par cabalex » 12 Déc 2010, 09:31
Voici mon CR
bravo à tous, ce fut une édition épique, inoubliable
sportivement
SAINTELYON 2010: L'ODYSSEE BLANCHE
Avec la neige et le froid, la 57 ème édition du raid nocturne entre Saint-Etienne
et Lyon restera longtemps gravée dans ma mémoire, comme la plus belle jamais
courue. Malgré les conditions météo hivernales, des milliers de coureurs ont
vécu, malgré leurs fortunes diverses, un grand moment d'aventure.
J'avais depuis longtemps décidé de participer à la première édition de la
SaintExpress, nouvelle distance de 44 kilomètres entre Sainte-Catherine, dans les
Monts du Lyonnais et Lyon, deux mois à peine après le Marathon de Lyon, bouclé en
3 heures. « Si la forme est là, avec un peu de réussite en plus, le résultat pourrait être
intéressant » avais-je annoncé à Benoît et Yann, deux copains d'entraînement,
quelques jours auparavant. Les dernières semaines étaient concluantes avec trois
courses de 8 à 15 km pour travailler le rythme et la vitesse (Vallyonnaise, Cross de la
Bachasse et 10 km de Vénissieux), ainsi que quelques séances au club de Pierre
Bénite. La semaine précédente, la forme est au rendez-vous, pas un bobo, pas de gros
rhume comme ces deux dernières années à la même époque (et notamment sur
l'édition 2008 du raid individuel de 68km que j'avais terminé en 6h24'). L'hiver est
pourtant déjà en avance: trois jours avant le jour J, 30 cm de neige recouvrent la
région. Il va falloir s'adapter à des conditions de course inédites. Cela fait 20 ans que
la Saintélyon ne s'est pas courue sous un épais manteau blanc et cette année là, en
1990, la course avait été neutralisée, seuls 80 concurrents avaient rallié, en héros,
l'arrivée.
« FAITES ATTENTION AUX OURS POLAIRES! »
Mes trois dernières sorties de 30 minutes dans la poudreuse me permettent de tester le
matériel de course et notamment le port de guêtres, une première. Je me sens à l'aise
dans la neige. Samedi 4 décembre après-midi: je scrute une dernière fois les
prévisions météo pour la nuit suivante: ciel voilé, températures négatives autour de
-5°C, neige et verglas au sol. Ca promet! J'adapte ma tenue de combat: couverture de
survie et coupe vent dans les poches arrières de mon maillot cycliste fétiche (il a fait
les 6 dernières SaintéLyon !) bonnet, gants, collant, short par dessus le collant,
guêtres, chaussures mixte trail-route, lampe frontale, pastilles de Sporténine-fructose
à base d'arnica- bidon d'eau autour de la taille. J'ai toujours aimé la neige depuis tout
petit, j'appréhende seulement le verglas, la nuit.
« Faites attention aux ours polaires! » ironise un collègue de travail, admiratif, la
semaine avant la course. J'ai l'habitude de courir par tous les temps (sauf l'orage) et
j'ambitionne une place dans les 15 à 20 premiers. J'ai les crocs!
Samedi soir. Rendez-vous à Gerland où je monte dans un car, comme des centaines
de participants, pour rejoindre le départ, au village de Saint-Catherine. Avec Philippe
Rémy, l'entraîneur « des spartiates », les athlètes de Pierre-Bénite, qui participe
également à l'épreuve, nous échangeons nos impressions d'avant-course. Pour
Philippe, c'est un retour aux sources: il vient d'avoir 50 ans et souhaitait participer de
nouveau à ce raid nocturne, après s'y être illustré au début des années 1980. On
n'imagine pas à quel point cette course fait rêver tant de mordus de course à pied dans
la région et plus largement l'Hexagone.
ENGAGEMENT TOTAL
23h15. Arrivée à Saint-Catherine à près de 800 mètres d'altitude, on se croirait dans
une station de ski. Quelques minutes avant le départ, à minuit (en même temps que le
raid de 68km au départ de Saint-Etienne), on a juste le temps de se changer dans un
grand chapiteau installé sur le stade du village. L'échauffement consiste en quelques
sautillements, moulinés de bras et deux-trois lignes droites. En tenue de course, çà
caille bigrement: -7°C! Au bout d'un moment, je m'y habitue. L'environnement est
digne d'une expédition dans le grand nord canadien à la Nicolas Vanier. Avec
Philippe Rémy, on se souhaite bonne chance et le départ est imminent. Je me place en
première ligne. Je me retourne: tout le monde a l'ait frigorifié. 1800 coureurs à tapoter
des mains, lampe frontale allumée, avec les encouragements du speaker!
