Récit de la course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 177 km 2016, par Thibaud GUEYFFIER

L'auteur : Thibaud GUEYFFIER

La course : Grand Raid du Golfe du Morbihan - 177 km

Date : 24/6/2016

Lieu : Vannes (Morbihan)

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Distance : 177km

Objectif : Pas d'objectif

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Le récit

Allez je vous emmène dans le sud, le vrai sud, le sud de la Bretagne découvrir le Morbihan, petite-mer dans le texte.
Ici, il y a douze ans, quelques intermittents de l'aventure, et surtout quelques amoureux visionnaires de la région y ont vu un nouveau théâtre. Et si on en faisait le tour en courant de ce golfe?
Le premier problème c'est qu'il y 177km pour faire le tour de cette étendue de 12000 hectares. Et le second c'est que celui était un lac il y a quelques millénaires est désormais traversé par un bras de mer de 25km et les collines sont devenues une légion d'îles. Pas de problèmes, une armée de zodiac nous le fera franchir.
Allez plus d'excuses pour ne pas rêver des fous on en trouve toujours. Le lieu de départ se fera dans l'ancienne ville médiévale de Vannes, à la pointe de son port en forme d'interminable épingle à cheveux.

Et voilà comment j'ai décidé de quitter mes montagnes invincibles à l'air coupant pour partir à la rencontre de cette baie qui comme celle d'Al-ongh, ou bien San Francisco fait partie du club ultra select des "plus belles baies du monde". J'ai voulu voir de près cette dentelle côtière pleine de cap, d'anses, d'imprévisibles. J'ai voulu sentir l'air frais qui baigne cette étrange alliance entre la terre et la mer, le sable dur, l'odeur des marais, la couleur de son ciel. J'ai voulu goûter aux saveurs sucrées et surtout salées d'une Bretagne qu'on déguste par tous les sens.

