L'auteur : Francois dArras
La course : Raid Normand Hivernal - 45 km
Date : 31/1/2009
Lieu : Le Trait (Seine-Maritime)
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Distance : 45km
Objectif : Pas d'objectif
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2 FEVRIER 2009 - EPILOGUE
Il est apparu au coin de ma bouche vers 7H58 ce lundi matin alors que je ne l’attendais pas.Et ce n’est pas la perspective de cette journée qui commence qui en est la cause. C’est un sourire narquois, le type d’expression qui peut vous coûter la vie si vous l’adressez aux petites frappes qui font la loi dans le métro. Un sourire parfaitement incongru dans ce couloir de train bondé où tout le monde fait la gueule. Un sourire sans raison apparente qui pourrait s’apparenter à de la folie douce si un psychiatre m’examinait. Les gens autour de moi ne comprennent pas.
Ils ne peuvent pas comprendre. Qui le pourrais ?
Moi-même je n’ai toujours pas compris.
Pas compris ce qui vient de m’arriver.
Pas compris ce qui peut pousser 600 personnes apparemment saines d’esprit à passer une nuit à se perdre au milieu d’une forêt à l’époque où il fait le plus froid de l’année plutôt que de rester dans leur lit comme les honnêtes gens.
Je crois d’ailleurs que je ne comprendrais jamais mais peu importe ce sourire est apparu sur mes lèvres, j’ai le cœur léger et rien que pour cela ça valait le coup.Pour être exact, si je ne sais pas « Pourquoi ? » je l’ai fait, je sais par contre (ce) qui m’a amené à faire ce 9e raid normand hivernal. Si ça vous intéresse, je raconte.7 DECEMBRE 2008 – PROLOGUE
Un nouveau mail du Ragondin senior apparaît sur mon écran :Salut François, Fabrice, GG et moi sommes à la recherche d'un quatrième larron pour
former notre équipe pour l'Hivernale du raid normand qui se déroulera près de Rouen dans la nuit du 31/01 au 01/02. Raid d'orientation sur 45-50 kms. Si ça t'intéresse, répond rapidement.
Ce mail, je savais qu’il arriverait un jour, cette année ou une autre. Et je m’étais déjà demandé ce que je répondrais le jour où il arriverait.
J’avais suivi ses récits épiques qui font envie.
Mais je me rappelais aussi ma réaction hallucinée lorsque, après avoir couru un honnête 10 km avec eux le Rag et Fab m’avais parlé de leur projet de faire leur premier raid nocturne.
Je me rappelais aussi m’être dit que
- définitivement Fab était un coureur d’une classe nettement supérieure à la mienne,
- que j’avais peu d’espoir de rattraper le Rag
- et le seul souvenir de GG était sa silhouette disparaissant en haut de la première côte de Trail des Poilus au pied de laquelle ils m’avaient tous les trois laissés sur place il y a deux ans.
Depuis, j’ai fait un bout de chemin, je suis allé au bout des 55 km du Trail de la Côte d’Opale déjà avec le Rag et j’ai appris à relativiser les distances de course. Donc a priori rien d’impossible pour celui qui le veut. Mais le veux-je ? (c’est français ça ?).
J’ai aussi été témoin et acteur indirect d’une grosse déception du Rag sur le TCO et je ne veux pas risquer de lui gâcher ce raid pour lequel je le sais très motivé, d’autant plus que je suis dans une mauvaise forme en ce moment et je me vois mal me lancer dans un entraînement d’enfer pour être prêt le jour J.
Je décide donc de me faire prier pour que le contrat soit clair entre nous : si je viens c’est comme je suis et je ne suis pas sur de tenir la route. Comme je m’y attendais le Rag ne me lâche pas et me sors les violons pour me convaincre (« c’est toi que je veux… blablabla … c'est quand même beaucoup moins usant qu'un trail de même distance… blablabla »). Quelques heures de réflexion et j’accepte.
