Récit de la course : Off - Tour de France - Franchir l'Horizon 2005, par Phil
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Salut à tous,
Par où commencer ? L'ultra, c'est une aventure, je le savais déjà. On rencontre toujours plein de gens sympas, ça aussi je le savais. Souvent, on s'étonne un peu quand on court à fond au bout de 15 heures. Parfois, on est là pour une bonne action et ça transcende tout le reste. Mais en tout cas, je crois que c'est la première fois que j'ai autant de mal à mettre des mots sur des émotions. Alors je vais être factuel et vous imaginerez...
Humains
Annick, Baptiste, Carol, Florence, Isabelle, Jacques, Manu, Sabine et mes parents... j'ai rencontré des êtres humains entre Rouen et Caen, à partir de vendredi 11 mars, 20 heures environ. On ne s'est plus quittés jusqu'à samedi soir et entre les deux, on a bien cavalé. Chacun(e) à sa façon m'a fait grimper une marche. Je ne sais pas vers où m'a emporté l'escalier mais sûrement vers quelque chose de mieux. Oui, on n'est pas très avancé avec ça mais je vous ai prévenu, faut imaginer. Quand même, mieux qu'un détail des qualités de mes compagnons de route, juste quelques flashes...
Annick : Qui file toujours à la même allure avec son chapeau de schtroumpf, non pas à la même allure, de plus en plus vite ! Je revois son coupe vent jaune partir au loin à la fin de l'étape et si j'ai un peu les glandes, ça passe vite parce que je vois qu'elle reprend un goût prononcé à courir... Je vois aussi Annick sur le bord de la route, km 105, me dire "quelle foulée le cousin !". J'ai dû reprendre 1 km/h.
Baptiste : Le fils de Jacques et Florence. Il est arrivé avec Jacques alors que j'avais un peu planté le chemin. J'attendais au soleil tranquille sur une route où personne ne serait arrivé. Eux, oui, ils m'ont trouvé. Très silencieux, très timide, Baptiste est un adolescent intense, je ne trouve pas d'autre mot. On a posé sur la même photo à l'arrivée à Caen, on a discuté un peu.
Carol : En plein coeur de la nuit, sur cette ligne droite de 15 km sans voitures, je revois Carol prendre son envol d'une foulée légère et métronomique, affublée de sa cagoule de martienne, ne devenant plus, au fil des minutes, que le clignotement de son brassard.
Florence : Qui devait nous accompagner juste sur la première partie du circuit et qui a tenu les 24 heures. 141 km dans une voiture capable de rouler à plus de 180 km/h. 141 km à 5,9 km/h de moyenne générale. Mon image de Florence, celle qui me vient là, c'est son regard généreux, comme si elle prenait encore plus de bonheur que nous à être là (ce qui est impossible !... qui sait ?).
Isabelle : Elle a couru 30 km la veille pour Paris-Rouen. Elle remet ça en accompagnant Florence. Image : nous nous ravitaillons à l'arrière de l'Espace, il fait nuit, il fait froid. Nous nous avons l'effort pour nous réchauffer. Elle, elle a sa doudoune et son bonnet qui visiblement ne suffisent pas. Néanmoins, elle descend pour parler, simplement, et nous donner du coeur à l'ouvrage. ça marche.
Jacques : Un homme barbu dans une Renault Espace qui me dit bonjour avec un grand sourire, qui s'inquiète de mon état de forme alors qu'il ne m'a jamais vu avant. Pendant de nombreux kilomètres, il est resté 100 m derrière moi, à ma vitesse. Pas plus près "pour ne pas gêner" mais venant de temps à autre à ma hauteur pour me demander si tout allait bien. Il suffit de poser la question pour que ça aille tout de suite mieux, Jacques !
Manu : Dur de choisir une seule image tellement on a fait de kilomètres ensemble. Manu aura plus de mal pour moi parce qu'il était toujours devant. Et bien justement, la voilà mon image : moi peinard derrière lui, sur une longue ligne droite plein ouest, face au vent, et lui, qui ne bronche pas. Mais aussi : sa tête quand je lui ai sorti mes blagues pourrites, les quelques kilomètres sur la promenade de Deauville, sa tenue (légère), son hypoglycémie et (le meilleur) le dernier kilomètre tous ensemble.
Sabine : Je me retourne dans une côte et elle me dit bonjour. Je ne sais pas qui c'est mais elle va faire les 30 derniers kilomètres avec nous. Sans le savoir vraiment, c'est elle qui va me donner les étincelles, aux bons moments, pour me relancer. L'image que j'ai d'elle, c'est plutôt un son : son souffle derrière moi qui s'éloigne à mesure que Herman fait son effet.
Mes parents : Ils deviennent assez indissociables de mes petites ultra folies. L'image, là encore, n'en est pas une, ou alors deux sans rien entre : 1/ Caen, tout le monde se quitte, je m'endors dans la voiture 2/ je me réveille à Evreux. Entre les deux, bébé dort !