L'entame de la course nous réchauffe tout de suite: une belle côte de 2km à escalader
sur le macadam. L'air froid fouette le visage, c'est tonique! Un groupe d'une dizaine
de coureurs se détache rapidement, je suis derrière à une trentaine de mètres.
Quelqu'un me fait une tape dans le dos: c'est Romaric Maire, un copain
d'entraînement de Pierre Bénite, un sacré gaillard, une pointure régionale sur les
courtes distances et toujours jovial, il respire la joie de vivre. Je crois qu'il s'est inscrit
à la dernière minute. « Tu es sur ton terrain, la nature » lui dis-je, « on verra
comment vont les jambes au 35ème km! »me répond -t-il. Il me dépasse et rejoint le
groupe de tête. Pas question de se griller à vouloir les suivre. Au sommet de la côte,
nous dominons le village de Saint-Catherine: le panorama est majestueux, les
lumières de la ville scintillent au milieu d'un manteau neigeux. Au bout d'un quart
d'heure de grimpette, on bifurque à gauche dans un champ: le groupe s'éparpille dans
la neige fraîche, on s'enfonce dans 30 cm de poudreuse, quelle surprise, quelle
sensation unique aussi! Les premiers font la trace, je les en remercie, ils ont fait le
sale boulot! Les appuis sont fuyants mais j'adhère bien avec mes chaussures
antidérapantes. C'est parti à une vitesse insensée devant, les inconscients. Ce n'est pas
un cross de 10 bornes mais un raid de 44 km dans des conditions difficiles, plus de
trois heures d'effort, alors patience.
DECOR DE REVE
L'engagement est total dans cette descente. Quelle impression de vélocité, dans un
décor de rêve! La visibilité est parfaite, avec toute cette neige immaculée et de plus,
c'est la pleine lune cette nuit ! Après avoir fait le tour de la montagne, on repasse dans
le village de Saint-Catherine, je suis de près Jean-Paul Puillet, un coureur lyonnais
expérimenté. Il a terminé plusieurs fois sur le podium de la SaintéLyon par le passé.
Nous escaladons ensuite une belle côte enneigée, « les cannes » sont en feu. On a
récupéré le tracé du raid individuel de 68km. Il reste environ 40 bornes. Pas évident
de se ravitailler en équilibre instable. De plus, j'ai besoin d'ôter par moments mes
gants. Parfois, une impression de chaleur me saisit aux mains. A l'air libre, ces
dernières sont davantage relâchées. A l'entrée du hameau endormie de la Bullière, j'ai
en point de mire deux-trois coureurs devant moi. Je les rejoins juste à l'entrée du bois
d'Arfeuille (km 11).
Ce passage technique tant redouté est un régal : la neige recouvre racines, pierres et
de plus nous sommes les premiers à tracer le chemin dans la poudreuse. La fameux
goulet est digne d'une descente en ski. Je n'ai jamais pris autant de plaisir à traverser
cet endroit. Pour de nombreux coureurs, ce sera une toute autre histoire: plus tard
dans la nuit, avec les passages successifs, certains vivront un véritable chemin de
croix, la glace succédant à la neige! Beaucoup abandonneront ou descendront sur les
fesses.
PATINAGE ARTISTIQUE ET PLANCHE A VOILE
Cette neige est omniprésente sur la route également. Mais dès qu'elle disparaît, le
piège est parfois invisible. C'est la première fois en 7 participations (quatre fois en
individuel et trois en relais) que ma lampe frontale est allumée en permanence. Il faut
repérer tout ce qui brille sur le bitume: le verglas. Je suis dans un bon jour et au
passage du ravitaillement de Saint-Genoux (Km 14 en 1h08'), un signaleur m'annonce
en 10ème position. C'est un coin venté avec une vue magnifique à 180°C sur
l'agglomération lyonnaise. Peu après, en compagnie d'un autre coureur, nous
gravissons une côte sévère, avant de basculer dans la longue descente du Marjon.
Essentiellement sur route, le parcours est parsemé de plaques de verglas. Juste après
un ravitaillement, je suis surpris par l'amorce d'un chemin et c'est la chute. Je viens
« d'embrasser » le tapis de neige. Je me relève dans la foulée, les mains refroidies. Je
remets les gants aussitôt. Il faut garder son sang froid. Vient ensuite, juste avant
Soucieu en Jarrest, une séquence mémorable, un mélange de patinage artistique et de
planche à voile: une glissade de trois-quatre mètres sur une plaque de verglas, tout en
équilibre. Malgré mon effroi, je reste debout, un miracle ! A mi-course, au passage de
Soucieu (Km 23 en 1h49'), les sensations sont bonnes et la confiance grandit. Je suis
9ème. Je m'arrête 30 secondes pour remplir mon bidon de thé chaud et repars
aussitôt. A part des bénévoles dévoués, les rues sont désertes. Il est 2h du matin. Le
gros du peloton et des suiveurs se succéderont 4 à 5 heures plus tard.