Au fond j’en avais très envie mais je suis quand même sincèrement inquiet sur mes capacités… c’est un saut dans l’inconnu : jamais fais de CO, jamais fais de course de nuit. Et… hop !DIMANCHE 24 JANVIER – J-6
Je suis de retour d’une semaine de ski. Avant de partir, j’avais la super pêche, je m’étais correctement entraîné depuis un mois. Pas mal d’endurance, quelques sorties longues, entraînements dans le froid scandinave de ce début janvier, entraînements de nuit… J’ai même fait une séance de course sur les pistes enneigées (quel pied) et puis après… j’ai attrapé une rhinopharyngite à force de me les geler sur les télésièges sous la neige qui tombe (1 mètre de poudreuse en 1 semaine), je me suis gavé d’ibuprofène mais rien n’y a fait j’ai toujours un rhume, une vilaine toux, la tête prête à exploser et des vertiges à intervalles réguliers.
Le moral est au plus bas et je me sens physiquement comme une loque.
Pas question d’abandonner car le Rag ne me pardonnerait jamais mais j’ai bien du mal à imaginer que dans une semaine je vais aller gambader toute la nuit dans la forêt alors que j’ai n’ai absolument aucune envie de trottiner ne serait ce que 20 mn.
Nul doute que si la course avait été individuelle j’aurais jeté l’éponge.SAMEDI 31 JANVIER – JOUR J
Puisqu’il faut il aller, allons y. Ca va mieux mais c’est toujours pas le nirvana. J’ai trouvé un peu de motivation pour aller courir dans la semaine pour me rassurer… et je ne l’ai pas du tout été (putain que c’est lourd de courir avec un sac chargé de flotte et de bouffe).
La matinée a été consacrée à la préparation de mes affaires.
Je pars.
16H : retrouve les flamands à Abbeville pour finir la route ensemble. Juste le temps de sortir de la voiture pour pisser et le froid vous glace le sang jusqu’aux os. Pas de doute, cette nuit on va se les geler. Je suis un peu rassuré en constatant la forme olympique (version Laure Manaudou 2008) de Fab et GG. Seul le Rag semble avoir la pêche.
18H : arrivé dans la charmante ville du Trait. Sa route. Ses troquets. Ses entrepôts sinistres. Y a de la joie... La salle de sport est encore vide et froide. Nous retirons nos dossards, nous serons l’équipe 119 : LES RAGONDINS. Le Rag me présente quelques Kikous puis je rejoins le reste de l’équipe dans la voiture où nous somnolons pitoyablement pendant que le Rag continue à papoter. A cette heure aucun de nous ne parierais sur nos chances de faire un résultat cette nuit.
19H30 : nous avons quitté la super pizzeria karaoké disco qui semble être l’un des seuls lieux où l’on s’amuse dans le coin. Notre menu « pennes - gâteau de riz » est avalé, y a pu qu’à attendre que les intestins fassent leur boulot. La pression monte et je sors lentement de ma torpeur. Nous attendons l’heure de nous habiller dans une ambiance de vestiaires de rugby et nous avons toute la peine du monde à retenir le Rag qui commence à angoisser et qui est impatient.
21H15 : la salle de sport, pleine à craquer il y a une heure, s’est vidée après le départ des deux premiers groupes. J’observe tous les concurrents avec un mélange d’amusement et d’admiration. Assurément le public et l’ambiance sont différents par rapport à un 10 km de village. Ca ne rigole pas beaucoup et ça se prend très au sérieux.
Je ne fais pas le fier mais je ne peux m’empêcher de rigoler lorsqu’un concurrent prend la mouche m’accusant de tricher alors que je jette un œil sur son road book pour noter le numéro de téléphone des secours (ça en dit long sur mes prétentions mais je rigolerais encore plus le lendemain en le voyant arriver plus d’une heure après nous).3, 2, 1… go ! Tout le monde se précipite pour récupérer le road book, nous sommes zen et servis dans les derniers. C’est le Rag qui à la lourde tache de faire le report de balises, Fab recopie sur sa copie noir et blanc et GG fait la lecture et moi… je découvre, je ne sais pas quoi faire et je refais mes lacets.
