JLW a écrit:…Bref après cette longue introduction j'aimerai rajouter une famille parmi ceux déjà cités ... les montagnards voire les alpinistes ... Il y en a surement parmi les kikous et j'aimerai connaître leur avis. J'en cotoie moi-même quotidiennement et ils sont en général très très forts en endurance (je suis parfois un peu jaloux d'eux d'ailleurs ...).
La question que je me pose donc, c'est comment apprécient-ils l'arrivée de plus en plus importante de trailers dans leurs massifs.
Jadis domaine un peu réservé, les trailers comme moi apprécient certes les superbes paysages mais j'ai parfois un peu l'impression que l'arrivée de coureurs sans trop d'expérience de la montagne bouscule un peu et augmente également le risque d'abimer l'ecosystème même si la plupart sont très respectueux de la nature ...
Salut à toi !
J’arrive un peu tardivement sur ce post car :
- de retour de vacances assez récemment, je remonte doucement dans les profondeurs du forum vers les posts pas encore lus
- l’aspect parfois polémique de ce sujet m’avait jusqu’à présent dissuadé d’y intervenir. A quoi bon ? Et puis, je sais par ailleurs n’avoir rien de bien neuf et intéressant à apporter…
Néanmoins, ta contribution sur les « montagnards » me démangeait le clavier !
Il se trouve que cet été, j’ai longuement parlé de l’UTMB et des traileurs à mon meilleur ami, avec qui j’ai pratiqué 20 ans d’alpinisme, et qui travaille en tant que guide à Chamonix.
J’ai été déçu, et nous avons discuté… vigoureusement, car ce gars qui est un modèle de tolérance se révèle aigri voire haineux lorsque le sujet du trail est abordé. Attention, ce qu’il dit n’engage que lui, et pas la communauté des guides et autre montagnards ! Il va sans dire aussi que je ne subventionne aucun des propos qui vont suivre.
Il faut donc bien lire ma contribution dans cet esprit : je ne fais que rapporter un point de vue. Mais il présente je crois un intérêt et ce qui suit ne sert pas seulement à faire beaucoup de mal au petits diptères. A partir de là, comme le dit si bien Benos, libre à ceux qui le veulent de passer leur chemin.
Ces précautions étant émises, voici –de façon très synthétique- le point de vue personnel d'une personne qui se trouve être par ailleurs un professionnel de la montagne, sur le trail.
[Mode Khanardo /off]
Tout d’abord, personne ne peut se prévaloir d’une quelconque antériorité sur l’espace montagnard. La montagne est à tout le monde, elle n’est pas le domaine réservé de quiconque. Comme tout espace naturel, c’est un bien commun.
Il y a dans l’alpinisme, comme dans tout sport, un aspect « mode », qui est un peu passé maintenant
La « mode » actuelle est au trail, et (du coup ?) on ne rencontre plus grand monde en montagne sur des voies autrefois très parcourues. Le hic, c’est que si l’alpinisme, par sa définition technique, écartait rapidement les incompétents (au risque de se tuer, on ne va pas dans une voie pour laquelle on n’a pas le niveau), des activités comme la rando ou le trail peuvent être envisagées sans grand risque (cf. ce que l’on qualifie d’ « engagement » en alpinisme)
L’alpinisme a subi l’arrivée du fric, et on a pu voir des milliardaires se lancer à l’Everest, juste pour le mettre sur leur carte de visite ou bien se servir de ce sommet comme d’un petit piédestal à leur ego.
On trouve donc des mickeys sur l’Everest, mais plus encore à Cham fin Août, car l’UTMB coûte moins cher, et qu’il y a moins de risque. Il n’y a qu’à voir le taux d’abandons pour admettre que les 2/3 des gens qui s’alignent au départ n’ont rien à faire là.
L’aigreur provient du fait que ces traileurs sont fêtés, chouchoutés, « font les beaux dans la rue 2 jours avant » alors que les alpinistes sont le plus souvent discrets et réalisent des choses parfois extrêmement difficiles pendant que les traileurs ne sont que des besogneux qui compensent le manque de technicité et la méconnaissance du milieu par la répétition toujours plus longue du simple geste de marche.
(de ce point de vue, je pense que mon pote serait d’accord pour dire que oui, les traileurs ont la caisse, plus peut-être que les alpinistes, mais à quoi bon si c’est pour répéter le même geste en se privant de sommeil ?)
On a vu un type en short tenter l’Everest cette année. Pourquoi pas l’UTMB sur les mains ? Atteindra-t’on la limite s’il y en a une avant qu’un rigolo s’avise de le faire 3 fois de suite, en 6 jours, sans dormir, à poil, une bougie dans la bouche, à cloche-pied. Etc etc… A partir de quel défi stupide le sport cessera-t’il d’être un plaisir ? Le sport est-il encore un plaisir pour ces gens qui finissent l’UTMB épuisés, les pieds en sang ?
[Mode Khanardo /on]
Je vous laisse imaginer les contre-arguments que j’ai pu avancer. Ma connaissance de l’alpinisme me permettant de contrer ce type « d’adversaire » sur son terrain. Depuis les doigts de Herzog, jusqu’à la vie de tant de jeunes femmes et hommes qui ont si cher payé un « défi » pas forcément moins stupide que celui qui consiste « monter sur » plutôt que « courir autour » d’une montagne. Bref.
J’ai développé, depuis le ralentissement de mon activité montagnarde, une vision personnelle du trail, qui peut s’inscrire, sans prétention de ma part, dans une démarche plus introspective voire méditative. Les arguments de mon ami n’ont donc pas trop d’effet sur moi, mais j’ai été suffisamment ébranlé les jours qui ont suivi pour me demander si, oui, l’UTMB j’allais vraiment l’envisager un jour. Ou alors tout seul, en autonomie ?
Puis sont arrivés les récits sur Kikourou, et la composante « amitié » de cette aventure a pris toute sa place.
Plus que jamais j’ai donc envie d’aller parcourir l’UTMB.
Plus que jamais je méprise les purs grimpeurs qui méprisent les alpinistes qui méprisent les traileurs qui méprisent les randonneurs qui méprisent les vététistes qui méprisent les parapentistes qui méprisent les motos vertes qui méprisent les touristes en voiture qui méprisent les touristes en chaise-longue etc etc…
Plus que jamais j’en ai marre des clivages et de l’intolérance.
… Et plus que jamais mon pote reste mon pote !
Pour terminer, j’enfoncerai une porte ouverte : nous savons tous qu’il y a des gens propres et respectueux et des gens sales. En montagne les alpinistes n’ont pas le privilège ni de la propreté ni de la saleté, je peux te l’assurer !
JLW, chers Kikous, merci de m’avoir lu jusque là !