Récit de la course : La Montagn'Hard - 109 km 2022, par truklimb

L'auteur : truklimb

La course : La Montagn'Hard - 109 km

Date : 2/7/2022

Lieu : St Nicolas De Veroce (Haute-Savoie)

Affichage : 1830 vues

Distance : 109.3km

Objectif : Terminer

20 commentaires

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La Montagn'Hard et les sept péchés capitaux

D’après Wikipédia, les sept péchés capitaux sont les péchés qui entrainent tous les autres. Ils sont « capitaux » au sens où ils sont la cause, donc à la tête, d'autres péchés ; ce sont des mobiles pour commettre tous les crimes. N’étant qu’un vil pécheur, mais tout de même pas un criminel, voyons comment je les collectionne tous, mais en conjuguant cela à la sauce trail, avec supplément bonne ou mauvaise foi haut-savoyarde.

La luxure

La Montagn’Hard, c’est ce parcours brutal d’environ 110 kilomètres pour un dénivelé compris entre 8000 et 8500 mètres. C’est pas hyper rigoureux, ça varie en fonction des tracés GPS, des informations glanées sur les différentes pages du site internet, du règlement de la course, du briefing de départ et de l’âge du capitaine. C’est comme ça, ça fait partie de la légende. Mais même sans avoir les chiffres précis, tu sais que la Montagn’Hard, c’est une orgie de pentes raides, une débauche de cuissots flagellés par des descentes interminables, des membres gonflés par les montées abruptes. C’est raide et dur à la montée, c’est raide et dur à la descente, et c’est même raide et dur sur le plat. Ah non, en fait y’a jamais de plat…

Face à ce monstre, il faut arriver armé. N’étant pas au point physiquement (je le suis rarement…), je mise tout sur un roadbook de qualité inégalable. Un homme averti en vaut deux, dit-on ; je vais donc compenser les lacunes du corps par la richesse de l’esprit. Des soirées durant, je peaufine les temps de pause aux ravitos, la difficulté du terrain, le coefficient de fatigue, la perte de vitesse due à la nuit et tous les paramètres possibles et imaginables pour aboutir à ce chef-d’œuvre :


Sauf que, dès le sommet du Joly, j’aurai déjà trente minutes d’écart par rapport à la théorie, écart qui ne fera que s’agrandir au fil de mes pérégrinations alpestres. Cette fresque, aussi majestueuse soit-elle, représente donc du pur onanisme intellectuel trailistique.

Certains des collègues que j’observe sur la ligne de départ se parent quant à eux d’une luxure d’avantage matérialiste, à base de potions plus énergétiques les unes que les autres, de vêtements qui te compressent de toutes parts, de montres à 700 dollars qui ne donnent même pas l’heure mais qui bipent toutes les 27 secondes pour te rappeler je ne sais quoi… Pas de doute, le néo-trailer est là. Tous ces machins c’est stylé, ça fait super pro et ça rassure, mais te fais pas d’illusion, ça sert à rien à part à te faire plaisir. Luxure…

La colère

Là où mon roadbook est correct, au moins, c’est sur l’heure de départ. Je me retrouve donc à Saint Nicolas de Véroce ce samedi à cinq heure du matin, entouré de quelque trois cent guerriers, qui eux ne sont pas venus armés de roadbook mais de bâtons, en plus de tout le reste. C’est assez malin, d’ailleurs j’en ai moi aussi car je compte également sur le matériel pour pallier mon piètre entrainement. Mais, comment dire, aaaaah, les bâtons… Déjà dans le sas de départ, où ils ne sont pourtant pas très utiles, j’en ai reçu un dans le mollet. Sur la montée du Joly ensuite, je ne compte plus les participants qui auraient mieux fait de ne pas s’embarrasser à les prendre. A part faire pic-pic au sol, ils n’en font rien. C’est peut-être pour être raccord avec le bip-bip de la montre, va savoir. Je ne prétends pas avoir la poussée de bâton d’un Martin Fourcade ou d’un Xavier Thévenard, mais j’essaie quand même de m’en servir. Là, les gars les prennent en balade ; j’imagine que le bâton doit être rudement content d’avoir pris l’air à la fin de la journée, et le vendeur dudit bâton satisfait d’avoir vendu sa tige en carbone hors de prix. Le problème, c’est qu’à chaque fois que le pinpin devant moi regarde sa montre, boit une lampée ou se gratte le cul, c’est un grand coup de bâton vers l’arrière, que je tente d’esquiver pour ne pas finir embroché ou éborgné.