21H30 : nous hésitons sur le report d’une balise et nous aimerions bien toutes les reporter au chaud et avec toute notre lucidité mais nous devons partir en n’ayant fait que le tiers du boulot car le dernier bac part à 22H15 et qu’il y a 3 balises à trouver sur la route avant.
BALISE 1 : pas d’hésitation pour sortir du village, nous suivons la meute sous les encouragements de quelques habitants qui vont se coucher. J’apprendrais plus tard qu’il est très hasardeux de suivre les autres équipes et le Rag qui a prit en main l’orientation semble avoir un peu de mal à rentrer dans la carte mais la balise est trouvée.
BALISE 2 et 3 : on se marche les uns sur les autres et les balises s’enchaînent.
TRAVERSEE DE LA SEINE
Une petite accélération et nous arrivons au bac dans les temps. Nous profitons de l’attente pour finir le report des balises, cette fois ci c’est moi qui fais la lecture et le lampadaire, enfin une occasion de me rendre utile. Chose faite il est temps d’embarquer et je me rend compte que nous avons eu le temps de bien nous refroidir au bord de l’eau.
Nous embarquons et nous groupons contre le moteur pour avoir chaud. Cette proximité me rappelle les rassemblements d’avant match et j’y puise une motivation supplémentaire. Nous ne sommes peut-être pas quinze mais nous sommes une équipe. Pour moi la course commence maintenant.
BALISE 4 : deux itinéraires sont possibles. Nous optons pour le plus long mais le plus sur : la route qui contourne le marais dont la traversée nous parait hasardeuse. Même s’il était gelé, je suis bien content, pas besoin de se mouiller les pieds pour se refroidir, le vent s’en charge bien tout seul.
BALISE 5 : il y a encore beaucoup de monde et l’orientation ne pose pas de problème.
BALISE 6 : le chemin semble évident : il s’agit de suivre le GR pour gagner le sud de la forêt et je m’étonne de voir de nombreuses équipes prendre une autre direction en s’attaquant à la pente qui nous fait face.
BALISES 7, 8, etc… (j’ai perdu le fil des numéros) : nous avons trouvé notre rythme. GG est le poinçonneur officiel avec un flair certain pour les trouver, le Rag s’occupe de l’orientation que Fab confirme et moi je lis le road book, je donne le rythme et cherche les balises. J’ai un rôle mineur mais je me sens à ma place.
Nous courrons à une allure prudente pour ne pas nous griller et nous avançons sans embûche.
Nous nous consultons rapidement et démocratiquement après chaque balise sur la route à prendre pour atteindre la suivante.
VERS LA 10e BALISE : A MON TOUR DE JOUER
Le Rag me passe la carte pour orienter. Je la prends avec un peu de stress car pour l’instant il a fait quasiment du zéro faute, mais je ne veux pas me défiler et je veux le laisser respirer.
Manque de bol, je prends la carte à un moment où plusieurs chemins sont à peu près parallèles et je me situe d’emblée sur une mauvaise position, d’autant plus que je n’ai pas de boussole pour me repérer (aurais-je demandé celle du Rag, je n’étais pas sur de m’en servir correctement alors je fais sans).
La balise suivante, trouvée grâce à un attroupement, sème le doute dans nos esprits car sa position ne correspond pas à notre lecture de la carte. Pas le temps de chercher à comprendre nous suivons à nouveau la meute (attention danger) d’autant plus que nous sommes sur une route forestière qui incite à tracer sans se poser de question.
Impossible de courir en lisant correctement la carte et chaque fois que je m’arrête pour lire je ne m’y retrouve pas, mais Fab ne semble pas se poser de question et il y a toujours beaucoup de monde qui cours dans le même sens donc je suis bêtement… jusqu’à une maison forestière à un carrefour qui constitue un repère suffisamment clair pour vérifier la route et là… je suis complètement largué.
C’est le Rag qui trouve l’erreur et nous repositionne… il faut faire demi-tour et cesser de suivre les équipes qui nous précèdent et qui vont je ne sais où mais pas dans la bonne direction.
