L'auteur : franck de Brignais
La course : Le Grand Raid de la Réunion : La Diagonale des Fous
Date : 19/10/2018
Lieu : Saint-Pierre (Réunion)
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Distance : 167km
Objectif : Pas d'objectif
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Une paire de running aux pieds, une montre GPS au poignet… Ils sont repérables facilement dans cette file pour l’enregistrement des bagages à Roissy les futurs partants à l’édition du Grand Raid.
Nous sommes à côté d’un couple pour lequel monsieur porte tous les symptômes : grand, sec, veste finisher UTMB. Son regard est dur, il ne semble pas concerné par ce qui se passe autour de lui. Son épouse a la même stature physique, mais son regard est beaucoup plus doux, un sourire constant sur les lèvres. Ce couple d’une cinquantaine d’années part forcément pour la course, j’engage la conversation. Ils me confirment mes impressions. Les 2 feront la course, chacun de son côté. Monsieur devrait terminer dans les 200 premiers, Madame testera pour la 1ère fois cette distance. Tous les 2 se sont beaucoup préparés. « Nous avons passé une année exclusivement à l’entrainement, on a fait beaucoup de sacrifices pour être prêts». Je sens la femme tendue, inquiète de savoir si elle sera à la hauteur de la course. Lui est plus serein, il connait le format, la difficulté. Ce sont les conditions météo sur place qui l’interrogent, elles peuvent effectivement complètement changer la donne…
C’est notre 1ère rencontre avec cette Diagonale. Caroline et moi partons 15 jours à la Réunion. Ce sont nos vacances, mais aussi un clin d’œil sympa : Il y a 20 ans, notre voyage de noces s’était fait sur cette fabuleuse île. Bien des choses ont changé depuis… à commencer par mon poids sur la balance ! ça va être un super moment à 2 !
Cette course me fait poser beaucoup de questions : je connais le format, je sais que je peux le gérer, je l’ai fait à plusieurs reprises… mais les écarts de temps de course sont tellement incroyables. Je n’arrive pas à trouver mes repères. J’ai bien les repères de certains copains qui y ont participé, mais là aussi pas de logique avec leurs niveaux théoriques. Il faut tout de même que je planifie un road book : Caroline a bien l’intention de me suivre sur les ravitos, il faut donc que j’y réfléchisse sérieusement, elle a besoin de connaitre mes temps de passage théoriques. J’ai fini par estimer une arrivée en 52h, c’est le temps qui me parait le plus probable. Mais ce sentiment que j’avais en préparant le road book, celui qui consiste à se dire que tout peut arriver dans le meilleur comme dans le pire, se révèlera particulièrement juste…
Le retrait des dossards est un moment unique… j’en ai pourtant vécu de toutes sortes : bien ou mal organisés, celui-ci pourrait être classé comme « joyeux foutoire ». En cette veille de départ de course, nous voilà à St Pierre, ville du départ au Sud de l’île. Chaque bénévole y va de sa bonne volonté de faire avancer les choses… mais rien d’efficace n’en ressort. On se retrouve rapidement en plein cagnard à attendre dans une file qu’on espère la bonne ! Mais, comme toujours sur cette île avec des sourires et un peu de patience tout se passe pour le mieux. C’est donc avec mon dossard, ma puce de suivi, mes 2 tshirts de course (départ et arrivée obligatoire avec le tshirt officiel de la course), des lentilles, du dentifrice et 1 savonnette (bah oui, c’est nos cadeaux de coureurs !) que nous nous rendons au resto prévu entre « kikoureurs » ce midi. C’est notre 2ème rencontre avec la Diag’. Je discute beaucoup avec Yves qui a déjà fait cette course l’année dernière et souhaite améliorer son temps cette année. Il a beaucoup de choses à partager : les principales difficultés, le départ très « musclé » pour lequel il faut être bien positionné… mais Yves il est costaud et rapide ! et là aussi pas moyen de trouver des repères de temps de passage. Arnaud aussi est présent, une 1ère pour lui, il a l’intention de se laisser porter sans se donner un seul objectif. Et puis arrivent au fur et à mesure, les copains du Lutin (dont nous connaissons maintenant tous les vices...), Meocli et sa charmante famille et un autre kikou dont je n’ai retenu ni le nom ni le pseudo… pardon…
Le déjeuner se déroule dans une super ambiance, le resto est assailli de coureurs (étonnant), ça discute de prochains objectifs, de précédentes courses, bref tout ce qu’on aime ! Allez, il est temps de rentrer, de siester et de se concentrer sur le départ !
Comme je l’expliquais tout à l’heure, tout le monde m’a annoncé un départ « viril » sur cette course. Il se fait en 2 temps : nous sommes d’abord tous parqués sur une grande esplanade, puis on est conduit dans le sas de départ. C’est la transition entre les 2 qui semble être problématique : tout le monde voulant éviter les bouchons du 14ème, c’est à celui qui sera placé le plus haut sur la grille !
L’accès à l’esplanade se fait après contrôle du matériel obligatoire. Ici, et c’est la 1ère fois que je vois ça, c’est TOUT le matériel qui est vérifié. 6 à 7 minutes sont nécessaires. Et les bougres ont tout prévus : il vous manque une bade de strap ? Qu’à cela ne tienne, nous vous en proposons pour la modique somme de …. (il va d’ailleurs falloir m’expliquer l’intérêt de 2 bandes de strap de 2,5m chacune !... j’avais de quoi straper la moitié du peloton à moi tout seul !!). Nous sommes arrivés tôt avec Caro, je suis donc parmi les 100 premiers à rentrer. Je choisis ma place proche de la barrière qui sera enlevée dans quelques heures pour le positionnement dans le sas. (Merci Thierry, Rémi et Yves pour le conseil !). Je vois Caro au loin, parquée avec les autres accompagnateurs, sans accès direct aux coureurs. Je m’assois à côté de d’Yves et de Tourist80. Nous échangeons peu de mots, ils sont tous les 2 très concentrés sur leurs objectifs. De mon côté de m’imprègne de l‘atmosphère, des sons, des coureurs autour de moi. Les profils sont très différents : le guerrier warrior tatoué et huilé dont le tour de bras dépasse nettement mon tour de cuisse, le stressé qui vérifie 27 fois le contenu et le rangement de son sac, la « bimbo » des courses en tenue top fashion entourée de son harem qui emm… tous ses voisins pour se prendre en selfie toutes les 10 min, le réunionnais de 55 ans qui vient ici pour la 1ère fois ou pour qui c’est la 10ème traversée. C’est ce profil là que je vais le plus croiser en course, en effet la randonnée est une institution dans cette île. Les sentiers font partie intégrante de l’histoire et de la culture réunionnaise puisqu’ils ont été créés et empruntés à l’origine par les esclaves marron fuyant l’oppression. Cette course est donc une véritable culture, parfois même une transmission générationnelle comme je le constaterai en chemin.