Collectif
Les meilleurs moments ont été courus à quatre : Annick, Carol, Manu et moi. Chacun prenant tour à tour le relais. Chacun pensant à décharger un peu les autres. Chacun s'avalant un peu plus de vent pour soulager ses compagnons. Un réel effet de peloton qui aurait pu durer très longtemps. Mais un coureur d'ultra ne sait pas courir en groupe, ça n'est pas inscrit dans nos gènes. Alors parfois, ça se décompose, puis se recompose.
Exemple de recomposition... Le téléphooooneu pleure... Annick m'appelle suite à un ravitaillement. Nous avons couru quelques centaines de mètres et ces dames n'ont plus de batterie. Les arrêts dans la nuit froide moteur coupé et ventilation en marche ont eu raison de l'alimentation. Pousser une Renault Espace, même à 5, après plus de 40 km, ça chauffe un peu les cuisses hein manu. Quand on repart tous les deux, on est étrangement satisfaits, comme si ce genre de péripétie donnait un peu plus de piquant à l'escapade.
Sportif
Depuis le début de l'année, j'ai repris un entraînement suffisamment sérieux. Pas classique, mais sérieux. Cette étape de Franchir l'Horizon devait me permettre de valider, ou d'invalider, les options que j'avais choisies. Avec un record à 150 km sur 24 heures, je doutais qu'on parvienne à en boucler 130 sur route en 20, surtout quand les 130 se sont transformés en 141. Malgré tout, avec un total de 6 heures d'arrêt sur les 24 heures qu'il nous a fallu, du vent dans le nez une bonne partie de la nuit, quelques séquences avec un dénivelé assez rude, je peux me dire quand même que c'est assez positif. Au petit jeu de l'estimation, je pense que les 170 km étaient jouables sur un 24 heures ce week end là.
Quelques remarques tout de même :
* En ligne, c'est plus facile (pour moi). On n'a pas de repères réguliers comme sur un 24 heures et pas la tentation de s'arrêter à chaque tour. Quand on va bien, on peut dérouler sur des kilomètres sans s'en apercevoir.
* On avait une contrainte de temps, ce qui nous a souvent remotivés pour ne pas trop traîner.
* Ma plus grande découverte, qui est en fait une confirmation, c'est que la régularité est (pour moi) une notion qui n'a de sens que dans des conditions de maîtrise parfaite. Or, la perfection n'existe pas, donc il faut s'adapter. Sur un 24 heures en boucle, on est tenté de vouloir garder un rythme, on raisonne beaucoup en nombre de tours, en kilomètres par heure, en temps d'arrêts, etc. Entre Rouen et Caen, je me suis simplement écouté. C'est ce qui m'a permis de courir 10 km de folie entre le 105e et le 115e, qui auraient pu continuer plus longtemps si je ne m'étais pas trompé de route. Sans ravitaillement, dur dur. Sur mon prochain 24 heures, j'essaierai de m'écouter comme sur route, en fonction de mes sensations et non pas d'un nombre de tours.
* Gravigny début avril ça va être très intéressant. L'inscription est partie hier en même temps que celle de Saint-Fons, la semaine suivante.
* Niveau musculaire, RAS. Les cuisses et les mollets ont passé l'épreuve sans douleur. Aucun problème pour continuer à courir si ça avait été nécessaire, sauf que...
* J'ai toujours un releveur qui m'enquiquine. Quand c'est pas le droit, c'est le gauche. Là, je l'ai un peu flingué mais en fin de semaine, ça ira. Il me restera alors deux semaines pour me remettre tranquillement dans le rythme de Gravigny et profiter de cet "ultra de validation". On verra bien ce que ça donne mais à mon sens, j'ai déjà ma satisfation de début de saison. Le reste, c'est bonus.
JSC
Jeunes Solidarité Cancer. C'est pour eux que nous courions. C'est pour eux que Ufoot et ses compagnons ont lancé le tour de France de Franchir l'Horizon. Nous avons ensuite pris le relais, Olivier derrière s'y est mis aussi, et aujourd'hui, on sait que d'autres coureurs (d'ultra ou pas) sont en train de tirer ce long fil d'Ariane. Je pensais que j'allais être transcendé, ou au contraire complètement bloqué par un enjeu qui me dépasse. C'est en fait beaucoup plus simple. Plus que jamais je me suis rendu compte de la chance que j'avais de choisir ma souffrance, qui d'ailleurs n'en est pas une. Il n'y a pas de comparaison à faire entre ce que des malades peuvent endurer et ce que nous faisons. Ou si on essaie, c'est pour se rendre compte, finalement, que nous sommes dans la facilité, le luxe, le futile et l'inutile. Mais comme dirait notre Troll national : inutile donc... indispensable.
Désolé, c'est sans doute un peu décousu mais sinon je partais pour une semaine de rédaction. Merci d'avoir lu jusqu'au bout et complété les trous.
Amicalement,
Phil
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