L'auteur : Renard Luxo
La course : 80 km du Mont-Blanc
Date : 23/6/2017
Lieu : Chamonix Mont Blanc (Haute-Savoie)
Affichage : 4232 vues
Distance : 90km
Objectif : Objectif majeur
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En même temps qu’un gros coup de foudre pour cette course alpine exigeante aux vues sublimes sur la vallée de Chamonix, Yves et moi conservions de notre première expérience en 2015 un sentiment mitigé. Abandon frustrant à Chatelard pour lui, seconde partie de course en mode « survie » pour ma part. 2017 (tirage 2016 défavorable oblige) devait donc sonner l’heure de la revanche.
H-16 ...
L’effet de surprise ne joue plus cette fois, encore que la suppression du franchissement du col de la Terrasse au profit de deux cols de moyenne altitude (plus chauds) nous inquiète un peu vu les dégâts occasionnés en 2016 sur le peloton du côté d’Emosson.
Objectif « finisher » pour Yves, objectif « frontale dans le sac » pour ma part. Un challenge totalement futile, mais qui implique surtout de finir sous les 18h. En dépit de pépins musculaires dont je ne me suis toujours pas débarrassé (première fois de ma vie que je confie mon sort aux osthéo et aux kinés ), la première partie de saison a été supérieure aux attentes. J'aborde donc le 80 MB avec un objectif ambitieux. Prendre le risque de sortir de la zone de confort, et accepter d’en payer le prix. Contrairement à cet UT4M de sinistre mémoire, ici au moins c’est pleinement assumé.
Chamonix, 23 juin, 3h45. Canicule depuis plusieurs jours … La météo est annoncée plus clémente aujourd’hui, avec possibilité d’orage en fin d’après-midi. Supportant très mal les températures supérieures à 25-30°C, j’ai opté pour un départ rapide. Ce qui suppose une prise de risque supplémentaire, et une stratégie complètement inverse de la TDS 2016 si vous vous souvenez. L’idée est de courir autant que possible durant les heures fraîches, franchir le « cimetière » d’Emosson avant midi, et limiter la casse autant que possible dans Catogne et le Montenvers.
Heure matinale oblige, l’adrénaline est assez contenue. Ni sono tonitruante, ni speaker survolté : Chamonix dort encore, nous aussi … Le tube d’ACDC en mode sourdine, on saura bientôt si l’autoroute de l’enfer nous attend. Dernière poignée de mains avec Yves, on y est ! Des mois qu’on se repasse le film rêvé de la course. A demain sans doute, même heure, même adresse ?
5, 4, 3, 2, 1 … GO ! C’est parti. Positionné bien plus loin que je ne le pensais (1.100 coureurs au départ), un temps certain s’écoule avant de franchir l’arche, au pas de sénateur … De mauvaise augure pour le plan « Emosson à midi » cette affaire car je me souviens de ces minutes perdues un peu gratuitement en 2015 dans le Brévent (ralentissements voire arrêts complets sur les premiers rétrécissements). Depuis l’an dernier cependant, l’orga a conçu un itinéraire de 2-3 Km sur le bitume chamoniard, permettant d’étirer le peloton et rendre la première ascension plus fluide. Je tire profit de cette corrida urbaine pour me replacer. Jusqu’à cet instant précis, je n’aurais jamais envisagé entamer un ultra aussi exigeant sur une allure semi-marathon, mais comme tout le monde y va guère le choix.
Le repositionnement a fonctionné, un peu trop d’ailleurs car dès les premiers lacets du Brévent je trouve le rythme un peu trop rapide. Ça tire devant, on pousse fort derrière. J’hésite à me laisser décrocher un peu mais je ne me résouds pas à briser cette belle harmonie. La cohorte est mutique, seul raisonne le bruit des « pics pics » et des gravillons piétinés sous le pas nerveux des traileurs. J’essaye bien d’interpeler mes voisins quand l’aube se dessine sur le Mont-Blanc (féérie !!!), mais ces tentatives ne reçoivent guère d’écho. Beaucoup restent vissés sur leurs pieds, un peu con quand même car à force de viser le chrono on passe à côté de la dimension ludique de la course. Faudra quand même que je vienne un jour à Chamonix sans pression de la course, juste pour profiter.