Nous avons perdu 10 mn et rallongé notre route, je suis vexé et je rends la carte au Rag tout penaud. Puis je reprend confiance en moi et je la lui reprends quelques centaines de mètres plus loin. Je n’ai pas dit mon dernier mot. S’en suit une série de balises à trouver en fonction des limites de parcelles matérialisées par des bandes blanches et des numéros sur les arbres. J’oriente correctement et les balises s’enchaînent jusqu’à l’entrée dans la carte de CO.
SUR LA CARTE DE CO
Comme la carte est trop petite pour être lue à 4 en même temps et que je n’ai aucune expérience de lecture de ce type de carte, j’abandonne complètement l’orientation aux autres et me concentre sur la recherche des balises durant toute cette phase.
Je profite d’un temps de réflexion pour changer de poche à eau (déjà 1,5 L d’englouti) et manger un morceau. Il s’en faut de peu que je ne vois pas disparaître les Ragondins s’enfonçant dans un fourré.
La balise 21 est trouvée après un peu de jardinage car nous avons apparemment un peu à nous situer précisément, la 22 est localisée du premier coup ce qui nous met en confiance, le Rag semble cette fois ci être parfaitement entré dans la carte et c’est donc avec une confiance absolue que nous nous mettons en quête de la balise 23.
Un chemin à droite, on compte 150 mètres et on doit trouver un autre chemin… comme la parcelle a été défrichée des chemins apparaissent un peu partout et nulle part à la fois, nous commençons un ratissage en règle de la parcelle. Dans un sens, puis un autre, on repart au carrefour précédent on recommence… deux ou trois autres équipes semblent dans la même quête infructueuse : « MAIS ELLE EST OU CETTE BALISE 23 ???? ».
Je crois un instant l’avoir trouvée en apercevant quelque chose qui brille, je m’approche… ce n’est pas la balise mais deux yeux jaunes qui me regardent au milieu des fougères, encore quelques pas j’aperçoit des grandes oreilles, les yeux me suivent calmement: un renard, un chat sauvage ? J’ai bien envie de savoir mais je me rappelle les consignes de ne pas déranger les animaux et je m’éloigne. Avec tous les raideurs qui auront jardiné dans cette parcelle durant la nuit, mon hôte n’a pas du dormir beaucoup…
Après avoir perdu 30 à 40 mn, nous nous résignons à abandonner et nous nous quittons la zone direction la 24, une balise apparaît après une centaine de mètres : déjà la 24 ? mais non c’est bien la 23 qui nous nargue. Incompréhension mais nous n’avons déjà plus la force de chercher à comprendre et nous poursuivons.
BALISE 24 ET SUIVANTES
Après la 24, deux ou trois équipes s’engouffrent sans hésiter à travers bois vers la gauche. Un rapide coup d’œil sur la carte semble confirmer la direction et comme nous voulons rattraper le temps perdu, nous suivons comme des moutons (Erreur, bordel ! Erreur !).
La progression est difficile : ça monte et surtout c’est plein de putains de ronces qui s’accrochent aux pieds, aux jambes (et la tête alouette). Nous sommes censés suivre une limite de parcelle mais les bandes blanches ont disparues depuis un bout de temps. Je pense que nous avons tous les quatre le sentiment de faire fausse route mais il nous faut 5 bonnes minutes pour nous décider à nous arrêter, constater qu’on est paumés et repartir à la boussole cap à l’ouest pour retomber sur chemin.
Encore du temps et de l’énergie de gaspillés mais nous retrouvons notre route et enchaînons les balises.
Il y a beaucoup de monde dans les parages et il faut être discret pour ne pas attirer toute la forêt à chaque fois que l’on trouve une balise. Nous avions mis en place une phrase codée plus discrète que « je l’ai trouvée » pour communiquer et elle remplit ici son rôle. On sent une certaines frénésie parmi tous les raideurs, et pour cause en quelques balises et c’est le bivouac que nous rejoignons après une dernière petite divagation pour sortir de la zone de CO.
Je continue mon apprentissage : j’ai les doigts de la main droite qui gèlent les uns après les autres et il me faut plus d’une demi-heure pour réaliser que c’est à cause de l’élastique de ma 2e lampe que j’ai enroulé autour de mon poignet et qui me bloque la circulation sanguine.
