L'auteur : Hippolyte30
La course : Les Templiers
Date : 28/10/2007
Lieu : Nant (Aveyron)
Affichage : 5631 vues
Distance : 67km
Matos : sac raid light ultra light water pack d'1 litre et 1/2, coupe vent raid light, chaussures asics sensor,
Appareil photo Lumix panasonic
Objectif : Se défoncer
Partager : Tweet
254 autres récits :
Zinzin reporter et les Templiers
Ce matin, je me scrute dans la glace en touchant mon visage boursouflé, rougi par le soleil d'automne. J'ai un drôle de regard, les yeux éclatés, fiévreux. Au dessus, les veines du front sont saillantes comme rarement. Ce n'est pas beau. L'afflux sanguin a du être énorme hier. Mes jambes sont dures comme de la pierre, mais je me sens bien, heureux, tranquille, plein de force. Hier, sur le parcours des Templiers, j'ai eu tellement d'émotion.
Tout s'entrechoque en ordre dispersé dans mon crane. Comme des étoiles filantes, les souvenirs traversent mon cerveau qui ne capte plus rien, puis d'autres idées arrivent et en laissent passer d'autres. Gros soupir. Malgré la fatigue, impossible de dormir. A 5h30 du matin, j'étais réveillé. Dans un demi-sommeil, j'ai redéroulé la course d'hier. Le départ à la frontale, les paysages des Cévennes, la descente vertigineuse de Saint-Sulpice, j'entends les bruits de pas dans la nuit, les pierres qui déboulent dans la pente. Je double des concurrents, encore et encore mais je ne souffre plus.
Hier, je suis devenu Templier après 67 km de course hors normes. Je ne m'en croyais pas capable mais le corps et l'esprit ont des réserves insoupçonnées. Au moyen-âge, les clercs écrivaient les épopées des croisés à force d'enluminures. Ce sont mes ancêtres. Voici donc ma dernière croisade ( sic).
Fantasme
La grande course des Templiers fait partie des épreuves mythiques à faire absolument au même titre que le marathon de New York ou l'Ultra Trail du Mont-Blanc. Rien que le nom fait rêver les coureurs à pied. Ce trail de 67 km pour 3000 de dénivelé positif se déroule entre le Larzac et les Cévennes. Un coin pour dur au mal. Les sentiers y sont difficiles et les vallées inextricables. Il y 1000 ans, les derniers templiers y ont fondé des villages, à l'écart, d'où le nom de ce trail.
Comme de nombreux trailers ( ce sont les coureurs qui pratiquent le trail, c'est à dire des courses natures de plus de 42 km), j'ai d'abord fantasmé en lisant les revues spécialisées. Vu la longueur de l'épreuve, les récits des Templiers finishers ( ceux qui finissent ) étaient forcément épiques. Je me disais franchement : " Ce truc-là, ce n'est pas pour moi. Je suis un trop petit moteur. Jamais, je n'arriverais à courir aussi longtemps avec en plus des montagnes à gravir. Non, très peu pour moi. Déjà que je finis les marathons à l'agonie." J'étais admiratif en regardant les vidéos de l'organisation. " Ouah, ils sont forts ces gars et ces filles. 8 à 12 heures d'effort dans la boue et les cailloux, chapeau". Oui, j'ai d'abord été marqué par toutes ces images, l'idée a ensuite fait son chemin. Pourquoi pas moi ?
Zenitude
Contrairement à mon habitude avant un grand rendez-vous, je ne suis pas trop stressé la veille de la course. Depuis 2 mois et 1/2, je suis super bien préparé par Robert Benazet à raison de 6 séances et 11 heures par semaine . Physiquement, malgré mes 43 ans bien sonnés, je ne me suis jamais senti aussi fort. Mon oncle Léo, l'intello de la famille me répète d'ailleurs souvent " C'est à partir de 45 ans que mon corps a commencé à être moins efficace. Tu as raison, Denis, il faut en profiter. Je te comprends. Mais tu luttes contre la vieillesse et elle finira par te rattrapper, comme tout le monde" Tout à fait, Tonton, mais je me soigne. Je n'ai mal nulle part ce qui est chez moi un exploit. Pas de problème au dos, ni aux tendons d'Achille, pas d'angine. Rien. Je suis zen, prêt. Je le disais à tous mes potes, Ludo, Lolo, Fabrice, Stéphane, Louis-Charles, Corinne, Caroline, Brigitte, Alain, Pierre, etc : "Je me sens au top. C'est drôle à dire, mais dans ma tête, il n'y a pas de place pour l'échec. C'est la première fois que j'arrive à dire ça. Merde, ce sont les Templiers mais j'ai vraiment envie de réussir. A part une blessure, je ne vois pas ce qui peut m'empêcher d'aller au bout." Seule grosse incertitude : la vitesse de course. A 5 jours du départ, je questionne mon entraîneur : " Robert ? Je ne sais vraiment pas à quelle vitesse démarrer ! "." Tu dois partir tout doux, me dit-il, comme pour un footing. Et t'emballes pas, ça va être long. A mi-parcours, tu dois être encore frais. Après, c'est dans la tête. Mais si tu te sens bien aujourd'hui, il n'y a pas de raison que ça se passe mal dimanche." Tous les feux sont au vert...
Stress garanti
Non, ce qui me stresse, c'est le boulot. J'ai le talent pour me mettre dans le pétrin, comme le boulanger et le meunier, au four et au moulin. Je veux faire la course à fond mais j'ai aussi envie de faire découvrir cette épreuve au grand public. Seulement, à France 3, on n’ est jamais aussi bien servi que par soi-même. J'ai donc proposé à mon rédacteur en chef un direct dans le journal télévisé la veille de la course. J'envisage aussi de faire un reportage sur l'ambiance la veille du départ avec comme fil rouge l'ancien cycliste Christophe Bassons reconverti dans la course à pied. Tout fonctionne à merveille mais ce n'est pas l'idéal pour se concentrer.
