L'auteur : crapahut
La course : Ultra Tour du Beaufortain
Date : 16/7/2011
Lieu : Queige (Savoie)
Affichage : 1856 vues
Distance : 103km
Matos : Inov-8 Roclite 320 et 295, sac Ultimate Direction Wasp
Objectif : Terminer
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Après 21h50 de course, me voilà donc de retour à Queige. Le regard flotte dans le vide, épuisé, à demi endormi, mais encore vigilant. Plongés dans l'obscurité depuis les Saisies, mes yeux se sont habitués à deviner les racines et les pierres, tapies dans le noir, à comprendre immédiatement où poser le pied. Par contre, ce retour à la civilisation leur pose quelques difficultés d'adaptation. L'ultra modifie la perception du monde qui nous entoure, j'en étais persuadé, cette épreuve m'en fait une nouvelle fois la démonstration. Après plusieurs heures d'immersion en montagne, ou tout simplement de course à pied, notre regard change, devient plus précis.
Avec leur regard transe-lucide, les coureurs d'ultra ont l'air d'être ailleurs, mais ils le ne voudraient pour rien au monde.
Le Beaufortain, j'en rêvais depuis le début de l'année. Queige, j'y étais presque né tant je m'étais imaginé le patelin. François Camoin, c'était un peu mon voisin de palier. Ce premier ultra de montagne, je l'avais déjà parcouru mille fois par l'esprit : Col de la Roche Pourrie, Passeur de la Mintaz, alias col à Tutu, Pierra Menta, col du Coin, col du Grand Fond, brèche de Parozan, Col du Bonhomme, du Mont Joly, de la Fenêtre ou Mont Bisanne. Franchis pendant mon sommeil. À force de reluquer les courbes de niveau et les cartes du parcours, j'étais capable d'estimer l'altitude du moindre monticule de terre.
L'Ultra Tour du Beaufortain est une course captivante, exigeante et assez technique : 1500 m d'ascension en 7km, c'est une sacrée mise en jambes. Ensuite, le tracé au balisage parfait (GRP et rappels) permet de découvrir la haute montagne : sentiers escarpés ou en dévers, traversées d'éboulis, plongées vertigineuses, passeurs, descentes ludiques, crêtes vertigineuses. En chiffres, cela donne 5100 m de dénivelé positif sur les 67 premiers kilomètres. Le mental prend alors le relais, afin de pouvoir enfin voir défiler les kilomètres sur ces tronçons boueux plus roulants, plus banals aussi, mais il faut avouer qu'on a traversé des lieux exceptionnels toute la journée, entourés par des bénévoles attentionnés et dévoués, découpant sans broncher du Beaufort toute la journée, nous réconfortant à grosses louches de soupe.
Il est une heure du matin. Le camping ronfle pendant que je me promène le long des tentes endormies. Il ne reste que trois heures avant le départ. Autant dire que je partirai avec mon capital sommeil déjà à moitié hypothéqué et cette pensée ne m'aide pas à m'endormir. Soudain, ou presque, des frottements synthétiques se font entendre un peu partout sous les tentes, on enfile nos tenues plus ou moins complexes, sans nos grigris, certains se compressent les membres, d'autres s'enduisent d'onguent. L'ambiance n'est pas forcément au recueillement, mais les regards portent déjà au loin.Paisibles et concentrés, anxieux et impatients.
Hélas, il ne faudra pas longtemps au troupeau pour entamer son chahut. Blagues douteuses ou feintes lourdingues, pour la pieuse communion fraternelle avec la montagne ou avec son prochain, on attendra d'avoir dix ou quinze bonnes heures dans les jambes. Partis à l'arrière, nous devons bien vite nous rendre à l'évidence: il va falloir fournir des efforts saccadés pour dépasser tous ces trailers déjà en difficulté et qui lutteront sans doute avec les premières barrières horaires. J'ai envie de dépasser tout le peloton, ceux qui semblent traîner la patte, ceux qui ne courent pas sur le plat, ceux qui s'arrêtent pour se prendre en photo sur un sentier déjà pas très fluide. Envie de me retrouver seul avec la montagne, un peu loin de tout, mais pas trop. D'ailleurs, la communion avec la Terre ne tardera pas : piste roulante ou cailloux, qu'importe, je me jette au sol avec la même nonchalance. Je hume son odeur le nez dans la poussière ou le visage dans l'herbe.