Au rayon des satisfactions, nous constatons que nous avons rattrapé beaucoup d’équipes parties 30 mn avant nous.
BIVOUAC
Il est à peu près 3H du matin. Ca fait du bien au moral.
Nous passons à côté du bus chauffé qui attend les futurs abandons, je n’ai aucune envie de monter dedans mais je commence à fantasmer sur l’idée de m’écrouler dans mon canapé au chaud. Je pense à tous ceux qui sont dans leur lit et qui m’ont jeté des regards incrédules lorsque je leur ai annoncé ma participation à ce raid. Et je me demande s’ils ce sont pas eux qui ont raison. Pourquoi diable s’infliger d’être ici, dans le froid qui commence à être mordant, à jouer au petit poucet ? Faut quand même être sacrément cinglé.
Je renonce à calculer quelle distance il nous reste à parcourir, ni à quelle heure on peut espérer en terminer. Je ne sais que deux choses : je vais terminer mais le plus dur reste à venir.
Je mange mon cake salé dont j’ai trouvé la recette sur le site. Je ne me régale pas, c’est sec et pas assez gourmand malgré toutes les bonnes choses mises dedans, mais ça fait du bien quand même.
Le Rag s’atèle au report des balises suivantes. Je l’admire, moi qui n’ai que le courage de l’éclairer.
Ce n’est qu’une fois le travail accomplit que l’on s’autorise à se réchauffer grâce au feu de camp et au gobelet d’eau chaude (le café est resté à la maison).
2e MI-TEMPS
Les balises s’enchaînent et mes souvenirs s’estompent.
Les corps sont fatigués, la dureté du sol gelé commence à faire mal aux pieds. Nous marchons de plus en plus souvent, dès que les chemins labourés rendent la progression trop douloureuse. Entre les pierres cachées sous les feuilles mortes, les branches et arbres à enjamber et tous les défauts du sol figés par le gel, c’est un miracle que mes chevilles fragiles n’aient pas lâché. A plusieurs reprises elles ont plié, mais sans blessure.
Depuis le départ de la course je m’alimente régulièrement et ça paye. Je suis assez content de mon alternance de barres et autres gels sucrés et de noix de cajous bien salées et je bois très régulièrement ma boisson isotonique. Malgré la fatigue qui s’accumule et la souffrance infligée par le froid, je me sens bien et le moral reste bon d’autant plus que l’ambiance dans l’équipe est excellente, nous sommes tous fatigués mais nous restons concentrés et solidaires, même les gaz pestilentiels qui émanent de chacun d’entre nous n’arrivent pas à nous disperser.
Encore quelques balises de trouvées et nous voila à la sortie de la forêt. Le pont de Brotonne apparaît au loin et on ne peut s’empêcher de penser que nous sommes sur le chemin du retour, on parle même d’arriver dans une heure, personne n’est dupe mais on se réconforte en faisant semblant d’y croire.
Nous reportons les dernières balises et à présent nous n’aurons plus qu’une carte car la photocopie de Fab n’est pas assez grande. Au carrefour suivant mon instinct m’indique qu’il faut tourner mais notre orienteur opte pour un tout droit, je doute, questionne mais laisse le dernier mot au Rag qui a été irréprochable jusque là.
10 mn et 1 km plus tard nous sommes de retour au carrefour après nous être rendu compte de notre erreur. Cette fois ci j’ai pris la carte et j’ai bien l’intention de nous amener jusqu’à l’arrivée.
La descente jusqu’au pont est longue, monotone et la forêt ne nous protège plus du vent d’autant plus que c’est l’heure la plus froide de la nuit, c’est le moment de rentrer dans sa carapace : cours et tais toi.
Et il faut redoubler de courage pour franchir le pont balayé par le vent, il est 6H30, ça monte et c’est dur mais GG et Fab sont inflexibles et imposent un rythme implacable, pas question de flancher, je suis à quelques mètres de distances, je m’accroche. Nous avalons plusieurs équipes qui nous avaient rattrapés dans la descente alors que nous reprenions des forces.