Comme cela ne suffit pas, j'ai décidé aussi d'innover pour relater les Templiers de l'intérieur. Je vais courir avec un appareil photo numérique capable de faire de petites vidéos. Les techniciens de ma chaîne sont circonspects, ils doutent de la qualité de l'image. Ils ont raison. On est une grande télé de service public... avec ses lourdeurs. En fait, C'est Ludovic, un ami journaliste du Midi libre qui m'a donné l'idée voici 2 semaines. Nous étions en train de repérer la fin du parcours et il m'a dit : " Denis, on va faire un petit film. Action. Allez dis-moi à quoi tu va penser ici dans 2 semaines ? " Pour toute réponse, je me mets à chanter en pleine forêt à tue-tête la musique enivrante du groupe ERA, "Améno". Ce titre symbolise les Templiers. L'organisation le diffuse à plein tube chaque année lors du départ. Un beau moment. Ensuite, mon pote m'a envoyé le fichier par mail et là, je me dis " Génial, ce Ludo ! Il fait de la télé sans le savoir comme M. Jourdain ." Le son est bon, l'image est acceptable, je vais tenter le truc même si cela doit me coûter de nombreuses minutes à l'arrivée. De toute façon, je ne vais jamais gagner les Templiers. Je suis journaliste télé avant tout.
D'ailleurs, ce double statut interpelle mes confrères du magazine VO2. Ils organisent l'épreuve. " Si tu es d'accord Denis, me demande Bruno Poirier, à l'arrivée, on souhaite faire un portrait sur toi, ta course et tes coups de cœur durant l'épreuve." Mouais, il va vraiment falloir que je la termine cette galère. 2 jours avant l'épreuve, je teste mon appareil en courant autour de chez moi. Ce n'est pas facile de courir et se filmer en même temps au jugé, sans se voir et en évitant de trop bouger. Ma belle-mère me regarde faire, désemparée. Décidément, sa fille a épousé un drôle de zinzin.
Objectif : finir
Finir. C'est mon objectif premier sur les Templiers. Comme je saute dans l'inconnu, c'est la première fois que je vais courir aussi longtemps, je cale ma tactique de course sur un gars qui a fait 8h30 l'an dernier. Dans son récit trouvé sur internet, il donne tous ses temps de passage. C'est très pratique " 1h30 au 1er ravitaillement à Sauclières , 3 h00 au Saint-Guiral, 5h20 à Trèves etc." Ce compte rendu est une mine surtout pour le team de " Zinzin reporter ", c'est mon surnom. Sandrine et mes 2 enfants Hippolyte et Eléonore vont ainsi pouvoir me suivre heure par heure et me retrouver lors des ravitaillements. Ma femme a bien repéré le parcours sur la carte : " Denis, c'est bien ça, tu es certain d'arriver à Dourbies 4 heures après le départ ?" me demande t-elle interrogative. Elle stresse car toute la famille est censée me ravitailler en temps et en heure. " Sandrine, ne te bile pas, je lui réponds, si tu me rates, ce n'est pas grave. Je t'ai dit que j'ai pompé ces temps sur un coureur de l'an dernier que je ne connais même pas. Je ne sais pas si je vais aller aussi vite que lui. On verra bien. C'est une fourchette, rien de plus. Cool. J'espère finir entre 8h30 et 9h00. On verra bien ". Les enfants sont excités. Ils n'arrêtent pas de me dire : " Ok papa, ton objectif, c'est de finir, d'accord mais tu n'abandonnes pas et surtout tu n'arrives pas dernier d'accord ?" Je souris en les embrassant.
Demain matin, la course démarre à 5h30 du matin de Nant en Aveyron. " Papa, on pourra se lever tôt pour venir te voir au départ ? demande Hippolyte, 10 ans dans 10 jours. " Ouiii, cool ! T'oublieras pas de venir nous réveiller." Le fiston a peur de manquer l'événement car par manque de place, je ne dors pas dans la même chambre qu'eux. Je me retrouve dans la piaule d'à côté, sur un matelas parterre avec Yannick, le caméraman et Stéphane, un copain du club de Vergèze, qui dort à même le sommier. Ce trailer gardois de très haut niveau fait partie des 2 potes que j'ai pu inviter sur la course. Je fais un dernier checking de mes affaires. L'organisation nous oblige de partir avec une réserve d'eau d'1,5 litre, un sifflet, une couverture de survie et un coupe-vent. A part ça, on se débrouille. Les Templiers se disputent en semi-autonomie et il n'y aura pas de ravito en solide avant 37 km ! J'ai le dossard 1953." Tiens, c'est ta date de naissance me dit gentiment Yannick en se marrant. Je vais lui montrer demain ce qu'il a dans les jambes le vieux.
Comme dans un rêve
Je passe une nuit délicieuse, sans rêve ni cauchemar. A 3h14, je me réveille par reflexe, à 3h15 le réveil sonne. Je suis prêt ! Mais pas encore pour courir. Je me prépare en vitesse pour aller...travailler. Ce n'est pas l'idéal pour entamer les Templiers. Dans la précipitation, je vais serrer à mort les nœuds de mes chaussures sans penser à bien régler les lacets. Du coup, je vais faire les Templiers avec des pompes mal réglées ! Nous partons filmer le montpelliérain David Laget en train de faire ses derniers préparatifs. C'est le meilleur des marathoniens inscrits. Puis nous allons sur la ligne de départ, à 400 mètres de là. Je tombe sur Gilles Bertrand, l'organisateur et lui demande par interview interposée des consignes pour les débutants : " Oh, moi, ce que je conseille dit-il avec sa voie douce et trainante, c'est de démarrer tranquillement, de rester dans sa bulle, de se concentrer pour arriver à Dourbies avec de l'envie. Après, c'est là que commencent véritablement les Templiers !" Puis, on fait l'interview de quelques favoris. Il est 5h25. " Bon, j'y vais Denis me lâche Yannick, bonne course ". Voilà, je deviens enfin trailer à 5 minutes seulement du départ. Je n'ai pas eu le temps de cogiter, ce n'est pas plus mal.