Respecter l'allure, ne pas avancer trop rapidement. Avec Christophe, on s'était donné des instructions claires et précises sur la tactique de course à adopter : partir lentement, très posément, ne pas dépasser le 3,5 km/h pendant la première heure de course, pour arriver au ravito après 4h environ et espérer terminer dans un temps de 20 h. Puis, se lâcher sans s'épuiser. En gros, il suffisait d'attendre la deuxième partie de la course pour dérouler, sans dérouiller.
Nous arrivons ensemble au premier ravito. Les temps de passage semblent conformes aux prévisions, même si le kilométrage réel ne correspond en rien à celui prévu. Mais bien vite, on oubliera le chrono. Progressons en nous faisant plaisir sur ce parcours d'exception et essayons d'aller le plus vite possible, sans trop se préoccuper du temps final. Entre le ravito et le lac de Saint-Guérin, le paysage devient sauvage, les sentiers deviennent difficiles, et il faut être vigilant. Les appuis sont incertains par endroits et il n'est pas aisé de courir, même sur les portions horizontales.
Soudain, je lâche les chevaux pour me faire plaisir, sans trop prévenir. Il faut dire que la descente très ludique sur un sentier détrempé se prêtait bien à ce genre de petit plaisir. Au barrage de Saint-Guérin, où je croise mes parents qui ont traversé la France spécialement pour m'encourager, et qui ont disposé des pancartes de soutien à mon attention, non sans humour. J'ai toujours pensé que j'irais au bout de cet ultra, quoi qu'il arrive. Leur présence rend l'abandon encore plus lointain. On relance. J'étais en 186e position avant la descente, j'ai déjà repris pas mal de concurrents sur le dernier tronçon. J'imagine que Christophe a fait pareil. Jusqu'ici les sentiers de montagne ne nous ont pas déçus.
Après le barrage, la montée vers les cols à 2500 m d'altitude n'est pas forcément pentue ni technique, mais longue et pénible. De nouveau, je teste une progression sans les bâtons. Mon avis reste mitigé sur leur caractèreessentiel. J'ai distancé Christophe dans la dernière descente, mais je l'aperçois déjà derrière moi. Je ralentis un peu le rythme, déjà pas très rapide, pour l'attendre. C'est alors que je constate que ma poche à eau est pratiquement vide. On dirait bien que j'ai fait preuve de distraction lors du premier ravito, laissant une grosse bulle d'air combler tout l'espace réservé à l'eau. Je perds du terrain à vue d'oeil, j'avance tant bien que mal jusqu'au ravito suivant, encore 200 m de d+...
Le regard est vide, absent, rivé sur l'altimètre. Cette erreur aurait pu me coûter cher, mais le ravito n'est pas très loin. J'y arrive en piteux état, mais rapidement réhydraté, je repars vers le col du Coin et celui de Grand Fond. Christophe a pris quelques minutes d'avance et je l'aperçois toujours au loin, pas si loin, mais il faudra grimper, je calcule les écarts. Impossible de le rattraper maintenant. Je pense avant tout à franchir tous ces cols dans de bonnes conditions. Je prends des photos, je mange, je me retourne, je profite, rescapé de la déshydratation et du coup de chaleur.
Au col du Coin, l'univers devient plus minéral, la Pierra Menta se dresse au fond d'un immense éboulis, le Lac d'Amour à son pied. Les yeux écarquillés, nous progressons sans effort, transportés pour la plupart par la beauté du lieu. Le Col à Tutu est le premier passage plutôt raide. Il faudra un petit temps avant d'arriver aux lacets taillés dans l'herbe par les bénévoles, juste avant de descendre de l'autre côté à l'aide d'une corde. Un participant lutte contre le vertige et réussit à le vaincre, épaulé par ses amis. Cette portion est assez accidentée et la course à pied est difficile voire impossible. L'objectif des 20h s´éloigne, car j'avais prévu de courir sur tout ce qui était plus ou en descente pour compenser mes lentes ascensions.