Le sommet du Brévent et ses crêtes minérales est atteint en 2h11. En neutralisant la rampe de lancement bitumineuse dans Chamonix, on doit friser les 800m D+ à l’heure. Rapide disais-je … Le panorama est fabuleux, les lumières du petit matin illuminent la chaîne du Mont-Blanc, ses arrêtes et leur neige éternelle. Je resserre les lacets en prévision de la descente sur Planpraz. Le premier basculement de col est souvent un indicateur déterminant pour la suite. Les cuisses fainéantes en montée répondront-elles présent ? Assurément oui, l’épreuve se présente bien ! Je déroule donc jusqu’au ravito, fluide à ce moment. Il y a même de la soupe au vermicelle, parfait. Une flasque de Saint-Yorre, une autre 1/3 coca 2/3 eau. Le rituel peut commencer.
En route pour une petite cavalcade sur le balcon sud, section en yo-yo faite de chemins en single que j’avais appréciée il y a 2 ans et qui me rappelle mes terrains d’entraînement ardennais. Première causette de la journée avec un jeune coureur français qui a fait ses études de kiné en Belgique avant de venir faire sa vie dans la vallée de Chamonix (le veinard !). Il a la foulée montagnarde le bougre, et je dois m'accrocher pour le suivre. La Flégère est mangée en un peu plus de 3h de course, et 50 places supplémentaires dans la besace. Combien de temps pourrais-je tenir ce rythme ? Emosson à midi, c’est quasi sûr désormais, mais les 45 Km derrière …
Je décide enfin d’adopter un rythme de rando-montagne +/- engagé, histoire de se refaire un peu. La montée vers la tête aux vents et ses gros amoncellements de blocs de granit n’autorise de toute façon guère autre chose. Tout le monde semble se donner le mot car c’est la seule section où je conserve in fine la même position (231ème). La descente vers le col des Montets est réputée pour sa technicité. CCC et UTMB montent ici, mais dans l’autre sens c’est compliqué aussi … Mode « zéro risque ON », épargner autant que possible ce qui peut l’être. Les orteils et le coup de pied prennent cher, mais avec toute la nok tartinée ce matin j’ai l’espoir de m’en sortir à bon compte. Enfumé par quelques avions, je prends tout de même un minimum de plaisir sur certains passages vicieux où les mains se révèlent souvent très utiles.
Premier rassemblement de supporters et tintements de cloches au croisement routier du col des Montets. Nous filons ensuite sur un sentier bien gentil, où il est possible de courir et se relâcher un peu. Super surprise juste avant le ravito du Buet. Je reconnais Christophe, puis son frère Berni. Ils ont programmé à la dernière minute un WE choc dans le coin. Christophe est en reprise de confiance suite à sa mésaventure récente sur le trail du Gypaète, avant une TDS qui forme un objectif commun. Il me confirme que j’ai l’air bien. Gros boost moral, car se retrouver complètement seul sur un ultra sans visage familier sur le parcours exige de grosses ressources mentales pour « rester dedans ». Routine habituelle au Buet : appoint des flasques, bouillon au vermicelle, un brin de solide ... 5’ plus tard, je prends déjà congé de mes copains avec la perspective de nouvelles retrouvailles quelque part plus loin sur le parcours.
En route vers Loriaz sur une section boisée assez bucolique. Traversée de ponts, cascades, chalets d’alpages. Il fait très agréable. En fait la météo est idéale, quelques passages nuageux et une petite brise rendent le cheminement moins pénible qu’attendu.
A l’insu de mon plein gré et sans avoir accéléré le tempo, je continue à pacmaniser de manière régulière. La sente étroite dans les buissons d’alpage est de toute beauté, avant la fontaine promise dont tout le monde profite pour refaire l’appoint d’eau fraîche. Le rituel du mouillage de casquette débute ici aussi.