5h30, la rue principale de Nant s'illumine de fumigènes rouges avec en fond sonore " Ameno" la musique celtique et pompeuse du groupe ERA. Le gars qui n'a pas les frissons à ce moment-là n'est pas humain. Malgré l'heure matinale, il y a foule le long de barrières. Sandrine et les enfants doivent être quelque part mais où ? Ca part comme pour un semi-marathon, je suis en 20-25 ème place et là, au 1er virage, sous les photographes, je retrouve les miens : " Sandrine, Sandrine, je suis là, dis-je en levant les bras en l'air ". Elle me verra une fraction de seconde en me pointant du doigt pour les enfants. Ca commence bien. Le premier rendez vous a fonctionné.
Tout est allé tellement vite que je n'ai pas eu le temps de savourer . Nous sommes déjà dans le noir à la sortie du village. Je cours à côté de Stéphane. Il est facile à repérer avec sa veste blanche. Tout à coup, quelqu'un me touche l'épaule :" Eh, Denis, c'est moi, Louis-Charles " Dans l'affolement, je l'avais complètement zappé. C'est mon collègue d'entraînement. Un sacré coureur lui aussi. " Mais c'est dingue, lui dis-je. Comment tu as fait pour me retrouver dans le noir. Avec les frontales, on est tous pareils ". Il me sourit :" En fait, j'ai vu que tu as bossé jusqu'au dernier moment sur la ligne et je t'ai repéré grâce à l'éclairage de la caméra ." Il m'épate. Voilà, cette fois, la course est bien lancée. Je suis entouré comme par magie par mes 2 amis. Nous prenons de la hauteur. La vision est exceptionnelle. Comme nous sommes dans les 200-300 premiers, au loin, dans un virage nous voyons au fond de la vallée, à 3 km, une ligne ininterrompue de frontales. 3200 loupiotes. C'est féérique. " C'est Noël avant l'heure" répète plusieurs fois Stéphane. De l'autre côté du versant, de nombreuses voitures montent en direction de Sauclières pour voir notre passage au premier ravito. Les feux rouges des lumières arrières se suivent par dizaines. Il y a certainement un vieux scénic vert dans le cortège avec à l'intérieur Sandrine et les enfants. C'est l'autre course, celle des suiveurs. Les premiers arrivés seront les mieux garés et les plus prompts à repartir.
Dans le brouillard
Il fait froid, humide et en montant sur Larzac, nous nous heurtons à un brouillard fantasmagorique. J'ai l'impression d'être dans un film. Les lumières des frontales ne sont pas assez efficaces comme des projecteurs de voiture en pareil circonstance . Et puis, comme on fait de la buée, la vision est loin d'être parfaite. Splof " Et merde, je viens de patauger dans une flaque ". Il ya eu de grosses pluies 2 jours avant la course et le sol est détrempé, glissant. Nous avançons à 11-12 km/h en fonction du dénivelé. Parfois, nous marchons dans des grosses herbes mouillées. C'est plus que rafraichissant. Glaçant pour tout dire. Mais nous sommes tous excités dans le peloton, heureux de courir dans un décor pareil. " Allez moins vite ! Vous courez beaucoup trop vite " nous rappelle souvent à l'ordre Stéphane. Pourtant, nous avons l'impression de nous traîner. Assez rapidement, nous atteignons le plateau du Larzac. Nous ne verrons rien du Causse. Par 2 fois, nous coupons une route goudronnée au milieu de la nuit. A chaque passage, du public encapuchonné nous applaudit. C'est bien, cela nous réchauffe le cœur et cela change du bruit de respiration de mes camarades. Nous sommes tous assez silencieux, repliés sur nous-mêmes. Il faut intérioriser tout ce qui va se passer dans la journée et puis, le terrain est tellement casse- gueule qu'il vaut mieux se concentrer.