Au pied du col du Grand Fond, je recalcule l'écart avec Christophe, mais à ma grande déception, il ne faiblit pas : environ dix minutes nous séparent. Mais je suis plutôt content, car je ne perds pas (encore) de temps sur lui. C'est très raide, les grosses pierres sont omniprésentes.
La traversée entre le col du Grand Fond et la brèche de Parozan est vertigineuse. Les pierres en léger dévers nous offre un beau parcours d'obstacles. La descente qui s'ensuit est tout aussi impressionnante et glissante, car les cailloux roulent sous les pieds, sans être dangereuse pour autant. Nouvelle chute en essayant d'éviter un concurrent à l'arrêt.
La fin de la descente est encore plus rapide et le tracé permet ensuite de courir, dans les alpages, sur un sentier en dévers (re-chute et belle roulade).
De la course à pied, enfin. J'accélère dans une descente, car j'ai Christophe en vue. Je m'emmêle les pinceaux, le bâton tape sur la cheville, le pied gauche contre le pied droit. Plongeon en avant en position foetale. Les concurrents que je venais de dépasser me regardent sans trop comprendre comment j'ai chuté. Plus de peur que de mal, je me relève. Le regard est un peu hagard. Il faut se reconcentrer au plus vite. Repartir sur les sentiers en montagne russe et profiter de ces parties roulantes, je dépasse à nouveau les mêmes concurrents, un peu incrédules : ils m'avaient vu au sol quelques instants plus tôt et pensaient sans doute que j'allais lever le pied dans la descente suivante. C'est mal connaitre le bestiau.
J'arrive à Plan Mya. Christophe s'est déjà changé. Les sacs coureurs déposés par l'orga permettent à la majorité des coureurs de se changer ou de modifier le matos embarqué. Je délaisse les Roclite 320 pour le modèle 295 (plus léger). J'ai ressenti quelques douleurs au niveau de la cheville droite avec le premier modèle, car le bord de la chaussure vient cogner contre celle-ci au moindre dévers. Le changement de chaussure me fait du bien. Je sens mon pied plus précis dans les descentes. La dernière chute est finalement peut-être due à ces chaussures trop grandes et pataudes...
Les minutes défilent, et je ne m'attarde pas longtemps, car je veux rattraper mon comparse. J'avais prévu une liste d'instructions reprenant en détail le modus operandi : mettre crème anti-frottements, changer chaussettes, nettoyer lunettes, reprendre gels, piles frontale, déposer gants et j'en passe. Mais dans la précipitation, j'oublie de la parcourir et je repars en ayant uniquement changé de chaussettes. Pas le temps de faire demi-tour.
Alors que le précédent tronçon était plus minéral et technique, la montée vers le col de la Sauce est plutôt roulante mais raide et interminable. Comme sur le GR73, j'ai une baisse de régime après 11 ou 12h de course. Il ne reste qu'à patienter en avançant aussi vite que possible. Vider la poche à eau avant le prochain ravito. S'alimenter. Prendre des photos. La routine. Le col de la Sauce semble reculer à mesure que je ramène ma graisse en haut du col. Lorsqu'on avance seul, il est très difficile d'estimer si la progression est satisfaisante. J'aperçois quelques concurrents derrière moi. Ils semblent grimper rapidement et j'espère m'accrocher au dernier wagon, mais lorsqu'ils arrivent à ma hauteur, je suis incapable de les suivre. Je m'accroche, j'avance car je sais que dans quelques minutes je courrai pour descendre la crête des Gittes, un sentier taillé à flanc de montagne par l'armée française au début du XXe siècle.
Et ce n'est pas l'unique marmotte aperçue sur tout le tracé qui me mettra du baume au coeur. J'aperçois toujours ce coureur sans bâtons. L'écart grandi. Au refuge du Col du Bonhomme, je repars avec Jean-Luc, improbable Louvièrois, faisant partie de l'organisation de la Bouillonnante.