A la quinzième attaque subie, j’explose d’un « putain mais tu peux pas faire gaffe avec tes bâtons ! », auquel le gars se contente de retourner un laconique « Oups, pardon… ». Je passe surement pour un gros con, mais en même temps j’ai l’impression qu’on s’est tous donnés rendez-vous. Petit florilège de glands qui m’ont mis en rogne sur la crête entre le Joly et l’Aiguille Croche :

  • Celui qui dégaine son appareil photos et s’arrête au beau milieu de la crête, juste à l’endroit où c’est impossible de doubler. Insupportable.
  • L’autre, son copain surement, qui sort sa Go Pro pour faire un 360° et raconter sa vie : « Oui alors là on a passé le Pic Joly, tout va bien, je suis encore en forme et… ah oui pardon ça vous dérange de pas pouvoir passer ? Oui juste un instant je termine mon panorama… Qu’est-ce que je disais déjà ? Donc on va faire toute cette arête jusqu’à la Pointe Crochue… ». Détestable.
  • Le bon gestionnaire qui annonce à son acolyte : « Là je trouve qu’on va à un bon rythme, mais je sens qu’il faudrait pas que la course s’éternise… ». En fait il reste cent kilomètres… Lui, pour le coup, aurait peut-être dû se pencher sur un roadbook. Lamentable.
  • La compétitrice acharnée qui s’énerve pour doubler de manière rocambolesque et me ravir une prestigieuse 278e place, mais qui deux minutes après se traine et bloque tout le monde, enfin les trente derniers dont je fais partie. Pitoyable.

Bref, cette première section me gonfle, et c’est donc passablement énervé que j’arrive au ravito de l’Etape après quatre heures à ruminer ma haine des gens qui m’entourent…

L’avarice

C’est un peu la cohue quand je fais étape au ravito de l’Etape. Nous sommes partis depuis moins de cinq heures, mais les athlètes se ruent sur les tables comme s’ils avaient dû ronger leurs lacets de souliers Salomon pendant des mois. Ne valant pas mieux qu’eux, et ne sachant pas résister à l’appel d’un repas gratos, je fonds moi aussi sur les victuailles proposées. Et tant qu’à en profiter, je recharge mon sac avec moult barres, fruits secs et autres compotes. En gros radin que je suis, je suis parti sans rien dans mon sac à part deux sachets zip, vides, que je compte bien remplir à chaque pause. Léger et économique, tout ce que j’aime ! Gourdes, sac, poches, tout est rempli à son maximum ; je peux repartir l’esprit tranquille, sûr d’avoir rentabiliser du mieux possible cet arrêt.

