L'auteur : samontetro
La course : Challenge Val Drôme - Les Maquisard - 65 km
Date : 11/5/2019
Lieu : Crest (Drôme)
Affichage : 3704 vues
Distance : 65km
Matos : un short, une paire de chaussure... ni gourde, ni montre, ni gps... de toute façon je n'aurai pas eu le temps de les regarder!
Objectif : Se défoncer
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La Dungeon Race du Challenge Drôme n'est pas référencée alors je raccroche ici ce récit pour vous la faire découvrir
Être un ultra-traileur habitué des rythmes de sénateur avec une sainte horreur des côtes ne m’avait pas préparé à cela : La Dungeon Race de Maître Jack26. Une course vraiment pas comme les autres ! 712M, oh non pas de D+, 712m linéaires avec 524 marches. Le D+ je ne sais pas trop, je dirai moins de 200m sans doute. Le truc de malade quoi, tu pars à fond tu agonises tout le long et tu t’écroules à la fin. Le meilleur chrono l’an dernier ? 4’35 par Cédric Fleureton ! J’espère de mon côté passer sous les 7’30….
Nous sommes une poignée de coureurs privilégiés (60 dossards maxi) sur le pont de Drôme interdit à la circulation pour l’occasion et la vue sur l’objectif, le sommet du plus haut donjon d’Europe (52m), est imprenable ! Pendant l’échauffement je suis allé tester l’escalier des Cordeliers et ça se présente mal : il est beaucoup moins raide que je ne le pensais, si je prends les marches une à une c’est un rythme endiablé qu’il faut tenir pour avancer, si je les prends deux par deux c’est carrément de « l’explose cuisses ». Ça promet !
A l’entrée sud du pont, Jack appelle les coureurs par série de 10 car la terrasse sommitale est exiguë et impose de laisser redescendre les concurrents entre deux vagues. Le départ se fait contre la montre, un à un, toutes les minutes. Mon groupe part dans les derniers, juste avant les élites histoire de me mettre un peu de pression et je serai le second coureur du groupe à m’élancer. Devant moi c’est un jeune « pistard affuté », spécialiste du 400m et il part comme un boulet de canon (23km/h d’après sa montre dans la traversée du pont). Ça va être chaud tout ça !
4, 3, 2, 1 Gooooo ! Et je m’élance sur la centaine de mètres de plus ou moins plat qui précèdent les premières hostilités. Les terrasses des cafés sont bondées en cette fin d’après-midi et j’entends les clients commenter mon ample foulée : « ça c’est de la foulée ample et économique ». Sans doute la différence énorme de vitesse avec mon prédécesseur qui leur laisse imaginer que je la joue cool mais je sens déjà que je suis grave dans l’excès. Un léger plat montant, gauche/droite devant le café où j’étais bénévole lors de la précédente édition, un verre de bière à la main, et les premières marches sont déjà là, avalées 3 par 3 d’une foulée ample et brutalement la rampe des Cordeliers me barre l’horizon au fond de la ruelle.
Comment dire… c’est brutal ce truc!J’essaie de retrouver mes marques prises lors de l’échauffement mais je progresse entre deux haies de spectateurs qui nous encouragent dans une ambiance surréaliste. Je ne sais plus où j’en suis, je cours en avalant les marches deux par deux et très vite les cuisses brûlent, les poumons sifflent… je passe en marche rapide en poussant sur les cuisses mais j’essaie de conserver ma vitesse, perdu dans ce tonnerre d’encouragements. Ne rien lâcher, je suis presque en haut, presque… mais totalement asphyxié.
A la sortie des marches le parcours est plat sous les voutes des arcboutants de la chapelle. Il faut courir. J’essaie de reprendre mon souffle incapable d’allonger la foulée, les tempes qui cognent à tout va. 50M, virage serré sous la battisse du vieil hôpital qui nous renvoit à 180° et ça redescend légèrement. Je respire à nouveau au milieu des « Allez ! Allez ! Allez ! ».
Mais le répit est de courte durée, une nouvelle rampe d’escalier contre le rocher nous envoie dans les premières fortifications du donjon. Il n’y a pas deux marches identiques et le compte tour repart instantanément dans le rouge. Puis c’est le gros portail du mur d’enceinte qui précède la section que je redoute sans doute le plus : un long plan très incliné et sinueux pavé avec les gros galets. Je ne cours plus. Je marche en allongeant la foulée la tête baissée sous la visière de la casquette. Je sais que c’est long pas la peine de se miner le moral en regardant ce qu’il reste à gravir ! TomTrailRunner et ma fille sont là pour m’encourager. Faire bonne figure, faire bonne figure ! Je gère ! Une dernière rampe d’escaliers et il est là ! Le « dungeon » !
52 m de murailles ! Une forteresse dans laquelle le parcours s’engouffre ! La lourde porte devant laquelle s’abattait la herse est grande ouverte et je me jette dans la bâtisse pour une ultime bataille.
Un bénévole m’annonce « vous allez être au frais, maintenant » comme pour me souhaiter la bienvenue dans l’arène.