Plongeon vers la vallée. 800m de D-, sur un sentier plus vicieux qu’il n’y paraît. Un peu trop confiant, mon pied d’appui se dérobe dans un virage et paf c’est la chute ! Par chance, je me suis vautré « en douceur », étalant mon misérable mètre-septante comme une botte de poireaux glissant dans un cageot. Quelques écorchures sans gravité, un petit miracle vu les pierres saillantes qui parsèment le chemin. Voilà qui sonne comme un avertissement, la suffisance ou le manque de concentration se paient cash !
Grosse ambiance au bas de la vallée. Je capte l’énergie ambiante et me positionne derrière une féminine française qui envoie du lourd à la sortie du Mollard. Ce sentier boisé est courable quasi tout du long, je suis la gazelle avec un peu d’appréhension car nous serons bientôt au pied du premier "juge de paix" du parcours. Je ne connais pas cette section, c’est donc risqué de griller une munition ici au risque d’exploser un peu plus tard. Mais ma chamoise est décidée, elle a une autre féminine en ligne de mire et ne s’épargne pas pour rester au contact.
On y est ! Grosse attaque des bâtons (à rendre jaloux Bubulle !), je perçois son râle. On arrive dans de gros pourcentages, fatals pour ma meneuse qui se pose dans un virage. Quoi, le petit truc en béton là-haut sur la droite ?!? Je ne rêve pas, oui, ce petit machin c’est bien le barrage !!! Autant dire qu’on est pas arrivé (environ 500 D+ encore). Les jambes suivent, donc on y va gaiement. Beaucoup de coureurs sont plantés, sinon assis dans la pente parfois. Ce col va faire un sacré dégât c’est sûr, et j’ai à ce moment une pensée inquiète pour Yves. Pourvu qu’il survive aux BH, assez sévères sur la première moitié de course.
Les mains sont les bienvenues, tantôt pour se hisser sur certains blocs, tantôt pour pousser sur les cuisses et soulager un peu les mollets qui commencent à tirer méchamment.
Une dernière grosse rampe bien cuisante à ce moment de la journée et le barrage s’offre enfin. Vu ce qu’on a déjà enduré pour être ici, on trouverait presqu’un certaine charme à cet ouvrage d’art. Première fois depuis le matin que les jambes se font un peu lourdes sur les 500 mètres de bitume qui suivent. Fallait bien que ça arrive, faut pas rêver non plus …
Montée des marches et des dernières rampes menant au ravito. Je demande l’heure aux bénévoles. 11h42 (144ème au scratch). L’objectif intermédiaire est largement atteint, c’est bon pour le moral vu qu'il reste 10 bonnes heures pour rallier Cham endéans les 18h espérées. A priori faisable si la courbe de fatigue ne dévisse pas et que je parviens à assurer a minima dans les descentes.
Critique revenant assez régulièrement sur le 80 MB : le ravito n’est guère achalandé. Et les quelques charcuteries disponibles prennent un teint peu appétissant par cette chaleur. Je me force à en ingurgiter un peu quand même, suivi d’un énième bouillon au vermicelle pour faire passer le tout. Passage des pieds à la nok, pas d’ampoules ni même de rougeurs, un souci de moins à gérer du coup.
Je ne traîne pas trop car les guiboles sont raides, un peu crampées même. J’ai pourtant le sentiment de boire régulièrement (compléments d’électrolytes en sus), autant que possible (au final j’aurai bu entre 8 et 9 litres sur le parcours !), et pourtant quelques symptômes de déshydratation pointent le nez. Estomac fragile oblige (cf. récits précédents), toute ingestion doit toutefois demeurer prudente.
Contrôle du sac à la sortie du ravito (lampe et téléphone), en route pour la fameuse descente de Chatelard. J’en conservais un souvenir cuisant, et c’est vrai qu’il y a quelques sections vraiment très raides et techniques. Mais aujourd’hui c’est mon jour, et l’effet de surprise ne joue plus. Images « carte postale » dans le magnifique hameau de Gietroz, c’est beau la Suisse quand même ! Enième mouillage de casquette dans la fontaine, et la fête continuuuuuuue sur la seconde partie.
Chatelard. A peine 50’ depuis la sortie du ravito, où cela va-t-il s’arrêter ?
Le second juge de paix de la course va calmer tout le monde : Catogne !!!