L’attente est longue…. Très longue !! Arrivée sur place à 18h00… nous prendrons le départ à 22h00. Heureusement c’est la fête : les concerts s’enchaînent et comme je suis à moins de 3 mètres d’une des enceintes, je n’en manque pas une miette... Je prends le temps de faire un checkup du bonhomme. A vrai dire, c’est pas top… depuis hier j’ai un léger mal de gorge qui s’est installé et le mal de tête de ce matin ne fait qu’empirer au fur et à mesure des enchaînements de morceaux de cette fantastique rappeuse, connue internationalement, que je ne connais pas… (l’interview de la star vaut son pesant d’or du reste !...). J’ai de plus en plus chaud dans cet enclos, je rêve du moment où nous pourrons partir. Il n’y a pas de vent, aucun mouvement, j’ai comme l’impression d’étouffer. A 21h00 un mouvement de foule collectif fait mettre tout le monde debout. J’interroge Yves : « ça y est on rentre dans le sas ? » « Ah non pas du tout maintenant on va attendre, mais debout »… Super !... la sensation de chaleur augmente encore, je transpire en étant statique… qu’est-ce que ça va être en courant. En effet le plan d’origine est de tenir une vitesse « correcte » (12 km/h env) sur les 10 premiers km de plat, le but étant, comme tout le monde, de ne pas trop subir les bouchons du 14ème.
15 min avant le départ, nous sommes lâchés dans le sas. Heureusement cette année pas de sprint : une haie de bénévoles costauds nous retient en marchant devant. Le mouvement de foule reste très impressionnant, il ne faudrait pas tomber ! Nous sommes enfin installés dans le sas, le speaker chauffe l’ambiance. Je cherche des yeux Caro, mais la foule est tellement importante que c’est perdu d’avance. Je sais que nous nous retrouverons demain matin plaine des Cafres. J’essaie de me mettre dans l’ambiance en mettant de côté les bobos.
Le départ est enfin donné et tout le monde s’élance à bonne allure… très grosse allure même !! Je suis bien calé à 12, mais je me fais dépasser par des wagons de coureurs, c’est incroyable, je n’ai jamais vu un départ d’ultra aussi rapide !! Je reste calé à ma vitesse et me mets sur le côté droit pour que les autres puissent me doubler facilement et ça me permet de profiter de l’ambiance incroyable des spectateurs sur le côté. Familles, locaux tout le monde se mélange pour créer et dégager une énergie incroyable, j’en ai des frissons durant plusieurs minutes. Je tape dans les mains des enfants, je salue ceux qui m’interpellent… comme sur l’UTMB, j’essaie d’emmagasiner un maximum de flux positif pour pouvoir l’utiliser lorsque ça ira beaucoup moins bien.
Mais l’allure cible devient de plus en plus dure à tenir… c’est étonnant, c’est une allure que je connais parfaitement (allure Marathon) et qui ne devrait me poser aucun soucis à ce moment de la course en tous cas. Je transpire énormément, mon cardio est très haut, bref, si j’insiste je vais piocher bien trop tôt dans les réserves. Je réduis donc très nettement l’allure pour arriver enfin en aisance cardiaque… ce qui sera le cas autour de 9km/h. Ca m’inquiète franchement, pourquoi je suis dans cet état ? la chaleur ? le stress ? J’essaie d’évacuer ça de l’esprit, mais c’est pas simple : ce ne sont plus des wagons de coureurs qui me doublent, mais des trains complets !
On sort bientôt de la ville et de son ambiance extraordinaire. A la foule succède les champs de canne à sucre. Il fait un tout petit peu moins chaud. Bientôt arrivent les premiers dénivelés, gentillets, dans les chemins de tracteurs des champs de canne à sucre. Les chemins sont encore larges, pas ou peu de bouchons pour le moment. Je me prends à espérer que ça sera comme ça tout le long… Je me suis mis pour objectif d’arrêter l’hémorragie de la perte des places à partir des 1ères montées. Je suis très bien préparé à cela, c’est un point fort, je dois l’utiliser. J’arrive à maintenir le rythme général mais au prix d’efforts plus importants que prévu. L’avantage de monter c’est que la température baisse, et ça je préfère. La montée jusqu’à domaine Vidot passe assez bien : j’ai réussi à conserver ma place dans le troupeau, le cardio s’est, un peu calmé, par contre j’ai les jambes dures comme du bois ! Et vas-y ! Une autre galère à gérer !
Domaine VIDOT – km 14 –Jeudi 23h58 – Temps en course 1h58- 1 706ème
Je reste moins de 3 minutes dans ce ravito surchauffé, le temps de faire le plein d’eau, j’en profite pour doubler la goélette et ressors me mettre au frais dehors. Comme à chaque fois, j’ai rempli un petit sachet et je mange en marchant et en continuant mon chemin. 200m plus tard, le bouchon commence : on passe sur un single gentiment technique (en tous cas il faut lever les pieds…) et c’est panique à bord !... du coup 15 minutes de pause. Je me joins au concert de ceux qui protestent contre les « doubleurs de bouchons »…. Vous savez ces cons qui profitent de l’arrêt de tout le monde pour remonter dans le classement en doublant. Ça a bien failli en venir aux mains une fois, devant moi… mais, dommage, le « z’oreilles » (métropolitain à la Réunion) musclé et tatoué a vite baissé le ton face au réunionnais fou de rage !
Pendant 2h00 il faudra composer avec une alternance de petits bouchons, de ralentissements. Au total je pense que ce sera une 40aine de minutes qui auront été perdues, finalement pas grand-chose donc. Pas d’échanges avec les coureurs sur cette partie essentiellement composée de prés et de franchissements de barrières. Se succèdent les ravitos de ND de la Paix et Aire Nez de bœufs sur lequel j’arrive au petit jour. Le paysage a bien changé, nous sommes à 2000m et il fait froid. Une forte brume nous entoure. L’auto-diagnostic n’est pas très brillant : le mal de jambes va en s’intensifiant. Je suis fatigué comme si j’avais déjà fait 2 nuits dehors et j’ai du mal à m’alimenter. Je mouche de plus en plus, j’ai mal à la tête, ce que je craignais est en train de se confirmer : je pars avec un virus à gérer… j’ai certainement un peu de fièvre : je grelotte régulièrement. Je sors toutes les couches disponibles, y compris les gants (oui, oui,… c’est vous dire..) et j’avance sans me poser plus de questions. Je sais que je vais retrouver Caro à Mare à Boue et ça, ça va être cool ! Je vais pouvoir me changer les idées.
Effectivement 4 km avant le ravito, sur une longue route bétonnée, je vois apparaître le souriant visage de Caro « Comment ça va ?? » « Bof bof… » le temps de lui expliquer tous mes malheurs et elle de me trouver toutes les solutions, nous arrivons au ravito.
MARE A BOUE – km 49 – vendredi 7h40 – Temps en course 9h40 – 1 581ème
Je suis surpris d’arriver à 5 min de mon temps prévisionnel. Mais mon état de fraîcheur prévisionnel, lui, n’est pas celui prévu. J’ai beaucoup pioché et la suite des évènements va être compliquée, faut pas se le cacher ! Je prends donc bien le temps de manger le plat chaud proposé, de refaire les pleins divers. Caro me masse les jambes sous le regard envieux de mes congénères. Les quelques mots échangés font du bien et je repars sous 20 min environ, pile dans le temps prévu. Caro m’accompagne sur 2 km et fait demi-tour.