On emprunte ensuite un itinéraire classique: passage du Garon, traversée de
Chaponost, Parc du Brulard. Malgré le regel dans la nuit, pas de glissade à ces
endroits. La nouveauté, c'est la traversée du chemin du Château, un sentier technique
en escaliers. La neige amortit nos pas, tout en douceur. L'on récupère ensuite un
sentier, La Combalat, que j'avais repéré trois semaines auparavant lors d'une
randonnée avec Laurence. Je suis toujours à la poursuite d'un coureur devant moi.
Jusqu'à présent, j'ai fait gaffe au fléchage du parcours et c'est à ce moment que dans
mon dos un poursuivant s'écrie: « faut tourner à droite, vous faites fausse route! »
Heureusement, j'ai fait 50 mètres dans le mauvais sens et rebrousse chemin. Je
remercie ce coureur, quel fair-play! Celui-là, je ne le rattraperai finalement pas. Juste
avant la descente vers les Aqueducs de Beaunant, deuxième glissade, je m'affale sur
le sol, manque plus que des patins à glace pour avancer. Je me résous à ralentir dès
que cela brille au sol. Derrière, cela ne revient pas. Je commence à me dire qu'ils ne
sont pas si nombreux devant.
LE « MUR » DE BEAUNANT
La côte de Beaunant (km 33 en 2h49'), c'est le juge de paix, le baromètre de l'état d'un
« saintélyonniste »: je l'escalade en alternant marche rapide et course, en tirant sur les
bras. Au sommet, un groupe de sapeurs-pompiers soutient un coureur devant moi.
Celui-ci s'arrête momentanément. C'est Romaric. Il a pris le « mur » de Beaunant en
pleine face. Il reste 10 km. En le dépassant, il m'encourage et je le salue de la main.
La traversée de Sainte-Foy, de l'église jusqu'en bas de la montée de Choulans, me
semble interminable. La succession de lignes droites et descentes raides sur macadam
est un supplice pour les quadriceps mais je m'accroche. La perspective de grapiller
une ou deux places dope ma motivation. L'arrivée dans Lyon se fait par le pont
Kitchener. Nous empruntons ensuite les Quais de Saône jusqu'au bout de la
confluence du Rhône et de la Saône. C'est un final un peu monotone, verglacé, je
peste, mais c'est bientôt la fin. J'ai gardé une allure proche de 12 à 13 km à l'heure.
UN BONHEUR PARTAGE
J'accuse un peu le coup physiquement après un raid aussi mouvementé. Après la
traversée du pont Pasteur, Jean-Paul Puillet me rattrape sur les berges du Rhône, je ne
peux le suivre. A l'entrée du parc Gerland, j'interpelle un signaleur: cinquième! Je
n'en crois pas mes oreilles. J'apprendrai à l'arrivée que les deux premiers, notamment,
se sont perdus après une erreur d'aiguillage. Dans un parc de Gerland aux lumières
multicolores, je savoure la dernière ligne droite, le sentiment d'une course maîtrisée
comme je l'espérais avec un brin de réussite. Dans un palais des sports quasi désert, je
franchis la ligne (en 3h48') heureux comme un gosse mais exténué. J'ai tout donné
dans le final. Je suis sonné, et par l'effort consenti et par le classement. Même dans
mes projections les plus optimistes (terminer dans les dix premiers), je n'osais rêvé
d'une telle course. Le marathon de Lyon m'avait laissé un goût d'inachevé, j'ai enfin
montré l'étendue de mes possibilités. Et profité des aléas d'un raid nocturne couru
dans des conditions dantesques.
Pour les organisateurs aussi, ce fut une première en France de lancer 10 000 coureurs,
la nuit, dans la neige et le verglas. Avec des moyens de secours impressionnants, des
centaines de coureurs (plus d'un coureur sur trois n'a pas terminé les 2 raids de 44 et
68km) ont pu être pris en charge, sans qu'il y ait de gros pépins à déplorer.
Pendant toute la matinée, l'enceinte de Gerland s'est remplie peu à peu de coureurs
« finishers » d'une course de légende. Trois personnes me viennent à l'esprit: ma
femme, Laurence, qui viendra me voir pour la remise des récompenses, mon père à
qui cela fera chaud au coeur et mon frère, Pierre, lancé dans un périple héroïque, en
compagnie de sept autres pélerins, dans un aller-retour Lyon-Saint-Etienne-Lyon
(136 km en 23h). Tandis que l'émotion m'envahissait en montant sur le podium pour
recevoir quelques présents, le speaker s'exclamera : « pas étonnant avec un nom
comme çà! » La légende continue...
Alexandre
alex