La descente sur Notre Dame de la Gorge poursuit le travail de sape des cuisses, puis arrive la remontée vers le Signal, majoritairement dans les bois. Je retrouve Nath juste avant le ravito, où se trouve d’ailleurs une partie du gang Kikourou parisien, venu comme toujours en force sur cette course. La grimpette vers le col de la Fenêtre est plus minérale et le col ne se découvre que sur les derniers hectomètres. On pourrait presque le louper, mais ce serait sans compter sur le nombre incalculable de participants, que dis-je, d’influenceurs, qui s’arrêtent là pour prendre un selfie en bloquant le passage des imbéciles qui veulent juste avancer. La vue sur le massif du Mont Blanc est absolument magnifique, pas un nuage et le soleil brille... Alors quitte à prendre une photo, ça serait con de pas mettre sa gueule devant ! Un mec se sent même obligé de rajouter un « comme on est beaux » en direction de son pote. J’arrive tant bien que mal à ma frayer un passage au milieu de ces blaireaux pour débouler dans une descente assez rocailleuse. Je ne précise pas que c’est raide, pars du principe que c’est toujours le cas. En ce début d’après-midi, la chaleur se fait sentir et nous sommes nombreux à faire halte à La Laya pour profiter de la fontaine avant de remonter vers le refuge de Tré-la-Tête. De l’eau à moindre frais entre les ravitaillements, cette course présente quelques bonnes surprises dont il faut savoir profiter. Je me charge de plusieurs gallons, sait-on jamais. Je n’étais pas repassé par là depuis mon ascension des Dômes de Miage avec mon Papa il y a plus de dix ans, pour ce qui était à l’époque ma toute première expérience en haute montagne. Je reconnais néanmoins le refuge où nous attend encore un ravito gargantuesque. Faut juste que j’arrive à trouver un peu de place dans mon sac pour y caser toujours plus de réserves, et tant pis si ça déborde…

La gourmandise

Après quasiment dix heures de course, mon ventre crie famine et c’est avec détermination que je m’avance vers ce véritable banquet gaulois. Du salé, du sucré, du gras, tout y passe, même des Haribo alors que je ne mange absolument jamais de bonbons d’ordinaire. Mais là j'en ingurgite par poignées, juste parce qu'ils sont là. Je repars avec la panse bien remplie, non sans glisser dans mes poches une compote supplémentaire, qui se mariera à merveille avec cette gigantesque barre de céréales aux fruits rouges. Les mauvaises langues crieront au vol, mais je préfère y voir une forme de grande prudence : il y a tout de même une grosse heure de descente pour rejoindre la vallée et je ne voudrais pas risquer l’inanition d’ici-là... Evidemment j’ai trop bouffé et j’ai le ventre qui ballotte dans la descente. Je crois qu’à chaque course je me fais avoir à me baffrer comme un goret, et ensuite je le regrette. La gourmandise est un vilain défaut. Et surtout, je suis un gros débile qui n’apprend pas de ses erreurs passées.

Mon estomac me fait rouler jusqu’aux Contamines, où se présente un ravitaillement encore plus imposant qu’à Tré-la-Tête. Pas de folie cette fois, on ne m’y reprendra pas ! Bon, en allant remplir mes gourdes, j'en profite juste pour attraper un bout de cake qui n’a pas l’air mauvais. Et puis un morceau de fromage, produit local, m’assure le préposé au découpage. Un peu de saucisson, parce que c'est l’heure de l’apéro. Et puis ça va bien avec le Tuc placé juste à côté, c'est bien fichu quand même. Deux carreaux de chocolat, pour le magnésium. Le chocolat s’accommode parfaitement d’une demi-banane. Quelques fruits secs, pour atteindre mes cinq fruits et légumes par jour ; même pendant une course, c’est important. Une tartelette aux fraises pour le dessert. Et puis tiens, une compote, j’en avais pas encore eu aromatisée pomme-framboise.

Je repars enfin en direction des chalets du Truc et... j’ai mal au bide ! Je suis vraiment un très gros débile. Aux chalets du Truc, mon ventre me fait basculer sans ménagement vers les chalets de Miage et leur torrent bienvenu pour se rafraichir. J’y retrouve Madame, ma frangine et les enfants. Face à nous, l’imposante montée vers le col de Tricot, qui permet de voir clairement les concurrents devant moi. Ça en fait du monde à rattraper...

L’orgueil

Malgré la quinzaine d’heure de footing accumulée et la chaleur de cette fin d’après-midi, je m’élève rapidement dans ce qui n’est pour moi qu’une modeste grimpette. Je grignote petit à petit des places avant de m’élancer à tombeau ouvert dans la descente, puis la traversée vers Bellevue. Cette portion avait été un véritable calvaire lors de ma TDS, mais là je trottine sans problème, même dans les parties montantes. Je suis en avance sur mon roadbook, me sens véloce, double beaucoup, c’est bon pour le moral. Chaque coureur dépassé, qui dis-je, déposé, anéanti devant la facilité avec laquelle j’arpente la trace, vient gonfler un peu plus le melon sous ma casquette. Mon égo et moi arrivons triomphalement au ravito de Bellevue, où nous exigeons que notre sac de matériel de rechange nous soit pourvu dans les plus brefs délais. La moindre seconde est comptée, je m’imagine faire un arrêt au stand type Formule 1.