La course va maintenant changer de braquet : fini les sentiers gentillets, secs et bien larges, bienvenue à Coteau Kervegen ! Les dénivelés sont beaucoup plus francs, la boue fait son apparition, les chemins deviennent techniques. Parfois même beaucoup : les pierres mouillées et glissantes, serties par des racines sur une descente de 25%... c’est sympa sur quelques centaines de mètres… mais vite lassant sur 5km ! L’entrée dans le cirque de Cilaos se mérite… et on l’a bien compris.
Des temps d’attente se forment de nouveau sur ces parties techniques. On emprunte même des échelles lorsque le dénivelé est trop important. Je souris intérieurement en pensant aux multiples précautions que l‘on prend pour assurer la sécurité des concurrents en métrpole. Ici ce n’est pas le maître mot. S’il y a un sentier, c’est que ça passe, alors en avant. J’en profite pour échanger quelques mots avec la femme qui me précède. C’est sa 2ème tentative, mais elle a bien l’intention de venir à bout cette année. Elle est animée d’une rage extraordinaire. On sent bien que certains passages lui pose beaucoup de problèmes, elle doit avoir le vertige : elle me confie préférer la nuit. Mais elle cache courageusement les trémolos dans sa voix lorsqu’elle me parle de prochains passages encore plus dangereux. Je profite d’une opportunité sans prendre de risques pour la dépasser et je continue ma descente sur Cilaos.
Caroline ne rejoint 2km environ avant la grande base de vie de Cilaos. Une dernière ravine pour le fun et nous entrons enfin dans le village. Il commence à faire très chaud, on était mieux en haut !
BASE DE VIE CILAOS – km 65 – Vendredi 12h55 – Temps en course 14h55 – 1 664ème
Les accompagnateurs ne sont pas autorisés, je rentre donc pour me restaurer. Un vrai repas chaud nous attend, un « yop » bien frais (quel bonheur !), un fruit et je ressors rapidement pour rejoindre Caro. Changement de Tshirt et de chaussettes. Une fois encore Caro me masse les jambes… ça fait un bien fou, dommage que l’effet ne dure que 15 min… Un bisou, et on se donne rdv au début du sentier du Taïbit. A cet endroit là, Caro a prévu de m’accompagner jusqu’à Marla pour randonner un peu dans Mafate. La descente jusqu’à la cascade de Bras Rouge est looongue, mais je ne pensais pas que la remontée le serait 10x plus ! Ce passage pour rejoindre le début du sentier est horriblement long, sans arrêt la courbe de niveau s’inverse et on a cette désagréable sensation que jamais on arrivera à la bonne altitude ! Le tout sous un soleil de plomb… C’est donc complètement épuisé que j’arrive au début de sentier du Taïbit. Caro est là à m’attendre, mais de mon côté je suis à 2 doigts de tomber dans les pommes. Mon ange m’installe donc un lit de fortune, au bord de la route pour que j’essaye de me reposer un peu avant l’ascension. Je ferme bien les yeux mais le sommeil ne vient pas… l’estomac s’est par contre un peu dénoué et je peux avaler 2 grignotis au ravito.
C’est, de nouveau, 800m D+ pour atteindre le col. Caro est devant et donne un rythme lent et régulier qui me convient parfaitement. En bas, les bénévoles ont précisé que François DAHENE avait mis 1h00 pour monter. Avec mon état de fatigue, je prévois 2h30… nous ferons l’ascension en 1h45 ! (c’est ça l’effet Caro !!). Seulement, arrivés en haut, le soleil commence à tomber. Pour sa sécurité, je propose à Caro de faire demi-tour dès maintenant. A contre cœur elle accepte. Ça sera aussi un long moment sans se croiser : je rentre dans le cirque de Mafate et aucun accès n’y est possible autrement qu’à pied. Si tout se passe bien, j’en ressortirai demain matin et croiserai Caro en haut du Maïdo. Nous partons donc chacun de notre côté. Je dévale la courte descente jusqu’à Marla. Ça y est, me voilà dans un des endroits les plus difficiles d’accès de l’Ile. Ici pas d’erreurs possibles. Si tu en as marre faudra quand même avancer. Les seules évacuations possibles sont les blessures lourdes et se font en hélicoptère !
Marla – Km 77,8 – Vendredi 18h47 – Temps en course 20h47 – 1 607ème
Je pensais, à cet endroit de la course, être très en retard sur mon plan de course. Dans les faits pas du tout : je n’avais que 20 min de retard !
J’arrive à ce ravito très mignon et très propre au cœur du cirque, mais avec, de nouveau, l’estomac complètement fermé. Je me pose donc quelques minutes sur l’esplanade sans lumière et … je me mets à broyer du noir. « Réfléchis bien à ce que tu vas faire… tu as encore la possibilité de faire demi tour… derrière il y a la civilisation… toi tu vas t’enfoncer pour toute la nuit dans la jungle de Mafate… est ce que tu t’en sens capable ? » La réponse est évidente c’est…non… Me voilà donc en train de me poser 10 000 questions (toutes très pertinentes, mais qui n’ont pas leur place dans un ultra…), seul, lorsqu’il me semble avoir une hallucination auditive : Caro qui m’appelle « Franck ?!... Franck !? ». Je lève la tête et aperçois un visage d’ange : Caro est à 20 mètres. Même si ça doit être une hallucination c’est pas grave, je tente le coup : je lève le bras « içi !! ». Et l’hallucination se rapproche de moi et se met à m’expliquer qu’elle avait gardé mon portable sur elle durant la montée et qu’elle était obligé de venir me le redonner. Bon, ce n’est donc pas une hallu… c’est bien Caro ! Sa présence est un vrai réconfort. Elle me propose d’aller me poser qques minutes à l’écart du bruit. Ces 15 min de pause ne m’auront pas permis de dormir, une fois encore, mais m’auront fait réfléchir « Comment est-ce que tu peux être dans cet état d’esprit ?? La fatigue, et alors ? tout le monde est fatigué !! T’es malade ? Depuis quand le nez qui coule et la fièvre empêchent de marcher ??Tu dis souvent à tes enfants qu’on ne lâche rien, qu’on va jusqu’au bout. C’est d’ailleurs ce que vient de te répéter Alexandre dans une vidéo très touchante : « Papa tu lâches rien, tu es parfaitement capable de le faire ! ». Le réveil sonne et je sors de ma couverture de survie en 3 secondes. « Je vais me la faire cette traversée de Mafate ! et j’en ressortirai comme prévu demain matin ! ». Caro me regarde avec un grand sourire : je suis repartit !! La nuit ne permettait pas de le voir, mais mes yeux devaient briller d’un feu nouveau…. J’avance, quoi qu’il se passe maintenant, c’est jusqu’au bout !!
J’embrasse tendrement Caro et lui envoie « à demain matin ! Au Maïdo ! » et sans un regard en arrière je m’enfonce dans le cirque.