Une fois la Seine franchie mes équipiers reconnaissent le terrain de leurs exploits de l’an dernier et ouvrent la voie d’une descente casse gueule.
Les balises s’enchaînent à nouveau mais la route est encore longue, de belles montées nous attendent et le froid à la lisière de la forêt est cruel.
Ce type d’épreuve est vraiment dur, c’est au moment où il fait le plus froid que l’on est le plus fatigué et les conséquences sur le cerveau sont évidentes, la lucidité laisse la place aux réflexes et à l’instinct. J’en ai la preuve avec une balise assez facile simplement cachée derrière un arbre sur le bord du chemin mais ignorée par une bonne dizaine de coureurs et qui m’est apparue comme un mirage.
Le jour s’est levé, je serre les dents mais je suis bien et j’assure l’orientation en confiance jusqu’à l’avant dernière balise.
Deux options de route sont possibles : une un peu plus longue mais plus sure avec un seul changement direction en restant sur des bons chemins et une plus courte mais nécessitant plus d’orientation et une attaque frontale du dénivelé. Je propose la première option pour éviter de se perdre mais deux équipes devant nous attaquent sans hésiter la deuxième route, mes coéquipiers veulent leur emboîter le pas et je n’ai pas le courage d’argumenter.
La montée est exténuante et arrivés en haut nous sommes seuls et quelques minutes plus tard nous sommes face à un carrefour ne correspondant pas à la carte et je sens une légère exaspération lorsque je demande le recours à la boussole et que son verdict ne nous donne rien de cohérent. J’enrage intérieurement de ne pas avoir suivit la route que je proposais et me sens néanmoins extrêmement coupable. Il nous faut quelques minutes pour interpréter la carte et nous remettre dans le droit chemin (qui n’était pas loin) et j’abandonne la carte un peu vexé.
Il ne nous reste plus qu’une balise à trouver.
Encore une fois la fatigue rend difficile une orientation pourtant assez simple et nous jardinons encore un peu car le Rag a prit la carte à l’envers, pas question de lui en vouloir nous rebroussons chemin.
L’euphorie d’en avoir terminé nous pousse à dévaler la pente jusqu’au village en contrebas avant de suivre sagement le chemin qui longe les maisons et remonte la moitié de la pente pour trouver le bon accès au village.
Ces contretemps ne m’atteignent pas, il y a belle lurette que mes jambes sont déconnectées de mon cerveau et elles avancent toutes seules. Je suis en tête et je dois ralentir pour attendre mes coéquipiers.
Je suis bien. Dans quelques minutes je vais terminer mon premier raid, de nuit. Je suis allé au bout de cette nuit. Je suis fier et je sens qu’on peut espérer un bon résultat au classement.
La sollicitude des habitants qui nous voient sortir de la forêt est réconfortante.
Nous arrivons groupés et sereins.
C’est finit. Il est 8H45.
Cela fait 11H30 que la course a commencée.
Nous avons trouvé toutes les balises.
L’arrivée est un peu décevante, nous rentrons dans la salle, rendons notre passeport, nos dossards et nous filons à la douche, puis au petit dej et nous reprenons la route.
La fatigue nous est tombée dessus, nous sommes des zombis.
Nous n’échangerons plus beaucoup de paroles mais l’essentiel est ailleurs.
Tout le reste de la journée ne sera qu’une longue fatigue.
Repas en famille puis comatage en règle sur mon canapé auquel je rêve depuis 02H00 du matin.
DIMANCHE 1 FEVRIER – 12H – CONCLUSION
Le seul commentaire que je ferais ce dimanche sera de répéter que ce fut dur.
Le froid, la fatigue. Très dur et, si je suis content et ne regrette pas un seul instant d’avoir vécu cette aventure, je suis obligé d’avouer que je sais pas si le jeu en vaux la chandelle.
Pourquoi s’infliger des moments aussi durs ? Je n’ai pas de réponse, pas aujourd’hui en tous cas. Seule la fatigue m’obnubile.