Je suis interrompu dans mon ravitaillement express par le « Oh, Stef, il est où le jus de raisin ?! » qu’un coureur vient de me beugler dans l’oreille. Stef c’est pas moi, c’est la charmante blondinette qui a la chance de gérer son assistance. Le champion (j’avais oublié de le préciser, mais on est autour de la 100e place à ce moment-là, c’est dire comme on va vite…) a urgemment besoin du jus de raisin alors que le bénévole s’apprête à lui remplir ses flasques. Il ne s’agirait pas de se tromper dans les proportions exactes du savant mélange jus de fruit / Saint-Yorre ; la situation est donc critique, et Stef tarde toujours à venir… Quand enfin elle se pointe, briquette en main, le mec est aussi imbuvable que doit l’être sa mixture. Tout ça pour abandonner un peu plus tard dans la course. Oui, je suis une raclure, j’ai retenu son numéro de dossard et vérifié ensuite… Le jus de raisin n’était sans doute pas à la température optimale requêtée par le système digestif du champion ; Stef a dû payer cher cette impardonnable erreur.

De mon côté, j’attaque la descente suivante équipé de nouveaux pneumatiques, avec un adversaire à mes trousses. Ce pauvre fou pense-t-il réellement pouvoir chaparder ma 97e place ? La puissance et l’adresse dont je fais preuve ne lui laissent pas la moindre chance et je m’éloigne inéluctablement, jusqu’à atteindre le village de Bionnassay où les spectateurs, présents en masse, restent ébahis devant mon allure. La foulée toujours aussi aérienne, j’entame l’escalade du Prarion. Je traverse le chemin de fer du petit train du Mont Blanc, tout en doublant à n'en plus finir, pour atteindre le cinquième sommet de la journée. Avec le soleil qui commence à décliner, le panorama sur la chaine du Mont Blanc est absolument incroyable. Je m’arrête même quelques instants, quitte à sacrifier mon chrono stratosphérique et au péril de ma précieuse 74e place, puis débaroule dans la descente un peu rock’n’roll nous menant aux Toilles. C’est un peu chaotique, il y a pas mal d’arbres couchés, et je suis content de passer ici alors qu’il fait encore jour. Je ne m’éternise pas au ravito très animé des Toilles et poursuis mon incroyable remontada en direction du Plancert. La densité de coureurs devient faible mais je progresse encore au classement alors qu’il est temps d’allumer la frontale. Mais qui va pouvoir se mettre en travers de mon chemin ? C’est dans la descente suivante que va s'immiscer le petit grain de sable qui allai gripper les rouages si bien huilés de ma mécanique corporelle de compétition...

La paresse

C’est lors de ma folle cavalcade en direction de Saint Gervais que je croise à nouveau le chemin de fer et tombe sur une flèche qui pointe... dans la direction opposée ! J’ai vraiment l’impression de reconnaitre le premier endroit où j’avais traversé les rails. En même temps, de nuit au milieu des bois, qu’est-ce qui ressemble plus à un bout de chemin de fer qu’un autre bout de chemin de fer ? Je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir loupé de bifurcation et ne comprends pas comment j’ai pu revenir quinze kilomètres plus tôt sur l’itinéraire ! Je décide d’appeler le PC course, qui me demande de leur envoyer ma position GPS. Je reçois un message en retour m’indiquant que je suis bien sur la trace, mais je ne sais toujours pas pourquoi la flèche pointe vers le haut alors que je me dirige vers le bas. Je rappelle le PC course, et après quelques minutes de tergiversations, nous en arrivons à la brillante conclusion que la flèche est à l’envers. Bon, soit je suis le premier à m’en rendre compte ou à m’en inquiéter, soit un guignol devant moi a retourné la flèche. Je la replace dans le bon sens et repars. Plus de peur que de mal, un peu de temps gaspillé, mais pas de quoi remettre en cause mon invraisemblable 69e place.