1.200 D+ et quelques rares répits. Il ne m’a jamais réussi, et je m’échoue une nouvelle fois dessus comme une méduse. Si la situation est moins critique qu’il y a 2 ans, chaque effort sera compté désormais. Ce n’est pas encore le mode « survie » mais à la sortie du bois le soleil cogne dur quand même. On se hisse par gruppettos jusqu’aux Jeurs. Près de 5.000 D+ et 50 Km dans les pattes (ratio assez violent tout de même de 100 D+ et D- au Km). Dommage qu’il n’y ait ni bancs ni tables pour se poser cette année, et tailler un bout de causette avec les bénévoles. Tant pis, et puis de toute façon à quoi bon sécher plus longtemps ici après tout ?
Bref, c’est reparti.
Les convives sont redevenus aussi silencieux que dans la montée matinale au Brévent. Quelques-uns se risquent à une relance audacieuse sur les sections vaguement plates, aussitôt repris voire déposés dès que les pentes raides sont de retour. Alors que je sens le premier gros coup de mou arriver, nouveau panorama "carte postale" sur Catogne. Petit lac d’altitude entouré de névés, troupeau bovin paisible et musical, cirque majestueux où on devine aussi le prix de l’effort qu’il reste à accomplir jusqu’au sommet.
Pointage. Les bénévoles m’annoncent que j’ai des « amis belges » qui sont passés ici il y a 7’, et ils me remettent le bonjour (!?!) Quelques pas plus loin, mais oui bien sûr, Christophe et Berni sont là !!! Quel bonheur d’échanger quelques mots avec les copains à ce stade de la course. Ils me remontent le moral comme il faut, me renvoyant une image de coureur « frais », rôle de composition que je m’efforce d’endosser pour la galerie.
Catogne avec la Team Lejeune
Je balance d'ailleurs une dernière mine dans les 300m D+ qui séparent du sommet. Les dernières pentes sont crapuleuses. La croix de l’Arolette est plantée au-dessus d’un ultime promontoire qui se gravit avec peine. Quelques coureurs sont allongés ici, en quête d’un second souffle et/ou profitant tout simplement d’un panorama à 360°C, assurément un des plus beaux de la région à cette altitude.
La buche mise dans la chaudière est consumée, je bute sans guère de conviction sur la tête de Balme juste en face, avant une descente indolente vers le col des Posettes. Je commence vraiment à subir, plus question de relances engagées sur les sections « courables ». A contrario, ce ralentissement m’autorise à lever davantage le nez pour profiter du tableau environnant. La vallée de Chamonix nous fait face, le glacier d’Argentières en avant-plan, et l’hôtel du Montenvers perché au loin. Et dire qu’il va falloir descendre tout en bas pour remonter tout là-haut !
Col des Posettes
Je retombe sur la Lejeune Team, qui me prodigue ses derniers encouragements pour la fin de course. Pas de nouvelles d’Yves faute de réseau, si ce n’est qu’il aurait apparemment une petite heure d’avance sur les BH du côté d’Emosson. Jouable en principe.
C’est parti pour 600 D- jusqu’au village frontalier du Tour. Un sentier de montagne assez classique, ni particulièrement compliqué techniquement, mais je me fais violence pour maintenir un semblant de tempo. Les quadri sont bien flingués, heureusement qu’un coureur allemand à la bonne idée de me courser. Âme/Âne de compétiteur oblige et Xème mini-défi inutile de cet ultra : catch me (jusqu’au ravito) if you can !
Délivrance, le village. Du public en attente de son « champion », prénoms scandés, quelques « allez allez », tout est bon à prendre et fait farine au moulin à ce stade. Poignée de main virile de mon germain qui reconnaît sportivement sa mini-défaite. BIG LOL.
Assis sur un banc, j’essaye d’ingérer quelques victuailles mais rien ne me fait envie. Consultation du roadbook : 1h30 d’avance sur le temps de passage de 2015 !!! Autrement dit une base de 17h30 de course, sinon moins. Réjouissant mais intenable. Le mal est fait sans doute car je sens que l’estomac va me lâcher d’un instant à l’autre.