Je sors parfois mon appareil photo pour enregistrer des séquences. L'exercice est périlleux. Tout en courant, comme un aveugle, je dois ouvrir la pochette à droite, sortir le compact sans faire tomber mon ravitaillement en gel sucré, refermer la pochette. Puis, je dois sortir l'appareil de son étui, vérifier qu'il est en marche sur la touche vidéo, appuyer, faire mon speech au jugé, puis l'éteindre et refaire toutes les manipulations dans le sens inverse. Par 2 fois dans la journée, j'ai oublié de reziper la pochette...sans autre incident. Je parle en tenant l'appareil à bout de bras comme si j'avais envie de me photographier tout seul. Je ne sais vraiment pas ce que ça va donner. Je n'ai fait aucun essai de nuit :
" Voilà, cela fait maintenant 1h30 que nous courons sur le Larzac avec mes 2 amis, Louis Charles de Villeneuve-les-Maguelonne et Stéphane de Vergèze, pour l'instant ce n'est que du bonheur. Dans quelques kilomètres, c'est le premier ravitaillement en eau à Sauclières. Nous en serons alors à 14 km. " Clap
Ravitaillement raté
Avant Sauclières, Louis-Charles nous abandonne. Il a à faire, seul , dans la forêt. " Ne m'attendez pas, les gars je vous rattrape un peu plus loin " Du coup, il rate ma famille en rentrant dans le village. Eux sont éclairés par les autres concurents mais de leur côté, ils ne voient que des lumières frontales, pas les visages " Eh oh, c'est moi, c'est papa." Ils sont bouche-bée " Papa crie Hippolyte, t'es déjà là, bravo. Vite Tu es dans les 200 premiers. Mais pourquoi tu t'arrêtes, tout le monde te double " " Ce n'est pas grave mon garçon, je lui réponds, la course est beaucoup plus longue qu'un marathon. Je peux quand même faire un bisou à la famille et puis j'ai envie de pisser depuis 10 bonnes minutes. " Je pense qu'ils se rappelleront toute leur vie de ce moment. Ils sont heureux, Sandrine aussi de nous voir aussi bien, aussi frais. Et puis nous sommes dans les temps par rapport à nos prévisions, à la minute près. " Bon, allez, à plus tard au ravito de Dourbies, dans 2h30. Il fera jour. "
En traversant le village, l'accueil est indescriptible. Nous fendons la rue et la foule des spectateurs comme des GI à la libération. Un accordéoniste joue un air de musette. Tout cela, c'est pour nous, les apprentis Templiers. J'ai des frissons. Je me sens indestructible. Je m'arrête pour faire le plein d'eau. Une bénévole se précipite pour remplir ma poche d'eau située dans la sac à dos : " Non, non, je lui dis, je vais le faire; laissez, vous êtes gentille mais....". Grrr. Ne jamais baisser la garde devant des personnes trop bien attentionnées. Elle me met gentiment de l'eau partout puis elle n'arrive pas à fermer le bouchon. Pour le coup, des grappes de coureurs me double. Soudainement, je vois le coupe vent jaune du 3 ème larron " Eh, Louis-Charles, attends, nous sommes là .". Il passe sans nous voir. Nous ne le reverrons pas avant la mi-course. Je dis merci mille fois à la demoiselle sans montrer mon agacement et je m'arrête 100 mètres plus loin pour fermer le camel pak. Je n'y arrive pas. Elle n'est pas la seule à ne pas être douée. Je repars mais j'ai encore de l'eau glacée et collante qui ruisselle dans le bas du dos. " Bordel de bordel, ça commence à m'énerver ce truc ". Je m'arrête une seconde fois et cette fois je prends mon temps. Stéphane en profite pour se soulager.
Le jour s'est levé
Ce ravitaillement a été une vraie catastrophe. Au moins 5 minutes de perdues. Je me raisonne. " C'est quoi 5 minutes sur 9 heures ?". Nous filons à travers bois. " A partir de là, j'ai repéré le parcours sur 15 km jusqu'au sommet du Saint Guiral, 1366 mètres d'altitude " " Et c'est comment ? " me demande Stéphane. " Pas trop dur, je lui réponds mais long ! A cette allure, nous allons mettre une bonne heure 1/4 " Le pourcentage de la pente est régulier. C'est une bonne piste et le peloton est de plus en plus étiré. " Ah, journaliste et coureur à pied, bravo me lance un participant que je dépasse lentement. " t'es d'où toi ? "je lui demande. " Du Bousquet d'Orb, je m'appelle Bernard schoutheer ". Il terminera tout à l'heure en 9h pile ! J'aime bien ce genre de rencontre. En 2 mots et 3 regards, tout est dit.8h00.
Le jour est en train de se lever. Nous sommes toujours dans le brouillard et subitement, au détour d'une clairière, fin de la nuit. En haut de cette petite pente pointe les premiers rayons de soleil. Je regarde autour de moi. Tous les gars ont le sourire ( il n'y a pas une seule fille dans le coin !). Nous venons de passer un premier cap dans l'adoubement de Templier. Je sors la caméra plusieurs fois pour immortaliser le moment. Il faut que les téléspectateurs voient ça. En vrac, lever de soleil majestueux sur les Cévennes à l'Est et mer de nuages au dessus de Nant, en contrebas, à l'Ouest . Le temps est magnifique, limpide même s'il fait toujours aussi froid.
" Moins vite Denis " me prévient Stéphane. Il a de plus en plus mal au genou. Il parle aussi pour moi. Je m'éparpille. Il sent que je suis euphorique et que je perds beaucoup d'énergie à filmer, parler à la caméra et aux autres concurrents. Je m'arrête souvent pour faire des plans puis je repars de plus belle. J'ai de bonnes sensations aujourd'hui. Pas de soucis pour l'instant.
A la recherche du Saint-Graal
Le premier passage mythique est le Saint-Guiral. C'est une sorte de gros chicot, un rocher assez laid posé en haut d'une colline mangée par les vents. Je dois l'atteindre en 3 heures. Les dernières pentes sont sérieuses. Il est impossible de courir sur plusieurs centaines de mètres. Il vaut mieux marcher rapidement, le buste en avant, mais pas trop, tout en poussant sur les cuisses avec les mains. Le trailer use ainsi moins de gaz et se réserve pour les faux plats montant et les descentes. Contrairement au vélo ou au VTT, il n'y pas de plage de récupération en course à pied. Nous sommes toujours obligé de courir, plus ou moins vite certes, mais obligés quand même pour avancer. Je me retourne et je vois une longue file de pénitents sur des km. Les enfants vont être contents, je ne suis pas dernier. En revanche, je ne vois plus Stéphane. Il a ralenti l'allure dans la montée alors que c'est ma spécialité. Je suis un poids plume et j'ai moins de muscles à transporter. Je sors ma caméra. Je parle face à l'objectif :" Bientôt 3h00 de course, on arrive au Saint-Guiral, 1366 mètres d'altitude. On est dans le Gard là, on va basculer dans la vallée de la Dourbies. Bon, vous dire que je suis complètement frais serait mentir mais, bon, je pensais arriver par là sur le coup de 3h00, voilà. Maintenant, il faut continuer à gérer. " La séquence se termine par un crachat et une forte respiration.