Je suis bien, je n’ai ni chaud, ni froid. Le mal de jambes aurait presque disparu. La nuit est claire et douce. Le ciel parfaitement dégagé, la vue sur les étoiles est extraordinaire !! Je suis seul, il fait nuit noir, pas un coureur à l’horizon, personne derrière. J’entends tous les bruits de la forêt, aucun n’est effrayant, la forêt continue de vivre, même la nuit. Je sens toutes les odeurs, des centaines. Certaines ne sont pas identifiables, d’autres le sont : jasmin, citronnelle,… Je me mets quelques minutes dans la peau des esclaves marrons. Il y a un peu plus de 2 siècles, ils ont emprunté ces chemins, de nuit, comme moi, mais eux étaient à la recherche de leur liberté. Mafate était l’endroit où les esclaves en fuite tentaient de retrouver leur liberté, aujourd’hui encore Mafate porte, sur l’île, le symbole de cette liberté. J’avance et j’enchaîne les points de contrôle : Rivière à galet, Plaine des Tamarins, Col des bœufs, plaine des Merles, Sentier scout. Même la descente très technique et très vertigineuse de Ilets à Bourse passe très bien. On finit par arriver au point le plus bas de Mafate : grand Place les bas. Ici un dernier torrent à traverser avant d’entamer l’immense montée par étape vers Maïdo ( montée par étape de 2000 mD+). Je me pose à ce torrent, un peu à l’écart du passage, Arnaud vient me saluer, on échange 3 mots. Je m’allonge, profite une dernière fois de ce ciel étoilé extraordinaire avant que le jour ne se lève. Je programme mon réveil pour 10 min, le bruit régulier du torrent m’endort immédiatement. Au réveil j’ai l’impression d’avoir dormi 2 h. Enfin j’ai pu dormir un peu, c’est une bonne nouvelle, la course est loin d’être terminée.
La très longue montée, par étape, qui va nous mener jusqu’à Maïdo commence ici et je l’attaque avec envie ! J’attends avec impatience que le jour se lève pour pouvoir admirer le paysage. Je ne suis pas déçu, au fur et à mesure le ciel passe de noir à bleu foncé, puis le bleu s’éclairci. Le magnifique ciel étoilé nous quitte. Le jour se lève très vite, c’est une particularité à ces latitudes. Au détour d’un virage, la paroi abrupte, minérale, teintée d’orange au soleil levant du Maïdo se dresse devant moi. J’ai beau essayer de chercher des yeux la trace qui nous permettra d’accéder à ce sommet, je ne vois absolument rien. La douce lumière du matin révèle l’immensité des lieux, les barres rocheuses autour de nous sont des cathédrales, immenses. Cette immensité est insoupçonnable depuis la côte, ici l’île montre un nouveau visage : silencieuse, majestueuse. Lorsque mon camarade du moment, que je suis depuis un long moment, se retourne vers moi pour me faire part du même sentiment que je ressens à me retrouver là « c’est incroyable et magique cet endroit », j’ai de la peine à lui répondre « c’est ça…. » …mes mots s’étranglent dans ma gorge, les larmes montent aux yeux. J’ai une chance immense d’être ici, en pleine santé. Tout remonte en quelques secondes : les années plus difficiles de découverte de la maladie qui a longtemps pollué mon quotidien, la fierté que j’ai d’avoir lutté contre tous les emmerdes qu’elle m’a causé. Etre ici aujourd’hui c’est une revanche sur tellement de choses, ma capacité à y arriver. Je pense aussi à Caro, ma tendre et fidèle épouse. Toujours à mes côtés, quelques soient mes défis. Mes 2 garçons, la fierté que j’ai de les voir grandir, s’épanouir, devenir des adultes. Ils me remplissent de bonheur chaque jour, ils sont tout ce que j’ai…
Ce moment est hors du temps, je marche sans douleur, sans chronomètre, sans objectif. Peu importe où se trouve la fin, peu importe si je dois voir la ligne d’arrivée ou pas. J’ai trouvé ici ce que je suis venu chercher.
ROCHE PLATE – Km 109 – Samedi 07h07 – Temps en course 33h07 – 1 442ème
Le village de Roche Plate se distingue au loin, à droite. Il faudra largement contourner la montagne par la droite pour l’atteindre. C’est étonnant de voir de nouveau la civilisation après cette nuit hors du temps. Ici la pause sera courte, je croise de nouveau Arnaud qui tente de dormir, mais les conditions ne sont pas super. Je n’arrive pas à trouver un aliment qui me fasse plaisir. J’essaie quand même de prendre quelques calories. La montée de 1000m sera d’une traite jusqu’en haut, mais je sais aussi que je croiserai Caro quelque part durant l’ascension. A partir d’ici, nous allons partager notre route avec les coureurs du trail de Bourbon, la « petite » course de 111km qui a la même fin que notre trace. Eux ont une nuit de moins dans les jambes, et ça se voit franchement. Nous commençons d’abord en sous-bois, puis, rapidement, la végétation disparait pour laisser place à de plus en plus de cailloux. Je vais croiser Caro aux 2/3 de la montée. Il était temps, j’ai de plus en plus de peine à monter. Même si le rythme autour de moi est le même, je sens bien que je n’avance pas vite du tout. Grâce à a présence de mon ange bienfaiteur et aux quelques paroles échangées, le temps passe plus vite et le sommet arrive finalement assez vite. Quelle fête en arrivant en haut : Ici l’accès en voiture est de nouveau possible et de nombreuses familles sont venues encourager leur championne ou leur champion.
Maïdo – Km 116 – Samedi 10h42 – Temps en course 36h42 – 1 455ème
Le ravito est un peu plus loin. Ici, enfin j’arrive à me nourrir. La purée est fantastique et fait du bien au moral : ça change enfin de tout ce que l’on trouve depuis le début. J’en mange même une seconde ration ! Je discute avec d’autres coureurs, Caro… J’essaie de dormir aussi, mais impossible de fermer l’œil. Je fais donc une petite vidéo pour rassurer mes « suiveurs » sur le Net… et je pars pour la longue et douce descente de 13 km qui va me mener en bord de mer. 2000m de D-. Impossible de courir, j’en ai la force, mais je sais que la course est loin d’être terminée et je préfère adopter un rythme de marche rapide. Plus on descend plus la chaleur s’intensifie, je me demande même à un moment si je ne vais pas manquer d’eau. Après 2 h 15 de descente, je croise de nouveau Caro qui va m’accompagner sur les 30 prochaines minutes. Là aussi c’est un point de motivation : je vais pouvoir croiser Caro aux 3 derniers ravito avant la fin. La fin de descente est interminable, nous sommes dans une fournaise. Je cherche le moindre passage à l’ombre. J’ai fait la bêtise de ne pas mettre de crème solaire et je suis en train de le payer, je sens que la peau chauffe, ça va venir rajouter à la difficulté, gérer les coups de soleil !