Je repars du Tour en marchant. La section de 10 Km qui s’annonce est presque une incongruité. Depuis le départ en effet, nous avons été formatés à grimper et descendre, à nous affranchir ou profiter de la gravité. Et là, on nous balance dans une espèce de course-nature du dimanche, une transition sans enjeu si ce n’est de rallier le checkpoint suivant. Et il s’agir de courir ici plus qu’à son Tour.
Il fait chaud, trop chaud pour moi en ce moment. Sur les quelques grimpettes dissimulées de cette section globalement descendante, je suffoque carrément. Cham, si proche, si loin encore …
Les Bois, 17h tout pile. Heureusement que j’ai demandé l’heure aux bénévoles car je découvrirai plus tard que mon dossard n’a pas bipé (grosse inquiétude des amis qui me suivent sur livetrail et qui croiront à un abandon).
J’ai mangé mon pain blanc.
2h pour gagner Montenvers pensais-je …
Dès les premières pentes, je comprends que je vais en (***). 3 (Km/h), 2 , 1, zéro … Bide en vrac. Du monde revient de l’arrière. Pour la première fois de la course, je m’arrête en dehors d’un ravito. Il en va ainsi tous les 200 mètres environ. Je suis déshydraté alors même que mon estomac gargouille de liquide. J’ai cru au plan sans accroc mais non, pas moyen d’y échapper ... Je me force à boire encore un peu mais le mélange eau-coca m’écoeure. Première vidange, suivie d’une seconde …
Je m’affale sur un tronc d’arbre dans un virage. Un gars qui accompagne (sans dossard) sa copine vient à ma rencontre et me propose une pâte de fruit. Quelques conseils et mots d’encouragement, sympa. Je repars avec la tête qui tourne. Très grosse défaillance, du même acabit que celle du Cormet de Roselend sur la TDS l’an passé.
Je titube. Les grosses dalles de pierre que je franchirais d’un bond en temps normal me paraissent autant d’obstacles infranchissables. A moitié hagard, je parviens non sans mal à la buvette des Mottets, idéalement située avant le Montenvers.
Un coin de paradis. La tenancière m’accueille gentiment, sans faire allusion à la course en dépit des nuées de fous furieux qui défileront pendant des heures devant ses yeux. En fait tout le monde s’en fout un peu ici et c’est tant mieux car j’ai besoin de déconnecter physiquement et mentalement.
Un perrier !
Je m’affale sur un transat et échange quelques mots avec une jolie demoiselle qui m’accoste avec un regard mi-inquiet mi-compatissant. Je sais la tronche que j’ai dans ces moments-là. Sans parler du débit verbal proche de l’AVC, séché (et puant) comme un fennec pour le surplus.
Je sirote ce perrier. A petites gorgées, très espacées. Le bide gargouille.
Quelle quiétude ! Je ferme les yeux et entre dans une espèce de méditation improvisée.
Aucune idée du temps qui s’écoule mais quand j’émerge ce n’est pas encore çà.
Un deuxième perrier donc …
En fait c’est crapuleusement bon un perrier. Si frais et pétillant en ce moment précis, dire qu’il m’a fallu tout ce temps pour le savoir.
Je replonge au fond du transat tandis que des grappes de coureurs défilent. Je ne les vois pas mais j’entends les « pic-pic » qui virent au-dessus. Il y a une heure je comptabilisais chaque seconde gagnée ou perdue, là je me demande si je vais repartir un jour. DE-CO-NNEC-TE ! Ce moment est un luxe, il durera le temps qu’il durera, et puis le téléphone est au fond du sac ...
Combien de temps suis-je resté sur ce transat ? 30, 40, peut-être 50 minutes ? En tout cas quand je me lève la seconde fois ça va beaucoup mieux. Requinqué, je prends congé de la tenancière et me lance dans l’ascension finale du Montenvers.
Les jambes sont de retour et je m’amuse comme un petit fou sur cette section assez casse-patte en temps normal. Coup d’œil sur la mer de glace (ou ce qu’il en reste), et voici déjà les longues marches dignes d’un temple tibétain : Montenvers !