La descente du Col du Bonhomme est technique, mais elle peut se courir aisément pour qui a du pied, jusqu'au col de la Fenêtre avec ses 350 de D+ qui font très mal à cet instant de la course. Je grimpe seul. Une pluie fine commence à tomber, et une odeur puissante de pierre chaude se dégage de cet immense tas de cailloux, un peu comme la cave de mon grand-père sculpteur à ses heures perdues et grand amateur de bustes de femmes nues... Malgré cette dernière phrase, je suis encore très lucide. Je m'étonne même de ma facilité à grimper cet ultime tas de gravier.
Immensité minérale, encore un grand moment de solitude introspective, au calme distrait avant de se concentrer sur la descente suivante, technique et très difficile à courir. Au loin, les nuages enveloppent les sommets. Celui qui a un peu d'imagination apercevra le chapiteau de la ligne d'arrivée. Il ne reste qu'une trentaine de kilomètres.
À partir du Col du Joly, le parcours s'aplanit et la courbe s'inverse. Il est désormais possible de courir sur des sentiers parfois marécageux sillonnant entre les alpages. Cela faisait des heures qu'on attendait ça. Les quelques difficultés qui nous séparent encore des Saisies sont englouties au mental, car le parcours n'est plus aussi chatoyant. Au Mont Clocher, une bénévole agite une cloche : cet UTB est d'une logique implacable.
La nuit tombe, le corps devient incontrôlable, il avance tout seul, pris d'une envie irrésistible d'avancer. On entre dans une transe frénétique. Alors qu'on pense être arrivé aux Saisies, l'altimètre ne diminue plus. J'ai l'impression de tourner en rond, la paranoïa prend le dessus sur le bon sens. Les Saisies sont enfin là. Cette dernière partie était plus monotone, mais il faut bien revenir au point de départ. Autour de moi, les concurrents n'ont pas l'air très frais. Jean-Luc jette l'éponge, pris de nausées. Il ne reste que 15 kilomètres, ce qui fait 2 ou 3 bonnes heures de course. Certains sont déjà à bout.
Je repars sans tarder vers le Mont Bisanne. Ma frontale illumine au loin de petits points réfléchissants. Le sommet est encore loin. Le début de la pente est rude, mais elle s'aplanit et il est possible de progresser régulièrement sur cette herbe spongieuse. Je ferai passer le temps en engloutissant quelques morceaux de massepain. Plus par gourmandise que par nécessiter de m'alimenter, car la gestion a été parfaite à ce niveau. Et même si j'ai encore des gels dans les poches, ce qui veut dire que je n'en ai pas pris un toutes les heures comme prévu, je n'ai jamais ressenti la moindre hypo.
Ensuite vient la descente finale vers Queige. J'avais lu quelques récits qui faisaient état d'une descente interminable et ils n'avaient pas tort. Des lacets et des portions de route ad vitam aeternam. Pourtant j'apprécie d'être complètement seul dans cette forêt inconnue, à me frayer un chemin dans le noir le plus total... Mais soudain, ma frontale montre quelques signes de faiblesse en clignotant à deux reprises (mauvaise gestion des ressources de ma part et oublie des piles à Plan Mya), il n'est plus l'heure de tergiverser, il ne me reste qu'à détaler jusqu'à l'arrivée. Il se passe un sacré bout de temps avant d'enfin apercevoir les premières lueurs des habitations sur les hauteurs. Je rattrape des concurrents mal en point, m'assure que tout va bien pour eux et poursuis ma route, car j'ai hâte d'arriver. À peine ai-je franchi la ligne d'arrivée que je suis déjà endormi.
GPS et cartographieGarmin Connect: http://connect.garmin.com/activity/100010744
Wikiloc: http://fr.wikiloc.com/wikiloc/view.do?id=1882458
Openrunner: http://www.openrunner.com/index.php?id=1124498
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2 commentaires
Commentaire de Scoubidou posté le 06-08-2011 à 20:06:03
Merci pour ton récit et les jolies photos: ça me rappelle des bons souvenirs ;)
Commentaire de ptijean posté le 14-08-2011 à 21:15:30
Merci pour le cr et les photos, moi qui cour les ultras pour voir des paysages, je pense que cet ultra fera prochainement parti de mon planning, en espérant que la météo soit aussi clémente que cette année.
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