Allez le grand soir c'est ce soir et les marginaux qui se croient capables de relever le défi sont désormais plus d'un millier. Tout le monde souri sous un soleil entrecoupé qu'ici on apprécie comme on sait apprécier l'instant présent. La souffrance, le doute, l'usure psychique, l'abandon en emporteront quarante pourcent mais qu'importe pour l'instant. Qu'importe puisqu'il y a toutes ces arches colorées, le speaker qui parle trop fort, les milliers de badauds, les regards amusés ou admiratifs aux terrasse, la marée de drapeau noir et blanc de la Bretagne qui s'agite au rythme des cœurs de tous. Et tout ça rachète déjà tout le reste. 
C'est parti, un petit tour en ville histoire de soulever les foules. Le rythme est soutenu mais évidemment personne ne songe à céder une centaine de place, ce qui aurait pourtant été une bonne chose pour à peu près tout le monde. Je suis rapidement en nage, les passages sur les criques les remontées d'escaliers, les coursives en pierre qui séparent la mer en retrait de bâtisses extraordinaires, le public chaud et partout présent tout ça est très amusant. 12km/h c'est n'importe quoi les gagnants sont sur une base de dix. Je fais quelques dizaines kilomètres dans le top vingt, certains athlètes ont des suiveurs qui leur donnent leur allure, leur stat et ça me fait sourire tant tout ceci est devenu trop sérieux pour moi. Je commence à réaliser qu'il y a aussi des coureurs en relais qui ont une allure trompeuse et qu'il faut surtout ne pas observer. Dans la foulée je réalise aussi que mes ischios droits sont bien contractés (ce qui ne fera que s'amplifier jusqu'à la fin) et mes lombaires raides . Je garde le moral, bref je me mens avec ardeur et obstination mais je pioche déjà trop et rester sur du dix kilomètres à l'heure est tout sauf réaliste. Je m'accroche à cette idée je tiendrai comme ça une soixantaine de kilomètres mais dès le 45eme je m'arrête pour étirer à intervalle régulier, mes lombaires, mon rythme comme mon moral s'effrite, je suis remonté en permanence par des coureurs plus prudents ce qui n'arrange rien. Je sens que ça ne tourne pas rond, je n'arrive pas à m'écouter et d'ailleurs si je le faisais je m'arrêterai pour chialer sur un rocher avant de prendre un zodiac direction Vannes. Je continue à agir quand même dans le bon sens: je m'alimente régulièrement, je pense à la sportenine pour les crampes, comprimés d'acides aminés pour la restauration musculaire, je m'hydrate comme un métronome. Puis j'essaie d'appeler Carole, mon fils, la maison dix fois pas de réponses! Je commence à psychother, mon cerveau s'emballe je suis complètement extérieur à la course désormais. J'ai oublié depuis le départ qu'il y a trois semaines j'étais tellement exténué par ma saison chargé que j'ai tout arrêté pour entamer une cure de repos, vitamines, minéraux oligo-éléments. Les petites courses réussies entre temps ont endormi ma vigilance sur les signes de fatigue plus profonds qui étaient là et que j'avais vue. Le coup de fil attendu tombe, ils arrivent à vivre relax sans batteries, sans portables je les admire. 
J'essaie de me recentrer sur la beauté du paysage qui s'efface dans la nuit. L'île des moines au loin, l'anse de Locmiquel, la traversée de l'étang de Toulvern. Mais le cœur n'y est pas je ne regarde même plus la montre, le troisième pointage du Bono enfin. J'allume la frontale cette fois ci. J'atteins la ville d'Auray et là jusqu'au 90 ème km c'est franchement déprimant, du bitume, des bords de nationale. En même temps pour admirer le paysage ce n'est pas la bonne heure vous me direz. Mais tout de même là courir comme ça pour rien à côté des voitures ça m'achève plus que le reste. Après une approche interminable je rejoint le cinquième pointage sur les onze à faire. J'embarque sur un zodiac, j'ai mon coupe vent mais en mer ça sera juste. On nous prête un ciré léger, on nous enfile un gilet de sauvetage moi personnellement je suis plus capable de m'habiller. Je me suis recroquevillé au fond de l'annexe en plaquant le ciré pour résister au vent qui coule glacé dans les failles. On débarque, plutôt on me débarque ils s'y mettent à deux pour me tenir on m'annonce encore 6km avant la base vie! Je suis gelé et franchement mal en point, la nausée pointe son nez et entonne sa rengaine. Je cherche à la faire taire, je fais route avec une relayeuse sympa, on discute un peu mais franchement sur cette épreuve ça n'a pas été simple. Il y a beaucoup de "salut" sans réponse. Pour cause une armée de victimes de la modernité font ça avec des écouteurs high-tech à 400 euros, histoire d'être encore plus seul en ce bas monde et en fait ça m'insupporte. Je sors de la base vie en ayant avalé à grand peine un mug de soupe. 
Allez j'ai un coup de chance, enfin, je croise les baskets de la troisième féminine Stéphanie Lefloc. Elle est calme pausée, affûtée comme une lance et dans le regard une détermination qui ferait presque peur. On alterne marche et course en regardant le soleil se lever sur un paysage qui se passe de mots, pointe de Penbert, Keners, Saint Nicolas, l'étang de Pen Castel. Le sublime prend toutes les teintes et je sais enfin pourquoi je suis là. J'immortalise quelques instants fragiles quand j'en trouve la force. De superbes maisons en pierre aux jardins soignés jouxtent parfois ces anses aux allures de paradis perdus. 
Et voilà qu'au milieu de mes rêveries le sommeil me tombe dessus sans prévenir, je ne marche vraiment plus droit. Au ravitaillement j'annonce à Stéphanie que je vais dormir 15 minutes et qu'elle ne doit pas se sentir contrainte de m'attendre. Quinze minutes intense sous ma couverture de survie dans l'herbe et c'est un vrai shoot de lucidité qui traverse mes neurones au réveil. Stéphanie est encore là je la remercie elle me dit qu'elle ne m'attendait pas spécialement mais j'apprécie quand même qu'elle le soit. Le soleil s'affirme, un nouveau jour commence mais aussi quelques galères. La quatrième fille nous rattrape et ça contrarie en silence sérieusement ma partenaire d'infortune. En passant elle m'a semblé marquée et nous sommes loin de l'arrivée rien n'est joué pour elle, c'est certain. Mais ce n'était pas le bon moment, le balisage disparait, on perd cinquante minutes en aller-retour. On a les jambes coupées, on s'énerve un peu, je m'assois à l'ombre d'un mur je réfléchis au ralenti, ma motivation est en lambeaux. On touche le pointage numéro 9 on a fait 119 km Stéphanie m'annonce qu'elle va poser son dossard. J'essaie de la convaincre mais elle m'explique toujours déterminée et lucide qu'elle ne venait pas pour être "juste" finisher. Elle a mal à la voûte plantaire, elle a perdu une heure et il reste 56 km. Je regrette mais je respecte sa vision de la course et je prends conscience que nous ne courons pas tous derrière les mêmes choses et ce qu'elle vient de décider est courant sur le haut niveau.
Je débraye un bon moment au stade, une super bénévole me prend en charge et je lui dois beaucoup. Elle me donne un vogalene pour faire descendre la nausée me pousse à dormir un peu, à manger je sens beaucoup de force dans son regard et je sors avec en fanfaronnant: "allez, la France à besoin de moi!". Je croise un duo qui a l'air de bien tourné, ils sont polis même s'ils ne chercheront jamais à m'intégrer. Le monde de l'ultra route est vraiment froid ou bien j'enchaîne les mauvaises expériences franchement j'hésite encore. Le points positif c'est que ce super marathon qui me reste à faire est une folie dans mon état de fatigue, tout est raide, mon cœur ahane comme une vieille machine et ils vont m'aider, bien malgré eux, à garder un semblant de rythme et à visualiser l'achèvement. On traverse des zones nature 2000 dédiée à la nidification. Des chemins suspendus en bois serpentent sur des kilomètres des zones vierges de l'homme. Les salins peu rentables abandonnés il y a un siècle sont réinvestis par une vie sauvage qui rend ridicule les lignes droites tracées par l'homme qui survivent encore si on veut bien regarder. De vieilles barques se décomposent avec poésie dans le vert mousseux des marais et leurs carcasses grandioses prennent des allures d'œuvre d'art.
Allez plus que 13km mais tout défile au ralenti, je ne cours que pour hâter le film devenu d'une lenteur insupportable. Les coureurs que je double désormais sont tous marcheurs. On s'approche de Vannes je vois une forêt de mâts au loin! Je m'accroche à leurs images et je me détraque quand ils disparaissent de mon champ de vision. On s'approche, les façades ancestrales, les maisons à pans en bois, les hôtels particuliers. Le quai enfin, les terrasses applaudissent toutes. Une boule d'émotions monte peu à peu. Les arches, l'arche finale, j'arrache mon saut fétiche à la pesanteur. Je m'affale après 24h44 minutes pour une honorable 50ème place sur une chaise secoué de soubresauts et de larmes. Pourquoi je vais jusque là ? Vous savez vous?