Sans Soucis – Km 129 - Samedi 14h49 – Temps en course 40h49 – 1 506ème
Enfin le ravito est là. Des crêpes au menu, je ne me prive pas. Un yop bien frais, le rêve ! Je rejoins Caro à l’extérieur après avoir fait le plein des bidons d’eau. J’essaie de me reposer 1/4h, mais toujours pas d’endormissement… Un repas chaud est prévu sur l’espace voisin, j’y vais donc et essaie de manger un peu, Caro bénéficiera d’un repas offert par le chef ! Je n’ai vraiment pas envie de repartir dans la fournaise, je retarde au possible le départ, mais il faut se résoudre à y aller. Je sais aussi que je vais croiser mes autres anges gardien du séjour : Sandrine et Fabien qui sont sur le parcours pour encourager leurs copains engagés sur une des courses. Cette partie le long de rivières à galets est interminable, pas d’ombre, coincé dans une étouffante chaleur sans le moindre souffle d’air. Je traverse la rivière sur des cailloux posés de façon improbable. Un photographe attend la chute, mais ça ne sera pas pour moi ! Puis après cette descente jusqu’au niveau de la mer, il faut remonter doucement mais sûrement jusqu’à 600m de nouveau, j’espère trouver un peu de fraîcheur là haut… La montée se fait dans les faubourgs de Sans Soucis. Un quartier très populaire où les habitants sont sortis dans les rues pour montrer leur solidarité : eau fraîche, pommes,… j’oublie toute notion de prudence et boit dès que c’est possible. Je remercie chaque personne sur le passage. Je vois au loin Fabien et Sandrine, quelle joie de voir des visages familiers et souriants !! Fabien a une patate d’enfer, c’est très agréable, mais je ne comprends pas la moitié des questions qu’il me pose. J’essaie de faire bonne figure, mais je sens bien que le gros coup de pompe arrive… il va être terrible, je commence à me connaître… Je conclue par « tout va bien…pour le moment… » et je repars en les saluant. Cette nouvelle montée est interminable, mais je me rends compte que j’avance bien, puisque je double les coureurs par dizaine. La fin de montée signe une descente abrupte, très technique, par le chemin Ratinaud. « C’est une nouveauté depuis l’année dernière, c’est un des sentiers les plus techniques de l’île ! C’est n’importe quoi de nous faire passer par là !! ». C’est ainsi que mon voisin me présente ce qui nous attend. Je me demande bien comment on peut avoir plus technique que ce qu’on a vu cette nuit dans Mafate… mais je comprends vite ce qu’il a voulu dire : raide, détrempé, c’est un enchevêtrement de racines sur 2 km… ça avance franchement pas ! glissades à chaque pas, les jambes et les réflexes ne sont plus vraiment au rdv… ça va être long. 300m après le début du sentier on s’arrête brusquement : quelques coureurs devant une mauvaise chute a eu lieu. Les secours ont été prévenus et arrivent pas le haut. Compliqué de faire passer le brancard. On attend les 1ers soins. De toutes façons il est impossible de passer. La fille blessée est attachée solidement. Les secouristes n’arrivent pas à remonter. Nous sommes 5 coureurs à leur donner un coup de main, comme on peut, on fait faire demi -tour aux autres coureurs et on remonte ce brancard. La jeune femme est en pleurs, elle ne semble pas gravement atteinte, elle a simplement glissé et est retombée sur la tête en arrière. Ca saigne pas mal, mais aucun autre problème ne semble détecté. Elle était sur le trail du Bourbon, elle voulait terminer… un faux pas et tout s’est arrêté… On arrive en haut du sentier, sur la route, une ambulance attend. Nous laissons la jeune femme en lui souhaitant bon courage et reprenons notre descente. La nuit tombe rapidement, je sors la frontale pour la 3ème fois. C’est une 1ère pour moi : je n’ai jamais passé 3 nuits dehors. Et celle-ci sera quasi complète, c’est une certitude. Nous arrivons sur un ravito à la fin de ce sentier infernal, une route, la civilisation de nouveau. Le profil et le road-book annoncent une descente, globalement jusqu’à la Possession. Je ne refais donc pas le plein d’eau. Sauf qu’il n’en est rien, ici c’est la Réunion … et son lot de surprise !! Nous allons remonter plus de 250m D+ dans un sentier infâme, pour enfin rejoindre le chemin qui nous fera descendre doucement sur la Possession. Cette « petite surprise » me met hors de moi… comment peut-on « oublier » ce détail ??!... J’aurais pris un ravitaillement différent si j’avais su !! Autour de moi les réactions sont les mêmes chez les z’oreilles, les réunionnais, eux rigolent « c’est pas grave, c’est le chemin quand même… ». J’appelle Caro pour lui expliquer la situation et lui dire qu’elle peut rajouter 45min à 1h00 sur mon temps estimé.
Va commencer une lente descente physique, je n’ai jamais vécu cet état. Je suis complètement hypnotisé par le faisceau de ma frontale, j’avance à une allure d’escargot, aussi vite que le coureur devant moi. Mécaniquement je me calque à son allure… j’ai oublié une grande partie de ce chemin sans fin. Je me rappelle qu’à un moment Caro m’a rejoint, qu’elle m’a parlé, mais je ne me souviens plus de quoi. Je me souviens lui avoir demandé 1000 fois si la Possession était encore loin. Je suis tellement fatigué. J’ai envie de pleurer, mais je n’en ai pas la force. J’ai le vague souvenir d’avoir traversé un quartier résidentiel, puis d’être réveillé par les encouragements des spectateurs et le bruit de la musique en entrant dans le ravito de la Possession.
La Possession – Km 147 – Samedi 21h25 – Temps en course 47h25 – 1 436ème
J’ai un vague souvenir du ravito. Je me souviens surtout que Caro m’ait emmené sur la pelouse de l’église qui se trouvait à quelques pas pour dormir. J’ai dû réussir à dormir 30 min. Au réveil, j’ai très faim. Je dévore le plat de carry qui se trouve à mes côtés par je ne sais quelle magie. Je change mes piles qui sont faibles. Je connais la prochaine portion, nous l’avons faite en reco avec Caro en début de semaine. Il s’agit du terrible chemin des anglais. Il n’a rien de bien difficile, mais à ce moment de la course, ça peut vite devenir un chemin de croix. Pour moi ça va être une résurrection !! J’ai une pêche incroyable, je suis parfaitement réveillé et en pleine forme ! Les 300m D+ de montée se font à un rythme incroyable, je me surprends à trottiner et à sauter de pierre en pierre sur les replats !! Je double au moins 30 à 40 personnes sur cette portion, tout le monde y passe : les dossards de la diag’ et ceux du Bourbon… ça doit faire bizarre à ceux du Bourbon de se faire poser par un dossard de la diag’. Caroline a à peine le temps de me rejoindre à la fin du chemin, elle a même du mal à suivre le rythme lorsqu’on repart ensemble !! Les 8 km jusqu’au ravito de Grande Chaloupe sont avalés en 50 min !!