Arrêt « formule 1 ». Le balcon nord n’attend pas, d’autant que la « potion magique » de la buvette des Mottets agit toujours et que l’objectif 18h demeure jouable. Pour ceux qui ne le connaissent pas, la surprise risque d’être de taille car ce balcon est tout sauf une promenade de santé. En effet, il faut encore monter (près de 300 D+ encore), certaines sections sont assez piégeuses et propices aux chutes, a fortiori avec la fatigue et la luminosité tombante.
Je balance mes dernières cartouches, de toute façon après on se laissera rouler jusqu’en bas en misant tout sur les cuisses.
Complètement seul pendant près d’une heure (PM : 35ème au scratch sur cette section), il fait frais, le soleil glisse lentement sur le balcon opposé en inondant la vallée d’une douce lumière chaude et apaisante : le bonheur quoi ! Dire que nous étions là en face 15 heures plus tôt … Une éternité tant cette journée aura une fois encore été riche en émotions et enseignements divers. Je commence à savourer, sauf catastrophe la frontale restera définitivement dans le sac.
Alpage de Blaitière. On ne le voit pas arriver, dissimulé sous les amoncellements rocheux du plan de l’aiguille. Dernier scannage du dossard, je repars illico sans passer par le ravito. Au programme un gros kilomètre vertical à l’envers. Je l’ai détesté en 2015, et 2017 ne fera pas exception. Dès les premiers lacets, dans la partie minérale, les quadri flingués de Catogne se rappellent à mon bon souvenir. Va falloir serrer les dents …
En fait je déteste tellement cette descente, démoralisante à souhait tant la ville ne semble jamais se rapprocher, que je la sucre complètement, na ! Privilège du narrateur.
Bref, après une heure de galère … CHAMONIX ! La soirée est douce, les terrasses bien fournies, leurs occupants avinés comme il faut, une ambiance de malade quoi.
Il est libre Max, et ceux qui disent qu’ils l’ont vu voler n’avaient pas tort. D’ailleurs je vole ! Enfin, presque, mais avec la dose d’endorphines accumulées ce piétonnier n’importe qui le ferait en apnée !
21h43, c’est plié.
La première partie de saison se termine sur une nouvelle satisfaction. Assez paradoxalement, je n’ai jamais été aussi contrarié par les pépins physiques (lesquels m’ont d’ailleurs rattrapé depuis, avec une élongation du mollet dès la reprise de l’entraînement une semaine plus tard …).
Je ne m’attarde pas sur la ligne d’arrivée. De retour à l’appart, je vais enfin avoir des nouvelles d’Yves. Immédiatement rassurantes d’ailleurs. Il a super bien géré et dispose d’une avance confortable sur les BH aux Bois (une photo postée par le Team Lejeune en atteste, il a bonne mine). L’entraînement ciblé et l’expérience auront fait la différence. Ticket finisher validé quelques heures plus tard. Heureux d’avoir partagé ce moment avec un collègue et non moins ami.
Une chose est sûre, nous reviendrons un jour sur ce 80 MB. Pour les multiples raisons qui font son exigence et sa beauté, mais aussi parce qu’il est idéalement situé dans la saison et ouvre à ce titre de nouvelles perspectives en fin d’été.
Pour l’anecdote, à mon retour la presse locale trouvera quelques intérêts à relater ces péripéties. En dépit d’un classement finalement assez anecdotique la magie du Mont-Blanc continue à opérer au plat pays.
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13 commentaires
Commentaire de bubulle posté le 10-07-2017 à 06:58:04
En fait, ils étaient tous derrière, les belges, je peux te confirmer. Dans les roulettes de queue que nosu étions, c'était rempli de gars et de filles du plat pays. Donc c'est normal que dans ta stratosphère, tu finisses deuxième belge...;-)
Après une superbe TDS, un magnifique 80MB, il a quand même drôlement la guibolle montagnard, ce renard....
On s'est ratés cette fois-ci....il va falloir que j'attende que tu te lances sur le Tor....;-)
Commentaire de Renard Luxo posté le 10-07-2017 à 10:00:18
C'est con, pour une fois qu'on était sur la même course ... c'est l'histoire de notre vie kikouresque quoi ...