Sauf que voilà, j'erre maintenant dans la partie sombre de la Montagn’hard. La boucle vers Plancert était moche et inutile, l’arrivée vers Saint Gervais est glauque au possible, et on longe ensuite une rivière lugubre. Je prends un énorme coup de bambou ; finie l’euphorie, bonjour la lutte contre la fatigue qui ronge ma motivation et le sommeil qui me fait vaciller. C’est au ralenti que je gagne les Plans, où je m’affale sur une chaise en attrapant un bon bol de pâtes.

Je trouve mille raisons pour m’éterniser ici : manger, tenir compagnie aux valeureux bénévoles, boulotter quelque chose, m’étirer, grignoter un morceau, remplir mes gourdes, casser la croûte, mettre une couche pour ne pas prendre froid, avaler un truc, finalement enlever une couche de peur d’avoir trop chaud, me sustenter, boire un thé, prendre un dernier bout pour la route… Tel le limaçon, je m’extrais finalement de mon siège pour entreprendre, lentement, l’ascension du Mont d’Arbois.

Pfff…

Je me traine.

Pfff…

Je suis rejoint par un gars.

Pfff…

On fait un bout de chemin ensemble sans décrocher un mot. Même parler est devenu trop éreintant.

Pfff…

Il me double.

Pfff…

Au diable ma 61e place.

Pfff…

Au sommet du Mont d’Arbois, on voit le Mont Joux à quelques encablures. Mais au lieu d’y aller directement, on va de nouveau faire une boucle illogique pour descendre en vallée et remonter.

Pfff…

Mince, on est en descente maintenant, il faudrait trottiner un peu.

Pfff…

Flemme.

Pfff…

Ça y est, j’aperçois le ravito. Je vais pouvoir retrouver ma position fétiche : avachi sur une chaise à ne rien faire.

Pfffffffffff…

L’envie

Aux Darbelets comme aux autres ravitaillements, deux mondes se distinguent : ceux qui en ont, et ceux qui n’en ont pas. Je parle d’assistance, je ne sais pas ce que vous étiez en train d’imaginer… Donc je me pointe et je m’affale comme une crotte au fond d’une chaise. Je remarque alors que le gars à côté de moi en a une sacrée paire. D’assistantes ; on est toujours sur l’assistance, souvenez-vous. En laissant trainer l’oreille, j’apprends furtivement que c’est belle-maman qui a pour mission de remplir les gourdes, de charger le sac en barres énergétiques et de lui prémâcher sa nourriture pour lui éviter tout effort supplémentaire, pendant que sa chérie lui masse vigoureusement les cuisses. Et face à ce spectacle douteux, je ne peux réfréner une furieuse envie… d’avoir la même chose ! Venant du monde de l’alpinisme et du ski de rando, où l’autonomie est un terme qui ne se galvaude pas, je mets d’ordinaire un point d’honneur à gérer mes courses tout seul. Enfin je tape quand même dans les ravitos, ça serait complètement con de payer un dossard sinon ! Mais là, la fatigue aidant, et malgré toute la bienveillance de bénévoles adorables, j’avoue que je ne cracherais pas sur un peu d’aide extérieure. J’ai beau regarder la copine d’un air insistant, elle ne semble pas comprendre le message. Elle a juste dû me prendre pour un gros malade aux idées perverses, là, à quatre heure du matin au milieu des montagnes. Tant pis, je remballe ma jalousie et continuerai donc à ma faire plaisir tout seul.

Le parcours passe par une ridicule taupinière qui me parait insurmontable et qu’il faut redescendre ensuite pour attaquer la « vraie » montée vers le Mont Joux. Je retombe sur les deux assistantes qui attendent une nouvelle fois leur gendre et chéri. Moi je n’ai rien ni personne, alors je poursuis mon chemin, seul dans le noir. Snif.