Grande Chaloupe – Km 154 – Dimanche 00h43 – Temps en course 50h43 – 1 424ème
J’arrive comme une tornade au ravito. Caro me masse rapidement les jambes, je veux profiter de mon état de grâce, je prends à peine le temps de manger, je bois un café et je repars, enfin la dernière bosse… et puis je pourrai dormir…enfin…
La première partie de montée se fait sur un bout du chemin des anglais, puis, rapidement, nous suivons une route forestière bétonnée. Je suis, à bon rythme un groupe de 3 coureurs du Bourbon. C’est agréable de ne pas avoir à regarder où poser les pieds ! De temps à autre un éclairage public aide à maintenir réveillé. Nous traversons une commune assez grande que je n’identifie pas. Le village est endormi. Cette montée va durer 1h30 environ, mais je me sens relativement bien. Après une longue descente sur route, nous passons un point de contrôle, je demande à la bénévole par où nous nous dirigeons. Elle m’indique la montagne que je ne peux voir sur ma droite « Vous voyez l’antenne relais et la lumière rouge là-haut ? Et ben c’est par là-bas ». Je regarde cette lumière si lointaine et commence la lente ascension vers Colorado. De nouveau la fatigue me tombe dessus, d’un coup. Je n’arrive plus à tenir les yeux ouverts… mon regard se brouille…. Je trébuche presque à chaque pas… je ne suis pas fatigué, je ne peux juste pas voir où je vais. Je me pose donc sur le côté du chemin, là où je suis. J’ai la lucidité de laisser ma frontale éclairée pour ne pas me faire marcher dessus. Je ne me demande même pas si il y a des chiens ou d’autres bestioles. Je m’allonge et ferme les yeux 5 minutes. Malgré tout je n’arrive pas à m’endormir. Je reste concentré sur les bruits extérieurs des coureurs qui passent à côté de moi. Cette pause me permet quand même de repartir, d’y voir à peine plus clair… mais l’effet est vite passé ! Je suis maintenant un coureur, dossard jaune comme moi. Je voudrais engager la conversation avec lui, pour me tenir éveillé, mais je n’y arrive pas. Mon cerveau est incapable de réfléchir à quelque chose de censé. Le terrain a changé autour de nous : les chemins de pierre ont cédé la place à une terre jaune/orangée. C’est en tous cas ce que je distingue à la frontale. Je distingue enfin la lumière rouge de l’antenne relais en sortant des bois. Elle est mon repère, la seule issue… Mais il y a un problème, on s’en éloigne…. Je suis les pas du coureur devant, il est bien sur la trace, je vois le balisage au loin… mais on s’éloigne de la lumière. C’est anormal : en bas, la bénévole m’a bien dit qu’il fallait aller à la lumière rouge. Je le dis à celui de devant : « c’est pas bon, il faut aller à la lumière rouge, à l’antenne !... Faut bifurquer à gauche…on n’est pas sur le bon chemin ! ». « Je sais pas… je crois qu’il faut plutôt suivre le balisage….. » me répond-il. Evidemment qu’il faut suivre le balisage ! mais à ce moment de la course, je n’ai plus ce minimum de réflexion. Je lui dis : « non, il faut prendre à gauche, l’antenne elle est à gauche » et je prends le 1er chemin à gauche. De loin, le coureur me lance « Je crois qu’il vaut mieux suivre le balisage… » mais je ne l’écoute plus, je suis sûr de moi, il faut aller à l’antenne rouge ! Je m’enfonce seul dans ce chemin en direction de l’antenne. Au bout de quelques minutes, je me rends compte qu’il y a un problème : personne ne me suit, je ne vois aucune frontale à l’horizon… est ce que c’est vraiment le bon chemin ? Oui l’antenne est là-bas, je la vois. Mais j’ai un doute… non il faut que je revienne en arrière, c’est mieux de suivre le balisage (tu m’étonnes !!), peut-être qu’on va bifurquer après sur la gauche ? Je fais demi-tour et reviens sur mes pas, je retrouve le chemin et je suis de nouveau une frontale. On va bien finir par arriver à l’antenne ! En fait on y arrivera jamais à l’antenne ! Cette antenne était juste un repère visuel que m’a donné cette bénévole, on va passer 1 km environ sur la droite. Un esprit lucide l’aurait évidemment vite intégré, mais l’état second dans lequel je me trouve m’aurait, sans même que je m’en rende compte, fait faire une grosse bêtise.
Après ce qui m’a paru être des heures, nous apercevons enfin, au loin, les lumières du ravito. Mon esprit est complètement partit : à ce moment de la course, je me dis que je ne pourrai pas, dans cet état, fait la grande descente sur Colorado. Mais j’ai promis à Alexandre que j’arriverai au bout… mais comme je ne vois pas comment je peux faire, je me dis que le mieux c’est de rentrer à la maison dormir 3 ou 4 h. J’ai 11h d’avance sur la barrière, donc pas de problèmes… oui c’est ça je vais dormir juste quelques heures, c’est la seule façon d’arriver en bas !... J’ai complètement oublié que Caro remontait à ma rencontre. Je ne pense même plus à la fin. Je ne pense qu’à une chose : je dois me reposer chez moi pour pouvoir faire cette descente, j’ai promis à Alexandre et à Thomas que j’arriverai. Et puis je me rends compte que ce n’est pas possible : je ne peux pas aller chez moi, sinon je vais être disqualifié. Peut-être que si j’explique au directeur de course, il va comprendre la situation ? La situation me rend très triste… je n’ai pas la force de pleurer. Mais si je le pouvais, je m’arrêterais là, et je pleurerais…. C’est tout… Je ne suis absolument plus rationnel, j’ai perdu toute notion du réel…..
Quelques centaines de mètres avant d’arriver au ravito, j’aperçois sur ma droite un bloc sanitaire…. Ce n’est pas une hallucination. J’ai besoin de trouver un endroit sec pour m’allonger. Ce bloc sanitaire est mon oasis, à l’écart de la course, sans bruit.… je m’allonge sur le carrelage, protégé par ce maigre toit. J’oublie de mettre un réveil et je m’endors. Je suis incapable de dire si j’ai dormi 2 min ou 40 min. Je me réveille beaucoup plus lucide je me relève et me mets à trembler de tous mes membres, je ne contrôle plus ces tremblements, le froid et la fatigue montrent encore leurs signes… je rejoins les lumières du ravito.
COLORADO – Km 164 – Dimanche 04h22 – Temps en course 54h22 – 1 434ème
Je n’ai pas faim, mais je sais que maintenant ça n’est plus grave de toutes façons, il n’y a plus qu’à descendre. Je prends un café, j’entame la discussion avec une femme qui boucle son 2ème raid. Je la félicite. Elle est blessée au genou et avance très doucement mais elle a bien l’intention de terminer. Je lui confirme que plus rien ne pourra s’y opposer… ça la rassure. Elle me voit partir et me dit qu’elle me suit, mais que je ne l’attende pas. 2 km après le ravito, juste avant la redescente, je vois de nouveau apparaître le visage de mon ange ! Caro m’attend pour cette descente finale. Je ne lui fais pas part de mes péripéties sur les hauts de Colorado, elle s’est bien assez inquiétée tout le long du parcours. La descente est un vrai bonheur. Elle est longue mais pas de technicité particulière. Il faut juste continuer à encaisser dans les cuisses ces marches incessantes de cailloux et de racines. Nous avons doublé quelques concurrents qui étaient très mal en point. De mon côté, musculairement, c’est pas si mal, bien sûr les cuisses et les mollets ont chauffé, mais la prépa a tenu son rôle. Le dessous des pieds est douloureux, voire très douloureux… là encore rien d’anormal après 55h en course. J’ai eu la grande chance de ne pas m’être blessé, ce qui est un exploit sur une course comme celle-ci.