Je me fais doubler par Christophe, un trailer rencontré la veille à la pasta party. Il en est à son 2ème Templiers. Ce jeune mec solide, originaire de Salon de Provence, a terminé l'an dernier 113 ème . Ca m'a impressionné. Cette année, il veut faire encore mieux en passant sous les 8 heures. C'est un délai mythique aux Templiers, l'assurance d'être dans les 100. " Salut Christophe" . Il semble surpris puis il me reconnait. "T'as l'air d'en avoir gardé sous le pied en partant moins vite que moi, lui dis-je, allez bonne course " et il s'échappe. A 3 h05, ruisselant, je suis en haut de la montagne pelée. Mais le Saint-Graal n'est pas pour tout de suite. C'est juste le Saint-Guiral, point culminant de notre parcours. La descente derrière est heusement bien tranquille sur une bonne route forestière.
" Bonjour Denis Clerc, alors toujours la forme " me demande un athlète en train de me dépasser. Je ne le connais pas. " J'ai vu sur le site des Templiers que vous faisiez le course dans la course. Bravo. c'est bien pour un journaliste ." Bigre, les nouvelles vont vite. Je continue la conversation " Et toi, tu as l'air en pleine forme !" " Et bien pas trop, me répond t-il, il y a 3 semaines, j'ai fait les 100 km de Millau et je suis un peu émoussé" . Il y a quand même de grands malades sur terre. Je suis interloqué par ce grand type " Ah bon ? et tu as fini combien ?" " 2 ème, je m'appelle Christophe Martin, je suis de Sigean ". Je suis sur le cul ! C'est un vrai champion et j'aurais du le reconnaître. C'est le monde à l'envers. Je m'en excuse et il s'en va à toute vitesse dans la pente. Il finira 68 ème en 7h51.
Comme sur les photos
La suite de la descente est plus périlleuse. A vrai dire, il n'y a pas de chemin. On trace tout droit entre les genets et les grosses pierres en granit posées ici ou là. Nous suivons les rubalises et les points orange. C'est comme sur les photos qui m'ont tant fait rêver des Templiers. Certains ont des bottes de sept lieues. Tel des chamois, ils se jouent des dangers. D'autres comme moi sont plus prudents. Il faut avoir du pied et une cheville en béton armé pour ne pas craindre les entorses. " Fais confiance à tes pieds me dit souvent mon frangin Stéphane, finisher à l'Ultra trail du Mont-Blanc, ils sont plus intelligents que toi". Sympa ! Mais, c'est ça le truc en descente, être relâché, les jambes un peu fléchies, le bassin bas et le corps légèrement en avant dans la pente " Dré dans le pentu" comme en dit en Haute-Savoie, droit dans la pente.
En bas, dans le vallon, c'est Dourbies et la mi-course, 1er ravitaillement en solide autorisé. Comme un flash, je me dis que j'ai encore la même chose à faire, voir plus . Je me reprends de suite. On m'a conseillé de ne pas me projeter trop loin sur une longue distance mais de penser étape après étape. Dourbies donc, je verrais après. Le petit pont qui traverse la rivière du même nom est verglacé. Gil Beysserre, 3 fois vainqueur des Templiers est au milieu. Il attend sa femme, 3 ème des féminines. " Fais attention me prévient-il c'est super glissant ". Le temps de dire ça et je pars en vrille. Puis je tombe nez à nez avec Sandrine et les enfants tout surpris de me voir déjà là. C'est du tragi-comique. J'avais mis au point une technique avec Sandrine. Elle devait m'attendre plus haut, autour du point de ravito, ceci pour respecter le règlement. Elle me tend un sac, tente de prendre une photo tout en essayant de dire aux enfants de ne pas stationner dans le sentier. " Sandrine, ce n'est pas grave, lui dis-je, mais je n'ai pas le droit de me ravitailler ici. C'est en dehors de la zone officielle. Je risque la disqualification " Le concurrent derrière moi, un mec pas sympa enguirlande presque ma femme " Oui, il faut lire le règlement, ici c'est interdit " ajoute t-il sur un ton sec. Bon, on ne va pas s'énerver, on ne joue pas la première place. Grosse débandade quand même chez les Clerc. Il y a encore 500 mètres à faire jusqu'au village et ça monte bien. Je répète à tout le monde que ce n'est pas important, je me reposerai un peu plus longtemps, voilà tout. Plus haut, la traversée de Dourbies, un village des Cévennes tout en escalier, est formidable, tant il y a du monde pour nous acclamer. J'arrive ici en 4 h04 soit en 214 ème position. J'ai 4 minutes de retard sur le meilleur temps prévu.
La course commence maintenant
Je vois d'abord Dominique, mon copain de VTT. C'est un spécialiste des distances marathon. Il me regarde de haut en bas " T'es bien, comment tu te sens ? " me demande t-il " Oh, salut Dominique, moi ça va et toi ?" puis je tombe sur Yannick, le caméraman, en train de filmer le ravitaillement installé dans la salle des fêtes. Il vient vers moi tout en tournant : " Au départ, lui dis-je, Gilles Bertrand, m'a confié que celui qui arrivait mort à Dourbies était fini pour le reste de l'épreuve. J'espère juste ne pas être mort !" A la sortie, Sandrine est là avec tous mes gels. Je fais le plein et tout à coup, assis derrière elle, je distingue Louis-Charles . " Et bien dis donc, ça fait 2h30 que je te cherche Louis. T'es allé super vite. T'es prêt ? Allez, on repart ensemble ." Cela m'a donné un coup de fouet de tous les retrouver. Les enfants ont des étoiles dans les yeux, heureux de me revoir en si bonne forme. " C'est super bien Papa, t'es dans les 200 premiers ." Allez Denis " crient famille et amis et je redémarre plein gaz dans la côte du Suquet, la plus dure du parcours.