L’absolution

Je débute enfin la véritable montée finale, les yeux rivés sur mon admirable roadbook, toujours sensiblement colérique, chargé de denrées comme un mulet alors que j’ai déjà l’estomac plein à craquer, prêt à tout pour gagner quelques places mais sans vouloir faire le moindre effort, et jaloux du mec qui se fait tripoter les cuisses par sa belle-mère. Ça y est, j’ai cumulé les sept péchés capitaux, me voilà complet ! Il ne me reste plus qu’à porter ma croix et purger ma peine jusqu’à l’arrivée. Cette montée, comme celle de Plancert et du Mont d’Arbois, n’a clairement aucun intérêt, si ce n’est rajouter des kilomètres et du dénivelé. Finalement ce n’est pas plus mal de la faire de nuit. C’est en approchant du sommet que les premiers rayons du soleil font leur apparition. Le retour de la lumière du jour, couplé à la confession de mes vices, me font recouvrer des forces. J’arrive à courir presque convenablement dans l’ultime descente et reprends quatre gars qui ne daignent pas répondre à mes encouragements. Eux sont manifestement restés bloqués sur la partie « orgueil » du parcours… De mon côté, nonobstant des quadris en piètre état, je profite tout de même de ce moment : plus je descends et mieux je me sens, sachant que plus rien ne m’empêchera de franchir la ligne d’arrivée. C’est au petit trot que je retrouve Saint Nicolas de Véroce, 25 heures après avoir reçu mon premier coup de bâton, vidé de mon énergie, mais surtout absous de mes faiblesses…

 

20 commentaires

Commentaire de bubulle posté le 15-12-2022 à 19:58:17

Ah, cette fin de parcours...si on pouvait la changer! Je suis pas tout à fait d'accord sur la remontée sur le Mont Joux qui est plutôt pas mal....de jour. Y'a bien sûr une idée alternative qui traîne dans quelques têtes (hint : tête du Véleray depuis le Planellet, y'a un genre de sentier, si si). Y'en a quelques autres pour rendre plus intéressante la partie autour de St-Gervais, mais elles posent des problèmes logistiques pas simples? Bref y'a du potentiel d'amélioration rien que pour te faire revenir...:-)

J'aime bien ce récit de grognon, en passant. Et surtout, l'air de rien, la belle illustration qu'il donne que ça ne sert strictement à rien de partir aux taquets et qu'on peut finir à une très belle place en dosant bien sa course....ce que tu as admirablement fait! Je ne t'en voudrai presque pas de ne pas avoir cité ma chérie qui t'a sûrement fait traverser 2km avant le ravito des Contamines...;-)

Commentaire de truklimb posté le 15-12-2022 à 20:19:03

Merci Christian. Pour le Mont Joux, en effet j'imagine que l'aspect "fin de course où j'en avais marre" n'a pas joué en sa faveur.
Argh, c'est impardonnable pour ta chérie, bien sûr qu'elle m'a fait traverser la route, et qu'elle m'a encouragé chaleureusement, ici et sur plusieurs autres spots de la course ! Encore un grand merci à tous les deux pour ce que vous faites sur cette course.
Enfin, pour l'aspect grognon, j'avoue que je suis resté mi figue mi raison pendant toute la course et que je n'ai pas réussi à profiter pleinement du truc. Ca se ressent visiblement sur le récit... ;o)

Commentaire de truklimb posté le 15-12-2022 à 23:28:21

Mi figue mi raisin, pas raison...

Commentaire de Mazouth posté le 16-12-2022 à 00:37:50

Je croyais que c'était mi-St-Yorre mi-raisin...

Commentaire de truklimb posté le 16-12-2022 à 12:08:07

Haha très juste, bien vu ! :D

Commentaire de Mazouth posté le 16-12-2022 à 00:40:12

En tout cas pour pécher comme tu le fais, il faut quand-même être bien en cannes, bravo !