On m'envoie une gentille assistance mais j'ai juste besoin de temps. Les vieux de la vieille derrière moi me félicite sans fard avec le cœur. Je me laisse aider par les jeunes bénévoles déchaînées et pleines d'humour me tatouent un cœur au surligneur en me filant une bière. Tout ça c'est direct, c'est sincère, c'est trop bon. Je redescends je m'allonge sur le sol, on m'envoie encore l'assistance, j'ai juste besoin de dix minutes d'oubli c'est tout. Je frissonne en sortant de ma léthargie, je remonte vers mon B'n'b qui est tout prêt mais soudain très loin. Je m'allonge en tenue sur le tapis de l'entrée coma d'une heure, une douche, enfin, je me tiens aux parois, coma de deux heures. La nuit noire me réveille, la nausée est redescendue et j'ai soudain très faim et très soif. Au pied de l'immeuble un restaurant qui va fermer comprend tout. Ils me bricolent un hamburger maison jambon légumes des frites. Une bière glacée une bouteille d'eau pétillante glacée plus tard je suis déjà un autre. Le lendemain mon adorable logeur Yasser me fait un petit déjeuner typiquement égyptien et là je suis prêt à remettre ça!

Je voulais finir sur ces belles personnes, ces attentions si discrètes, si nombreuses qui ont émaillé ce chemin, ces gens qui aiment les gens. Car ils font en sorte que l'aventure reste humaine, ils font en sorte qu'elle en vaille toujours la peine.

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