Je cours, je marche, je vole alors que la plupart des concurrents subissent cette montée. Rapidement, Louis-Charles freine des deux pieds " Vas-y, me lance t-il. Il vaut mieux aller chacun à son rythme. " Cette partie du parcours est jouissive. Je double les participants les uns après les autres sans jamais me faire dépasser. Je coupe parfois les virages droit dans les pierres. C'est le 2ème souffle. Je rattrape ici le dénommé Christophe. " Putain, t'es super puissant en montée me dit-il. Moi, je n'y arrive pas ". " T'en fais pas, tu reviendras sur moi plus tard. Arrivé en haut, il commence à faire chaud et je ne distingue plus Louis-Charles ni Christophe.
La vue, ici, est sensationnelle. Le petit sentier longe maintenant la crête du Suquet. En contrebas, les vallées cévenoles et du Trévezel sont encore dans le brouillard. Il n'est que 10 heures du matin. Sur la vidéo, j'ai le visage de plus en plus dur. J'ai tiré sur la machine en montant : " Là, j'en suis à 4h40 de course, je n'ai jamais couru aussi longtemps de ma vie, je ne sais pas ce que ça va donner mais tout ce que je sais, c'est que pour l'instant, je ne regrette pas, le paysage est tellement beau."
La descente vers le village de Trèves est difficile, piégeuse avec des gros blocs de pierre et de la boue. Le sentier n'en finit pas de descendre aux abymes et les épingles se multiplient. A un moment, mon pied gauche ricoche sur un rocher. J'ai l'impression d'avoir le gros doigt de pied cassé tellement la douleur est intense. Comme je suis un piètre descendeur, deux gars doublés plus haut me rendent la pareille. Christophe en fait partie. Ca commence à chahuter dans les jambes. Stéphane m'avait prévenu un peu plus tôt : " Denis, attention, tu tapes trop avec les pieds dans les descentes. Tu casses des fibres et après, tu as les jambes gorgées d'acide lactique. Pour durer, il faut être plus souple." Lui, comme prévu, s'est arrêté définitivement à Dourbies pour ne pas hypothéquer sa fin de saison.
Pas de Trèves
Au dernier virage avant le goudron, Dominique m'attend patiemment sur son vélo : " Bravo Denis, dit-il en me félicitant, t'as mis le turbo ou quoi. T'as gagné au moins 30 places. Eh, il ne faut pas te griller. Il te reste encore du terrain. " Je le laisse me parler, ça me fait du bien. J'arrive à Trèves en 5h16 soit 4 minutes d'avance sur le meilleur temps de marche. Je suis bien. Je n'ai mal nulle part. Hippolyte est sur une rambarde au ravitaillement. Il a un sourire éclatant qui en dit long. On est en train de partager un grand moment. Je repars très vite dans une nouvelle montée longue et difficile. Il fait de plus en plus chaud et le sentier monte plein sud au dessus des gorges de Trevezel. "
C'est une succession de cartes postales " comme l'écrira le lendemain mon confrère du Figaro, Gérard Nicaud dans un article magnifique intitulé " Les Templiers, le trail étalon". La mini caméra s'impose. Elle est de plus en plus dégueulasse et collante à cause des sachets de gel ouverts dans la pochette. Le règlement des Templiers nous oblige à ramener les détritus sous peine d'exclusion. C'est une bonne idée. Sur les images, mon visage parle tout seul. Je suis de plus en plus ridé et je respire très fort: " 5h29, 5h30 de course " et je n'arrive rien à ajouter. Je pousse un soupir et surtout, j'ai la transpiration qui me fait cligner les yeux. Cela me brule. C'est du sel à l'état pur, je suis en train de me déshydrater. Pourtant, depuis le début, je prends soin de boire une bonne gorgée de liquide énergétique toutes 10 minutes et de prendre un gel de sucre toutes les 50 minutes.
Je tombe sur un Christophe en plein doute : " J'étais sûr que tu allais me rattraper me dit-il. Vas-y, tu peux faire moins de 8 heures." Tout à coup, j'y crois et j'accélère encore. " Allez, je dépasse les morts dans la côte, encore un et encore un." Sur le causse noir, un beau plateau parcouru d'herbes blondes complètement folles, je croise encore Dominique qui est monté en vélo. Il fera ce jour là 100 bornes pour 1800 mètres de dénivelé : " Génial Denis, t'es maintenant dans les 130 premiers. La première féminine est juste 3-4 minutes devant toi. Comment tu te sens ? " Je lui lance " Pas de problème pour l'instant " et je continue à tracer sur le plateau. Je dois courir à 13 km/h. C'est tout plat dans le coin. Au loin, Dominique hurle de toutes ses forces " Allez Denis, allez ". Je donne tout ce que j'ai mais il reste le plus dur devant moi.