Courir dans ce donjon est une sensation unique. Je me souviens d’une monté par les escaliers à la tour Eiffel en courant avec ma fille mais dans ces escaliers on garde le contact avec la ville qui nous entoure, son brouhaha, le vent dans la structure. Dans cette forteresse tout est silence, fraicheur, pénombre. La lumière est restée dehors avec le soleil et la foule. J’ai plongé dans le labyrinthe infernal, seul, et la seule issue est en haut. Comme un défit d’en sortir, peut être parce qu’une de mes lointaines aïeules à autrefois séjourné dans les geôles de ce bâtiment…
Et quand on parle de labyrinthe : virage à droite, rafale de marches, palier, à gauche, re-gauche, rafale de marches, petite salle, droite, gauche, rafale de marches... les bénévoles sont partout pour nous indiquer la direction. Je donne tout, je sais que je touche au but, j’ai la tête qui tourne, un râle rauque sort de mes poumons à chaque expiration, le cardio est en train de me faire des « NAN » à tour de bras mais il n’est pas question de lâcher ! De pièce en pièce, de palier en palier, d’escaliers de bois en marches de pierres, de salle en salle j’avance vers le sommet entre ces murs fortifiés.
Et tout d’un coup on débouche sur la grande terrasse sommitale sous sa belle charpente. Un petit répit avec une grosse dizaine de mètres plats. Courir, il faut les courir même si tous les muscles du bonhomme hurlent le contraire.
Au bout il y a la lumière, on débouche sur le chemin de ronde qui domine la ville. Pas le temps de regarder les toits au dessous, la bataille n’est pas achevée. Un rapide virage à droite le long des créneaux et l’escalier s’enfonce dans le cœur même de l’épaisse muraille pour gagner l’ultime petite terrasse sommitale. Michel m’avait prévenu : les dernières marches seront les plus difficiles. Et elles le sont par leur hauteur démesurée, l’exiguïté du passage comme si le donjon voulait nous garder prisonnier, nous enfermer dans sa muraille. Un PtiJean avec ses larges épaules en serait quitte pour progresser à l’égyptienne ! Je rampe à 4 pattes, me tractant avec les mains, arcbouté sur les cuisses dans cet étroit boyau sinueux. Et enfin la lumière, comme si on surgissait d’un puits ! Je débouche hagard sur cette petite terrasse. Un bénévole me crie « à gauche la cellule, allez ! Allez ! ».
Dans une dernière foulée je me jette devant le capteur pour arrêter le chrono et je m’allonge sur la terrasse… à côté des autres cinglés qui sont montés devant moi ! Respirer, reprendre ses esprits, j’ai fait la Dungeon Race et je n’ai rien lâché ! Le vieux Samontetro s’est bien battu !
Au final un chrono de 6’25, à 1’35 de Guillaume Lenormand qui remporte la course, 3ème féminine (oui je sais), 19ème au général et… premier (et doyen) de la poignée de V2H !
20h, salle coloriage, c’est le podium : Jack appelle le dernier sous les applaudissements, l’avant dernier, sous les applaudissements, l’avant avant dernier…. Il y a 60 places sur le podium et l’apéro servi dans la salle. Je vous l’avait bien dit, la Dungeon race de Jack c’est une course vraiment pas comme les autres !
Le lendemain Jack me fera un superbe cadeau en m'envoyant ouvrir le secteur de la ferme de Gauze et la crête du Grand Delmas sur le 118km devant les aventuriers. Un secteur que j'ai fait plusieurs fois en course mais chaque fois complètement "dans le gaz". Au lever du jour seul sur ces sentiers du bout du monde avec tous les sens en alerte (ne pas se blesser sur le terrain très glisssant après les orages de la nuit, compléter le balisage dans les nuages accrochés à la crête ou le refaire lorsqu'il n'y est plus dans la descente pour que les copains passent sans difficulté...) la balade fut tout simplement magique.
Aucune photo n’est de moi. Merci par avance aux auteurs que je ne connais pas de m’autoriser à illustrer ce court récit.
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6 commentaires
Commentaire de philtraverses posté le 18-05-2019 à 14:40:51
Joli récit. J'ai mis plus de temps à lire ton récit sympa, 10 mn montre en main, que tu en as mis pour faire la course et c'était certainement plus agréable.
Commentaire de samontetro posté le 18-05-2019 à 14:54:29
Merci Philippe, c'est vrai que sur ce genre de course le temps et les émotions semblent se compresser, comme si tout s'accélérait brutalement... Tous les repères de l'ultra-traileur ont volé en éclat pendant ces 6mn30 :-)
Commentaire de L'Dingo posté le 18-05-2019 à 17:55:41
Avant de lire la dernière ligne italique de ton CR, je pensais que les 1'36 qui te séparaient de la victoire étaient dues à la prise en direct de ces très jolies photos :-)
Hélas que nenni, cela ne peut alors venir que de cette casquette rouge non homologuée du "K" kivabien, arghhh!!!!!
Celle ornée du "K" magique contient l'Esprit Trail qui donne des ailes (à défaut de donner des cuissots) :-))
Well Done My Friend !
Commentaire de samontetro posté le 19-05-2019 à 10:21:26
Ah la casquette "K" qui met K-O les adversaires... la mienne commence à être complètement limée... un peu comme son propriétaire :-) Je vais ré-investir sur tes conseils, Mr Lenormand tenez vous le pour dit en 2020!
Commentaire de TomTrailRunner posté le 19-05-2019 à 10:38:52
Que de détails sur une si petite course...
Content de t'avoir poussé un peu
Commentaire de samontetro posté le 19-05-2019 à 12:43:32
Insinuerais tu que je sois quelqu'un de bavard ??? :-)
J'attends les 3 tomes de ton CR sur les aventuriers :-) avec impatience, moi qui n'ai jamais réussi à boucler ce 118km!
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