Un grand coup de chapeau à l’équipe (et merci) :
- Le Ragondin senior : évidemment, que je remercie mille fois de m’embarquer dans ses aventures. Qui aura été notre guide une bonne partie de la nuit avec une maîtrise remarquable malgré une douleur au genou.
- GG : un vrai métronome et un radar à balise, toujours positif et entraînant (« petits pas, petits pas »), qui n’a pas hésité à mouiller (pas le maillot) mais ses pieds en poinçonnant dans 30 cm d’eau.
- Fabrice : qui a vérifié le cap toute la nuit en silence et été d’une aide précieuse dans la recherche des balises
- et moi : j’ai beaucoup appris et j’ai trouvé ma place dans l’équipe. J’ai su être patient et prudent dans ma gestion de course pour garder un peu de fraîcheur et de lucidité qui auront été utiles au petit matin. J’ai à mon crédit la découverte de quelques balises, un peu d’orientation. Je suis content de moi.
Notre équipée sera récompensée par une très honorable 26e place sur 103 équipes partantes (et seulement 83 à l’arrivée). Pas mal pour une équipe aussi peu rodée et expérimentée.
SAMEDI 7 FEVRIER
Après quelques nuits de sommeil, j’ai bien récupéré de ce raid (merci les BCAA).
Au moment de mettre en ligne ce CR, je n’ai toujours pas la réponse au « Pourquoi ? » mais j’ai cessé de la chercher et je suis tourné vers l’avenir. Je me suis même laissé allé à acheter le magazine Ultrafondu que je me refusais jusque là à acheter en me disant que je n’étais concerné.
C’est grave docteur ?
PS : merci et bravo aux organisateurs très pros. Tout était parfait.
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7 commentaires
Commentaire de _azerty posté le 08-02-2009 à 10:34:00
merci pour ce récit
Je pense que tu devrais écrire plus souvent ...
et je crois aussi que tu as mis le doigt dans une machine infernale .
Domi
PS: il y a un tout nouveau trail d'orientation en équipe de 4 en avril en Normandie ;-)
Commentaire de taz28 posté le 08-02-2009 à 10:44:00
Très beau récit François, on lit avec plaisir cette nouvelle aventure pour toi !!
Tu as testé l'orientation de belle manière...
Bravo à toi, et à votre superbe équipe pour ce classement dans cette nuit froide
Taz
Commentaire de Rag' posté le 08-02-2009 à 10:53:00
Beaucoup de sentiments à la lecture de ton CR:
- envie d'y retourner: t'as signé pour un bail;
- heureux que l'on ait pu vivre cela à 4;
- bizarre de se voir citer plusieurs fois;
- confus d'avoir merdé et que tu aies pu être vexé;
- envie d'y retourner: l'équipe est formée!
TRES joli CR!
A bientôt.
Yann
Commentaire de la panthère posté le 08-02-2009 à 21:30:00
super récit! merci!et un grand bravo aux ragondins!
pas de réponse au pourquoi, c'est comme ça....une fois que t'y as goûté, tu ne rêves que d'une chose: recommencer!
(j'ai bien attendu 10 jours avant de couper le bracelet rose fluo du raid 28....)
Commentaire de breizhman14 posté le 10-02-2009 à 10:30:00
Comme il est dit plus haut, il est indéniable que tu devrais écrire plus souvent. A te lire, je viens de revivre une nuit inoubliable. Bravo aux ragondins et merci pour ce CR.
Commentaire de Francois dArras posté le 15-02-2009 à 21:27:00
Merci pour vos encouragements.
Je ne manque pas d'envie d'écrire plus souvent mais assurément on ne vit pas tous les jours un sujet aussi fort !
Commentaire de Rag' posté le 26-12-2009 à 11:48:00
A la relecture de ce récit, il est évident qu'il faut s'astreindre à des règles précises quant l'orientation. On se répartira l'orientation entre toi, Laurent et moi. "Assurer" devrait être le maître-mot. Sur les 55 kms, pas question de se taper dix bornes de plus! Une bien belle équipe encore une fois.
Ciao
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