Effectivement, l'occasion pourrait se présenter un jour en Val d'Aoste ;-)
Commentaire de keaky posté le 11-07-2017 à 07:39:22
Si Garmin, Suunto et consort vont te détester, Perrier va bientôt te sponsoriser :-D
Encore un CR génial et une belle fin romanesque.
Bonne récup et au plaisir je ne sais trop où.
Puis félicitations pour ce 80MB rondement mené.
Commentaire de Renard Luxo posté le 11-07-2017 à 09:57:03
Merci Franck, à mon avis l'aubergiste avait mis du red bull dedans, c'est pas possible autrement ... :-)
Sûr qu'on se croisera encore, sans doute sans le savoir comme sur la TDS 2016 ;-)
Commentaire de Benman posté le 11-07-2017 à 08:14:32
Génial. Un seul regret: de ne pas t'avoir croisé... Tu vas trop vite !
Commentaire de Renard Luxo posté le 11-07-2017 à 09:58:40
Ce n'est que partie remise, dans une petite cinquantaine de jours une nouvelle occasion se présente ... ;-)
Commentaire de float4x4 posté le 11-07-2017 à 12:37:40
Une agréable épopée si ce n’est ton passage à vide au Montenvert. Comme avec pour les autres récits, ça me rappelle de joyeux souvenirs :). J’aime bien la gestion de course que tu as adopté, le côté « je sors de ma zone de confort », faudrait que je test ça un jour lol.
Commentaire de Renard Luxo posté le 11-07-2017 à 13:08:11
Merci Float, en fait j'ai de + en + l'impression que l'ultra est un jeu à somme nulle où tu finis en général à la place que tu "mérites". Sur la TDS 2016 par exemple, j'étais parti fond de peloton (un peu comme toi sur le 80 MB 2015 non ?) avant de pacmaniser 1240 places et au final améliorer mon temps de référence.
Ici, j'ai voulu risquer un truc nouveau, s'est passé, ouf ...
Le seul avantage du départ rapide réside surtout dans le fait d'éviter les minutes "gratuitement" concédées dans les bouchons du début. Evidemment, si c'est pour exploser quelques heures plus tard, cet avantage est tout relatif ...
Bref, continue à courir comme tu le sens, tes résultats prouvent que ça marche plutôt bien jusqu'ici ;-)
Commentaire de float4x4 posté le 12-07-2017 à 10:53:28
Oui en 2015 j’étais vraiment parti tranquille avec un collègue. Je suis assez d’accord sur le côté « jeu à somme nulle » - On doit avoir un genre de chrono « destin » avec une variation de quelques pourcents - Néanmoins, perso, j’ai toujours fait mes meilleurs chronos en partant « à mon rythme », voir un chouilla vite, et pas « en dessous » (parce que les bouchons et les efforts pour doubler, ça ne se rattrape jamais). Ça marche aussi sur du court (genre 15-20k) – Avant je partais vraiment trop timide, alors qu’avec un peu de confiance, on va tout de même plus vite :D.
Commentaire de Titus73 posté le 02-08-2017 à 14:16:06
Superbe, ce récit qui donne envie. On se rencontrera peut-être sur cette TDS 2017 en espérant que tu sera bien remis de ton petit pépin phyisque d'ici là.
Commentaire de Renard Luxo posté le 02-08-2017 à 14:52:52
Merci merci, au plaisir de t'y croiser. Depuis hélas ça ne s'arrange guère. Je sors d'une élongation au mollet début juillet pour enchaîner sur une tendinite rotulienne ... :-( Bref, je fais beaucoup de "jus", y a plus qu'à croiser les orteils fin août.
Commentaire de Shoto posté le 10-07-2018 à 09:21:06
Très beau récit, très belle plume .... et très belle place sur un trail technique et exigeant. Merci pour ce moment de partage.bravo à toi.
Commentaire de Renard Luxo posté le 12-07-2018 à 20:33:57
Merci Shoto, c'est déjà loin mais cet ultra me laisse un bon souvenir. Content que ce petit CR continue à vivre un peu à travers ta lecture.
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