Le jour s’est levé, nous apercevons St Denis en contre bas… Caro m’explique que le stade est caché par la montagne, qu’on va le voir d’un coup. C’est effectivement le cas. Dans moins de 2 km Je franchirai la ligne d’arrivée. J’ai vécu tant d’émotions durant la course qu’à ce moment rien ne vient… j’apprécie juste des derniers mètres. Nous finissons la descente et nous retrouvons sur un chemin très large et bizarrement plat. Ça faisait si longtemps, j’avais oublié. Nous marchons à bonne allure… et puis une route goudronnée qui mène à l’entrée du stade. Quelques spectateurs nous encouragent. Caroline me propose de courir pour finir. L’idée est étonnante (…) mais pourquoi pas ! On se met à courir, côte à côte. D’abord poussif, le rythme devient bon. Un virage, puis un autre, on va rentrer dans le stade, notre course est ralentie par un concurrent qui est avec toute sa famille, le temps qu’ils s’en aperçoivent, ils se mettent sur le côté. J’entends un des accompagnants qui dit à ce concurrent, « Allez !! te laisse pas dépasser !! » Le pauvre s’accroche, je l’entends juste derrière mois. Il reste 200 mètres, j’accélère encore pour creuser l’écart. Ce n’est pas la place qui m’intéressait, mais le fait de pouvoir finir sans être entouré d’une dizaine de personnes. Et puis j’ai promis à Thomas de parler à la caméra (qui est à gauche, hein papa, tu y penseras !). Fabien est là pour assister à l’arrivée, le pauvre aura passé une petite nuit à m’attendre. Il nous filme sur cette dernière ligne droite, je garde avec précaution la main de Caro dans la mienne et je lève les bras au ciel en passant l’arche…
LA REDOUTE – Km 169 – Dimanche 05h54 – Temps en course 55h54 – 1417ème
C’est une sacrée aventure ce grand raid. Je connaissais le format km/déniv pour l’avoir déjà fait plusieurs fois. Mais il est particulier à plusieurs titres : la topographie est bien différente de celle des Alpes : il y a peu de montées franches, le dénivelé se fait par accumulation de montées, puis descente, puis montées,… Le terrain est très cassant : des racines, des grosses pierres, 90% du chemin est composé de marches naturelles, il est impossible de tenir une cadence régulière et les muscles sont beaucoup plus sollicités que sur une montée « sèche ». Les écarts de températures sont très importants et se répètent de nombreuses fois sur la course, c’est usant. A ce titre, si je tentais une comparaison (très hasardeuse hein…) Sans aucun doute plus dur qu’un UTMB (les temps des 1ers l’atteste) mais moins cassant que l’échappée belle, qui reste assez nettement plus dure. L’ambiance autour de la course est incroyable : l’île vit pour la course pendant plusieurs jours. La ferveur des spectateurs est unique, de la 1ère heure à la dernière ! Le départ est absolument incroyable !!
Cette course a été pour moi une succession de rencontres, de découvertes. Fabien Sandrine et Leela, copains que nous connaissions peu, j’ai découvert une famille engagée, souriante, d’une incroyable spontanéité, ils se sont mis à notre service ! J’ai eu beaucoup de joie à partager les moments que nous avons eu, vous êtes les bienvenus chez nous quand vous le souhaiterez ! J’ai rencontré beaucoup de personnalités sur cette course, notamment les réunionnais pour qui cette course est un symbole extrêmement fort. J’ai cheminé un moment avec un père d’une cinquantaine d’année et son fils qui devait en avoir une trentaine. Ils semblaient heureux d’être ensemble à partager ce moment…. J’espère pouvoir faire un jour la même chose avec mes enfants ! J’ai découvert une île, dans sa géographie et encore plus dans son âme. J’ai eu mal pour les esclaves dans Cilaos et dans Mafate, j’ai adoré écouter les émissions simples et attachantes de la radio locale, 1ère dans laquelle les réunionnais expriment leur quotidien. J’ai aussi découvert un une face cachée de mes enfants. Alexandre m’a particulièrement touché : très engagé dans le suivi, il m’a transmis des messages très forts, qui m’ont énormément touché. Thomas s’est moins exprimé, mais je sais qu’il était tout aussi assidu et stressé dans les mauvais moments ; Merci pour votre soutien à distance ! Enfin, mon admirable épouse. Caro tu as été exceptionnelle tout le long de ce énième suivi. Sans toi l’aventure aurait été beaucoup plus difficile à vivre. Merci. Tous les couples n’ont pas la chance de se redécouvrir après 20 ans de mariage… il va maintenant falloir trouver le challenge des 40… !
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27 commentaires
Commentaire de Mazouth posté le 29-10-2018 à 22:19:10
Quelle énorme aventure de la team de Brignais ! Tu m'a fait vibrer pendant trois jours et quel beau récit. Bravissimo !
Commentaire de Amie Lutin Katia posté le 29-10-2018 à 22:47:42
Super récit, très émouvant. Ravie d'avoir pu passer un moment avec vous au retrait des dossards. J'ai eu la chance de croiser Caro plusieurs fois et d'avoir de tes nouvelles. Tu es un champion! et effectivement bravo à Caro que du bonheur… Je lui aurai bien quémandé un massage! Cette course est vraiment extraordinaire et on le ressent bien dans ton récit. Bravo
Commentaire de bubulle posté le 29-10-2018 à 23:10:37
On a passé un week-end de ouf avec vous....:-). Quelques moments mythiques comme le coup du téléphone à Marla, qu'on a quasiment vécu en direct. Ou le suivi de la balise de Yves, au début, en croyant que tu étais avec et que tu étais parti comme un dingue.
Ou bien les calcul délirants de temps de passage sur la fin o tu as passé ton temps à faire n'importe quoi pour que mes prévisions soient fausses, pfff.
Mais ce qu'on n'avait pas c'est ce qui trottait dans ta tête et là, on est servis....
Je pense quand même que le coup de l'antenne et du mec tellement azimuthé qu'il refuse de suivre le balisage, ça va devenir une belle légende, y'en a une qui va se faire chambrer dans les Offs, si jamais il y a des antennes dans les Monts du Lyonnais
Commentaire de Cheville de Miel posté le 30-10-2018 à 05:04:25
J'ai l'impression que tu as vécu le même voyage que moi l'année dernière avec beaucoup de point commun et un temps presque semblable. On a juste inversé les rôles dans le chemin des Anglais et Colorado. C'est quand même a faire une fois ce truc!!!
Merci pour le CR, ce fut un plaisir de te suivre pendant ton "voyage"!
Commentaire de polosh posté le 30-10-2018 à 07:42:39
Bravo Franck (et Caro !), sacrée aventure, et surtout sacrées émotions !!!