Commentaire de Zucchini posté le 16-12-2022 à 04:46:36

Super récit schtroumpf grognon, j'aime bien cette tonalité...
Ca me donne bien envie pour juillet prochain :)
Et je suis rassuré, en bon hobbit que je suis, de voir que les ravitos sont bien généreux !

Commentaire de truklimb posté le 16-12-2022 à 12:10:59

Mon récit ne fait pas honneur à la course, mais en vrai elle est quand même très cool ! Mise à part la partie de nuit que je n'ai pas trop appréciée, faut reconnaitre que jusqu'au 70e km, c'est juste énorme, aussi bien pour le parcours en lui-même que le cadre dans lequel on évolue. J'espère que vous aurez d'aussi bonnes conditions que nous !

Commentaire de Arclusaz posté le 16-12-2022 à 09:27:53

Bel exercice sportif et littéraire ! j'ai quand même un peu de mal à te reconnaitre dans ce pêcheur et tu n'es tendre ni avec les autres ni avec toi. Bravo pour de rôle de (dé) composition.

Commentaire de truklimb posté le 16-12-2022 à 12:15:18

Merci Laurent.
Comme toujours avec mes récits, c'est un peu exagéré et édulcoré, faut pas tout prendre au pied de la lettre... Mais je n'étais pas dans de bonnes dispositions pour faire la course et je suis resté bloqué sur des trucs qui m'ont un peu gâché la fête. Pas grave, y'en aura d'autres ! :)

Commentaire de BouBou27 posté le 16-12-2022 à 10:16:38

Super récit !
Heureusement que tu m'as pas croisé avec mon assistante ;)

Commentaire de truklimb posté le 16-12-2022 à 12:16:39

Merci BouBou ; vu ton chrono de ouf, tu as le droit d'avoir autant d'assitantes que tu veux, t'inquiète pas !! ;)

Commentaire de tidgi posté le 16-12-2022 à 11:37:49

M'en vais t'appeler l'inspecteur Somerset !
Bravo pour ce récit

Commentaire de truklimb posté le 16-12-2022 à 12:18:47

Merci Thierry. Les sept péchés capitaux auxquels fait face Somerset sont quand même un peu plus trash que les miens !

Commentaire de Benman posté le 16-12-2022 à 15:55:24

Pauvre pêcheur. A la place, je te propose les 7 vertus à méditer:

la foi : en ton roadbook tu croiras... (et la crise de foie au ravito tu éviteras)

l'espérance : en ton roadbook, le justesse tu espéreras (et au ravito, la Despé rance tu vomiras)

la charité : ton roadbook et tes barres céréales tu partageras... (car charité bien ordonnée résout tes problèmes)

la justice : sur la prochaine course, point trop vite tu n'iras, et tu m'attendras... (car la justice mène aux palais)

la prudence : pour éviter les coups de bâtons, en tête loin devant, ou bon dernier tu partiras... (car sinon prudence le mia... Hey DJ, mets nous donc du Funk...)

le courage : des boucles autour du Mont-Joux tu feras... (car il faut toujours tendre l'autre Joux)

la tempérance : en Dark Vador tu te comporteras... (car je suis tempère)

Commentaire de truklimb posté le 16-12-2022 à 17:34:08

Effectivement, les 7 vertus auraient certainement donné un aspect plus positif au récit !

Commentaire de largo winch posté le 16-12-2022 à 16:40:00

Une pure merveille ce récit, un des meilleurs qu'il m'ait été donné de lire sur ce site.
Merci pour ce bon moment de lecture et bravo pour la performance

Commentaire de truklimb posté le 16-12-2022 à 17:35:17

Merci pour ce commentaire élogieux, même si je pense qu'il y a beaucoup d'auteurs plus talentueux que moi sur le site ! :)

Commentaire de jazz posté le 17-12-2022 à 19:06:57

A la montagn'hard, on peut se taper une belle mère ; ça donne envie :)
une super gestion, comme d'habitude ; bravo

Commentaire de truklimb posté le 17-12-2022 à 23:34:50

Ça fait envie ou pas, j'imagine que ça dépend de la belle-mère, je te laisse juger... ;)

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