH en BH.
Et bien sûr, aussi, l'arrivée de Yienyien73
Et le tout conclu par notre kikoureur barraux, l'ultime finisher de cet UTB, dont je découvre finalement que c'est lui le breton qui a pris cette superbe gamelle sur le dos devant moi... sans salir son drapeau breton accroché sur le sac.
Et je ne vous détaille même pas le reste de l'interminable journée de ce dimanche, même sans le repas d'arrivée entre coureurs, qui sera quand même un beau moment de partage avec tous : bénévoles, coureurs, amis du GR73 et l'inoxydable François Camoin, grand prêtre de cette belle grand'messe du Beaufortain.
Gilbert, serre-file
Et, de toute façon, en fait, l'ultime finisher de l'UTB, c'est moi! La preuve...ma voiture est, à 16h30, la dernière à quitter le parking.
A l'an prochain, Queige!
Presque un an après, au moment de préparer l'UTB 2022, supposé être "La Revanche", j'ai relu ce récit, notamment pour retrouver les temps de passage et me faire un roadbook (vous savez, les trucs que je ne respecte jamais?).
Mais, un an après, il s'en est passé des choses. Et ce "quelque chose qui se casse", cet "épuisement" qui arrive inexplicablement, je crois que je sais mettre un nom dessus : BAV, alias "Bloc Atrio-Ventriculaire", un problème cardiaque qui fait que le coeur plafonne et n'arrive pas à battre assez vite dans l'effort. La description de ma montée depuis le Roc aux Vents, puis la descente du Bonhomme sont frappants : c'est cela qu'il se passait.
Heureusement que j'ai abandonné. Heureusement que j'ai, un mois plus tard, abandonné au bout de 4km sur l'Echappée Belle Traversée Nord. Sinon, je ne serais peut-être plus là pour écrire cette suite, victime d'une syncope quelque part en montagne.
Et donc, c'est maintenant avec une "assistance électrique" (un pacemaker) que je m'arrête à prendre le départ d'un UTB rallongé de 10 kilomètres (le tour du Lac de la Girotte), mais confiant que, si je respecte mes temps de passage de 2021, je pourrai aller au bout.
On se retrouve donc dans 6 semaines et je vous dirai quoi....dans un autre récit.
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7 commentaires
Commentaire de Scoubidou posté le 01-08-2021 à 20:05:18
Merci pour ce récit, j'ai eu beaucoup de plaisir à te lire. Aller jusqu'à la Gitaz deux semaines après avoir achevé la montagn'hard, c'est une performance que je serais incapable de réaliser et qui invite au respect, bravo !
Commentaire de Cheville de Miel posté le 02-08-2021 à 13:06:42
Toujours un Bonheur à lire tes récits! Ce sera un rendez vous réussis pour 2022!!!
Commentaire de jano posté le 03-08-2021 à 00:28:55
Récit fidèle à l'habitude, précis.
Tu y reviendras bien reposé mais méfie toi quand même, tes endroits difficiles, j'ai, toujours les même sasn être allé à la, montagnhard.
Et pour le balisage avant le col du bonhomme, ça a souvent été annoncé (cette année je ne sais pas), c'est à cause de la réserve naturelle qu'ils ne peuvent pas mettre les fanions. En principe rien d' ailleurs mais ils mettent quand même quelques rubalises en plus du balisage GR.
Commentaire de Mazouth posté le 03-08-2021 à 09:27:40
Je suis encore loin d'avoir fini la lecture, mais sur la légende de la photo du col des Lacs tu as écrit col du Coin... tu devais encore être sous le choc de ta gamelle ;)
Commentaire de bubulle posté le 03-08-2021 à 11:19:06
Diable, quelle impardonnable erreur, la peste soit de mon incroyable distraction. Mais je sais que mes lecteurs savent être d'une précision aussi soigneuse et leur fais donc confiance pour trouver les failles spatio-temporelles de mes récits. J'ai bien sûr rétabli la vérité, grâces t'en soient rendues.
Commentaire de Mazouth posté le 03-08-2021 à 11:57:11
Maintenant que j'ai fini de lire (au détriment de ma productivité professionnelle ce matin je l'avoue), je te félicite pour cet enchaînement MH-presqueUTB qui était très ambitieux mais dont il ressort beaucoup de positif il me semble. Même si tu n'es pas allé au bout du parcours tu as bien fait de venir, ne serait-ce que pour te donner l'envie d'y retourner (tu m'as aussi donné envie d'y retourner d'ailleurs...)
Commentaire de st ar posté le 12-08-2021 à 06:46:32
J’ai parfois du mal à comprendre certains abandons sur un ultra. Le tien a été mûrement réfléchi, tu l’expliques très bien. Je n’avais jamais considéré l’état de stress du suiveur ou de la suiveuse derrière son écran. Pour le coup ton abandon je le comprends et je dirais “sage décision” en effet.
Arff...Cette fois, mon “booster” du mont Pelat était lui même en train de batailler avec les barrières horaires...Si j’avais su que j’avais autant chaud aux fesses bien avant le Cormet et si j’avais pu surtout, je me serais accroché à toi...très beau récit et merci pour tes mots Christian
À bientôt
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