Commentaire de Arclusaz posté le 30-10-2018 à 08:18:46
La machine était un peu grippée mais elle est tellement solide que même diminuée elle est allée au bout. Faut dire que la responsable de la maintenance est top ! bravo pour cette aventure vécue à deux....et même à plus tant vous étiez suivis. Bon maintenant repos car de toute façon tu n'as plus rien de prévu avant la fin de l'année......
Commentaire de tidgi posté le 30-10-2018 à 08:22:08
Quelle aventure ! Dont on ne revient pas tout à fait comme avant, et avec des souvenirs de cette "île intense", qui restent marqués.
You dit it ! Bravo encore survivor :)
Commentaire de TomTrailRunner posté le 30-10-2018 à 08:51:04
Tout est mental à ce jeu là & tu l'as parfaitement joué.
Bravo à vous deux :)
Commentaire de Jean-Phi posté le 30-10-2018 à 09:34:15
Magnifique voyage d'introspection ! Tout en délicatesse et en souvenirs passés et futurs. Ca fait vibrer et me confirme que l'ultra plus jamais.
Je n'ai pas what's app et donc pas pu voir tes exploits en direct mais j'ai suivi ici et sur le live du site du GRR ta progression et ton CR me confirme ce que je pressentais : des hauts et des bas. Mais comment faire autrement sur de telles courses ?
Bravo à toi et ta team toujours si présente. C'est un avantage indéniable et tu as raison d'en user et abuser.
PS : Je ne savais pas que vous couriez aussi sur l'eau. Parce que dépasser une goëlette, c'est quand même balèze !!! A mois que ce n'était une joëlette ? ;-)
Bon je te taquine, il fallait bien que je j'édulcore un peu toute l'admiration que j'ai pour ton parcours. Bravo !
Commentaire de _Romu_ posté le 30-10-2018 à 09:51:43
Bravo Franck, Bravo Caro...
Quelle aventure incroyable et quel récit touchant.
Rien n'était gagné d'avance mais tues tellement fort, physiquement et mentalement
Tu peux compter sur une assistante, une épouse incroyable
Quel beau binôme, quel beau couple vous formez...
Récupère bien mon ami, repose toi bien avant de fouler les chemins, car tu as l'air d'avoir puisé un max.
Commentaire de Roussin posté le 30-10-2018 à 10:02:55
Bravo Franck,
Belle course et récit beau et touchant.
Commentaire de fanfan1978 posté le 30-10-2018 à 10:41:44
il est parfois des récits qui font rire, d'autres qui inquiètent, et puis il y a des histoires et des aventures, et l atienne me fou une boule dans la gorge.
merci pour ton incroyable récit si franc et humain.
A bientot au flore
françois
Commentaire de SupermanEnTrail posté le 30-10-2018 à 11:27:12
Bravo, super récit qui nous donne l'envie de tenter l'aventure!!!!
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 30-10-2018 à 15:17:18
Tu ne connais pas tous les vices du Lutin...
Bravo pour ton aventure.
Commentaire de Kirikou69 posté le 30-10-2018 à 16:45:47
Quelle force, quel courage , quelle aventure!!
Bravo Caro pour supporter Franck depuis 20 ans : un exploit qui n'est pas donné à tout le monde :)
Commentaire de coco38 posté le 30-10-2018 à 16:54:02
oh bon dieu ! J'ai failli pleurer plusieurs fois en lisant le récit. Bravissimo à Caro et à toi... mais que d'émotions !
Commentaire de arnauddetroyes posté le 30-10-2018 à 19:40:00
Content d avoir rencontré le Team Brignais et d avoir partagé quelques Moments avec ,ton récit est à la hauteur de la Course ,Epic!
Commentaire de Davitw posté le 30-10-2018 à 23:05:17
A tous points de vue : il est très fort ce récit... tout comme la Famille DeBrignais, quoi ;)
Chapeau à vous les amoureux ! à très vite pour fêter ça !
Commentaire de razyek posté le 31-10-2018 à 08:18:17
Je ne te connais pas Franck mais dans la mesure où cette course me fait méchamment rêver j'ai lu ton recit. Et bien m'en a pris...ton récit est juste parfait, tout y est,on ressent parfaitement l'émotion sur tubas vécu sur cette longue traversée...par contre pas cool hein,j'ai même versé ma petite larmichette sur la fin ^^
Bravo à toi pour cet exploit, et bravo à ton épouse, pour vivre les ultras avec la mienne je sais combien leur soutien est essentiel.
Commentaire de meocli posté le 31-10-2018 à 13:05:31
Waow!!
Quel récit, quelle course!!
Je suis impressionné; merci pour le partage.
À bientôt j’espère.
Et surtout: bravo.
Commentaire de meocli posté le 31-10-2018 à 13:05:53
Waow!!
Quel récit, quelle course!!
Je suis impressionné; merci pour le partage.
À bientôt j’espère.
Et surtout: bravo.
Commentaire de Fironman posté le 31-10-2018 à 16:18:36
Bravo à toi et à ton épouse ! Récit passionnant, félicitations pour cette course très courageuse. Très émouvant, j'adore lire ça. ;-)
Commentaire de Katman posté le 31-10-2018 à 21:55:36
Immense bravo Franck! Et magnifique récit, on s’y croirait! Au delà de la performance physique et mentale, c’est aussi une belle déclaration d’amour pour Caro. Un projet comme celui là se bâtit sur de solides fondations familiales. Félicitations à vous deux!
Commentaire de Ewi posté le 01-11-2018 à 20:31:32
Sacré récit... On a l'impression d'y être. Et force est de constater qu'on rigole pas mal avec ton statut de V3 (ou V5? je sais plus), tu nous donnes une sacrée leçon de "mental" et de dépassement de soi.
Sacrée déclaration à Caro, c'en est tres émouvant.
Tout est la pour faire un super biopic, Hollywood devrait pas tarder a te contacter :D
Commentaire de Shoto posté le 02-11-2018 à 18:24:09
Bravo Franck pour ta place de finisher et pour ton beau récit qui nous fait vivre avec intensité cette magnifique mais dure course. Bravo aussi à ton assistance Caro hyper professionnelle et hyper présente ... A-t-elle le don d'ubiquité ... ou une soeur jumelle ? a-t-elle pu dormir une peu ?
Commentaire de paulotrail posté le 03-11-2018 à 18:39:12
"Ce moment est hors du temps, je marche sans douleur, sans chronomètre, sans objectif. Peu importe où se trouve la fin, peu importe si je dois voir la ligne d’arrivée ou pas. J’ai trouvé ici ce que je suis venu chercher."
Oui, c'est exactement çà...
Bravo à vous !
Commentaire de Benman posté le 22-11-2018 à 16:26:23
Incroyable aventure vécue à deux. je suis admiratif du coureur comme de sa suiveuse. Vous avez réussi un exploit et un performance incroyables, que nos suivis du fond de nos canapés bouzinés tendent à rendre ordinaires, alors qu'ils sont réellement extraordinaires.
Chapeau la famille de Brignais. vous avez gagné vos lettre de noblesse.
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