Le Supplice de Saint-Sulpice
La descente dans les gorges du Trevezel passe par Saint-Sulpice, une petite chapelle entourée de quelques maisons caussenardes. C'est le passage le plus vertigineux du parcours. Il faut descendre dans la falaise. Il y a des cordes en main courante pour éviter de tomber mais cela ne suffit pour rester sur ses deux pieds. Après 53 km, les gestes ne sont plus aussi sûrs et d'entrée je bute contre une pierre. Je sens une douleur fulgurante dans les cuisses. J'attrape, en même temps, une crampe aux deux quadriceps et cela à l'endroit le plus dangereux du parcours. Je m'arrête 2 minutes, le temps de récupérer et prendre un cachet de Sporténine. A chaque pas, je risque de me rebloquer. C'est une vraie souffrance. J'ai perdu de ma superbe. C'est là, exactement que je suis rentré en croisade contre les Templiers. Il n'y a que de la caillasse sur ce chemin escarpé et Gilles Bertrand m'avait prévenu une semaine auparavant, ici-même lors du tournage sur les préparatifs de la course :" Ici, les gars qui sont dans le dur ne pourront pas profiter de la vue superbe. Ils ne voient rien d'autre que le bout de leurs pieds. Pour ceux-là, la fin est un vrai calvaire. "
C'était prémonitoire. J'ai la force de dégainer la caméra. Il ne faut pas tricher et montrer toute la course de l'intérieur. J'ai le regard perdu et un peu fou à force de guetter le danger " Voilà, là on est dans la descente de Saint-Sulpice. Pffuu. Ca fait 6h30 que je dois courir. Les premiers sont certainement déjà arriver et il me reste encore 14 bornes. Derrière moi, il y a la 3 ème féminine, Sandrine Beyssere et je sens qu'elle va me doubler dans peu de temps. Il y a vraiment des filles formidables. Ici, c'est l'endroit le plus terrible pour les jambes. L'organisateur m'avait dit : si tu arrives à voir le paysage ici, c'est que tu es bien et je n'ai rien regardé. Pffuu. Franchement je n'en peux plus là, il est temps que ça s'arrête."
Au ravitaillement, je vais retrouver tous mes suiveurs mais je n'ai même plus envie de les voir. Je suis qu'un pantin qui ne peut plus courir. Maintenant, j'ai aussi des nausées. Ils sont inquiets de me voir subitement en si mauvaise posture : " Allez, Denis, il faut que tu manges. Tu ne peux rester comme cela " me gronde Sandrine. " Tu veux quoi, du fromage, de la banane." " Rien que d'y penser, j'ai envie de vomir. Je ne peux rien avaler. Je vais repartir et tenir, voilà tout". Un bénévole barbu insiste lourdement pour remplir ma poche d'eau. Il part carrément avec mon sac à dos. Je n'ai plus la force de dire non. Quand il revient, je crains le pire. Putain, il en a mis partout, j'en étais certain. Je repars sans un regard . Dominique rassure ma femme : " t'en fais pas, il est solide ton mec. Et puis, sur les grandes distances, on jongle toujours entre une hypoglycémie et une hyperglycémie. Ce n'est pas grave. Ca se trouve dans 10 minutes, il va repartir comme avant. " En attendant, je suis vidé, à bout de force et le dos trempé. Il fait maintenant super froid dans ce fond de vallée à l'ombre. Je m'arrête 300 mètres plus loin, hors de la vue des miens. Je ne veux pas leur faire trop peur. Je vide le trop plein d'eau et je ferme précautionneusement le bouchon. Des groupes de coureurs me dépasse sans me regarder. Christophe en fait partie. Il terminera en 8h 19, pas si loin de son objectif.
Hallucinations
Par chance, je connais la fin du parcours comme ma poche . je l'ai reconnu voici 2 semaines avec Ludo. Ca m'aide à tenir. Je sais où je vais. Mais, la fin va être dure, terrible. Par moments, je titube, j'ai même des hallucinations. Je crois entendre quelqu'un derrière moi mais il n'y a personne. Maintenant, c'est chacun pour soi. Il y a beaucoup de distance entre les concurrents. Des trailers me doublent en silence. Pas un mot d'encouragement. En fait, tout le monde est mort.
Heureusement, j'ai pu récupéré ma casquette fétiche à Saint-Sulpice car cette fois, il fait super chaud sur ce sentier magnifique tracé en bordure de falaise. J'ai bien fait de faire des photos avec Ludovic il y a 15 jours. " Là, je suis en train de jouer avec ma santé. J'ai l'impression que mon cœur bat plus vite ". Je suis crevé mais je vais tenir. Ici même, il y a deux semaines, dans ce sous-bois, Ludo m'a filmé en train de faire l'imbécile. J'avais une belle foulée. Là, je me traine. Sur les parties plates, je dois courir à 7-8 km/h.
Tous ses souvenirs m'aident à avancer. Dans cette clairière, j'avais dit à Ludo : " Putain. Quand tu arrives jusqu'ici, tu ne peux plus abandonner. T'es sûr d'aller au bout. T'imagines le bonheur." En fait, rétrospectivement, je ne ressens rien. Je veux juste en finir. J'ai une pensée pour Fabrice, celui qui m'a fait reprendre le sport voici 4 ans. " fais 5 km pour moi vers la fin, ça me fera plaisir " m'avait-il demandé. Il est toujours blessé à sa cheville. Je vois aussi, comme dans un songe, mon arrivée future avec un enfant dans chaque main. Je fais de la sophrologie sans le savoir. Zinzin reporter, c'est mon surnom, a envie de devenir Templier.
Je pense aussi à Mike Horn, un aventurier qui a réalisé en 2000 le tour du monde par l'équateur. Il a tracé un azimut et hop tout droit sur 40000 km à pied dans la jungle avec une machette, dans une pirogue, à vtt, à la voile. Hier soir, j'ai fini son livre sur les bons conseils de Ludo. Son récit m'a permis de relativiser les Templiers.
Tout à coup, une main me sort de la torpeur : " Denis, c'est moi, Louis-Charles. Enfin, je te rattrape. " J'ai bien fait de passer par la magnifique église romane de Nant hier après midi. Mes prières ont été exaucées. Le voilà mon sauveur. Louis-Charles, j'avais pourtant oublié jusqu'à son existence. " Je suis mort, Louis. Ne m'attends pas. Files, tu va pouvoir finir en moins de 8h30. Ce serait génial. " Au début, il ne veut pas mais comme j'insiste, il se met à trottiner. A le voir courir comme un petit vieux, je me dis que je peux peut être faire un effort. Je relance la machine et je reviens à son niveau. Voilà, mon coup de moins bien est passé. Nous sommes au sommet du Roc Nantais, 850 mètres et là-bas en contrebas, c'est Nant, 500 mètres.
Adoubement
La boucle va être bouclée après selon le GPS, 70km pour 3200 mètres de dénivelé. Je sors une dernière fois la caméra au prix d'un sacré effort. Sur la vidéo, on entend quelqu'un dire " Allez les gars, c'est l'arrivée dans 3 km " puis j'enchaîne en parlant à Louis-Charles derrière moi : " On est venu pour ça " dis-je en montrant Nant du doigt" Allez, moins d'un 1/4 d'heure Denis" " Ouais, mais je n'en peux plus, je te jure et la dernière descente est super dure, mais bon, ça sent l'écurie quand même" " Ouais, ouais " qu'il me répond. " Je crois qu'on va réussir" La suite est inaudible.
Dans l'ultime descente, Louis-Charles est un vrai chevalier. Il m'attend car j'ai de nouveau des crampes. Déjà que cette descente était compliquée sans ce pépin physique. Nous nous tenons aux cordes comme si nos vies en dépendaient et on arrive encore à dépasser des gars à la dérive. Arrivés en bas, mes 2 gosses m'attendent sur le pont médiéval et me prennent par la main. Sandrine fait une belle photo. Mais les 2 salopiauds courent trop vite pour leur vieux père. " Doucement avec papa, leur demande Louis-Charles ".
Hippolyte et Eléonore sont aux anges. Ils sont vraiment dans la course et ils vont passer la ligne d'arrivée avec moi. Louis-Charles est juste derrière. Nous avons de la chance. Il y a la musique du groupe ERA en fond sonore. Mais elle n'est pas pour nous. C'est pour le podium des 3 premières femmes. La 3ème, Sandrine Beysserre est arrivée depuis 10 minutes. Ce n'est pas grave. La ligne passée, nous nous serrons la main avec Louis, une bonne poignée, un bon regard. Nous sommes Templiers pour la vie.
Nous finissons fourbus en 8h32 et 17 secondes, 167 ème sur 2222 arrivants. Le dernier des concurrents passera la ligne de nuit après 15h29 d'effort. Le premier,Thomas Lorblanchet était là en 6h09. C'est fou. Sandrine arrive en courant pour me féliciter. J'essaie de raconter la fin de ma course mais l'émotion est trop forte. J'ai dépassé les limites et je dois respirer. " Papa, t'es trop fort, me dit Hippolyte. T'avais dit entre 8h30 et 9h00 et tu es pile à l'heure ". Je confirme que j'ai toujours détesté être en retard.
Dans l'aire d'arrivée, Bruno Poirier, le journaliste de VO2 magazine m'attend pour recueillir mes impressions à chaud. Je m'étends sous un arbre, abruti de fatigue. " Tu sais, Bruno, quand je regardais les images des finishers aux Templiers, je me disais : ils sont complètement malades ces gens-là." Ca le fait rire. " Et maintenant que tu en es un, qu'est ce que tu penses ? " me demande t-il. " Franchement, je n'ai pas changé d'avis. Je crois qu'on est de grands malades."
Denis Clerc
Licencié à l'ASSP Vergèze
Ps : je remercie tous les amis qui ont su m'encourager pour finir cette aventure. Pour une lecture plus drôle de ce récit, jetez un coup d'œil sur cette adresse. Vous y verrez toutes les vidéos et photos de ma course : http://picasaweb.google.fr/zinzinreporter
Accueil - Haut de page - Aide
- Contact
- Mentions légales
- Version mobile
- 0.05 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !
8 commentaires
Commentaire de akunamatata posté le 02-11-2007 à 14:12:00
superbe Denis! j'espère que tu as pris le virus du coureur reporter maintenant. C'est bien d'être à la fois témoin et acteur.
Commentaire de Génep posté le 02-11-2007 à 14:55:00
Superbe récit !
Je me reconnais comme beaucoup dans ton récit (jamais dépassé 4h de course, l'euphorie du Causse Noire et le calvaire à partir de St Sulpice,...).
Très belle perf en tout cas et surtout bravo pour avoir terminé !
Commentaire de shaqui posté le 02-11-2007 à 15:25:00
Bravo Denis !
Superbe récit et vidéos géniales :)
Encore bravo
Commentaire de fabzh posté le 02-11-2007 à 18:40:00
Salut
Epoustouflant ton Récit,on a l'impression d'y être. Course bien menée, bravo à toi, ta famille peut-être fier.
Vous êtes vraiment des grands fous.
sportivement fabzh
Commentaire de frankek posté le 02-11-2007 à 18:44:00
bravo denis pour ta course! c'est dingue avec pilou nous terminons juste derrière toi!! encore bravo!! c'est beau d'être un finisher!!
Commentaire de vial posté le 03-11-2007 à 18:18:00
" Le gars qui n'a pas les frissons à ce moment-là n'est pas humain. " tu as raison l'inhumain n'est pas nous c'est la course. tout au long du trail chaque trailer sait que l'humain c'est l'autre qui te relance dans ta défaillance car le trail c'est aussi à chacun sa défaillance avant la délivrance.
bravo pour ce récit et toutes ses émotions qui renaissent en nous
Commentaire de philorange posté le 04-11-2007 à 14:57:00
bravo pour ta course et ton super temps; moi aussi c'était mes 1ers templiers et finisher en 12h 06, a +.
Commentaire de Piloumontagne posté le 26-11-2007 à 22:01:00
Ton compte-rendu et tes vidéos sont déjà superbes.
Je viens de voir film sur France 3, et là, c'est tout simplement sompteux. Au coeur des Templiers.
Je te remercie,
Au plaisir,
l'Angevin,
Pilou
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.